Judgment of the General Court (First Chamber) of 23 July 2025.
OT v Council of the European Union.
• 62023TJ1095 • ECLI:EU:T:2025:744
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ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre élargie)
23 juillet 2025 ( * )
« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Maintien du nom du requérant sur la liste – Article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145/PESC – Erreur d’appréciation – Droits de la défense – Proportionnalité »
Dans l’affaire T‑1095/23,
OT, représenté par M es J.-P. Hordies et P. Blanchetier, avocats,
partie requérante,
contre
Conseil de l’Union européenne, représenté par M. V. Piessevaux et M me M.-C. Cadilhac, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (première chambre élargie),
composé de M. R. Mastroianni, président, M me M. Brkan (rapporteure), MM. I. Gâlea, T. Tóth et S. L. Kalėda, juges,
greffier : M me P. Núñez Ruiz, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure, notamment :
– la requête déposée au greffe du Tribunal le 21 novembre 2023,
– la décision du 28 février 2024 accueillant la demande d’anonymat du requérant,
– le mémoire en adaptation déposé au greffe du Tribunal le 18 mai 2024,
à la suite de l’audience du 26 mars 2025,
rend le présent
Arrêt
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, OT, demande l’annulation, premièrement, de la décision (PESC) 2023/1767 du Conseil, du 13 septembre 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 226, p. 104) et du règlement d’exécution (UE) 2023/1765 du Conseil, du 13 septembre 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) n o 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 226, p. 3) (ci-après les « actes de septembre 2023 ») et, deuxièmement, de la décision (PESC) 2024/847 du Conseil, du 12 mars 2024, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO L, 2024/847) et du règlement d’exécution (UE) 2024/849 du Conseil, du 12 mars 2024, mettant en œuvre le règlement (UE) n o 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO L, 2024/849) (ci-après les « actes de mars 2024 »), et en tant que ces actes (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués ») maintiennent son nom sur les listes annexées auxdits actes.
I. Antécédents du litige
2 Le requérant est un ressortissant de nationalité chypriote.
3 La présente affaire s’inscrit dans le contexte des mesures restrictives décidées par l’Union européenne eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.
4 À la suite de l’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie, le Conseil de l’Union européenne a, le 17 mars 2014, adopté la décision 2014/145/PESC, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16), sur le fondement de l’article 29 TUE.
5 À la même date, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, le règlement (UE) n o 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6).
6 Le 25 février 2022, au vu de la gravité de la situation en Ukraine, le Conseil a adopté, d’une part, la décision (PESC) 2022/329 modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 50, p. 1) et, d’autre part, le règlement (UE) 2022/330 modifiant le règlement n o 269/2014 (JO 2022, L 51, p. 1), afin notamment d’amender les critères en application desquels des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes pouvaient être visés par les mesures restrictives en cause.
7 L’article 2, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2022/329, prévoit :
« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant :
[…]
d) à des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui apportent un soutien matériel ou financier aux décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ces décideurs ;
[…]
g) à des femmes et hommes d’affaires influents ou des personnes morales, des entités ou des organismes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine,
[…]
2. Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »
8 Les modalités de ce gel de fonds sont définies aux paragraphes suivants de l’article 2 de la décision 2014/145, telle que modifiée.
9 Le règlement n o 269/2014, dans sa version modifiée par le règlement 2022/330, imposait l’adoption des mesures de gel de fonds et définissait les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de la décision 2014/145, telle que modifiée. En effet, en particulier, l’article 3, paragraphe 1, sous a) à g), de ce règlement reprenait pour l’essentiel l’article 2, paragraphe 1, sous a) à g), de ladite décision.
10 Par la décision (PESC) 2022/429 du Conseil, du 15 mars 2022, modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 87I, p. 44) ainsi que par le règlement d’exécution (UE) 2022/427 du Conseil, du 15 mars 2022, mettant en œuvre le règlement n o 269/2014 (JO 2022, L 87I, p. 1) (ci-après les « actes initiaux »), le nom du requérant a été ajouté sur les listes annexées à la décision 2014/145 et audit règlement (ci-après les « listes litigieuses »).
11 Le 13 avril 2022, le Conseil a communiqué au requérant le dossier WK 3073/2022 INIT.
12 Par la décision (PESC) 2022/1530 du Conseil, du 14 septembre 2022, modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 239, p. 149) et la décision (PESC) 2023/572 du Conseil, du 13 mars 2023, modifiant la décision 2014/145 (JO 2023, L 75 I, p. 134) ainsi que par le règlement d’exécution (UE) 2022/1529 du Conseil, du 14 septembre 2022, mettant en œuvre le règlement n o 269/2014 (JO 2022, L 239, p. 1) et par le règlement d’exécution (UE) 2023/571 du Conseil, du 13 mars 2023, mettant en œuvre le règlement n o 269/2014 (JO 2023, L 75 I, p. 1), le Conseil a maintenu le nom du requérant sur les listes litigieuses.
13 Par lettre du 22 décembre 2022, le Conseil a communiqué au requérant le dossier WK 17621/2022 INIT.
14 Par lettre du 9 mai 2023, le requérant a adressé au Conseil une demande de réexamen.
15 Le 5 juin 2023, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2023/1094 modifiant la décision 2014/145 (JO 2023, L 146, p. 20) et le règlement (UE) 2023/1089 modifiant le règlement n o 269/2014 (JO 2023, L 146, p. 1).
16 La décision 2023/1094 a modifié les critères d’inscription des noms des personnes visées par le gel des fonds. Le texte de l’article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145 étant remplacé par le texte suivant :
« g) à des femmes et hommes d’affaires influents exerçant des activités en Russie et aux membres de leur famille proche ou à d’autres personnes physiques, qui en tirent avantage, ou à des femmes et hommes d’affaires, des personnes morales, des entités ou des organismes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine [...] »
17 Le règlement 2023/1089 a modifié de façon similaire le règlement n o 269/2014.
18 Par lettre du 19 juin 2023, le Conseil a informé le requérant qu’il envisageait de maintenir l’inscription du nom de celui-ci sur les listes litigieuses sur le fondement de motifs modifiés.
19 Par lettre du 29 juin 2023, le requérant a adressée au Conseil une nouvelle demande de réexamen.
20 Par lettre du 5 juillet 2023, le requérant a introduit, sur le fondement du règlement (CE) n o 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43), une demande d’accès au dossier du Conseil pour obtenir la communication des documents permettant d’identifier les États membres qui ont été à l’initiative de la proposition d’inscrire son nom sur les listes litigieuses.
21 Par lettre du 10 juillet 2023, le Conseil a communiqué au requérant le dossier WK 5142/2023 INIT, du 20 avril 2023, contenant des éléments d’information sur l’environnement des affaires et l’économie de la Russie.
22 Par lettre du 18 août 2023, le Conseil a communiqué au requérant le dossier WK 10555/2023 INIT, du 14 août 2023, ainsi que le dossier WK 5142/2023 ADD 1, du 16 août 2023, contenant des éléments d’information additionnels sur l’environnement des affaires et l’économie de la Russie.
23 Par lettre du 28 août 2023, en réponse à la demande d’accès au dossier fondée sur le règlement n o 1049/2001, le Conseil a divulgué au requérant certains documents et indiqué que la divulgation de certains autres documents n’était pas envisageable en raison de la protection des données personnelles et des relations internationales, notamment pour les dossiers WK 10524/2023, du 9 août 2023, et WK 10524/2023 REV 1, du 10 août 2023.
24 Par lettre du 29 août 2023, le requérant a introduit une nouvelle demande de réexamen par laquelle il demandait également la transmission du dossier WK 10524/23 REV1, mentionné dans la lettre du Conseil du 18 août 2023, mais qui n’avait pas été communiqué avec celle-ci.
25 Par lettre du 1 er septembre 2023, le requérant a introduit, sur le fondement du règlement n o 1049/2001, une demande confirmative d’accès aux documents.
26 Par l’adoption des actes de septembre 2023, le nom du requérant a été maintenu sur les listes litigieuses aux motifs suivants :
« [Le requérant] est l’un des principaux actionnaires du consortium Alfa Group, qui comprend Alfa Bank, l’un des plus grands contribuables de la Russie. Il est considéré comme l’une des personnes les plus influentes de Russie. Ses liens avec le président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine sont bien établis. Vladimir Poutine a récompensé Alfa Group pour sa loyauté envers les autorités russes en apportant un appui politique aux plans d’investissement d’Alfa Group à l’étranger.
La compagnie d’assurances AlfaStrakhovanie, filiale du consortium Alfa Group, fournit des assurances pour les véhicules du service fédéral de la Garde nationale de la Fédération de Russie (Rosgvardia), dont les unités opèrent dans les régions occupées d’Ukraine sous contrôle russe, ainsi que pour les véhicules des gardes du corps du président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine. D’autre part, X5 Retail Group, une autre filiale du consortium Alfa Group, coopère avec JSC Voentorg, une entité soumise à des mesures restrictives qui fournit des services de restauration et de blanchisserie, ainsi que des uniformes militaires, aux forces armées de la Fédération de Russie et dont la filiale vend des T‑shirts avec le symbole militaire “Z” utilisé par les propagandistes russes pour promouvoir la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine. [Le requérant] apporte donc un soutien matériel ou financier actif aux décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l’Ukraine, et tire avantage de ces décideurs. Il est également un homme d’affaires influent exerçant des activités en Russie ainsi qu’un homme d’affaires intervenant dans des secteurs économiques constituant une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine. »
27 Par lettre du 15 septembre 2023, le Conseil a informé le requérant du maintien de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses et a répondu à ses demandes de réexamen.
28 Par lettre du 23 octobre 2023, en réponse à la demande confirmative du requérant, le Conseil lui a divulgué certains documents et indiqué que l’accès à d’autres documents, notamment les dossiers WK 10524/2023 et WK 10524/2023 REV 1, était refusé sur le fondement de l’article 4, paragraphe 1, sous a), troisième tiret, et de l’article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement n o 1049/2001.
29 Par lettre du 26 octobre 2023, le Conseil a communiqué au requérant le dossier WK 10524/2023 REV 1.
30 Les actes du 15 mars 2022 mentionnés au point 10 ci-dessus et les actes du 14 septembre 2022 mentionnés au point 12 ci-dessus ont fait l’objet d’un recours en annulation, rejeté par arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil (T‑193/22, EU:T:2023:716).
II. Faits postérieurs à l’introduction du recours
31 Par lettre du 8 février 2024, le Conseil a informé le requérant de son intention de maintenir l’inscription du nom de celui-ci sur les listes litigieuses et lui a communiqué le dossier WK 1303/2024 INIT, du 29 janvier 2024, ainsi que le dossier WK 5142/2023 ADD 2, du 29 janvier 2024, contenant des éléments d’information additionnels sur l’environnement des affaires et l’économie de la Russie.
32 Par lettre du 18 février 2024, le requérant a demandé au Conseil de réexaminer le maintien de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses.
33 Par lettre du 21 février 2024, le Conseil a rappelé au requérant son intention de maintenir l’inscription du nom de celui-ci sur les listes litigieuses.
34 Par lettre du 27 février 2024, le requérant a demandé au Conseil de réexaminer le maintien de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses.
35 Par les actes de mars 2024, le nom du requérant a été maintenu sur les listes litigieuses aux motifs suivants :
« [Le requérant] est un actionnaire majeur du consortium Alfa Group. Il est classé parmi les personnes les plus influentes de Russie. Vladimir Poutine a récompensé Alfa Group pour sa loyauté envers les autorités russes en apportant un appui politique aux plans d’investissement d’Alfa Group à l’étranger.
La compagnie d’assurances AlfaStrakhovanie, filiale du consortium Alfa Group, fournit des assurances pour les véhicules du service fédéral de la Garde nationale de la Fédération de Russie (Rosgvardia), dont les unités opèrent dans les régions occupées d’Ukraine sous contrôle russe, ainsi que pour les véhicules des gardes du corps du président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine.
AlfaStrakhovanie a fourni des assurances à des entreprises telles que JSC Kalashnikov Concern et Central Scientific – Research Institute for Precision Machine Engineering (TsNIITochMash), dont les armes sont largement utilisées par l’armée russe en Ukraine, y compris lors des atrocités commises à Boutcha.
D’autre part, X5 Retail Group, une autre filiale du consortium Alfa Group, coopère avec JSC Voentorg, une entité soumise à des mesures restrictives qui fournit des services de restauration et de blanchisserie, ainsi que des uniformes militaires, aux forces armées de la Fédération de Russie et dont la filiale vend des T-shirts avec le symbole militaire “Z” utilisé par les propagandistes russes pour promouvoir la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine. [Le requérant] apporte donc un soutien matériel ou financier actif aux décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l’Ukraine, et tire avantage de ces décideurs.
Il est également un homme d’affaires influent exerçant des activités en Russie ainsi qu’un homme d’affaires ayant une activité dans des secteurs économiques fournissant une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine. »
36 Par lettre du 15 mars 2024, le Conseil a informé le requérant du maintien de l’inscription du nom de celui-ci sur les listes litigieuses et a répondu à ses demandes de réexamen.
37 Par lettre du 10 avril 2024, à la suite du prononcé des arrêts du 10 avril 2024, Aven/Conseil (T‑301/22, non publié, sous pourvoi, EU:T:2024:214), et du 10 avril 2024, Fridman/Conseil (T‑304/22, non publié, sous pourvoi, EU:T:2024:215), le requérant a introduit une demande de réexamen.
38 Les actes du 13 mars 2023 mentionnés au point 12 ci-dessus ont fait l’objet d’un recours en annulation, rejeté par arrêt du 11 septembre 2024, OT/Conseil (T‑286/23, non publié, sous pourvoi, EU:T:2024:606).
III. Conclusions des parties
39 Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler les actes attaqués en tant qu’ils le concernent ;
– ordonner au Conseil de retirer son nom des listes litigieuses ;
– condamner le Conseil aux dépens.
40 Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner le requérant aux dépens.
IV. En droit
A. Sur la compétence du Tribunal pour connaître le deuxième chef de conclusions du requérant
41 Par son deuxième chef de conclusions, le requérant demande que le Tribunal ordonne au Conseil le retrait de son nom des listes litigieuses. Ainsi, par ce chef de conclusions, il demande en substance que le Tribunal adresse une injonction au Conseil.
42 À cet égard, il suffit de rappeler que, dans le cadre du contrôle de légalité fondé sur l’article 263 TFUE, le Tribunal n’a pas compétence pour prononcer des injonctions à l’encontre des institutions, des organes et des organismes de l’Union [voir ordonnance du 26 octobre 1995, Pevasa et Inpesca/Commission, C‑199/94 P et C‑200/94 P, EU:C:1995:360, point 24 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêts du 9 juin 2021, Borborudi/Conseil, T‑580/19, EU:T:2021:330, point 34 (non publié), et du 8 mars 2023, Prigozhina/Conseil, T‑212/22, non publié, EU:T:2023:104, point 19 et jurisprudence citée] même lorsqu’elles ont trait aux modalités d’exécution de ses arrêts (ordonnances du 22 septembre 2016, Gaki/Commission, C‑130/16 P, non publiée, EU:C:2016:731, point 14, et du 19 juillet 2016, Trajektna luka Split/Commission, T‑169/16, non publiée, EU:T:2016:441, point 13).
43 Il en résulte que, dans le cadre d’un recours introduit sur le fondement de l’article 263 TFUE, même dans l’hypothèse d’une annulation des actes par lesquels des mesures restrictives sont adoptées ou maintenues à l’égard d’une personne physique, d’une personne morale, d’une entité ou d’un organisme, le Tribunal n’est pas compétent pour ordonner le retrait de l’inscription du nom de cette personne physique, de cette personne morale, de cette entité ou de cet organisme des listes litigieuses.
44 Il résulte des considérations qui précèdent que le deuxième chef de conclusions doit être écarté pour cause d’incompétence.
B. Sur le fond
45 Au soutien du recours, le requérant soulève trois moyens, tirés, le premier, d’une erreur d’appréciation, le deuxième, d’une violation du principe de proportionnalité et, le troisième, d’une violation des droits de la défense et du droit à un recours juridictionnel effectif.
46 Le Tribunal juge opportun d’examiner, tout d’abord, le troisième moyen tiré d’une violation des droits de la défense et du droit à un recours juridictionnel effectif, ensuite, le premier moyen tiré d’une erreur d’appréciation et, enfin, le deuxième moyen tiré d’une violation du principe de proportionnalité.
1. Sur le troisième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective
47 Il convient d’examiner, dans un premier temps, les arguments du requérant visant les actes de septembre 2023, puis, dans un second temps, ceux visant les actes de mars 2024.
a) Sur les actes de septembre 2023
48 Le requérant considère que ses droits de la défense et son droit à une procédure juridictionnelle effective ont été violés au motif que le Conseil ne lui a pas communiqué certains éléments de preuve, alors que ceux-ci avaient été demandés dans le cadre d’une demande d’accès aux documents.
49 En outre, le requérant reproche au Conseil de ne pas avoir tenu compte des arguments exposés dans ses demandes de réexamen, de ne pas avoir individualisé les réponses à ces demandes, de ne pas lui avoir communiqué un dossier de preuves solides mais seulement un dossier incomplet et de lui avoir refusé une audition.
50 Le requérant fait valoir que le Conseil a négligé le fait que les éléments de preuve produits ne suffisaient pas à étayer les motifs retenus à son égard pour justifier le maintien de son nom sur les listes litigieuses.
51 Le Conseil conteste l’argumentation du requérant.
52 À cet égard, en premier lieu, il convient de rappeler que le droit d’être entendu dans toute procédure, prévu à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), qui fait partie intégrante du respect des droits de la défense, garantit à toute personne la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d’une procédure administrative et avant qu’une décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses intérêts ne soit prise à son égard (arrêts du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 75, et du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 79).
53 Il convient également de rappeler que, dans le cas des actes par lesquels le nom d’une personne ou d’une entité figurant déjà dans les listes imposant des mesures restrictives est maintenu, un effet de surprise n’est plus nécessaire afin d’assurer l’efficacité desdites mesures, de sorte que l’adoption de tels actes doit, en principe, être précédée d’une communication des éléments retenus à charge ainsi que de l’opportunité conférée à la personne ou à l’entité concernée d’être entendue [voir, en ce sens, arrêts du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 62 ; du 1 er octobre 2020, Makhlouf/Conseil, C‑157/19 P, non publié, EU:C:2020:777, point 44, et du 18 mai 2022, Foz/Conseil, T‑296/20, EU:T:2022:298, point 66 (non publié)].
54 En outre, le respect des droits de la défense comporte également le droit d’accéder au dossier dans le respect des intérêts légitimes de la confidentialité, qui est consacré à l’article 41, paragraphe 2, sous b), de la Charte (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 99, et du 12 juin 2024, Shammout/Conseil, T‑649/22, non publié, EU:T:2024:376, point 36).
55 À cet égard, la Cour a souligné que l’élément de protection qu’offraient l’exigence de communication des éléments à charge et le droit de présenter des observations avant l’adoption d’actes qui maintiennent le nom d’une personne ou d’une entité sur une liste de personnes ou d’entités visées par des mesures restrictives était fondamental et essentiel aux droits de la défense. Cela est d’autant plus vrai que les mesures restrictives en question ont une incidence importante sur les droits et les libertés des personnes et des groupes visés [arrêts du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 64, et du 18 mai 2022, Foz/Conseil, T‑296/20, EU:T:2022:298, point 67 (non publié)].
56 En effet, la règle selon laquelle le destinataire d’une décision faisant grief doit être mis en mesure de faire valoir ses observations avant que celle-ci soit prise a pour but que l’autorité concernée soit à même de tenir utilement compte de l’ensemble des éléments pertinents. Afin d’assurer une protection effective dudit destinataire, elle a notamment pour objet que celui-ci puisse corriger une erreur ou faire valoir tels éléments relatifs à sa situation personnelle qui militent dans le sens que la décision soit prise, ne soit pas prise ou qu’elle ait tel ou tel contenu (arrêts du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 65, et du 24 novembre 2021, Aman Dimashq/Conseil, T‑259/19, EU:T:2021:821, point 69).
57 En l’espèce, il convient de relever que les motifs d’inscription des actes de septembre 2023 ont été partiellement modifiés par rapport aux motifs des actes antérieurs, tout en retenant le motif que le requérant est l’« un des principaux actionnaires » du consortium Alfa Group, formule qui correspond, en substance, à celle de « grand actionnaire » figurant dans les motifs des actes initiaux ou d’« actionnaire majeur » figurant dans les actes 13 mars 2023 mentionnés au point 12 ci-dessus. En effet, dans les actes de septembre 2023, le Conseil a appliqué au requérant les dispositions prévues à l’article 2, paragraphe 1, sous g) de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2023/1094, à savoir celles visant les « femmes et les hommes d’affaires influents exerçant une activité en Russie » [ci-après le « premier volet du critère g) modifié »] et celles visant les « femmes et hommes d’affaires ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie » [ci-après le « troisième volet du critère g) modifié »].
58 Il y a lieu de constater que, par la lettre du 19 juin 2023, le Conseil avait informé le requérant de son intention de maintenir l’inscription du nom de celui-ci sur les listes litigieuses sur le fondement d’un projet de motifs modifié. Par la suite, par la lettre 18 août 2023, le Conseil a confirmé au requérant son intention de maintenir l’inscription dudit nom sur les listes litigieuses sur le fondement d’un projet de motifs amendé. Par cette dernière lettre, il a indiqué au requérant qu’il lui communiquait en annexes le dossier WK 10524/2023 REV 1 du 10 août 2023, le dossier WK 10555/2023 INIT contenant des éléments relatifs à sa situation personnelle ainsi que le dossier WK 5142/23 ADD 1 contenant des éléments d’informations additionnels sur l’environnement des affaires et l’économie de la Russie.
59 Par lettre du 29 août 2023, envoyée au service des relations extérieures du Conseil en charge du réexamen des mesures restrictives, le requérant a informé ce service que le dossier WK 10524/2023 REV 1 ne lui avait pas été communiqué et a demandé que celui-ci lui soit transmis dans les meilleurs délais.
60 Il convient de relever, eu égard notamment aux réponses données à l’audience, que le Conseil n’a pas démontré que le dossier WK 10524/2023 REV 1 avait été communiqué au requérant avant l’adoption des actes de septembre 2023. Ainsi, au vu des éléments du dossier, il y a lieu de considérer que ce dossier n’a été communiqué au requérant que le 26 octobre 2023, soit plus d’un mois après ladite adoption.
61 Ainsi, du fait de ne pas avoir communiqué au requérant le dossier WK 10524/2023 REV 1 avant l’adoption des actes de septembre 2023, le Conseil a méconnu les droits de la défense du requérant, en particulier son droit d’être entendu ainsi que son droit d’accès au dossier, garantis à l’article 41, paragraphe 2, sous a) et b), de la Charte.
62 Toutefois, il y a lieu de rappeler qu’il ressort d’une jurisprudence constante que, pour qu’une violation des droits de la défense entraîne l’annulation de l’acte attaqué, il faut que, en l’absence de cette irrégularité, la procédure ait pu aboutir à un résultat différent, ce qu’il appartient à la personne qui se prévaut d’une telle violation de démontrer (voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 2020, Vnesheconombank/Conseil, C‑731/18 P, non publié, EU:C:2020:500, point 73 et jurisprudence citée).
63 En l’espèce, il convient de relever que, dans la requête et dans la réplique, le requérant n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles, si le dossier WK 10524/2023 REV 1 lui avait été communiqué avant l’adoption des actes de septembre 2023, la procédure de réexamen des mesures à son égard aurait pu aboutir à un résultat différent. En effet, l’argumentation du requérant ne porte pas spécifiquement sur les conséquences du défaut de communication dudit dossier au cours de la procédure de réexamen des mesures à son égard, mais vise, en substance, à contester la lettre du service du Conseil chargé de l’accès du public aux documents des institutions du 23 octobre 2023, par laquelle l’accès à certains documents a été refusé sur le fondement de l’article 4, paragraphe 1, sous a), troisième tiret, et de l’article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement n o 1049/2001.
64 En outre, il y a lieu de rappeler que, ainsi que cela ressort des points 54 à 56 ci-dessus, le droit d’accès au dossier d’une personne ou d’une entité visée par des mesures restrictives a pour objectif de lui permettre de faire valoir des observations sur les éléments retenus à son égard. Il en résulte qu’un tel droit est strictement limité à la personne ou à l’entité visée par des mesures restrictives afin d’assurer sa défense dans le cadre de la procédure de réexamen des mesures adoptées à son égard. En l’espèce, le requérant reproche notamment au Conseil de ne pas lui avoir communiqué le dossier portant la référence WK 10524/2023 INIT, à savoir une version antérieure du dossier WK 10524/2023 REV 1. Or, cet argument ne saurait prospérer étant donné que le Conseil ne s’est pas fondé sur le dossier WK 10524/2023 INIT pour justifier le maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses au mois de septembre 2023.
65 En effet, pour justifier le maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses au mois de septembre 2023, le Conseil s’est notamment fondé sur les dossiers WK 3073/2022 INIT du 12 mars 2022 et WK 17621/2022 INIT du 14 décembre 2022, lesquels avaient été communiqués au requérant à la suite de l’adoption des actes du 15 mars 2022 mentionnés au point 10 ci-dessus ainsi que dans le cadre de la procédure de réexamen ayant abouti à l’adoption des actes 13 mars 2023 mentionnés au point 12 ci-dessus. Il s’est également fondé sur les dossiers WK 10555/2023 INIT du 14 août 2023 et WK 10524/2023 REV 1. Certes, si ce dernier dossier n’a été communiqué au requérant que postérieurement à l’adoption des actes de septembre 2023, force est toutefois de constater que, dans ses écritures, le requérant n’a pas expliqué en quoi il n’aurait pas été exclu que le résultat de la procédure de réexamen aurait pu être différent si un tel dossier lui avait été communiqué avant l’adoption de ces derniers actes. De même, interrogé sur ce point lors de l’audience, le requérant s’est limité à faire valoir de manière abstraite qu’il aurait pu faire des observations sur les pièces contenues dans le dossier en question sans expliquer en quoi la prise en compte de ces observations aurait pu aboutir à un résultat différent.
66 Par conséquent, eu égard à la jurisprudence rappelée au point 62 ci-dessus, il y a lieu de considérer que la violation du droit d’accès au dossier et du droit d’être entendu n’emporte pas l’annulation des actes de septembre 2023.
67 En ce qui concerne les arguments du requérant concernant le refus de lui communiquer certains documents relatifs à l’inscription et au maintien de son nom sur les listes litigieuses, notamment les informations relatives aux États membres ayant proposé l’adoption de mesures restrictives à son égard, qui lui a été adressé par le service du Conseil chargé de l’accès du public aux documents sur le fondement du règlement n o 1049/2001, il y a lieu d’établir une distinction entre, d’une part, les règles relevant du droit d’accès du public aux documents détenus par les institutions prévues par le règlement n o 1049/2001 et, d’autre part, le respect des droits de la défense, consacré à l’article 41, paragraphe 2, de la Charte, qui comporte le droit d’être entendu et le droit d’accès au dossier dans le respect des intérêts légitimes de la confidentialité. En effet, les bénéficiaires et les objectifs du droit d’accès du public aux documents des institutions sur le fondement du règlement n o 1049/2001 diffèrent sensiblement des bénéficiaires et de la finalité du droit d’accès au dossier dans le cadre d’une procédure de réexamen des mesures restrictives appliquées à une personne visée par ces mesures.
68 Conformément à son considérant 1, le règlement n o 1049/2001 s’inscrit dans la volonté exprimée à l’article 1 er , deuxième alinéa, TUE selon lequel les décisions sont prises dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture et le plus près possible des citoyens. Ainsi que le rappelle le deuxième considérant dudit règlement, le droit d’accès du public aux documents des institutions se rattache au caractère démocratique de ces dernières (voir, en ce sens, arrêt du 1 er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 34). Pour atteindre ces objectifs, en vertu de l’article 2, paragraphe 1, dudit règlement, tout citoyen de l’Union ou toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège dans un État membre sont les bénéficiaires du droit d’accès aux documents des institutions. Il s’ensuit que ce règlement a vocation à garantir l’accès de tous aux documents publics et ne saurait se limiter à l’accès du demandeur à des documents le visant (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2005, Sison/Conseil, T‑110/03, T‑150/03 et T‑405/03, EU:T:2005:143, point 50). En effet, conformément à l’article 6, paragraphe 1, de ce règlement, le demandeur n’est pas tenu de démontrer un quelconque intérêt pour avoir accès aux documents demandés, de sorte que sa demande doit être examinée de la même façon que le serait une demande émanant de toute autre personne (arrêts du 6 juillet 2006, Franchet et Byk/Commission, T‑391/03 et T‑70/04, EU:T:2006:190, point 82, et du 20 décembre 2023, OCU/CRU, T‑496/18, non publié, EU:T:2023:857, point 43). Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que l’intérêt particulier que peut faire valoir un demandeur à l’accès à un document le concernant personnellement ne saurait être pris en compte dans le cadre de l’application des exceptions obligatoires prévues par l’article 4, paragraphe 1, sous a), du même règlement (arrêt du 26 avril 2005, Sison/Conseil, T‑110/03, T‑150/03 et T‑405/03, EU:T:2005:143, point 52).
69 Par conséquent, pour autant que le requérant entende contester le fait que, par la décision du 23 octobre 2023 adoptée en vertu du règlement n o 1049/2001, le Conseil lui aurait indûment refusé l’accès à certains documents, il suffit de relever que le requérant ne demande pas l’annulation de ladite décision dans ses chefs de conclusion.
70 En deuxième lieu, il y a lieu de relever que les dispositions du droit de l’Union sur le fondement desquelles les mesures restrictives à l’encontre du requérant ont été adoptées, à savoir la décision 2014/145, telle que modifiée, et le règlement n o 269/2014, tel que modifié, ne confèrent pas aux intéressés le droit à une audition formelle. De même, il ne ressort pas non plus de l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte que l’audition formelle constitue la seule manière permettant d’assurer, de manière utile et effective, à l’intéressé l’exercice de son droit d’être entendu (voir, en ce sens, arrêts du 12 mai 2022, Boshab/Conseil, C‑242/21 P, non publié, EU:C:2022:375, point 62, et du 9 février 2023, Boshab/Conseil, C‑708/21 P, non publié, EU:C:2023:84, point 54). Il s’ensuit que le requérant n’est pas fondé à soutenir que l’absence d’organisation d’une audition orale a violé ses droits de la défense.
71 En troisième lieu, l’argument du requérant selon lequel le Conseil n’a pas pris en compte les observations transmises par ce dernier et n’a pas individualisé les réponses à ses demandes doit également être écarté. En effet, outre que le Conseil n’est pas tenu de répondre point par point aux observations et documents transmis (voir, en ce sens, arrêt du 23 octobre 2008, People’s Mojahedin Organization of Iran/Conseil, T‑256/07, EU:T:2008:461, point 95), le fait qu’il n’ait pas répondu à toutes les observations et documents transmis par le requérant ne démontre pas qu’il ne les a pas pris en compte dans le cadre du réexamen de sa situation. En outre, il ressort de sa lettre du 15 septembre 2023 que le Conseil s’est référé à la similitude des arguments invoqués par le requérant dans la demande de réexamen et dans l’affaire ayant donné lieu aux arrêts du 15 novembre 2023, OT/Conseil (T‑193/22, EU:T:2023:716), et du 11 septembre 2024, OT/Conseil (T‑286/23, non publié, sous pourvoi, EU:T:2024:606), et qu’il renvoyait aux mémoires et aux observations que celui-ci avait déposés dans cette affaire. De plus, dans cette lettre, il a expressément répondu aux observations du requérant concernant la société AlfaStrakhovanie.
72 En quatrième lieu, il convient de rappeler que le droit à une protection juridictionnelle effective consacré à l’article 47 de la Charte exige que l’intéressé puisse connaître les motifs sur lesquels est fondée la décision prise à son égard soit par la lecture de la décision elle-même, soit par une communication de ces motifs faite sur sa demande, sans préjudice du pouvoir du juge compétent d’exiger de l’autorité en cause qu’elle les communique, afin de lui permettre de défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et de décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge compétent, ainsi que pour mettre ce dernier pleinement en mesure d’exercer le contrôle de la légalité de la décision en cause (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 100).
73 En l’espèce, au plus tard le 26 octobre 2023, le Conseil avait communiqué au requérant l’ensemble des éléments sur lesquels il s’était fondé aux fins de l’adoption des actes de septembre 2023, y compris le dossier WK 10524/2023 REV 1. Il y a lieu de constater que le requérant avait ainsi à sa disposition tous les éléments pertinents environ un mois avant de l’expiration du délai de recours pour contester la légalité desdits actes et plus de trois semaines avant l’introduction effective dudit recours. En tout état de cause, le défaut de communication, avant l’introduction d’un recours, d’un dossier de preuve sur le fondement duquel le Conseil a prolongé l’application de mesures restrictives n’a pas d’incidence sur le droit à une protection juridictionnelle effective de la personne concernée à condition que ce dossier soit communiqué au requérant afin qu’il puisse se prononcer sur celui-ci dans la réplique (voir, en ce sens, arrêt du 12 juin 2024, Shammout/Conseil, T‑649/22, non publié, EU:T:2024:376, points 52 et 53). Par conséquent, le requérant n’est pas fondé lorsqu’il fait valoir que le Conseil a violé son droit à une protection juridictionnelle effective régie par l’article 47 de la Charte en communiquant le dossier WK 10524/2023 REV 1 après l’adoption des actes de septembre 2023, étant donné qu’il en disposait avant l’introduction du recours pour contester la légalité de ces actes dans le cadre de la présente procédure juridictionnelle.
74 Il résulte des considérations qui précèdent que le troisième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense et du droit à une procédure juridictionnelle effective, doit être écarté en tant qu’il vise à contester la légalité des actes de septembre 2023.
b) Sur les actes de mars 2024
75 Le requérant reproche au Conseil de ne pas avoir répondu à sa demande de réexamen par laquelle, à la suite du prononcé des arrêts du 10 avril 2024, Aven/Conseil (T‑301/22, non publié, sous pourvoi, EU:T:2024:214), et du 10 avril 2024, Fridman/Conseil (T‑304/22, non publié, sous pourvoi, EU:T:2024:215), il avait demandé le retrait de son nom des listes litigieuses.
76 Le Conseil conteste l’argumentation du requérant.
77 À cet égard, il suffit de relever que l’argumentation du requérant tirée d’une violation des droits de la défense se fonde sur une lettre envoyée au Conseil après l’adoption des actes de mars 2024, à savoir le 11 avril 2024. Or, en vertu d’une jurisprudence constante, la légalité d’un acte de l’Union doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où l’acte a été adopté [voir, en ce sens, arrêt du 24 novembre 2021, Aman Dimashq/Conseil, T‑259/19, EU:T:2021:821, point 110 (non publié) et jurisprudence citée]. Dès lors, l’absence de réponse du Conseil à cette lettre ne saurait remettre en cause la légalité des actes de mars 2024.
78 Par conséquent, le requérant n’a pas démontré une violation de ses droits de la défense dans le cadre la procédure de réexamen ayant aboutie à l’adoption des actes de mars 2024.
79 Partant, il convient d’écarter dans son intégralité le troisième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective.
2. Sur le premier moyen tiré d’une erreur d’appréciation
80 Le requérant fait valoir que le Conseil a commis une erreur d’appréciation en maintenant son nom sur les listes litigieuses par l’adoption des actes de septembre 2023 et de mars 2024.
81 Le Conseil conteste l’argumentation du requérant.
a) Considérations liminaires
82 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, s’il est vrai que le Conseil dispose d’un certain pouvoir d’appréciation pour déterminer, au cas par cas, si les critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause sont remplis, il n’en reste pas moins que les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 121).
83 L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige, notamment, que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision sont étayés (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119, et du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 122).
84 Une telle appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants, permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne ou l’entité sujette à une mesure de gel de fonds et le régime ou, en général, les situations combattues (voir arrêt du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 99 et jurisprudence citée ; arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 124).
85 C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. À cette fin, il n’est pas requis que le Conseil produise devant le juge de l’Union l’ensemble des informations et des éléments de preuve inhérents aux motifs allégués dans l’acte dont il est demandé l’annulation. Il importe que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne ou l’entité concernée (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 121 et 122, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, points 66 et 67 ; voir, également, arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 123 et jurisprudence citée).
86 Dans cette hypothèse, il incombe au juge de l’Union de vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard de ces informations ou éléments et d’apprécier la force probante de ces derniers en fonction des circonstances de l’espèce et à la lumière des éventuelles observations présentées, notamment, par la personne ou l’entité concernée (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 124).
87 S’agissant, plus particulièrement, du contrôle de légalité exercé sur les actes de maintien du nom de la personne concernée sur une liste des personnes et des entités faisant l’objet de mesures restrictives, il convient de rappeler que celles-ci ont une nature conservatoire et, par définition, provisoire, dont la validité est toujours subordonnée à la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à leur adoption ainsi qu’à la nécessité de leur maintien en vue de la réalisation de l’objectif qui leur est associé. C’est ainsi qu’il incombe au Conseil, lors du réexamen périodique de ces mesures, de procéder à une appréciation actualisée de la situation et d’établir un bilan de l’impact de telles mesures, en vue de déterminer si elles ont permis d’atteindre les objectifs visés par l’inscription initiale des noms des personnes et des entités concernées sur la liste litigieuse ou s’il est toujours possible de tirer la même conclusion concernant lesdites personnes et entités (voir arrêt du 27 avril 2022, Ilunga Luyoyo/Conseil, T‑108/21, EU:T:2022:253, point 55 et jurisprudence citée ; arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 67).
88 Il en résulte que, pour justifier le maintien du nom d’une personne sur une liste des personnes et des entités faisant l’objet de mesures restrictives, il n’est pas interdit au Conseil de se fonder sur les mêmes éléments de preuve ayant justifié l’inscription initiale, la réinscription ou le maintien précédent du nom de la personne visée sur ladite liste, pour autant que, d’une part, les motifs d’inscription demeurent inchangés et, d’autre part, le contexte n’a pas évolué d’une manière telle que ces éléments de preuve seraient devenus obsolètes (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2020, Kaddour/Conseil, T‑510/18, EU:T:2020:436, point 99). À ce titre, l’évolution du contexte inclut la prise en considération, d’une part, de la situation du pays à l’égard duquel le système de mesures restrictives a été établi ainsi que de la situation particulière de la personne concernée (arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 78 ; voir également, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2020, Kaddour/Conseil, T‑510/18, EU:T:2020:436, point 101), et, d’autre part, de l’ensemble des circonstances pertinentes et, notamment, de l’absence de réalisation des objectifs visés par les mesures restrictives (arrêt du 27 avril 2022, Ilunga Luyoyo/Conseil, T‑108/21, EU:T:2022:253, point 56 ; voir également, en ce sens et par analogie, arrêt du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, points 82 à 84 et jurisprudence citée).
89 C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner si, par l’adoption des actes de septembre 2023, puis par l’adoption des actes de mars 2024, le Conseil a commis une erreur d’appréciation en décidant de maintenir le nom du requérant sur les listes litigieuses.
90 À cet égard, il ressort du libellé des actes attaqués que le nom du requérant a été maintenu sur les listes litigieuses sur le fondement du critère du soutien matériel ou financier aux décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l’Ukraine [article 2, paragraphe 1, sous, d), de la décision 2014/145 telle que modifiée (ci-après le « critère d) »]. Il a également été inscrit sur le fondement des premier et troisième volets du critère g) modifié.
91 Le Tribunal juge opportun d’examiner, tout d’abord, si le Conseil a commis une erreur d’appréciation en maintenant le nom du requérant sur le fondement des premier et troisième volets du critère g) modifié.
b) Sur les actes de septembre 2023
92 Par son argumentation visant à contester la légalité des actes de septembre 2023, le requérant fait valoir que les éléments de preuve avancés par le Conseil sont dépourvus de fiabilité et soutient que c’est à tort que son nom a été maintenu sur les listes litigieuses sur le fondement des premier et troisième volets du critère g) modifié.
1) Sur la fiabilité des éléments de preuve
93 Le requérant soutient qu’une grande partie des sources utilisées par le Conseil sont d’une qualité médiocre et il conteste spécifiquement la fiabilité de certains éléments de preuve.
94 Le Conseil conteste l’argumentation du requérant.
95 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, l’activité du juge de l’Union est régie par le principe de libre appréciation des preuves et le seul critère pour apprécier la valeur des preuves produites réside dans leur crédibilité. À cet égard, pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut vérifier la vraisemblance de l’information qui y figure en tenant compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration ainsi que de son destinataire, et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable [voir arrêts du 31 mai 2018, Kaddour/Conseil, T‑461/16, EU:T:2018:316, point 107 et jurisprudence citée, et du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, point 95 (non publié) et jurisprudence citée].
96 En l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, l’appréciation des autorités de l’Union doit, de fait, se fonder sur des sources d’information accessibles au public, des rapports, des articles de presse, des rapports des services secrets ou d’autres sources d’information similaires (arrêts du 14 mars 2018, Kim e.a./Conseil et Commission, T‑533/15 et T‑264/16, EU:T:2018:138, point 107, et du 1 er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 59).
97 En outre, il importe de relever que la situation de conflit armée dans laquelle la Fédération de Russie et l’Ukraine sont impliquées rend en pratique particulièrement difficile l’accès à certaines sources, l’indication expresse de la source primaire de certaines informations ainsi que l’éventuel recueil de témoignages de la part de personnes acceptant d’être identifiées. Les difficultés d’investigation qui s’ensuivent peuvent ainsi contribuer à faire obstacle à ce que des preuves précises et des éléments d’information objectifs soient apportés (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 116 et jurisprudence citée).
98 En l’espèce, pour justifier le maintien de l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses sur le fondement des premier et troisième volets du critère g) modifié, le Conseil s’est fondé sur les éléments du dossier WK 3073/2022 INIT du 12 mars 2022, notamment sur un article intitulé « Why Mueller named a Russian Oligarch in Court », publié le 6 avril 2018 sur le site Internet de The Dailly Beast (pièce n o 1) ;
99 Le Conseil s’est également fondé sur un des éléments du dossier WK 17621/2022 INIT pour justifier le maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses sur le fondement des premier et troisième volets du critère g) modifié, à savoir une page Internet du site « Putin’s list », relative au requérant, consultée le 23 novembre 2022 (pièce n o 2).
100 Le Conseil a également tenu compte, pour corroborer la justification du maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses sur le fondement des premier et troisième volets du critère g) modifié, de certains éléments du dossier WK 10524/2023 REV 1 du 10 août 2023, à savoir :
– une présentation d’AlfaStrakhovanie publiée sur le site Internet de cette société, consultée le 25 mai 2023 (pièce n o 2) ;
– un article intitulé « AlfaStrakhovanie ruled out the sale of business to third-party buyers », publié le 4 mai 2023 sur le site Internet de Radio Liberty (pièce n o 9) ;
– une présentation de l’actionnariat de X5 Retail Group publiée sur le site Internet de cette société, consultée le 1 er juin 2023 (pièce n o 10) ;
– une page du site Internet de Rupep relative aux relations d’affaires du requérant, consultée le 12 juin 2023 (pièce n o 17) ;
– un article intitulé « AlfaStrakhovanie confirmed the change of ownership of the company » publié le 4 mai 2023 sur le site Internet de Vedomosti (pièce n o 19) ;
– un article intitlué « Fridman’s Alfa Group to exit all Russian assets », publié le 5 mai 2023 sur le site Internet de bne IntelliNews (pièce n o 20).
101 Le Conseil a également pris en considération, pour justifier le maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses sur le fondement des premier et troisième volets du critère g) modifié, des éléments du dossier WK 10555/2023 INIT du 14 août 2023, à savoir :
– une lettre de la banque centrale d’Ukraine du 5 juin 2023, adressée à la Commission européenne ayant pour objet les inquiétudes de l’Ukraine concernant les tentatives de contournement des sanctions (pièce n o 1) ;
– un communiqué de presse de la banque centrale d’Ukraine relatif à Sense Bank, publié le 20 juillet 2023 (pièce n o 2) ;
102 À titre liminaire, il convient de relever que, lors de l’audience, le requérant a renoncé à son argumentation sur le manque de fiabilité de la source d’information TAdivser.
103 En outre, en ce qui concerne l’argumentation par laquelle le requérant soutient, sur le fondement d’un article publié par Politico annexé à la requête, qu’une très grande partie des sources utilisées par le Conseil serait de qualité médiocre, il y a lieu de relever que cet article ne remet pas en cause, de manière systématique, tous les éléments des dossiers de preuves préparés par le Service européen pour l’action extérieure (SEAE), mais soulève uniquement des interrogations sur la fiabilité de certaines sources d’information, telles que les médias sociaux, blogs ou les informations générées par intelligence artificielle.
104 Or, il y a lieu de constater que l’article en cause ne se réfère pas aux dossiers de preuves dont le Conseil se prévaut dans la présente affaire et que le requérant reste en défaut de démontrer que les éléments de preuves mentionnés aux points 98 à 101 proviendraient de sources dont la fiabilité est mise en doute par cet article.
105 En ce qui concerne l’argumentation du requérant selon laquelle, en substance, les informations le concernant relatées dans les pièces n os 19 et 20 du dossier de preuves WK 10524/2023 REV 1 ne sont pas fiables au motif qu’elles reposent sur des sources anonymes, il y a lieu de relever que ces pièces constituent des articles provenant de médias spécialisés dans l’économie, à savoir Vedomosti et bne IntelliNews, qui se fondent sur des faits évoqués dans un article de la BBC, sur les propos rapportés d’un membre du conseil d’administration d’ABH Holdings faisant état de la nécessité d’une relocalisation des actifs de cette société ainsi que sur des sources anonymes. Or, le seul fait que certaines informations de ces pièces proviennent de sources journalistiques anonymes n’est pas de nature à les priver de fiabilité. En effet, puisqu’il s’agit de sources internes aux entreprises concernées par les investigations de ces médias spécialisés dans l’économie, exiger que les journalistes dévoilent systématiquement au public l’identité de leurs sources serait susceptible de contrevenir à la protection des sources journalistiques.
106 Quant à l’argumentation du requérant visant à contester la fiabilité de la pièce n o 1 du dossier de preuves WK 5142/2023 ADD 1 concernant les preuves sur l’environnement des affaires et l’économie de la Russie, à savoir une enquête publiée sur le site Internet « Proekt », celle-ci doit être écartée comme étant inopérante étant donné que le Conseil ne s’est pas fondé sur cette pièce pour justifier le maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses sur le fondement des premier et troisième volets du critère g) modifié.
107 Au vu de ce qui précède, compte tenu du contexte caractérisant la situation de la Fédération de Russie et en l’absence de pouvoirs d’enquête du Conseil dans des pays tiers (voir points 96 et 97 ci-dessus), le requérant n’a pas apporté d’éléments de nature à remettre en cause la valeur probante des pièces des dossiers de preuves mentionnés aux points 98 à 101 ci-dessus.
2) Sur l’application au requérant des premier et troisième volets du critère g) modifié
108 Le requérant soutient que c’est à tort que le Conseil a maintenu son nom sur les listes litigieuses sur le fondement des premier et troisième volets du critère g) modifié.
109 En premier lieu, le requérant fait valoir que le Conseil a commis une erreur d’appréciation en le considérant comme étant un actionnaire majeur du consortium Alfa Group, qui comprend Alfa Bank, Alfrastrakhovanie et X5 Retail Group.
110 Tout d’abord, le requérant considère que le consortium Alfa Group n’a pas de structure ni d’existence juridique. Ensuite, il soutient avoir apporté les preuves de la cession de ses participations, d’une part, dans ABH Holdings qui détient Alfa Bank Russie, Alfa Bank Ukraine ainsi qu’AlfaStrakhovanie et, d’autre part, dans CTF Holdings qui détient A1, X5 Retail Group ainsi qu’IDS Borjomi. Selon lui, le Conseil ne saurait soutenir qu’il n’a pas cédé ces participations à M. [ confidentiel ] ( 1 ).
111 En outre, le requérant soutient que la cession de ses participations dans CTF Holdings est valablement établie par un extrait du registre des bénéficiaires effectifs de cette société.
112 Par ailleurs, le requérant reproche au Conseil d’avoir écarté la valeur probante des pièces produites pour étayer la cession des parts en invoquant un fait non étayé selon lequel une contre-lettre aurait été signée avec l’acheteur de ses parts, à savoir M. [ confidentiel ]. Il estime donc que le Conseil exige de sa part la production d’une preuve négative pour établir la cession des parts en cause.
113 Au surplus, le requérant conteste l’argumentation du Conseil selon laquelle il contrôle AlfaStrakhovanie au motif que les informations dont dispose le Conseil sont hypothétiques.
114 En deuxième lieu, le requérant fait valoir, en substance, qu’il est le seul homme d’affaires dont le nom est inscrit sur les listes litigieuses sans prise en considération de fonctions exécutives passées ou actuelles. À cet égard, il considère que le Conseil aurait dû tenir compte du fait qu’il n’a pas exercé de fonction exécutive au cours des dix années qui ont précédé l’inscription initiale de son nom sur lesdites listes.
115 En troisième lieu, le requérant souligne qu’il n’exerce pas d’activité économique dans un ou plusieurs secteurs qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie et estime donc qu’il ne peut être considéré comme un homme d’affaires de premier plan en Russie. Selon lui, il ressort de la jurisprudence relative à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ainsi que de la jurisprudence récente relative aux mesures restrictives adoptées dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine que la simple détention d’actions ne peut autoriser le Conseil à considérer qu’il exerce une activité dans un secteur économique.
116 En quatrième lieu, le requérant soutient que la présomption d’interdépendance entre les hommes d’affaires de premier plan et le gouvernement russe figurant dans les dispositions de l’article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145, telle que modifiée, ne lui est pas applicable. Il considère que les pièces des dossiers WK 5142/2023 INIT et WK 5142/2023 ADD1 contenant des éléments d’information sur l’environnement des affaires et l’économie de la Russie ne le mentionnent pas et que certaines pièces concernant les entreprises du consortium Alfa Group établiraient qu’Alfa Bank ne relève pas du cercle étroit d’acteurs économiques dominants proches de M. Poutine. Il estime que ni lui ni les sociétés dudit consortium ou ses partenaires n’appartiennent à l’une des catégories des hommes d’affaires interdépendants, ne sont des amis de M. Poutine liés au KGB ou au réseau de M. Poutine à Saint-Pétersbourg (Russie), n’opèrent dans les secteurs contrôlés par l’État et ne bénéficient de marchés publics, d’avantages fiscaux ou d’un traitement spécial. De même, selon lui, aucune des entreprises de ce consortium n’a compté de ministre du gouvernement russe ou de fiduciaire personnelle au sein de son conseil d’administration.
117 En cinquième lieu, lors de l’audience, le requérant a soutenu que Rosvodokanal ne fournissait pas une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie au motif que cette société ne représentait que 25 à 30 % du secteur privé de l’approvisionnement en eau et du traitement des eaux usées en Russie, lequel ne représenterait que 10 % de l’ensemble de ce secteur.
118 Le Conseil conteste l’argumentation du requérant.
119 S’agissant du contexte général lié à la situation de l’Ukraine, force est de constater que, à la date d’adoption des actes de septembre 2023, la gravité de la situation en Ukraine demeurait. De même, les mesures restrictives étaient toujours justifiées au regard de l’objectif poursuivi, à savoir exercer une pression maximale sur les autorités russes, afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine ainsi qu’à l’agression militaire de ce pays, et accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.
120 Il convient de relever que, antérieurement à la modification du critère g), celui-ci visait uniquement les « femmes et hommes d’affaires influents [...] ayant une activité dans des secteurs économiques qui fourniss[aient] une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie ». La modification apportée à ce critère par la décision 2023/1094 a eu pour effet d’élargir la portée de ce critère aux « femmes et hommes d’affaires influents exerçant des activités en Russie » [premier volet du critère g) modifié], ainsi qu’aux « femmes et hommes d’affaires ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie » [troisième volet du critère g) modifié].
121 En premier lieu, en ce qui concerne le premier volet du critère g) modifié, il convient de relever que la notion de « femmes et hommes d’affaires influents » vise l’importance des femmes et hommes d’affaires au regard, selon le cas, de leur statut professionnel, de l’importance de leurs activités économiques, de l’ampleur de leurs possessions capitalistiques ou de leurs fonctions au sein d’une ou de plusieurs entreprises dans lesquelles ils exercent ces activités (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 143).
122 Il ressort du premier volet du critère g) modifié que la modification apportée au critère g) initial a uniquement eu pour objet d’élargir le champ d’application des mesures restrictives pour qu’elles s’appliquent à l’ensemble des femmes et hommes d’affaires influents exerçant des activités en Russie, y compris celles et ceux qui n’interviennent pas dans un secteur économique qui fournit une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.
123 Les raisons qui justifient l’élargissement du critère prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2022/329, sont exposées au considérant 4 de la décision 2023/1094. En effet, ce considérant décrit le fonctionnement de l’économie russe, caractérisé par l’existence d’un lien d’interdépendance entre les femmes et les hommes d’affaires influents exerçant des activités en Russie et le gouvernement de la Fédération de Russie. Ainsi, en visant ces femmes et hommes d’affaires, le Conseil vise à exploiter l’influence que cette catégorie de personnes est susceptible d’exercer sur le régime russe, en les poussant à faire pression sur ce gouvernement afin qu’il modifie sa politique à l’égard de l’Ukraine.
124 Aux fins de l’application du premier volet du critère g) modifié à la situation individuelle de chaque personne dont le nom est inscrit sur les listes litigieuses, il incombe au Conseil de démontrer, d’une part, qu’une personne physique est susceptible d’être qualifiée de « femme ou homme d’affaires influent » dans le sens indiqué au point 121 ci-dessus et, d’autre part, que cette personne physique exerce une activité en Russie. À cet égard, il importe de souligner que la seule circonstance d’appartenir à la catégorie des femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Russie suffit pour justifier l’adoption des mesures restrictives nécessaires sur la base dudit volet, sans qu’il soit nécessaire de rapporter la preuve d’un lien entre la qualité d’homme ou de femme d’affaires influent et le régime russe, ni non plus entre celle d’homme ou de femme d’affaires influent et le soutien à ce régime ou le bénéfice qui en est tiré (voir, par analogie, arrêt du 9 juillet 2020, Haswani/Conseil, C‑241/19 P, EU:C:2020:545, point 66, et ordonnance du 6 septembre 2022, Haikal/Conseil, C‑113/21 P, non publiée, EU:C:2022:640, point 41).
125 En l’espèce, en ce qui concerne la situation personnelle du requérant, il ressort des motifs d’inscription qu’il est considéré comme étant l’un des plus grands actionnaires du consortium Alfa Group.
126 Selon les informations figurant notamment dans la pièce n o 1 du dossier WK 3073/2022 INIT, le requérant est le cofondateur du consortium Alfa Group, qui est un grand groupe industriel et financier privé russe ayant des intérêts dans différents secteurs économiques.
127 Il y a également lieu de relever qu’une présentation du consortium Alfa Group par Alfa Bank Ukraine, en date de juin 2019, jointe à l’annexe B.2 du mémoire en défense, mentionne les sociétés dudit consortium, parmi lesquelles figurent notamment ABH Holdings, AlfaStrakhovanie, X5 Retail Group et A1, et corrobore des informations figurant dans la pièce n o 2 du dossier WK 17621/2022 INIT (arrêt du 11 septembre 2024, OT/Conseil, T‑286/23, non publié, sous pourvoi, EU:T:2024:606, point 94). Ces informations sont également confirmées par la pièce n o 2 du dossier WK 10524/2023 REV 1, indiquant que ce consortium comprenait notamment, au 26 mai 2023, Alfa Bank, AlfaStrakhovanie, Rosvodokanal, X5 Retail Group et A1.
128 En outre, il est constant entre les parties et il ressort des pièces n os 9 et 19 du dossier WK 10524/2023 REV 1 qu’ABH Holdings, établie au Luxembourg, détient indirectement, d’une part, Alfa Bank Russie notamment par l’intermédiaire d’ABH Financial établie à Chypre et AB Holding établie en Russie et, d’autre part, AlfaStrakhovanie, notamment par l’intermédiaire d’AlfaStrakhovanie Holdings établie à Chypre et Yuns-Holdings établie en Russie. Il y a lieu de relever que, ainsi que cela ressort notamment de la pièce n o 17 du dossier WK 10524/2023 REV 1, le requérant ne conteste pas avoir détenu 16,3239 % d’ABH Holdings.
129 De plus, il ressort de la pièce n o 10 du dossier WK 10524/2023 REV 1, que X 5 Retail Group est détenue à hauteur de 47,86 % par CTF Holdings établie au Luxembourg, ce que le requérant ne conteste pas. De même, lors de l’audience, il était constant entre les parties que cette dernière détenait également indirectement A1 par le biais de sociétés établies à Chypre et en Russie. En effet, il ressort dudit dossier que CTF Holdings détient indirectement A1 par l’intermédiaire d’A1 Investment Holding établie au Luxembourg, d’A1 Capital établie à Chypre et de Management Company Group A1 établie en Russie. Il y a lieu de constater que le requérant ne conteste pas être l’un des fondateurs de CTF Holdings, ainsi que cela ressort de la pièce n o 2 du dossier de preuves WK 17621/2022 INIT, pas plus qu’il ne conteste avoir détenu des participations dans cette dernière établie au Luxembourg. Lors de l’audience, le requérant a contesté l’affirmation du Conseil selon laquelle il aurait détenu 11 % des parts de ladite société par l’intermédiaire d’Intertrust Trustees mais il a reconnu, ainsi que cela ressort de l’annexe C12 de la réplique, avoir détenu environ [ confidentiel ]% du capital de CTF Holdings.
130 Ainsi, le Conseil considère que le requérant était, du fait de ses participations dans ABH Holdings et dans CTF Holdings, l’un des plus grands actionnaires du consortium Alfa Group.
131 Le requérant reproche au Conseil, d’une part, de ne pas avoir tenu compte du fait qu’il aurait cédé ses participations dans ABH Holdings et dans CTF Holdings au mois de mars 2022 et, d’autre part, de renverser la charge de la preuve en demandant la production de preuves additionnelles démontrant l’abandon de toute possession capitalistique dans le consortium Alfa Group.
132 Ainsi, il convient de vérifier, d’une part, si le Conseil renverse indûment la charge de la preuve en exigeant que le requérant produise des preuves pour démontrer la cession de ses possessions capitalistiques et, d’autre part, eu égard aux éléments produits par le requérant, si le Conseil a commis une erreur d’appréciation en considérant qu’il était encore l’un des plus grands actionnaires du consortium Alfa Group.
133 Pour ce qui est de l’argument du requérant concernant le renversement de la charge de la preuve, certes, ainsi que cela a été rappelé au point 85 ci-dessus, c’est au Conseil qu’il incombe d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité dont le nom est inscrit sur les listes litigieuses. Toutefois, lorsqu’une personne visée par des mesures restrictives, telle que le requérant, allègue que sa situation personnelle a changé par rapport à des faits établis par le Conseil, il lui incombe d’apporter les éléments de preuve de nature à démontrer la réalité d’un tel changement et, partant, l’existence d’une erreur d’appréciation de ces éléments commise par le Conseil.
134 Dans la présente affaire, ainsi que cela ressort des points 126 à 130 ci-dessus, le Conseil disposait d’un faisceau d’indices démontrant que le requérant était l’un des plus grands actionnaires du consortium Alfa Group en raison de ses possessions capitalistiques dans plusieurs sociétés de ce consortium, en particulier par l’intermédiaire d’ABH Holdings et de CTF Holdings. Partant, il incombe au requérant de démontrer qu’il a cédé ses participations dans lesdites sociétés de manière effective et renoncé de manière effective à ses prérogatives d’actionnaire desdites sociétés et des entités liées à celles-ci. Une telle exigence ne constitue pas un renversement de la charge de la preuve, étant donné que c’est le requérant qui invoque le changement de sa situation personnelle qu’il lui incombe de démontrer, à savoir la cession de ses participations dans les sociétés du consortium Alfa Group (voir, par analogie, arrêts du 11 septembre 2019, HX/Conseil, C‑540/18 P, non publié, EU:C:2019:707, point 50, et du 27 juin 2024, Servier e.a./Commission, C‑201/19 P, EU:C:2024:552, point 124). Or, les preuves relatives aux procédures, aux modalités et aux conditions de cession de participations dans des sociétés étant des documents auxquels ni le Conseil ni les États membres n’ont accès, le requérant est dès lors le mieux placé pour apporter de telles preuves pour étayer le changement de sa situation personnelle (voir, par analogie, arrêt du 11 septembre 2024, Timchenko et Timchenko/Conseil, T‑644/22, sous pourvoi, EU:T:2024:621, point 64).
135 En l’espèce, selon le requérant, ses participations d’environ 16 % dans ABH Holdings et d’environ [ confidentiel ]% dans CTF Holdings ont été transférées au cessionnaire allégué le 14 mars 2022, à savoir le jour qui précédait l’inscription de son nom sur les listes litigieuses. En outre, ainsi que le fait valoir le requérant, le cessionnaire allégué desdites participations a également acquis, au même moment, environ [ confidentiel ]% des parts d’ABH Holdings et environ [ confidentiel ]% des parts de CTF Holdings détenues par un autre actionnaire. Dès lors, un même cessionnaire, M. [ confidentiel ], aurait acquis simultanément non seulement environ 36 % des parts d’ABH Holdings, mais également environ 54 % des parts de CTF Holdings. Compte tenu des actifs détenus par ABH Holdings, à savoir Alfa Bank Russie et AlfaStrakhovanie, et par CTF Holdings, à savoir la société de distribution X 5 Retail Group et la société d’investissement russe A1, le requérant a confirmé lors de l’audience que les cessions alléguées portaient sur d’importants montants financiers.
136 Ainsi, dans les circonstances particulières de la présente affaire et étant donné que le requérant invoque, notamment, un changement de sa situation personnelle qui se serait produit le jour précédant l’inscription de son nom sur les listes litigieuses, il lui incombait d’apporter des éléments de preuve tendant à démontrer que, avant ladite inscription, les cessions alléguées avaient constitué un transfert effectif de la propriété de ses participations à un cessionnaire identifiable et indépendant du cédant. Ainsi, les preuves des transferts des participations détenues par le requérant dans ABH Holdings et dans CTF Holdings en faveur du cessionnaire allégué doivent permettre d’établir la conformité de la cession avec les dispositions du droit de l’Union relatives aux mesures restrictives, ce qui impliquait, en l’espèce, d’établir que le caractère effectif des transferts de participations avait eu lieu, en conformité avec le droit national et les dispositions statutaires applicables, avant l’entrée en vigueur des mesures de gel de fonds visant le requérant. Ainsi, en l’espèce, les preuves des transferts effectifs des participations dans ces deux holdings devaient notamment comprendre les actes relatifs aux cessions desdites participations, les dispositions pertinentes du droit national applicable ainsi que les dispositions statutaires des holdings en cause.
137 En outre, pour démontrer le renoncement effectif à ses prérogatives d’actionnaire, il incombait au requérant de fournir des preuves sur les conditions, les modalités et les contreparties des cessions alléguées, en particulier sur le prix de cession desdites participations. Contrairement à ce qu’a soutenu le requérant lors de l’audience, de telles preuves relatives au prix de cession sont nécessaires pour apprécier si les cessions alléguées de ses participations impliquent un renoncement effectif à ses prérogatives d’actionnaire d’ABH Holdings et de CTF Holdings. En effet, dans l’éventualité où un cédant vendrait ses participations à un prix manifestement inférieur à la valeur des actifs objet de la cession, celle-ci ne saurait être considérée comme étant effectuée en faveur d’un tiers indépendant (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2023, Mordashov/Conseil, T‑248/22, non publié, EU:T:2023:573, point 101), étant donné que, dans de telles conditions, le cédant pourrait, du fait de la faveur que constituerait un tel prix au profit du cessionnaire, continuer à exercer par l’intermédiaire du cessionnaire une influence sur les affaires de la société dont les participations ont été cédées, ce qui serait de nature à remettre en cause la crédibilité d’une telle cession (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2025, Ponomarenko/Conseil, T‑249/22, non publié, sous pourvoi, EU:T:2025:202, point 130). Dès lors, en l’espèce, les preuves apportées devaient également contenir des indications sur le prix auquel les participations ont été cédées et sur les modalités de paiement de celles-ci.
138 Il importe de souligner que, dans les circonstances de la présente affaire, la production des éléments de preuve mentionnés aux points 136 et 137 ci-dessus ne saurait constituer une charge déraisonnable ou impliquant la divulgation indue de données confidentielles. En effet, le requérant est le mieux placé pour fournir les preuves du transfert effectif de ses participations dans ABH Holdings et dans CTF Holdings, ainsi que du renoncement effectif à ses prérogatives d’actionnaire de ces sociétés et des entités liées à celles-ci (voir point 134 ci-dessus).
139 Par ailleurs, dans des circonstances telles que celles de la présente affaire caractérisées par d’importants transferts de participations ayant prétendument eu lieu le jour qui précédait l’entrée en vigueur des mesures de gel de fonds visant le requérant (voir point 135 ci-dessus) ainsi que par le recours à des constructions juridiques impliquant des sociétés établies dans plusieurs États (voir points 128 et 129 ci-dessus), l’efficacité et l’effectivité des mesures restrictives pourraient être remises en cause si des cessions alléguées de participations dans des sociétés étaient prises en compte en l’absence d’éléments tendant à démontrer leur réalité.
140 Pour ce qui est des preuves produites dans le cadre du présent recours, il convient d’examiner si elles sont suffisantes pour démontrer que le requérant avait transféré de manière effective ses participations dans ABH Holdings et dans CTF Holdings et renoncé de manière effective à ses prérogatives d’actionnaire desdites sociétés et des entités liées à celles-ci et, partant, que le Conseil a commis une erreur d’appréciation en considérant qu’il était encore l’un des principaux actionnaires du consortium Alfa Group.
141 Premièrement, en ce qui concerne la cession alléguée des participations dans CTF Holdings à M. [ confidentiel ], le requérant soutient que celle-ci est intervenue le jour qui précédait celui de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses, à savoir le 14 mars 2022.
142 Ainsi qu’il ressort du point 136 ci-dessus, il incombe toutefois au requérant d’apporter, notamment, les preuves démontrant que le transfert en cause a été effectué en conformité avec les dispositions du droit de l’Union relatives aux mesures restrictives.
143 Conformément à l’article 2 de la décision 2022/429 et à l’article 2 du règlement d’exécution 2022/427, les mesures restrictives à l’égard du requérant sont entrées en vigueur à la date de la publication de ces actes au Journal officiel de l’Union européenne , à savoir le 15 mars 2022, c’est à dire le lendemain de la cession alléguée des participations du requérant dans CTF Holdings.
144 À cet égard, il y a lieu de relever que l’article 2, paragraphe 1, du règlement n o 269/2014 dispose, notamment, que sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes physiques ou morales, aux entités ou aux organismes inscrits sur les listes litigieuses, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes physiques ou morales, ces entités ou ces organismes possèdent, détiennent ou contrôlent. Aux termes de l’article 1 er , sous f), de ce règlement, la notion de « gel de fonds » est définie comme visant « toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation, manipulation de fonds ou accès à ceux-ci qui aurait pour conséquence un changement de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l’utilisation, y compris la gestion de portefeuille ». Selon l’article 1 er , sous g), dudit règlement, la notion de « fonds » est définie comme visant les actifs financiers et les avantages économiques de toute nature, lesquels comprennent notamment, ainsi que cela ressort du point iii) de cette disposition, les titres de propriété et d’emprunt, tels que les actions, les certificats représentatifs de valeurs mobilières, les obligations, les billets à ordre, les warrants, les obligations non garanties et les contrats sur produits dérivés, qu’ils soient négociés en Bourse ou fassent l’objet d’un placement privé.
145 Ainsi, en l’espèce, à compter du 15 mars 2022, tous le fonds que le requérant possédait, détenait ou contrôlait sur le territoire de l’Union étaient gelés, en ce compris ses participations dans des sociétés qui étaient détenues dans l’Union, lesquelles ne pouvaient plus faire l’objet d’aucun mouvement, transfert, modification, utilisation ou accès qui aurait eu pour conséquence, notamment, un changement de leur propriété, de leur possession ou toute autre modification qui aurait pu en permettre l’utilisation. Par conséquent, les seules possibilités pour que lesdites participations détenues par le requérant soient dégelées consistaient soit en le retrait de son nom des listes litigieuses, soit en l’octroi par les autorités compétentes d’une des dérogations prévues par le règlement n o 269/2014.
146 Pour démontrer la cession de ses participations dans CTF Holdings, le requérant a produit trois documents.
147 Tout d’abord, s’agissant du document présenté comme étant un extrait du registre des actionnaires de CTF Holdings (annexe A.27 de la requête), le requérant indique, en date du 16 mai 2023, le nombre d’actions qui seraient détenues en valeur absolue par chacune des deux sociétés établies à Chypre mentionnées dans ce document, sans aucune autre indication. Or, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur la force probante de ce document, il suffit de constater que celui-ci ne permet pas de démontrer que la cession des participations du requérant dans CTF Holdings a eu lieu avant le 15 mars 2022.
148 Ensuite, le requérant produit une déclaration de propriété d’une société établie au Liechtenstein confirmant, selon lui, que, en date du 18 janvier 2022, il en était le bénéficiaire ultime et l’actionnaire (annexe C.10 de la réplique). Or, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur la force probante de ce document, il suffit de constater que cette déclaration n’est pas pertinente pour démontrer un transfert de la propriété de ses participations dans CTF Holdings avant le 15 mars 2022. En effet, ladite déclaration, datée du 18 janvier 2022, se limite à indiquer que le requérant était le bénéficiaire ultime de cette société, établie au Liechtenstein, avant le prétendu changement de propriété dans ladite société.
149 Enfin, la requérant présente un extrait du registre des bénéficiaires effectifs de CTF Holdings établi par le Luxembourg Business Register (annexe C.11 de la réplique) qui indique effectivement que l’intégralité des parts du capital de ladite société était indirectement détenue par M. [ confidentiel ] et par M. [ confidentiel ].
150 Toutefois, il y a lieu de relever que l’extrait en cause ne contient aucune indication quant à la date à laquelle les participations du requérant dans CTF Holdings ont été transférées à M. [ confidentiel ], ni quant aux conditions de ce transfert. Dès lors, les informations sur les bénéficiaires effectifs qui y figurent ne permettent pas d’établir que le requérant a transféré de manière effective la propriété desdites participations avant l’entrée en vigueur des mesures restrictives adoptées à son égard le 15 mars 2022.
151 Interrogé par le Tribunal lors de l’audience sur le fait que l’extrait en cause ne précisait pas la date de transfert effectif de ses participations dans CTF Holdings et que ledit extrait indiquait que des informations avaient été modifiées le 25 avril 2023, soit plus d’une année après l’entrée en vigueur du gel de ses fonds intervenu le 15 mars 2022, le requérant a soutenu que cet extrait attestait que le transfert desdites participations était antérieur à cette dernière date au motif que le gestionnaire du registre avait procédé à une vérification des informations déclarées. Or, à défaut d’avoir étayé cette allégation en démontrant, notamment sur le fondement de la réglementation nationale applicable à ce registre, que ledit gestionnaire serait tenu de procéder à une vérification systématique des déclarations qui lui sont soumises, il y a lieu de considérer que l’extrait en question ne permet pas de prouver que ces participations avaient été cédées de manière effective avant cette dernière date.
152 Dès lors, il y a lieu de constater que les éléments produits par le requérant ne permettent pas de démontrer qu’il a transféré de manière effective ses participations dans CTF Holdings avant l’entrée en vigueur, le 15 mars 2022, des mesures restrictives adoptées à son égard.
153 Au surplus, il y a lieu de relever que, compte tenu de la proximité de la cession alléguée avec la date de l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses, la production d’un contrat de vente antérieur au 15 mars 2022 ne saurait suffire, à elle seule, pour démontrer un transfert effectif de la propriété des participations du requérant dans CTF Holdings avant l’entrée en vigueur des mesures de gel de fonds le concernant. D’une part, pour considérer que le transfert de propriété était effectif et conforme au droit de l’Union, il doit être démontré que ce transfert a eu lieu avant l’entrée en vigueur desdites mesures selon les règles de droit national et les dispositions statutaires applicables. D’autre part, étant donné que le requérant a reconnu lors de l’audience qu’il n’avait toujours pas reçu le paiement du prix desdites participations, il doit également démontrer que les dispositions contractuelles régissant la cession n’étaient pas assorties d’une condition résolutoire en cas de non-paiement du prix de vente ou dans l’hypothèse d’un paiement différé.
154 Au demeurant, il y a lieu de rappeler que, à partir du 15 mars 2022, toutes les participations du requérant détenues dans des sociétés établies dans l’Union avaient été gelées, de sorte que, à partir de cette date, tout mouvement, transfert ou modification de ses participations détenues dans des sociétés établies au Luxembourg aurait nécessité l’obtention d’une autorisation des autorités compétentes (voir points 143 à 145 ci-dessus). Or, force est de constater que le requérant ne se prévaut d’aucune dérogation délivrée par les autorités compétentes en vue d’obtenir le dégel desdites participations après l’adoption des mesures restrictives à son égard.
155 Il s’ensuit que, en l’absence de preuves de la conformité de la cession alléguée des participations du requérant dans CTF Holdings avec les dispositions du droit de l’Union relatives aux mesures restrictives, ainsi que de preuves d’une cession effective et sans dispositions contractuelles de nature résolutoire, le Conseil n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant que, au moment de l’adoption des actes de septembre 2023, le requérant était un actionnaire de cette société.
156 Deuxièmement, en ce qui concerne la cession alléguée de ses participations dans ABH Holdings, le requérant soutient que celle-ci est intervenue le jour qui précédait celui de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses, à savoir le 14 mars 2022.
157 Certes, il ressort des pièces n os 9, 19 et 20 du dossier WK 10524/2023 REV 1, qui sont des articles de presse relatant un transfert d’actifs russes détenus par ABH Holdings vers la Russie dans lequel le requérant serait impliqué, que ce dernier aurait transféré ses participations dans ladite société à M. [ confidentiel ] au mois de mars 2022. Toutefois, ces articles ne contiennent aucune indication sur la date précise à laquelle la propriété des actions du requérant a été transférée de manière effective à M. [ confidentiel ] et, en particulier, si ce transfert avait été finalisé avant l’adoption des mesures restrictives à l’égard du requérant.
158 De même, s’agissant des éléments de preuve émanant de la Banque nationale d’Ukraine, il est vrai qu’il ressort de la pièce n o 1 du dossier WK 17621/2022 INIT et de la pièce n o 2 du dossier WK 10555/2023 INIT, à savoir des communiqués de presse de cette institution publiés respectivement le 28 octobre 2022 et le 20 juillet 2023, que M. [ confidentiel ] ( 2 ) détenait une participation qualifiée de 40,9614 % dans Sense Bank (anciennement Alfa Bank Ukraine, qui était détenue par ABH Holdings) à la suite du prétendu transfert des participations dans cette dernière société détenues par le requérant et un autre actionnaire. Cela étant, ces communiqués de presse de ladite banque nationale soulignent également que l’acquisition desdites participations avait été effectuée sans son autorisation préalable. En outre, il ressort d’une lettre de cette banque nationale du 5 juin 2023, adressée à la Commission (pièce n o 1 du dossier WK 10555/2023 INIT), que, conformément au droit ukrainien, l’accord permettant l’acquisition d’une participation significative par M. [ confidentiel ] dans Sense Bank devait être considérée comme étant nul et non avenu.
159 Quant à la décision de la Banque nationale d’Ukraine du 15 avril 2022, annexée à la réplique (annexe C.3 de la réplique), il doit être relevé que, au point 1 du dispositif de cette décision, cette institution constate l’acquisition par M. [ confidentiel ] d’une participation significative dans Sense Bank effectuée en violation du droit ukrainien, lequel, en principe, oblige toute personne qui projette d’effectuer l’acquisition d’une participation significative dans un établissement financier ukrainien d’en informer au préalable ladite banque nationale et d’attendre l’autorisation préalable de celle-ci. En outre, ni le dispositif ni les motifs de ladite décision ne constatent explicitement que M. [ confidentiel ] aurait acquis la propriété des participations du requérant dans ABH Holdings, le 14 mars 2022. Ainsi, pour ce qui concerne les actifs de cette dernière société qui étaient situés en Ukraine, cette banque nationale a uniquement constaté que ce transfert a été effectué en violation du droit bancaire ukrainien .
160 Il s’ensuit que la décision de la Banque nationale d’Ukraine du 15 avril 2022 ne saurait démontrer que la propriété des participations du requérant dans ABH Holdings avait été transférée à M. [ confidentiel ] avant le 15 mars 2022.
161 Il convient de relever que les autres preuves produites par le requérant ne sont pas non plus de nature à démontrer que la propriété de ses participations dans ABH Holdings avait effectivement été transférée à M. [ confidentiel ] avant le 15 mars 2022.
162 En ce qui concerne l’attestation établie par des auditeurs d’ABH Holdings (annexe A.30 de la requête) ainsi que l’attestation établie par le cabinet d’avocat de cette société (annexe A.25 de la requête), il y a lieu de relever qu’aucune de ces attestations ne conclut sans équivoque que le transfert de propriété des participations du requérant dans ladite société était effectif avant ladite date. D’une part, la première de ces attestations indique que, « en mars 2022 le requérant a vendu toutes ses actions et n’était plus actionnaire de [la société en question] », sans indiquer explicitement la date exacte du transfert effectif des actions. D’autre part, la seconde de ces attestations se borne à constater la liberté de vote des actionnaires. Certes, ladite attestation énumère une liste de documents parmi lesquels figurent notamment les documents transactionnels relatifs à la vente des intérêts du requérant dans cette société à M. [ confidentiel ] le 14 mars 2022, les statuts de la société en cause, un accord entre actionnaires, des informations sur les relations contractuelles entre une telle société et les personnes désignées, ou encore un acte d’engagement conclu le 25 avril 2022 entre la même société et M. [ confidentiel ]. Toutefois, en l’absence de production de ces documents qui ne sont pas annexés à l’attestation, il n’est pas possible de déterminer si le transfert de propriété desdites participations était effectif avant le 15 mars 2022.
163 S’agissant de l’attestation établie le 6 avril 2022 par le directeur d’ABH Holdings (annexe A.30 de la requête), selon laquelle le requérant n’avait plus d’intérêts de propriété depuis la vente de ses participations dans ladite société à un tiers effectuée prétendument le 14 mars 2022, il y a lieu de relever, conformément à la jurisprudence rappelée au point 95 ci-dessus, que la valeur probante de cette attestation, qui émane du directeur de cette société dont le requérant était actionnaire, doit être relativisée (arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 153). Ainsi, en l’absence d’autres éléments probants pour étayer une telle affirmation, cette attestation n’est pas de nature, à elle seule, à démontrer que le transfert de propriété desdites participations était effectif dès le 14 mars 2022.
164 S’agissant de l’extrait du registre des bénéficiaires effectifs d’ABH Holdings établi par le Luxembourg Business Register, indépendamment de la fiabilité de ce document, qui ne comporte pas la signature du gestionnaire, il y a lieu de relever que la date du 22 mars 2022 est mentionnée comme date de la dernière modification, soit une semaine après l’entrée en vigueur des mesures de gel des fonds du requérant. Or, dans les circonstances de la présente affaire, caractérisées par d’importants transferts de participations ayant prétendument eu lieu le jour qui précédait l’entrée en vigueur desdites mesures (voir point 135 ci-dessus), ledit extrait ne saurait suffire pour démontrer que le requérant avait transféré de manière effective la propriété de ses participations dans ladite société avant que ses fonds ne soient gelés. En effet, pour les mêmes raisons que celles exposées au point 151 ci-dessus, cet extrait n’est pas susceptible de démontrer que le transfert de propriété desdites participations a été effectif avant le 15 mars 2022.
165 En outre, il y a lieu de relever que, compte tenu de la proximité de la cession alléguée avec la date de l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses, la production d’un contrat de vente antérieur au 15 mars 2022 ne saurait suffire, à elle seule, pour démontrer un transfert effectif de la propriété des participations du requérant dans ABH Holdings avant l’entrée en vigueur des mesures de gel de fonds. D’une part, pour que le transfert de propriété soit conforme au droit de l’Union, il doit être démontré que celui-ci a été finalisé avant l’entrée en vigueur desdites mesures selon les règles de droit national et les dispositions statutaires applicables. D’autre part, étant donné que le requérant a reconnu lors de l’audience qu’il n’avait toujours pas reçu le paiement du prix de cession desdites participations, il lui incombe également de démontrer que les dispositions contractuelles de la cession n’étaient pas assorties d’une condition résolutoire en cas de non-paiement du prix de vente ou dans l’hypothèse d’un paiement différé.
166 Partant, eu égard aux considérations exposées aux points 157 à 165 ci-dessus, le Conseil n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant que, au moment de l’adoption des actes de septembre 2023, le requérant était un actionnaire d’ABH Holdings.
167 Ainsi, dès lors que c’est à juste titre que le Conseil a considéré que le requérant était un actionnaire de CTF Holdings (voir point 155 ci-dessus) et d’ABH Holdings (voir point 166 ci-dessus), il ne saurait lui être reproché d’avoir commis une erreur d’appréciation en le qualifiant comme étant l’un des principaux actionnaires du consortium Alfa Group au moment de l’adoption des actes de septembre 2023.
168 Or, il n’est pas contesté qu’Alfa Bank Russie constitue une des plus grandes banques commerciales et d’affaires privées russes, qu’AlfaStrakhovanie est une des plus grandes sociétés d’assurances en Russie et que X5 Retail Group est une des plus importantes sociétés dans le secteur du commerce de détail en Russie. Quant à A1 (anciennement Alfa-Eco), il apparaît qu’il s’agit d’une société d’investissements basée en Russie.
169 Par conséquent, compte tenu de l’importance des activités en Russie des sociétés du consortium Alfa Group, le Conseil pouvait, sans commettre d’erreur d’appréciation, considérer que le requérant était un homme d’affaires influent exerçant des activités en Russie au sens du premier volet du critère g) modifié.
170 Les autres arguments du requérant ne sont pas susceptibles de remettre en cause cette conclusion.
171 Premièrement, l’argumentation du requérant tirée de ce que l’exercice d’une fonction exécutive est une condition nécessaire pour être considéré comme « influent » au sens du premier volet du critère g) modifié ne saurait prospérer. En effet, dès lors que la seule détention de possessions capitalistiques significatives dans une ou plusieurs sociétés importantes peut être suffisante pour qualifier une personne en tant qu’homme d’affaires influent, l’exercice d’une fonction exécutive n’est pas une condition nécessaire aux fins de la qualification d’une personne physique en qualité d’homme d’affaires « influent » (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 151). Par conséquent, le fait que, plusieurs années avant l’adoption des actes initiaux, le requérant n’exerçait plus de fonction exécutive dans les entités liées au consortium Alfa Group est dénué de pertinence.
172 Deuxièmement, il convient également d’écarter l’argumentation du requérant selon laquelle il n’exerçait pas d’activité en Russie au motif qu’il ressortait de la jurisprudence en matière de TVA que la simple détention d’actions, réelle ou supposée, ne suffisait pas à constituer, en soi, l’exercice d’une « activité économique ». En effet, il suffit de rappeler que la notion d’« activité économique » en matière de TVA appartient à un contexte juridique différent de celui dans lequel s’inscrit le critère g) modifié, dont le premier volet vise les hommes d’affaires influents « exerçant des activités en Russie » (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2024, OT/Conseil, T‑286/23, non publié, sous pourvoi, EU:T:2024:606, point 92).
173 Troisièmement, il y a lieu d’écarter l’argumentation du requérant tirée de ce qu’il ne relevait pas de la présomption d’interdépendance entre les hommes d’affaires influents et le gouvernement russe au motif qu’il n’appartenait pas à la catégorie des hommes d’affaires proches de M. Poutine et qu’aucune de ses entreprises n’avait bénéficié d’un traitement préférentiel de la part des pouvoirs publics. À cet égard, tout d’abord, il importe de souligner que le premier volet du critère g) modifié a uniquement eu pour objet d’instituer un critère objectif, autonome et suffisant, permettant de justifier l’inscription du nom de certaines personnes sur les listes litigieuses, qui nécessite que le Conseil apporte la preuve de deux éléments cumulatifs, à savoir, d’une part, que la personne visée est une femme ou un homme d’affaires influent et, d’autre part, que cette personne exerce une activité en Russie. Par conséquent, le requérant ne saurait soutenir que ledit volet a institué une présomption (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 9 juillet 2020, Haswani/Conseil, C‑241/19 P, EU:C:2020:545, point 79 et jurisprudence citée). Ensuite, ainsi que cela a été relevé au point 124 ci-dessus, pour justifier ladite inscription sur le fondement de ce volet, il n’est pas nécessaire de rapporter la preuve d’un lien entre le requérant et le régime russe, ni la preuve d’un soutien à ce régime ou le bénéfice qui en est tiré. Ainsi, aux fins de l’application du même volet, la question de savoir si le requérant est un proche de M. Poutine lié au KGB ou au réseau de Saint-Pétersbourg, s’il exerce une activité dans les secteurs contrôlés par l’État ou s’il a bénéficié de marchés publics, d’avantages fiscaux ou d’un traitement spécial sont dépourvus de pertinence. Il en va de même en ce qui concerne le fait qu’aucune de ses sociétés n’aurait eu de ministre du gouvernement russe ou de fiduciaire personnelle au sein de son conseil d’administration.
174 Quatrièmement, pour autant que le requérant entend soutenir que le Conseil a commis une erreur d’appréciation au motif que le consortium Alfa Group est dépourvu de personnalité juridique, de sorte qu’il ne serait pas possible d’en être un actionnaire, une telle argumentation ne saurait prospérer. En effet, la qualité d’actionnaire de ce consortium est susceptible de viser l’ensemble des entreprises qui font partie dudit consortium (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2024, OT/Conseil, T‑286/23, non publié, sous pourvoi, EU:T:2024:606, point 116). En outre, ainsi que cela ressort de la pièce n o 2 du dossier WK 10524/2023 REV 1, à savoir une page du site Internet d’AlfaStrakhovanie, cette société se présente comme appartenant au « consortium financier et industriel Alfa Group ».
175 Il résulte de ce qui précède que le requérant n’a pas démontré que le Conseil avait commis une erreur d’appréciation en maintenant, par l’adoption des actes de septembre 2023, l’inscription de son nom sur les listes litigieuses sur le fondement du premier volet du critère g) modifié.
176 En second lieu, à titre surabondant, il convient de relever que, à la différence de l’article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145 dans sa version initiale résultant de la décision 2022/329 et du premier volet du critère g) modifié, lesquels désignent spécifiquement les « femmes et hommes d’affaires influents », le troisième volet du critère g) modifié étend le champ d’application personnel des mesures restrictives en n’exigeant plus que les femmes et les hommes d’affaires soient « influents ».
177 Il importe de souligner que, eu égard aux objectifs poursuivis par le Conseil, rappelés au considérant 4 de la décision 2023/1094, consistant à exercer une pression maximale sur les autorités russes afin que celles-ci mettent un terme à leurs actions et politiques déstabilisant l’Ukraine, la notion de « femmes et d’hommes d’affaires » vise uniquement les personnes physiques qui exercent une activité économique qualitativement ou quantitativement non négligeable dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie et dont l’inscription du nom sur la liste en cause est ainsi susceptible d’accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et, par conséquent, d’accroître la pression exercée sur la Fédération de Russie responsable de l’invasion de l’Ukraine (voir, en ce sens, arrêt du 29 janvier 2025, Vinokurov/Conseil, T‑1106/23, non publié, sous pourvoi, EU:T:2025:106, point 48).
178 De plus, en ce qui concerne les secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, il ressort sans équivoque du libellé du troisième volet du critère g) modifié que c’est le secteur économique et non la personne physique ou morale dont le nom est inscrit sur les listes litigieuses qui doit fournir une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie. Certes, la décision 2014/145 telle que modifiée ne définit pas la notion de « source substantielle de revenus ». Cela étant, il n’en demeure pas moins que l’emploi de l’adjectif qualificatif « substantielle », qui se rapporte au groupe nominal « source de revenus », implique que cette source de revenus doit être significative et donc non négligeable (voir, en ce sens arrêt du 29 janvier 2025, Vinokurov/Conseil, T‑1106/23, non publié, sous pourvoi, EU:T:2025:106, point 49).
179 En l’espèce, le requérant reconnaît que, au moment de l’adoption des actes de septembre 2023, il était encore actionnaire de Rosvodokanal. Il y a lieu de relever que, dans le document de présentation du consortium Alfa Group (annexe B.2 du mémoire en défense), ladite société est décrite comme étant l’un des plus grands opérateurs privés russes dans le domaine de l’approvisionnement en eau et de l’assainissement fournissant des services à environ 5 millions de clients, exerçant ses activités dans sept villes russes et employant environ 10 000 personnes. Par ailleurs, ainsi qu’il ressort de la pièce n o 2 du dossier de preuves WK 10524/2023 REV 1, cette société est mentionnée comme appartenant audit consortium.
180 Par conséquent, il y a lieu de considérer que, du seul fait de sa qualité d’actionnaire de Rosvodokanal, le requérant exerce une activité économique qualitativement ou quantitativement non négligeable, de sorte qu’il relève de la qualité d’homme d’affaires au sens du troisième volet du critère g) modifié.
181 Or, selon la jurisprudence, le secteur de l’approvisionnement en eau et de l’assainissement fournit une source substantielle de revenus au gouvernement Russe étant donné que celui-ci avait généré des recettes fiscales de plus de 94 milliards de roubles russes (RUB) (environ 967 millions d’euros) en 2022 (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2024, OT/Conseil, T‑286/23, non publié, sous pourvoi, EU:T:2024:606, points 126 et 127).
182 L’argumentation du requérant, soulevée lors de l’audience, tirée de ce que les impôts payés par Rosvodokanal ne représenteraient qu’une part très faible du montant total des impôts payés par ce secteur ne saurait prospérer. En effet, ainsi qu’il a été rappelé au point 178 ci-dessus, ce sont les revenus générés par le secteur qui importent et non les impôts payés par la personne ou l’entité concernée.
183 Il s’ensuit que le seul fait que le requérant était actionnaire de Rosvodokanal au moment de l’adoption des actes de septembre 2023 suffisait à ce que sa situation personnelle relève du troisième volet du critère g) modifié.
184 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que, à la date d’adoption des actes de septembre 2023, le Conseil a considéré que le requérant était un homme d’affaires influent exerçant des activités en Russie au sens du premier volet du critère g) modifié ainsi qu’un homme d’affaires exerçant des activités dans un secteur qui fournit une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie au sens du troisième volet du critère g) modifié.
185 Or, selon la jurisprudence, s’agissant du contrôle de la légalité d’une décision adoptant des mesures restrictives, et eu égard à leur nature préventive, si le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi une base suffisante pour soutenir cette décision, la circonstance que d’autres de ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ladite décision (arrêts du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 72, et du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 186).
186 Dès lors, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres arguments du requérant visant à contester le maintien de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses sur le fondement du critère d), il y a lieu d’écarter le premier moyen tiré d’une erreur d’appréciation commise par le Conseil lorsqu’il a décidé de maintenir le nom du requérant sur les listes litigieuses par l’adoption des actes de septembre 2023.
c) Sur les actes de mars 2024
187 Le requérant fait valoir que, depuis le mois de mars 2022, il n’est plus un actionnaire du consortium Alfa Group. Il soutient avoir cédé ses participations dans Alfa Bank Russie, dans AlfaStrakhovanie Russie ainsi que dans CTF Holdings.
188 Eu égard aux arrêts du 10 avril 2024, Aven/Conseil (T‑301/22, non publié, sous pourvoi, EU:T:2024:214), et du 10 avril 2024, Fridman/Conseil (T‑304/22, non publié, sous pourvoi, EU:T:2024:215), le requérant considère que le maintien de son nom sur les listes litigieuses constitue une différence de traitement injustifiée entre sa situation personnelle et celle des parties requérantes dans les affaires ayant donné lieu auxdits arrêts.
189 Le Conseil conteste l’argumentation du requérant.
190 S’agissant du contexte général ayant justifié l’adoption par le Conseil des mesures restrictives en cause (voir point 88 ci-dessus), force est de constater que, à la date d’adoption des actes de mars 2024, la gravité de la situation en Ukraine demeurait. De même, lesdites mesures étaient toujours justifiées au regard de l’objectif poursuivi, à savoir exercer une pression maximale sur les autorités russes, afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine ainsi qu’à l’agression militaire de ce pays, et accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.
191 En ce qui concerne la situation personnelle du requérant, dans les motifs d’inscription des actes de mars 2024, il n’est plus qualifié comme étant « l’un des plus grands actionnaires du consortium Alfa Group », mais comme étant « un actionnaire majeur du consortium Alfa Group ». Il y a donc lieu de considérer que, en substance, il s’agit des mêmes motifs que ceux des actes de septembre 2023.
192 À cet égard, il y a lieu de constater que, dans le cadre de la procédure de réexamen ayant conduit à l’adoption des actes de mars 2024, le requérant ne s’est prévalu d’aucun élément nouveau pour démontrer qu’il n’était plus un actionnaire majeur du consortium Alfa Group.
193 Dans le cadre du mémoire en adaptation, pour démontrer qu’il n’était plus un actionnaire majeur du consortium Alfa Group par l’intermédiaire d’ABH Holdings, le requérant a produit un extrait du registre des bénéficiaires effectifs de cette société, établi par le Luxembourg Business Register (annexe E.5 dudit mémoire), qui, à la différence de l’extrait figurant à l’annexe A.28 de la requête comporte la signature du gestionnaire.
194 Premièrement, en ce qui concerne l’application au requérant du premier volet du critère g) modifié, il convient de relever que le requérant n’a produit aucun élément nouveau pour démontrer que le transfert de propriété de ses participations dans CTF Holdings était effectif avant la date d’entrée en vigueur des mesures restrictives adoptées à son égard. Par conséquent, pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 142 à 155 ci-dessus, il y a lieu de constater que le Conseil n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant que le requérant était actionnaire de ladite société au moment de l’adoption des actes de mars 2024.
195 S’agissant de la cession alléguée de ses participations dans ABH Holdings, étant donné que l’extrait du registre des bénéficiaires effectifs comprenant la signature du gestionnaire ne mentionne pas la date exacte à laquelle lesdites participations ont été transférées au cessionnaire, il convient de considérer, pour les mêmes raisons que celles exposées aux points 164 et 165 ci-dessus, que cet extrait ne saurait suffire pour démontrer que la propriété de ces participations avait été transférée de manière effective avant le 15 mars 2022. De même, étant donné que le cessionnaire ne s’était pas acquitté de son obligation de paiement, il doit également être démontré que les dispositions contractuelles régissant la cession n’étaient pas assorties d’une condition résolutoire en cas de non-paiement du prix. Par conséquent, pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 157 à 166 ci-dessus, il y a lieu de constater que le Conseil n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant que le requérant était actionnaire de ladite société au moment de l’adoption des actes de mars 2024.
196 Il s’ensuit que le Conseil pouvait considérer que le requérant était un actionnaire majeur du consortium Alfa Group au moment de l’adoption des actes de mars 2024, de sorte que le maintien de son nom sur les listes litigieuses sur le fondement du premier volet du critère g) modifié était bien fondé.
197 En tout état de cause, étant donné que le requérant a reconnu lors de l’audience qu’il était encore actionnaire de Rosvodokanal au moment de l’adoption des actes de mars 2024, pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 179 à 183 ci-dessus, du seul fait de sa qualité d’actionnaire de cette société, le maintien de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses est justifié sur le fondement du troisième volet du critère g) modifié.
198 Au surplus, le requérant ne saurait soutenir que le maintien de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses est constitutif d’une différence de traitement injustifiée avec la situation de M. Fridman et de M. Aven en raison du fait que les actes les visant ont été annulés par les arrêts du 10 avril 2024, Aven/Conseil (T‑301/22, non publié, sous pourvoi, EU:T:2024:214), et du 10 avril 2024, Fridman/Conseil (T‑304/22, non publié, sous pourvoi, EU:T:2024:215). En effet, ainsi que cela ressort des motifs des arrêts du 10 avril 2024, Aven/Conseil (T‑301/22, non publié, sous pourvoi, EU:T:2024:214), et du 10 avril 2024, Fridman/Conseil (T‑304/22, non publié, sous pourvoi, EU:T:2024:215), l’inscription du nom des parties requérantes respectives sur les listes en cause dans les affaires ayant donné lieu auxdits arrêts n’était pas fondée sur le critère g) initial, pas plus qu’elle n’était fondée sur le critère g) modifié.
199 Au vu des considérations qui précèdent, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que, à la date d’adoption des actes de mars 2024, le Conseil a considéré que le requérant était un homme d’affaires influent exerçant des activités en Russie au sens du premier volet du critère g) modifié ainsi qu’un homme d’affaires exerçant des activités dans un secteur qui fournit une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie au sens du troisième volet du critère g) modifié.
200 Or, selon la jurisprudence, s’agissant du contrôle de la légalité d’une décision adoptant des mesures restrictives, et eu égard à leur nature préventive, si le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi une base suffisante pour soutenir cette décision, la circonstance que d’autres de ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ladite décision (arrêts du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 72, et du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 186).
201 Dès lors, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres arguments du requérant visant à contester le maintien de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses sur le fondement du critère d), il y a lieu d’écarter le premier moyen, tiré d’une erreur d’appréciation lors de l’adoption des actes de mars 2024.
202 Partant, le premier moyen tiré d’une erreur d’appréciation doit être écarté dans son intégralité.
3. Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité
203 Le requérant considère que les mesures restrictives adoptées à son égard violent le principe de proportionnalité consacré à l’article 5, paragraphe 4, TUE. Selon lui, dès lors que le nom d’Alfa Bank a été inscrit sur les listes litigieuses par les actes 13 mars 2023 mentionnés au point 12 ci-dessus, il serait inapproprié de maintenir les mesures restrictives à son égard pour atteindre les objectifs poursuivis. Il considère que, étant donné qu’il n’a jamais dirigé ladite société visée par des mesures restrictives, qu’il ne réside pas en Russie et qu’il n’est pas contribuable dans ce pays, le maintien de son nom sur les listes litigieuses n’est pas susceptible d’atteindre les objectifs poursuivis, à savoir exercer une pression sur les décideurs russes. Il estime également que, dès lors qu’il n’est plus actionnaire de sociétés et n’occupe aucun poste de gestion ou de direction dans aucune d’entre elles, il n’est pas en mesure d’exercer une influence sur celles-ci.
204 En outre, le requérant fait valoir que les dérogations sur le fondement desquelles il est possible de demander le dégel de certains fonds afin de pouvoir faire face aux besoins essentiels ne sont pas efficaces, compte tenu des obstacles qu’il rencontre dans le cadre de leur mise en œuvre par les autorités nationales et dans la mise à disposition des fonds par les établissements financiers.
205 De plus, le requérant estime que, compte tenu des projets de la Commission visant à l’adoption de règles permettant de confisquer et saisir les biens gelés, les mesures restrictives ne peuvent plus être considérées comme étant dépourvues de caractère temporaire, conservatoire et préventif.
206 Le requérant reproche également au Conseil de ne pas avoir effectué un bilan d’impact des mesures restrictives afin de déterminer si elles avaient effectivement contribué à atteindre les objectifs visés. Il considère que les objectifs visés par les mesures restrictives n’ont pas été atteints en l’espèce étant donné que la guerre est perdue.
207 Le Conseil conteste l’argumentation du requérant.
208 Il y a lieu de rappeler que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union et qui est repris à l’article 5, paragraphe 4, TUE, exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient de nature à permettre que soient atteints les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation concernée et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre lesdits objectifs (arrêts du 15 novembre 2012, Al-Aqsa/Conseil et Pays-Bas/Al-Aqsa, C‑539/10 P et C‑550/10 P, EU:C:2012:711, point 122, et du 1 er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 133).
209 La jurisprudence précise à cet égard que, s’agissant du contrôle juridictionnel du respect du principe de proportionnalité, il convient de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale et dans lesquels celui-ci est appelé à effectuer des appréciations complexes. Dès lors, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée dans ces domaines, au regard de l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 179 et jurisprudence citée).
210 En l’espèce, il y a lieu de relever que les mesures restrictives en cause répondent à un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union, de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 150). En effet, elles visent à exercer une pression sur les autorités russes afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine. En particulier, par l’adoption de mesures restrictives visant les hommes d’affaires influents exerçant une activité en Russie ainsi que les hommes d’affaires exerçant des activités dans des secteurs qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, le Conseil vise, d’une part, à exploiter l’influence que ces personnes sont susceptibles d’exercer sur le régime russe en les poussant à faire pression sur ce gouvernement pour qu’il modifie sa politique et, d’autre part, à accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine. Ainsi, il apparaît que l’Union cherche à réduire les revenus de l’État russe et à mettre la pression sur le gouvernement russe, afin de diminuer sa capacité à financer les actions de celui-ci compromettant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et d’y mettre fin pour préserver la stabilité européenne et mondiale. Or, il s’agit là d’un objectif qui relève de ceux poursuivis dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune et visés à l’article 21, paragraphe 2, sous c), TUE, tels que la préservation de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale.
211 Ainsi, il y a lieu de considérer que les mesures restrictives adoptées à l’égard du requérant ne sont pas manifestement inappropriées par rapport aux objectifs poursuivis. Ce constat ne saurait être remis en cause par le fait que le nom d’Alfa Bank a été ajouté sur les listes litigieuses. En effet, dès lors que le requérant relève des premier et troisième volets du critère g) modifié, le seul fait qu’une entité à laquelle il est lié soit également visée par des mesures restrictives n’est pas de nature à rendre les mesures le visant manifestement inappropriées pour atteindre les objectifs poursuivis étant donné que ses fonds personnels ne sauraient être confondus avec les fonds de ladite société. Au surplus, il y a lieu de relever que le consortium Alfa Group ne se limite pas à cette société, mais comprend aussi AlfaStrakhovanie, X5 Retail Group, A1 et Rosvodokanal.
212 En ce qui concerne le caractère nécessaire des mesures restrictives en cause, il convient de constater que des mesures alternatives et moins contraignantes, telles qu’un système d’autorisation préalable ou une obligation de justification a posteriori de l’usage des fonds versés, ne permettent pas d’atteindre aussi efficacement les objectifs poursuivis, rappelés au point 210 ci-dessus (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 182 et jurisprudence citée).
213 À cet égard, pour autant que le requérant soutient que l’inscription du nom d’Alfa Bank sur les listes litigieuses est susceptible de constituer une mesure alternative moins contraignante susceptible d’atteindre aussi efficacement les objectifs poursuivis, une telle argumentation doit être écartée. En effet, le patrimoine du requérant se distingue de celui de ladite société et ne se limite pas aux seuls actifs détenus par cette institution financière.
214 De plus, il y a lieu de rappeler que les mesures restrictives constituent des restrictions temporaires et réversibles et que des possibilités de dérogations sont prévues.
215 Le requérant ne saurait remettre en cause cette constatation en faisant valoir qu’il rencontre des difficultés dans la mise en œuvre des dérogations prévues à l’article 2, paragraphes 3 et 4, de la décision 2014/145, telle que modifiée, et à l’article 4, paragraphe 1, à l’article 5, paragraphe 1, et à l’article 6, paragraphe 1, du règlement n o 269/2014. À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il n’appartient qu’aux juridictions nationales compétentes de contrôler la validité des mesures nationales d’exécution des actes de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 11 juillet 1996, Branco/Commission, T‑271/94, EU:T:1996:103, point 53, et du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 268). Ainsi, dans l’hypothèse où les juridictions nationales rencontreraient des difficultés dans l’interprétation des dérogations susmentionnées, elles disposent de la possibilité de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle sur le fondement de l’article 267 TFUE. De même, le Tribunal n’est pas compétent, au titre de l’article 263 TFUE, pour connaître des litiges entre le requérant et les établissements financiers qui ne mettraient pas à sa disposition des fonds alors qu’une autorisation a été accordée par l’autorité nationale compétente.
216 Le caractère temporaire et réversible des mesures restrictives n’est pas davantage remis en cause par le projet de la Commission visant à confisquer les avoirs gelés. En effet, ainsi que le relève le Conseil, la réglementation en vigueur lors de l’adoption des actes de septembre 2023 et de mars 2024 ne prévoit pas la possibilité de confisquer les fonds des personnes visées par les mesures restrictives en l’absence d’infraction aux dispositions du règlement n o 269/2014, tel que modifié. À cet égard, il y a lieu de constater que l’article 15, paragraphe 1, dudit règlement prévoit des « mesures appropriées » de confiscation des produits des infractions audit règlement. Il en résulte que le Conseil a laissé une marge d’appréciation aux autorités nationales quant à la définition, à la nature et à la portée de cette confiscation (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2024, Timchenko et Timchenko/Conseil, T‑644/22, sous pourvoi, EU:T:2024:621, point 104). Par ailleurs, il y a lieu de constater que le requérant ne prétend pas que les mesures restrictives adoptées à son égard auraient impliqué une confiscation de ses fonds. Par conséquent, le requérant n’est pas fondé à soutenir que lesdites mesures seraient dépourvues de leur caractère temporaire et réversible.
217 Il en résulte que, en l’espèce, les inconvénients causés au requérant ne sont pas manifestement démesurés par rapport à l’importance des objectifs poursuivis par les actes attaqués.
218 Enfin, le requérant n’est pas fondé à soutenir que le Conseil n’a pas effectué un bilan d’impact des mesures restrictives et que, au moment de l’adoption des actes attaqués, la guerre étant perdue, le maintien des mesures restrictives à son égard n’était plus justifié. En effet, ainsi que cela ressort du considérant 3 de la décision 2023/1767 et du considérant 4 de la décision 2024/847, à ce moment, la guerre d’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine perdurait, justifiant ainsi la prolongation des mesures restrictives pour une durée de six mois. En outre, contrairement à ce qu’il soutient, sa situation personnelle a été réexaminée périodiquement, ce qui a conduit le Conseil à maintenir les mesures restrictives à son égard. Or, ainsi qu’il ressort de l’examen du premier moyen, le Conseil a valablement établi que le requérant relevait des catégories de personnes visées aux premier et troisième volets du critère g) modifié.
219 Il résulte des considérations qui précèdent que le deuxième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité, doit être écarté.
220 Partant, le recours doit être rejeté dans son intégralité.
V. Sur les dépens
221 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil, conformément aux conclusions de ce dernier.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (première chambre élargie)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) OT est condamné aux dépens.
Mastroianni
Brkan
Gâlea
Tóth
Kalėda
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 23 juillet 2025.
Signatures
Table des matières
I. Antécédents du litige
II. Faits postérieurs à l’introduction du recours
III. Conclusions des parties
IV. En droit
A. Sur la compétence du Tribunal pour connaître le deuxième chef de conclusions du requérant
B. Sur le fond
1. Sur le troisième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective
a) Sur les actes de septembre 2023
b) Sur les actes de mars 2024
2. Sur le premier moyen tiré d’une erreur d’appréciation
a) Considérations liminaires
b) Sur les actes de septembre 2023
1) Sur la fiabilité des éléments de preuve
2) Sur l’application au requérant des premier et troisième volets du critère g) modifié
c) Sur les actes de mars 2024
3. Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité
V. Sur les dépens
* Langue de procédure : le français.
1 Données confidentielles occultées.
2 Données confidentielles occultées.