Drelon c. France
Doc ref: 3153/16;27758/18 • ECHR ID: 002-13775
Document date: September 8, 2022
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Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 266
Septembre 2022
Drelon c. France - 3153/16 et 27758/18
Arrêt 8.9.2022 [Section V]
Article 8
Article 8-1
Respect de la vie privée
Collecte des données relatives aux pratiques sexuelles d’un donneur du sang potentiel basée sur une spéculation et durée excessive de leur conservation par un établissement public : violation
En fait – En 2004, le requérant chercha à donner son sang mais refusa, à cette occasion, de répondre aux questions relatives à ses pratiques sexuelles qui lui avaient été posées au cours d’un entretien médical. Par ailleurs, et de ce seul fait, il fut renseigné dans le traitement de l’Établissement français du sang (ÉFS), qui est un établissement public de l’État, qu’il était visé par la contre-indication au don alors prévue de manière permanente pour les hommes ayant eu un rapport sexuel avec un homme. Sa candidature fut rejetée pour ce motif. La requête n o 3153/16 a été présentée à la suite du contentieux pénal qui a suivi la plainte déposée par le requérant pour discrimination qui aboutit à un non-lieu. Les recours du requérant n’aboutirent pas.
En droit – Article 8 :
L’ÉFS étant un établissement public de l’État, ce grief sera examiné sous l’angle des obligations négatives.
1. Sur l’existence d’une ingérence
Ont été collectées et conservées dans une base de données initialement exploitée par l’un des établissements de l’ÉFS des données personnelles selon lesquelles le requérant était concerné par la contre-indication au don de sang alors prévue pour les hommes ayant eu un rapport sexuel avec un homme en droit interne. De telles données comportent des indications explicites sur la vie sexuelle et sur l’orientation sexuelle supposée du requérant. À cet égard, le fait que cette contre-indication ait été conservée avec la simple référence à un code et non la description explicite d’un comportement sexuel n’est pas déterminant. Il était en outre prévu que les données saisies en 2004 soient conservées jusqu’en 2278. Dès lors, il y a eu ingérence dans le droit au respect de la vie privée du requérant.
2. Sur la base légale de l’ingérence
La loi faisait exception, en matière médicale, à l’interdiction de collecter et de traiter des données relatives à la santé ou à la vie sexuelle des personnes. La mise en œuvre de traitements comportant de telles données était autorisée en cas de nécessité pour la « gestion de services de santé », en conférant aux autorités internes un pouvoir d’appréciation s’agissant de la création de tels fichiers.
La prévisibilité de cette base légale doit être appréciée dans son contexte juridique. Or, à la date des faits litigieux, l’article 18 de la directive 2002/98/CE imposait l’enregistrement des résultats des procédures d’évaluation et d’examen des donneurs. L’arrêté du 10 septembre 2003 prévoyait la tenue d’un « dossier informatisé du donneur » comprenant « les éventuelles contre-indications au don temporaires ou définitives, indiquées de façon codée » le concernant. Ce cadre légal, pris dans son ensemble, définissait avec suffisamment de précision l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation conféré aux autorités internes et permettait ainsi au requérant de régler sa conduite, c’est-à-dire de poursuivre ou de renoncer à sa démarche de don de sang en connaissance de cause. L’ingérence litigieuse était donc « prévue par la loi ».
3. Sur la poursuite d’un but légitime
L’ingérence litigieuse poursuivait le but légitime de la protection de la santé. À cet égard, un grand nombre de personnes ont été contaminées par le VIH ou par des virus hépatiques par voie de transfusion de produits sanguins insuffisamment sécurisés, en France comme dans de nombreux États contractants, avant que des techniques de détection, d’inactivation et d’élimination des agents pathogènes soient développées et généralisées. Les instruments de droit international ont été adoptés pour répondre à cette crise sanitaire majeure et poursuivent ce même objectif de protection de la santé publique. Au demeurant, les obligations positives découlant de l’article 2 de la Convention impliquent la mise en place d’un cadre réglementaire imposant aux hôpitaux l’adoption de mesures propres à assurer la protection de la vie de leurs malades.
4. Sur la nécessité de l’ingérence
La collecte et la conservation de données personnelles relatives aux résultats des procédures de sélection des candidats au don du sang, et en particulier aux motifs d’exclusion du don éventuellement retenus, contribuent à garantir la sécurité transfusionnelle. Sans qu’il soit besoin de rechercher si d’autres critères de sélection des donneurs étaient envisageables, la collecte et la conservation des données litigieuses reposaient sur des motifs pertinents et suffisants.
Eu égard à la sensibilité des données personnelles litigieuses, qui comportent des indications sur les pratiques et l’orientation sexuelles du requérant, il est particulièrement important qu’elles répondent aux exigences de qualité prévues à l’article 5 de la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel du Conseil de l’Europe. Il importe en particulier qu’elles soient exactes et, le cas échéant, mises à jour, qu’elles soient adéquates, pertinentes et non excessives par rapport aux finalités du traitement, et que leur durée de conservation n’excède pas celle qui est nécessaire. Par ailleurs, les données litigieuses, qui touchaient à l’intimité du requérant, ont été collectées et conservées sans le consentement explicite du requérant. En conséquence, la Cour se doit de procéder à cet examen de façon rigoureuse.
En premier lieu, s’agissant de l’exactitude des données personnelles, celle-ci doit être appréciée au regard de la finalité pour laquelle ces données ont été collectées. Dans le traitement litigieux, cette catégorie de données avait pour finalité d’assurer le respect d’une contre-indication au don spécifique, que le droit interne prévoyait alors de façon permanente. À cette fin, elle devait reposer sur une base factuelle précise et exacte. Or, le requérant s’est vu appliquer une contre-indication propre aux hommes ayant eu un rapport sexuel avec un homme au seul motif qu’il avait refusé de répondre à des questions relatives à sa sexualité lors de l’entretien médical préalable au don. Aucun des éléments soumis à l’appréciation du médecin ne lui permettait de tirer une telle conclusion sur ses pratiques sexuelles. C’est pourtant ce motif d’exclusion du don qui fut renseigné et conservé. Les données collectées se fondaient sur de simples spéculations et ne reposaient sur aucune base factuelle avérée. Or, c’est aux autorités qu’il incombe de démontrer l’exactitude des données collectées. De surcroît, elles n’ont pas avoir été mises à jour à la suite des protestations et de la plainte du requérant.
Par ailleurs, il est inadéquat de collecter une donnée personnelle relative aux pratiques et à l’orientation sexuelles sur le seul fondement de spéculations ou de présomptions. Au surplus, il aurait suffi, pour atteindre l’objectif de sécurité transfusionnelle recherché, de garder trace du refus du requérant de répondre aux questions relatives à sa sexualité, cet élément étant de nature à justifier, à lui seul, un refus de la candidature au don de sang.
En second lieu, le Gouvernement ne démontre pas qu’à l’époque des faits, la durée de conservation des données litigieuses était encadrée de telle sorte qu’elle ne puisse pas excéder celle nécessaire aux finalités pour lesquelles elles ont été collectées. Au moment de la collecte de ces données en 2004, l’outil informatique employé par l’ÉFS prévoyait leur conservation jusqu’en 2278, rendant ainsi possible leur utilisation de manière répétée. À la date du 26 mai 2016, soit près de douze ans après leur collecte, les données relatives au motif d’exclusion étaient encore conservées. À cet égard, la durée de conservation des données doit être encadrée pour chacune des catégories de données concernées et elle doit être révisée si les finalités pour lesquelles elles ont été collectées ont évolué. Au vu de la pratique constante de l’ÉFS, la durée excessive de conservation des données litigieuses a rendu possible leur utilisation répétée à l’encontre du requérant, entraînant son exclusion automatique du don de sang.
Au vu de l’ensemble des éléments qui précèdent, l’État défendeur a outrepassé sa marge d’appréciation en la matière.
Conclusion : violation (unanimité).
Article 41 : 3 000 EUR pour préjudice moral.
© Conseil de l’Europe/Cour européenne des droits de l’homme Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.
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