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MIERLĂ ET AUTRES c. ROUMANIE

Doc ref: 25801/17;26272/18;4052/19 • ECHR ID: 001-217742

Document date: May 17, 2022

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MIERLĂ ET AUTRES c. ROUMANIE

Doc ref: 25801/17;26272/18;4052/19 • ECHR ID: 001-217742

Document date: May 17, 2022

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QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

Requête n o 25801/17 Gheorghe-Marius MIERLĂ contre la Roumanie et 2 autres requêtes (voir liste en annexe)

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant le 17 mai 2022 en une chambre composée de :

Yonko Grozev, président, Faris Vehabović, Iulia Antoanella Motoc, Gabriele Kucsko-Stadlmayer, Pere Pastor Vilanova, Jolien Schukking, Ana Maria Guerra Martins, juges,

et de Ilse Freiwirth, greffière adjointe de section ,

Vu les requêtes susmentionnées introduites aux dates indiquées dans le tableau joint en annexe,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant dans la requête n⁰ 25801/17,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1. La liste des parties requérantes et de leurs représentants figure en annexe.

2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agente, M me O. Ezer, du ministère des Affaires étrangères.

3 . En 2008, la direction nationale anti-corruption déclencha des poursuites pénales contre le requérant du chef de participation à une association de malfaiteurs. La procédure, qui visait vingt-huit suspects, parmi lesquels figuraient des officiers de police, concernait plusieurs infractions liées à l’émission frauduleuse de permis de conduire. Par un réquisitoire du 3 décembre 2008, le requérant fut renvoyé en jugement du chef de l’infraction susmentionnée. L’affaire fut enregistrée au rôle de la cour d’appel de Târgu Mureş le 6 décembre 2008.

4. Le 12 janvier 2012, après l’administration des preuves et après réception des conclusions des parties, la cour d’appel de Târgu Mureş mit l’affaire en délibéré. Après avoir ajourné à deux reprises le prononcé de sa décision, la cour d’appel condamna le requérant à une peine d’emprisonnement ferme et à des peines complémentaires par un jugement du 14 février 2012. Le jugement, rédigé le 26 octobre 2012, comptait 1133 pages.

5 . Le requérant et d’autres parties à la procédure interjetèrent appel du jugement en question. L’appel fut enregistré au rôle de la Haute Cour de cassation et de justice (« HCCJ ») le 4 avril 2013. L’affaire comptait 158 volumes.

6. Après avoir ajourné plusieurs fois le prononcé de sa décision, la HCCJ accueillit par un arrêt définitif du 14 avril 2014 l’appel interjeté par le requérant, réduisant notamment la peine d’emprisonnement infligée. Le procès-verbal rédigé le même jour comptait 17 pages.

7 . Au cours de la période 2014-2016, le requérant demanda à dix reprises la notification d’une copie de l’arrêt définitif du 14 avril 2014. Il formula en outre trois demandes d’accélération de la rédaction de la motivation de l’arrêt auprès du greffe du tribunal. Le greffe de la HCCJ lui répondit à trois reprises (le 6 novembre 2014, le 23 mars 2015 et le 29 juillet 2015) que l’arrêt définitif était en cours de rédaction.

8 . Le 8 décembre 2016, la HCCJ rédigea son arrêt définitif daté du 14 avril 2014, qui comptait 860 pages. Le 12 décembre 2016, elle le notifia au requérant, qui le reçut en prison le 20 décembre 2016.

9. Entre-temps, le requérant avait formé le 12 juin 2014 une contestation en annulation contre l’arrêt du 14 avril 2014, alléguant qu’il avait été condamné alors qu’il y avait un motif de classement de l’affaire. Par un arrêt du 9 septembre 2014, la HCCJ déclara cette voie de recours irrecevable, au motif que le requérant contestait en réalité l’interprétation des preuves, et que pareil grief ne pouvait pas être soumis à l’examen des tribunaux par cette voie de recours extraordinaire. Le 11 août 2014, le requérant se pourvut en cassation contre le même arrêt, en vain.

10 . Le 10 décembre 2015, le requérant porta plainte auprès de l’inspection judiciaire du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) pour défaut de motivation de l’arrêt définitif prononcé le 14 avril 2014, demandant l’ouverture d’une enquête disciplinaire contre les juges de la HCCJ.

11 . Par une décision ( rezoluţie ) du 9 mars 2016, l’inspection judiciaire classa la plainte du requérant. Tout en admettant que le délai de trente jours prévu par la loi avait été dépassé, elle considéra que le retard était justifié par la charge de travail très importante de la juge à qui incombait la rédaction de l’arrêt définitif en question. Elle tint également compte de la situation particulière de la juridiction suprême, confrontée à l’époque à un déficit de personnel et aux difficultés inhérentes à l’entrée en vigueur de nouveaux codes de procédure civile et pénale en février 2014. En conséquence, elle conclut notamment que les conditions de mise en cause de la responsabilité disciplinaire (article 99 h) de la loi nº 303/2004 sur le statut des juges et procureurs) n’étaient pas réunies, car la juge n’avait pas accusé de retards répétés dans la rédaction des décisions et qu’aucune faute ne pouvait lui être imputée. Cette décision fut communiquée au requérant le 11 avril 2016.

12 . Dans une lettre adressée à l’agent du Gouvernement le 30 octobre 2019, la Haute Cour indiqua que des retards de rédaction des motifs des décisions en matière pénale avaient été et continuaient d’être enregistrés, pour des raisons diverses telles que l’importante charge de travail, la complexité particulière des affaires, l’impact des nouveaux codes pénal et de procédure pénale et des décisions prononcées en la matière par la Cour constitutionnelle, l’insuffisance des effectifs et les mouvements de personnel. Il y était souligné que des mesures avaient été prises en vue de diminuer ces retards, notamment le suivi continu de l’activité de rédaction des décisions, des changements d’organisation opérés en vue d’une planification plus équilibrée de la charge de travail des juges, la création d’équipes de travail et la réaffectation des ressources en fonction des besoins.

13 . Dans un mémoire transmis à l’agent du Gouvernement le 29 mai 2020, le CSM mentionna la durée moyenne de rédaction des motifs des arrêts rendus en instance d’appel par la HCCJ en matière pénale : 56 jours en 2014, 142 jours en 2015, 294 jours en 2016, 146 jours en 2017, 125 jours en 2018 et 272 jours en 2019. S’agissant en particulier des affaires concernant le délit d’association des malfaiteurs, la durée moyenne de rédaction d’un arrêt par la HCCJ était de 186 jours en 2014, 184 jours en 2015, 308 jours en 2016, 187 jours en 2017, 168 jours en 2018 et 272 jours en 2019.

14. Le 24 juin 2014, la requérante assigna en justice le ministère de l’Économie. Dans son action, elle demandait l’annulation de certaines instructions ordonnant sa mutation dans la fonction publique d’exécution et sollicitait sa réintégration dans le poste de chef du service qu’elle occupait précédemment ainsi que le paiement de la différence de salaire.

15. Par un jugement du 23 mars 2015, le tribunal départemental de Bucarest accueillit l’action de la requérante et ordonna la réintégration de celle-ci dans son poste de chef du service d’audit public interne et le versement des salaires dus.

16 . Les 3 mars 2016, 24 avril 2017 et 21 novembre 2017, la requérante forma auprès du greffe du tribunal trois demandes par lesquelles elle sollicitait l’accélération de la rédaction de la motivation du jugement susmentionné.

17 . Le 21 mars 2019, le tribunal départemental de Bucarest rédigea son jugement prononcé le 23 mars 2015 et le communiqua à la requérante le 29 mars 2019.

18. Bien que le jugement du 23 mars 2015 n’eût pas encore été motivé et qu’il fût toujours susceptible de recours, la requérante entama des démarches en vue de son exécution. Ã cet effet, elle se vit délivrer le 26 octobre 2016 par le tribunal départemental de Bucarest un certificat mentionnant le dispositif du jugement du 23 mars 2015 et faisant foi de son caractère exécutoire.

19 . Le 3 novembre 2016, la requérante demanda au ministère de l’Économie d’exécuter ce jugement. Par une instruction du 27 janvier 2017, le ministre de l’Économie ordonna la réintégration de la requérante dans son poste de chef du service d’audit public interne. Il prit note toutefois du fait que le contrat de travail était suspendu depuis le 25 juin 2014, sur demande de la requérante, qui accompagnait son mari envoyé en mission diplomatique à l’étranger.

20 . Les sommes dues furent versées le 7 juillet 2017 sur le compte de la requérante, qui s’avéra clôturé. Elles furent gardées à la disposition de la requérante dans le compte du ministère. Les salaires furent versés une nouvelle fois le 31 janvier 2018.

21 . Le 17 juillet 2016, l’inspection judiciaire engagea d’office des poursuites disciplinaires contre le juge qui avait prononcé – entre autres – le jugement du 23 mars 2015, lui reprochant d’avoir tardé à motiver plus de 500 décisions entre 2014 et 2016. Par une décision définitive du 7 décembre 2016, le CSM conclut que ce juge avait commis une faute disciplinaire et décida de le suspendre de ses fonctions pour une durée de cinq mois. Il nota que l’inactivité du juge risquait de conduire à la violation du droit à un procès dans un délai raisonnable garanti par l’article 6 de la Convention.

22 . En 2017, la requérante porta plainte à son tour pour défaut de motivation du jugement du 23 mars 2015, mais sa plainte fut classée par une décision prise par l’inspection le 8 mai 2017, au motif que celle-ci s’était déjà saisie d’office et que le CSM avait déjà infligé une sanction au juge concerné (paragraphe 21 ci-dessus). Le jugement du 23 mars 2015 figurait parmi ceux dont la rédaction n’avait pas été achevée dans les délais.

23 . Par une deuxième décision du 29 mars 2019, le CSM sanctionna à nouveau le même juge pour motivation tardive de décisions prononcées entre 2014 et 2017. Le CSM ordonna la mutation du juge dans un autre tribunal pour une période d’un an.

24. Le 2 juin 2014, les requérants saisirent le tribunal de première instance de Târgu Mureş d’une action tendant à faire constater le caractère abusif de certaines clauses de deux contrats de prêt bancaire.

25 . Après avoir ajourné à trois reprises le prononcé de sa décision, le tribunal de première instance accueillit la demande des requérants par un jugement du 18 novembre 2015.

26. Le 1 er mars 2016, les requérants demandèrent la rédaction des motifs du jugement susmentionné. Selon les mentions figurant sur ce jugement, celui-ci fut rédigé le 19 avril 2016. Il fut notifié aux requérants le 24 avril 2016. Il fut rectifié le 6 mai 2016.

27 . Par un arrêt définitif du 20 décembre 2017, le tribunal départemental de Mureş spécialisé dans les litiges impliquant des professionnels ( Tribunalul Specializat Mureş Litigii cu Profesionişti ) confirma le jugement du 18 novembre 2015.

28 . Les 16 mars, 20 juillet et 21 août 2018, les requérants demandèrent la rédaction des motifs de l’arrêt susmentionné. Selon les mentions figurant sur cet arrêt, celui-ci fut rédigé le 2 octobre 2018.

29 . Par une décision définitive du 31 janvier 2018, le CSM sanctionna le juge ayant prononcé le jugement du 18 novembre 2015 pour motivation tardive de plusieurs décisions prononcées et ordonna la réduction de son salaire pour une période de six mois. Par une deuxième décision du 16 avril 2019, le CSM sanctionna une nouvelle fois le même juge, le suspendant de ses fonctions pour une durée de six mois. Le jugement du 18 novembre 2015 ne figurait pas parmi ceux dont la décision par laquelle ce juge s’était vu infliger une sanction disciplinaire avait tenu compte.

30 . Au début de l’année 2019, une enquête fut ouverte par l’inspection judiciaire contre la juge ayant prononcé l’arrêt du 20 décembre 2017, mais elle n’aboutit à aucune sanction disciplinaire.

31 . Par un mémoire du 22 mai 2020, le tribunal départemental de Mureş spécialisé dans les litiges impliquant des professionnels transmit à l’agent du Gouvernement des renseignements sur la durée de rédaction des décisions de justice. Dans son mémoire, le tribunal soulignait que le pourcentage des décisions rédigées après l’expiration du délai légal était de 41,2 % en 2018, et de 51,3 % en 2019. Il indiquait que ces retards étaient dus au nombre insuffisant de juges et de greffiers, à la multiplication des tâches administratives confiées aux juges, aux congés annuels et aux congés sans solde, à l’installation du tribunal dans de nouveaux locaux, à la complexité des différents types d’affaires et à des modifications législatives substantielles et répétées. Il précisait que la direction du tribunal avait pris des mesures visant à prévenir les retards de rédaction des décisions, à savoir le suivi mensuel de l’activité, la rédaction du résumé des positions des parties par les greffiers, l’allégement de la charge de travail non judiciaire ou de permanence des juges qui accusaient des retards de rédaction des décisions, l’organisation de réunions thématiques pour faciliter l’adoption des décisions ou l’établissement par la direction, après concertation avec les juges, de stratégies de gestion de l’arriéré.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

32 . Selon les articles 401 – 403 du CPC entré en vigueur le 15 février 2013, le résultat des délibérations est consigné dans un procès-verbal ( minute ). La date du jugement était celle du prononcé public de la partie pertinente du procès-verbal des délibérations par le président ou un autre membre de la formation de jugement. Depuis les modifications apportées le 21 décembre 2018 , le prononcé peut aussi s’effectuer par la mise à disposition du résultat des délibérations au greffe du tribunal .

33 . Les dispositions pertinentes de l’article 426, en vigueur avant le 21 décembre 2018, étaient ainsi libellées :

Article 426 § 5 – Rédaction et signature de la décision

« La décision sera rédigée et signée dans un délai de trente jours au maximum après son prononcé. (...) »

Le nouveau texte de cette disposition, en vigueur depuis le 21 décembre 2018, se lit ainsi :

« La décision doit être rédigée et signée dans un délai maximum de trente jours après son prononcé et, dans des cas dûment motivés, ce délai peut être prolongé deux fois au maximum, de trente jours à chaque fois. (...) »

34 . Dans ses articles 522-526, le CPC prévoit la possibilité, pour toute partie à une procédure civile, de former un recours pour se plaindre de la durée excessive d’une procédure. Ces dispositions s’appliquent uniquement aux procédures engagées après le 15 février 2013, date d’entrée en vigueur du nouveau code (article 3 de la loi nº 76/2012 sur l’application de la loi nº 134/2010 relative au CPC).

35 . L’article 522 est ainsi libellé :

« 1) Toute partie à une procédure ainsi que le procureur qui y participe peuvent former un recours pour dénoncer le fait que celle-ci n’est pas menée dans un délai raisonnable et prévisible et demander que des mesures juridiques soient prises pour mettre fin à cette situation.

2) Le recours peut être formé :

1. Si le délai fixé par la loi pour l’accomplissement d’une procédure, le prononcé d’une décision ou la rédaction de la motivation d’une décision a expiré sans que l’acte requis n’ait été accompli.

2. Si le délai imparti par un tribunal à un participant au procès pour l’accomplissement d’un acte procédural a expiré sans que ce participant se soit exécuté et sans que le tribunal ait pris contre lui les mesures prévues par la loi.

3. Si le délai imparti par un tribunal à une personne ou autorité non partie à la procédure pour communiquer un document, des données ou d’autres informations en sa possession nécessaires à l’examen de l’affaire a expiré sans que cette personne ou autorité se soit exécutée et sans que le tribunal ait pris contre elle les mesures prévues par la loi.

4. Si un tribunal a manqué à son obligation d’examiner une affaire dans un délai raisonnable et prévisible en omettant de prendre les mesures juridiques requises ou d’accomplir d’office un acte procédural requis par la loi et nécessaire pour trancher l’affaire, lorsque le laps de temps écoulé depuis son dernier acte de procédure lui aurait permis de prendre les mesures juridiques requises ou d’accomplir l’acte requis. »

36 . Les articles 523-526 du CPC décrivent la procédure applicable à ce recours. Avant le 7 décembre 2020, l’article 524 § 3 prévoyait que le recours devait être tranché en chambre du conseil dans un délai de cinq jours par la formation ayant statué sur l’affaire. Depuis l’abrogation de cette disposition, intervenue à la date précitée, le CPC ne prévoit plus aucune disposition spécifique quant à la formation compétente pour examiner ce recours.

Lorsque ce recours est accueilli, la décision avant-dire droit définitive à laquelle il donne lieu prévoit les mesures qui permettront de mettre fin à la situation de durée excessive constatée.

Lorsque le recours est rejeté, la décision avant-dire droit à laquelle il donne lieu est susceptible d’appel devant la juridiction hiérarchiquement supérieure dans un délai de trois jours à compter de sa notification. L’appel est jugé en chambre du conseil par une formation de trois juges, dans un délai de dix jours.

Les décisions prises dans le cadre de cette procédure doivent être motivées dans un délai de cinq jours.

37 . Le Gouvernement a soumis plusieurs exemples de décisions fondées sur l’article 522 du CPC et portant sur l’accélération de différentes étapes d’une procédure, dont la rédaction de décisions.

38 . Dans six décisions prononcées entre avril 2016 et avril 2019, les tribunaux firent droit aux recours des intéressés dans des délais compris entre quatre et neuf jours après l’introduction desdits recours. Ils ordonnèrent la rédaction immédiate ou dans un délai précis des jugements dont le délai légal de rédaction avait expiré. Pour accueillir ces recours, certains tribunaux se bornèrent à constater le dépassement du délai légal de rédaction des décisions. D’autres prirent en considération, outre le dépassement du délai légal, des critères tels que a) le temps nécessaire à la rédaction de la décision compte tenu de l’objet de l’affaire, de l’ampleur des observations des parties et de l’examen effectué par le tribunal, ainsi que b) la charge de travail et les absences motivées du juge après le prononcé d’une décision.

39 . Entre janvier 2018 et février 2020, sept autres recours similaires furent rejetés comme devenus sans objet, car les décisions avaient été rédigées entre ‑ temps.

40 . En janvier et avril 2016, deux demandes similaires furent rejetées pour défaut de fondement. Dans la première décision, le tribunal nota que si la décision litigieuse avait été finalement rédigée dans un délai de trente jours, l’encombrement du tribunal rendait impossible le respect de ce délai dans toutes les affaires et que certaines décisions inscrites au rôle du tribunal et prononcées avant la décision intéressant la requérante n’étaient toujours pas rédigées (décision du 28 janvier 2016 du tribunal départemental de Bistriţa Năsăud). Dans la deuxième décision, le tribunal nota que le dépassement était insignifiant (un jour) et, en tout état de cause, justifié par une raison objective, à savoir la charge de travail importante des juges (décision du 14 avril 2016 du tribunal départemental de Bistriţa Năsăud).

41 . Par une décision du 8 décembre 2016, le tribunal de première instance de Baia Mare accueillit un recours fondé sur l’article 522 du CPC, et avança la date fixée pour une audience publique, sur demande du requérant. Par une décision définitive du 25 janvier 2019 prise sur le même fondement légal, le tribunal ordonna la communication de la demande introductive d’instance à la partie défenderesse. Pour se prononcer ainsi, il constata que la procédure avait accusé des retards, sept mois s’étant écoulés depuis l’introduction de l’action, alors pourtant que le requérant avait satisfait aux obligations procédurales lui incombant.

42 . Les articles 400 § 1 et 405 §§ 1 et 3 du CPP, entré en vigueur le 1 er février 2014 et applicable en l’espèce, disposaient que le résultat des délibérations devait être consigné dans un procès-verbal ( minuta ) reproduisant le dispositif du jugement. La date du jugement était celle du prononcé public de la partie pertinente du procès-verbal des délibérations par le président de la formation de jugement.

43 . Le texte de l’article 406 était ainsi libellé dans sa partie pertinente :

Article 406 § 1 – Rédaction et signature de la décision

« 1. La décision doit être rédigée dans un délai maximum de trente jours après son prononcé. (...)

2. La décision est rédigée par l’un des juges ayant participé au jugement de l’affaire, dans un délai de trente jours à compter du prononcé, et elle est signée par tous les membres de la formation de jugement et par le greffier.

(...) »

44 . Par une décision du 7 avril 2021, la Cour constitutionnelle déclara inconstitutionnels les articles 400 § 1, 405 § 3 et 406 §§ 1 et 2 du CPP.

45 . En conséquence, le 15 mai 2021, plusieurs modifications furent apportées au CPP, notamment à l’article 406. Cet article dispose désormais que les décisions de justice statuant sur les actions pénale et civile dans le cadre d’un procès pénal doivent être rédigées dans un délai de cent vingt jours après la clôture des débats . En outre, le texte de ces décisions de justice doit être disponible lors du prononcé.

46 . L’article 488 1 du CPP offre à toute partie à une procédure pénale qui estime excessive la durée d’une enquête ou d’une procédure judiciaire la possibilité de former un recours tendant à l’accélération de la procédure. Cette disposition s’applique uniquement aux procédures engagées après le 1er février 2014, date d’entrée en vigueur du nouveau code (article 105 de la loi nº 255/2013 portant application de la loi nº 135/2010 sur le CPP).

47. Le recours peut être formé dans un délai d’un an à compter de l’ouverture des poursuites ou, pour les affaires pendantes en première instance, dans un délai d’un an suivant le renvoi en jugement ou, pour les voies de recours ordinaires ou extraordinaires, dans un délai de six mois après l’introduction du recours. Le juge des droits et libertés doit examiner la durée de la procédure concernée et se prononcer dans un délai maximum de vingt jours. Il peut impartir au procureur un délai pour instruire l’affaire, ou enjoindre à un tribunal de statuer sur l’affaire. La décision avant-dire droit est motivée et n’est pas susceptible d’appel.

48 . Les passages pertinents de l’article 538 sont ainsi libellés :

Le droit à la réparation du préjudice en cas d’erreur judiciaire

« 1. La personne qui a fait l’objet d’une condamnation définitive (...) a le droit à la réparation par l’État du préjudice subi dans le cas où, après l’annulation ou la révocation ( desfiinţarea ) de la décision de condamnation en raison d’un fait nouveau ou récemment découvert prouvant qu’une erreur judiciaire s’est produite, une décision définitive d’acquittement est prononcée à l’issue d’un nouveau procès.

(...) »

49. Le Gouvernement a soumis une seule décision fondée sur l’article 488 1 du CPP, rendue en 2018 par un tribunal qui avait rejeté un recours au motif que l’affaire était devenue sans objet puisque le jugement litigieux, prononcé depuis plus de neuf mois, avait été rédigé entre-temps.

50 . L’article 16 de cette loi fut modifié par la loi n o 207/2018, laquelle y ajouta un paragraphe 3, entré en vigueur le 23 juillet 2018 :

Article 16 § 3

« Les décisions doivent être rédigées au plus tard trente jours après leur prononcé. Dans des cas dûment motivés, ce délai peut être prolongé deux fois au maximum, de trente jours à chaque fois. »

51 . Dans sa décision nº 33/2018, publiée au Journal Officiel le 15 février 2018, rendue dans le cadre d’un contrôle de constitutionnalité avant l’adoption du texte normatif en question, la Cour constitutionnelle statua sur les critiques relatives à l’absence de prévisibilité de la notion de « cas dûment motivés » mentionnés dans le projet d’article 16 § 3 précité. Selon elle, les normes procédurales relatives au délai de rédaction des décisions de justice n’avaient pas un caractère strictement contraignant, puisque le non-respect de ce délai n’avait aucune conséquence sur la validité de la décision prononcée. Elle considéra toutefois que, si un retard dans la rédaction d’une décision était dû à des motifs précis imputables à un juge, la responsabilité disciplinaire de ce dernier pouvait être engagée sur le fondement de l’article 99 h) de la loi nº 303/2004 sur le statut des juges et procureurs (paragraphe 56 ci-dessous). Elle précisa ce qui suit :

« 106. S’agissant du délai de rédaction des arrêts, la Cour observe que les dispositions procédurales de droit commun, civiles et pénales, prévoient déjà un délai [de rédaction] de trente jours à compter de la date du prononcé (...)

107. La nouvelle règlementation prévoit le même délai de rédaction, et, de plus, la possibilité de prolonger ce délai deux fois au maximum, de trente jours à chaque fois, dans des cas dûment motivés. Cette réglementation est la base de la rédaction d’un jugement de qualité, elle exclut toute possibilité que le délai de trente jours ne devienne un élément de pression sur le juge qui, sans elle, se verrait exposé à d’éventuelles conséquences d’ordre disciplinaire en cas de non-respect du délai [de trente jours], lesquelles auraient implicitement des répercussions sur la qualité de l’acte de justice. La possibilité de prolonger le délai de trente jours de soixante jours supplémentaires, dans des cas dûment justifiés, n’est pas de nature à affecter la résolution de l’affaire dans un délai raisonnable. En effet, le droit à un procès équitable implique la création d’un cadre juridique garantissant également que les décisions de justice puissent être rédigées dans des conditions adaptées aux affaires, au rôle du tribunal ou à la situation particulière de tel ou tel juge. L’existence de motifs dûment justifiés, concrets, susceptibles d’entraîner la prolongation du délai légal de rédaction d’une décision de justice constitue une cause exonératoire de responsabilité disciplinaire. La littérature précise que l’expression « motifs dûment justifiés » vise uniquement les circonstances de moindre gravité que la force majeure qui constituent des empêchements relatifs (et non absolus comme la force majeure) excluant la faute.

Peuvent constituer des cas dûment justifiés de dépassement de la durée de la procédure légale : la complexité particulière de l’affaire dans laquelle la décision a été prononcée, l’encombrement excessif du rôle du tribunal qui a prononcé la décision, la maladie et l’hospitalisation du juge etc. ; il est nécessaire que le juge prouve le bien ‑ fondé des motifs avancés pour étayer sa demande de prolongation du délai. »

52 . L’article 96 de la loi nº 303/2004 portant statut des juges et procureurs pose le principe de la responsabilité patrimoniale de l’État en cas d’erreur judiciaire.

53 . Dans sa rédaction en vigueur avant le 18 octobre 2018, l’article 96 renvoyait au code de procédure pénale pour la définition de l’erreur judiciaire dans les procès pénaux, et plus précisément à l’article 538 de celui-ci (paragraphe 48 ci ‑ dessus). Pour les autres procès, l’action en réparation contre l’État n’était recevable que si la responsabilité pénale ou disciplinaire d’un magistrat avait été établie au préalable par une décision définitive pour des faits de nature à conduire à une erreur judiciaire commis au cours d’un procès.

54 . Depuis sa modification par la loi n o 242/2018, intervenue le 18 octobre 2018, les passages pertinents de l’article 96 se lisent comme suit :

« 3) Il y a erreur judiciaire lorsque :

a) au cours de la procédure, l’accomplissement d’actes de procédure manifestement contraires à des dispositions de droit matériel ou procédural , gravement attentatoires aux droits, libertés et intérêts légitimes de la personne et à l’origine d’un préjudice ne pouvant être réparé par un recours ordinaire ou extraordinaire a été ordonné ;

b) un arrêt définitif a été prononcé en violation manifeste de la loi ou de la situation de fait telle qu’elle ressort des preuves administrées dans la procédure, gravement attentatoire aux droits, libertés et intérêts légitimes de la personne et à l’origine d’un préjudice ne pouvant être réparé par un recours ordinaire ou extraordinaire ;

(...)

5) Afin d’obtenir réparation, la personne lésée peut intenter une action contre l’État, pris en la personne du ministère des Finances Publiques. (...)

(...)

7) Dans un délai de deux mois à compter de la communication de la décision définitive prononcée à l’issue de l’action prévue [ci-dessus], le ministère des Finances publiques saisira l’Inspection judiciaire afin de rechercher si l’erreur judiciaire commise par un juge ou un procureur résulte de la mauvaise foi de celui-ci dans l’exercice de ses fonctions ou d’une négligence grave de sa part (...).

8) L’État, par l’intermédiaire du ministère des Finances publiques, pourra exercer une action récursoire contre le juge ou le procureur s’il estime, au vu du rapport consultatif de l’Inspection judiciaire mentionné au paragraphe 7 et de sa propre appréciation, que l’erreur judiciaire résulte de la mauvaise foi du juge ou du procureur dans l’exercice de sa fonction ou d’une négligence grave. Le délai dans lequel une telle action peut être introduite est de six mois à compter de la date de communication du rapport de l’Inspection judiciaire.

(...) »

55 . L’article 97 permet à toute personne de signaler au CSM des situations révélant une activité ou un comportement inappropriés de la part d’un magistrat, une violation par ce dernier de ses obligations professionnelles dans ses relations avec les justiciables, ainsi que la commission d’une faute disciplinaire.

56. L’article 99, qui régit la responsabilité disciplinaire des juges et des procureurs, prévoit, au point h), qu’est considérée comme une faute disciplinaire « la méconnaissance répétée, pour des raisons imputables [au magistrat concerné], des dispositions légales relatives au prompt examen des actions judiciaires, ou les retards répétés, pour des raisons imputables [au magistrat concerné], dans la réalisation de ses tâches ».

57 . Dans sa rédaction antérieure au 18 octobre 2018, l’article 99 r) qualifiait de faute disciplinaire « l’absence totale de motivation des décisions de justice ou des actes judiciaires du procureur, en méconnaissance de la loi ».

58. Depuis les modifications entrées en vigueur le 18 octobre 2018, l’article 99 r) qualifie de faute disciplinaire « le défaut de rédaction ou de signature, dans les délais prévus par la loi, des décisions de justice ou des actes judiciaires du procureur, pour des raisons imputables [au magistrat] ».

59 . Dans sa décision nº 45/2018, publiée au Journal Officiel le 5 mars 2018, la Cour constitutionnelle, saisie d’une exception d’inconstitutionnalité, considéra que :

« 217. ... [L’erreur judiciaire] soulève la question du fonctionnement défectueux de la justice. Pour la définir, il faut donc tenir compte (...) des deux éléments suivants : la résolution d’un litige d’une manière contraire à la situation factuelle / à la réalité juridique, et une irrégularité manifeste dans le déroulement de la procédure à laquelle il n’a pas été remédié au cours de celle-ci, ces deux éléments donnant à penser qu’il y a eu une atteinte aux libertés et aux droits fondamentaux .

Autrement dit, l’erreur judiciaire doit être appréhendée non seulement en termes de prononcé d’une mauvaise décision de justice, contraire à la réalité, mais aussi sous l’angle du déroulement de la procédure (défaut de célérité, ajournement injustifié, rédaction tardive de la décision).

Ce dernier élément est important pour le déroulement de la procédure, qui peut causer des préjudices irrémédiables : par conséquent, même si une partie fait valoir avec succès un droit soumis à la justice, elle peut néanmoins subir un préjudice d’une importance telle qu’il ne pourra pas être compensé par le fait qu’elle a obtenu gain de cause dans la procédure (par exemple, une durée excessive de la procédure). »

60 . Dans sa décision n o 397/2014, publiée au Journal Officiel le 16 juillet 2014, la Cour constitutionnelle déclara comme étant inconstitutionnel l’article 47 § 1 b) de la loi n o 317/2004 sur le Conseil supérieur de la magistrature, dans sa partie qui prescrivait que la décision de l’inspecteur judiciaire de classer une plainte était définitive, lorsque cette disposition s’appliquait aussi à la situation prévue à l’article 45 § 4 b) qui, lui, régissait le classement de la plainte de la personne intéressée après la vérification de son bien-fondé. La Cour constitutionnelle jugea que, afin d’assurer le respect du droit d’accès à un tribunal, la personne intéressée devait avoir la possibilité de contester une telle décision devant les tribunaux.

61 . Au cours de l’année 2017, l’Inspection judiciaire (IJ), un organe du CSM, mena une enquête approfondie sur le respect des délais de rédaction des décisions par l’ensemble des juridictions nationales. Le rapport établi à l’issue de cette enquête indiquait que la moitié des retards enregistrés concernait des juridictions de Bucarest. Selon l’analyse comparative effectuée, le nombre de retards avait augmenté par rapport aux années 2016 (47 426 retards) et 2015 (42 423 retards), et ceux-ci s’expliquaient dans la plupart des cas par la charge de travail très importante des juridictions concernées ainsi que par le niveau de complexité des affaires. Le rapport relevait en outre qu’en 2016, les activités de suivi de l’Inspection l’avaient conduite à ouvrir d’office des enquêtes concernant 47 juges. Il précisait qu’à l’issue des investigations, 42 enquêtes avaient été classées, quatre s’étaient soldées par le rejet d’une proposition d’ouverture d’une procédure disciplinaire et une seule par l’ouverture d’une procédure disciplinaire contre un juge. Il ajoutait que sept autres procédures disciplinaires avaient été ouvertes dans des contextes différents, sans en indiquer l’issue.

62 . Ce rapport fut approuvé par une décision du CSM en date du 11 octobre 2018. Celui-ci décida aussi de renforcer son contrôle et d’identifier les causes, y compris d’ordre managérial, de cette augmentation du nombre de décisions en attente de rédaction.

63. Le 1 er novembre 2018, le CSM approuva un autre rapport établi par l’IJ sur l’année 2017 et portant sur les affaires en souffrance depuis plus de dix ans. Il ressortait de ce rapport que la durée excessive de ces procédures résultait notamment des retards de rédaction des décisions. Le CSM réitéra les résolutions prises le 11 octobre 2018 (paragraphe 62 ci-dessus).

64 . En 2018, les activités de suivi des retards de rédaction des jugements menées par l’IJ l’ont conduite à ouvrir d’office des enquêtes concernant 66 juges. Ces enquêtes ont donné lieu à l’ouverture de 20 procédures disciplinaires, dont 12 ont été classées tandis que les huit autres se sont poursuivies. Cinq autres procédures disciplinaires ont été ouvertes dans des contextes différents. L’issue des procédures n’a pas été précisée.

65 . Au cours de la période 2012-2019, le CSM a rendu 42 décisions définitives sanctionnant des juges pour faute disciplinaire en raison de leurs retards à rédiger des jugements.

GRIEFS

66. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent de la durée de rédaction de décisions rendues respectivement les 14 avril 2014 (première requête), 23 mars 2015 (deuxième requête) et 18 novembre 2015 et 20 décembre 2017 (troisième requête) par les juridictions nationales dans des procédures les concernant.

67. Sur le terrain de l’article 13 de la Convention, la requérante ayant introduit la requête n o 26272/18 se plaint également de l’absence d’un recours effectif qui lui aurait permis de dénoncer le retard de rédaction du jugement rendu le 23 mars 2015 par le tribunal départemental de Bucarest.

68. Enfin, invoquant l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 1 du Protocole n o 1 à la Convention, la même requérante se plaint de l’exécution tardive du jugement rendu le 23 mars 2015 par le tribunal départemental de Bucarest.

EN DROIT

69. Compte tenu de la similitude des requêtes, la Cour estime approprié de les joindre en application de l’article 42 § 1 du son règlement.

70. Tous les requérants se plaignent de la durée de rédaction des différentes décisions rendues par les juridictions nationales dans les procédures les concernant. Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente en l’espèce est ainsi libellée :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

71. Le Gouvernement soulève plusieurs exceptions d’irrecevabilité quant aux griefs invoqués par les requérants, tirées : a) de l’inapplicabilité de l’article 6 à la phase de rédaction des décisions de justice , b) de l’absence de préjudice important, c) de l’abus de droit s’agissant de la requête n o 26272/18, la requérante ayant selon lui omis d’informer la Cour en temps utile que le jugement litigieux avait entre-temps été rédigé, d) du non-respect du délai de six mois s’agissant des requêtes n os 25801/17 et 26272/18, les requérants ayant selon lui saisi la Cour plusieurs années après l’expiration des délais de rédaction des décisions fixés par la loi, et e) du non-épuisement des voies de recours internes.

72. Le premier requérant a soumis des observations invitant la Cour à rejeter les exceptions soulevées par le Gouvernement. Les autres requérants n’ont formulé aucune observation à ce sujet.

73. Compte tenu de la portée des observations des parties, la Cour estime important d’examiner deux de ces exceptions, celle tirée de l’inapplicabilité de l’article 6 de la Convention et celle tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Compte tenu de ses conclusions ci-dessous, la Cour n’estime pas nécessaire d’examiner le reste des exceptions soulevées par le Gouvernement.

74 . Pour autant que le grief des requérants est tiré de la tardiveté de la rédaction des décisions en cause, le Gouvernement plaide l’inapplicabilité des dispositions de l’article 6 § 1 de la Convention qui exigent qu’une affaire soit examinée dans un délai raisonnable. Il s’appuie sur la jurisprudence de la Cour, dont il ressort selon lui que l’incertitude prend fin au moment du prononcé du jugement définitif, de sorte que le calcul de la durée ne doit pas se poursuivre après la date de la décision interne définitive (il renvoie notamment aux arrêts Wemhoff c. Allemagne , 27 juin 1968, série A n o 7, Neumeister c. Autriche , 27 juin 1968, §§ 18 ‑ 19, série A n o 8 et Poiss c. Autriche , 23 avril 1987, § 50, série A n o 117). Il avance que lorsque la Cour fixe la période à prendre en considération pour apprécier la durée d’une procédure, la date du prononcé de la décision constitue pour elle le terme de la procédure en question, y compris dans les affaires dirigées contre la Roumanie. Il soutient qu’après le prononcé d’une décision, les parties à la procédure règlent leur conduite en fonction du dispositif de cette décision, et non de ses motifs sous-jacents, aussi importants soient-ils pour le droit à un procès équitable. Il ajoute que lorsqu’un débiteur exécute une obligation reconnue par une décision, l’incertitude du créditeur prend fin au moment de l’exécution, de sorte que la date de la mise à exécution de cette décision constitue le point final de la procédure, même si l’exécution intervient avant la rédaction des motifs.

75. Pour sa part, le premier requérant (requête nº 25801/17) considère que la durée de rédaction d’une décision de justice doit être prise en compte dans le calcul de la durée d’une procédure, car l’intéressé ne peut considérer que la justice a été rendue avant que la motivation ne soit délivrée. Selon lui, c’est à partir de ce moment-là qu’une partie à une procédure judiciaire peut évaluer le besoin de la poursuivre ou, s’il s’agit d’une personne condamnée au pénal, bénéficier de l’effet éducatif de la condamnation et prendre conscience de la faute commise.

76. La Cour rappelle que l’article 6 § 1 de la Convention garantit le droit de toute personne « à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ». Dès lors, pour déterminer si cet article est applicable à la phase de la rédaction d’une décision de justice, la question qui se pose est celle de savoir à quel moment un tribunal décide « des contestations sur des droits et obligations de caractère civil » ou « de l’accusation en matière pénale ».

77. À cet égard, la Cour observe qu’Ã l’époque des faits en cause dans les trois requêtes, le prononcé en audience publique d’une décision de justice et la rédaction du texte intégral de cette décision intervenaient à des moments distincts. Lors du prononcé, le tribunal rendait public le résultat des délibérations tel que consigné dans le procès-verbal des délibérations. Le texte intégral de la décision était rédigé après le délibéré (paragraphes 32 et 42 ci-dessus) et ensuite notifié aux parties.

78. La Cour doit donc déterminer si, en l’espèce, le prononcé des décisions constituait le terme d’une phase procédurale concernant les requérants ou si celle-ci s’est achevée à la date à laquelle ces décisions ont été mises à la disposition des parties, après leur rédaction. Il faut avoir à l’esprit que l’exigence d’une durée raisonnable concerne l’ensemble des phases d’une procédure et donc tant les décisions intermédiaires que les décisions définitives.

79. La Cour a déjà eu l’occasion de signaler l’importance de la motivation des décisions, qui a notamment pour finalité de démontrer aux parties qu’elles ont été entendues et, ainsi, de contribuer à une meilleure acceptation des décisions en question (voir, mutatis mutandis , Taxquet c. Belgique [GC], n o 926/05, § 91, CEDH 2010 – concernant une procédure pénale – et Magnin c. France (déc.), n o 26219/08, § 27, 10 mai 2012 –concernant une procédure tombant sous le volet civil de l’article 6 de la Convention). En outre, le fait d’indiquer avec une clarté suffisante les motifs sur lesquels les décisions sont fondées permet aux parties d’exercer utilement les recours existants ( Hadjianastassiou c. Grèce , 16 décembre 1992, § 33, série A n o 252).

80. Qui plus est, tant la Commission que la Cour ont déjà eu à connaître d’affaires où était en cause un retard de rédaction des motifs d’une décision de justice. Les organes de la Convention se sont penchés sur cette question soit dans le cadre de l’examen plus large du respect du délai raisonnable, soit en analysant l’essentiel du grief du requérant tiré du retard de rédaction d’une décision en laissant ouverte la question de savoir si la durée globale de la procédure était ou non excessive (voir, par exemple : Kaiser c. Autriche , n o 4459/70, décision de la Commission du 2 avril 1971, Décisions et rapports (DR) 38, p. 44 ; X. c. Autriche , n o 4080/69, décision de la Commission du 12 juillet 1971, non publié ; B. c. Autriche , 28 mars 1990, §§ 48-55, série A n o 175; Shykyta c. Ukraine (déc.), n o 67092/01, 11 octobre 2005, et Werz c. Suisse , n o 22015/05, § 42, 17 décembre 2009).

81. Dans un contexte différent, la Cour a aussi souligné l’importance du moment où une décision est enfin motivée, en jugeant que la période des six mois mentionnée à article 35 § 1 de la Convention commence à courir à partir de la date où le requérant et/ou son représentant a une connaissance suffisante de la décision interne définitive, et que cette date est, en principe, celle de la signification de la décision, si ce moyen est prévu par le droit interne ( Worm c. Autriche , arrêt du 29 août 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-V, § 33, et Baghli c. France , n o 34374/97, § 31, CEDH 1999 ‑ VIII), et si ce n’est pas le cas, la date de la mise au net de la décision, date à partir de laquelle les parties peuvent réellement prendre connaissance de son contenu ( Papachelas c. Grèce [GC], n o 31423/96, § 30, CEDH 1999 ‑ II).

82. Il est donc tout à fait conséquent, au regard de l’exigence de la durée raisonnable de la procédure au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, que la procédure ne soit pas considérée comme achevée avant le dépôt de la décision définitive motivée au greffe du tribunal l’ayant rendu ( mutatis mutandis , Pretto et autres c. Italie , 8 décembre 1983, § 30, série A n o 71), voire avant la notification à l’intéressé de cette décision, surtout lorsque de longs délais séparent le prononcé des jugements de la notification du texte aux parties ( X. c. Autriche , précité). La Cour note enfin que la jurisprudence sur laquelle le Gouvernement se fonde pour étayer son exception (paragraphe 74 ci ‑ dessus) n’est pas pertinente en l’espèce car la Cour n’avait pas été amenée à examiner la question de l’applicabilité de l’article 6 à la phase de la rédaction des décisions dans les affaires concernées.

83 . Eu égard à ce qui précède, il convient de conclure que l’article 6 § 1 de la Convention est applicable aux présents griefs sous son volet relatif à l’examen d’une cause dans un délai raisonnable. Dès lors, l’exception d’incompatibilité ratione materiae soulevée par le Gouvernement doit être rejetée.

84. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, au sens de l’article 35 § 1 de la Convention, et soutient que les requérants avaient à leur disposition plusieurs recours effectifs.

85 . En premier lieu, le Gouvernement reproche à certains requérants de ne pas avoir poursuivi jusqu’au bout les actions disciplinaires engagées contre les juges à qui les retards litigieux étaient imputés. En deuxième lieu, il avance que les requérants auraient dû exercer une action fondée sur l’article 96 de la loi nº 303/2004 portant statut des juges et procureurs afin de demander une réparation pour erreur judiciaire (paragraphes 52-54 ci ‑ dessus). En troisième lieu, il estime que les requérants auraient dû exercer des recours spécifiques tendant à l’accélération des procédures litigieuses, sur le fondement de l’article 522 du CPC, en matière civile, ou de l’article 488 1 du CPP, en matière pénale. En quatrième lieu, se référant à l’arrêt Brudan c. Roumanie (n o 75717/14, 10 avril 2018), il considère que les requérants auraient dû exercer une action en responsabilité civile délictuelle afin de demander une réparation pour la durée selon eux excessive des procédures en question.

86. Le premier requérant rétorque qu’il ne disposait en droit interne d’aucune voie de recours pour obtenir la rédaction de l’arrêt de la HCCJ ou pour mettre en cause la responsabilité des juges ou du Gouvernement en vue de l’octroi d’une réparation pécuniaire.

a) Les principes applicables

87. La Cour rappelle que les principes généraux relatifs à la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention ont été définis dans de nombreux arrêts (voir, notamment, Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], n os 17153/11 et 29 autres, §§ 69-77, 25 mars 2014).

88. La Cour rappelle également que l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable ( Kudła c. Pologne [GC] (n o 30210/96, § 156, CEDH 2000‑XI). Lorsque le droit à un procès dans un délai raisonnable est en cause, un recours est « effectif » dès lors qu’il permet soit de faire intervenir plus tôt la décision des juridictions saisies, soit de fournir au justiciable une réparation adéquate pour les retards déjà accusés ( Sürmeli c. Allemagne [GC], n o 75529/01, § 99, CEDH 2006‑VII, et Vassilios Athanasiou et autres c. Grèce , n o 50973/08, § 54, 21 décembre 2010). Si le premier type de recours est préférable car il est de nature préventive, un recours indemnitaire peut passer pour effectif lorsque la procédure a déjà connu une durée excessive et qu’il n’existe pas de recours préventif ( Valada Matos das Neves c. Portugal , n o 73798/13, § 72, 29 octobre 2015).

b) Application de ces principes au cas d’espèce

89. Il reste à la Cour à déterminer si les moyens dont les requérants disposaient en droit roumain pour se plaindre de la durée des procédures suivies étaient « effectifs », en ce sens qu’ils auraient pu empêcher la survenance ou la continuation de la violation alléguée ou auraient pu leur fournir une réparation appropriée pour toute violation s’étant déjà produite.

90. En premier lieu, le Gouvernement note que le requérant ayant introduit la requête nº 25801/17 et la requérante ayant introduit la requête nº 26272/18 ont omis de contester devant les tribunaux les décisions de l’Inspection judiciaire par lesquelles leurs plaintes disciplinaires ont été classées (paragraphes 11 et 22 ci-dessus). Il souligne que, par une décision publiée au Journal officiel le 16 juillet 2014, la Cour constitutionnelle a déclaré contraires à la Constitution les dispositions selon lesquelles une telle décision était définitive, ouvrant ainsi la voie à un recours judiciaire pour tout justiciable (paragraphe 60 ci-dessus).

91. Le premier requérant note que la législation n’a pas été promptement modifiée après la décision de la Cour constitutionnelle publiée le 16 juillet 2014 et qu’en tout état de cause, l’issue favorable qu’un tel recours aurait pu recevoir serait demeurée sans effet sur la rédaction de l’arrêt de la HCCJ.

92. La Cour rappelle d’emblée qu’elle a déjà considéré qu’une procédure disciplinaire dirigée contre un juge ne peut avoir d’effet que sur la situation personnelle de celui-ci et qu’elle ne saurait dès lors passer pour un recours effectif contre la durée excessive des procédures ( Paroisse gréco-catholique Sfântul Vasile Polonă c. Roumanie , n o 65965/01, §§ 100-102, 7 avril 2009). Cette conclusion est d’ailleurs confirmée par les procédures disciplinaires exercées dans les trois requêtes (paragraphes 11, 21 et suiv., et 29 et 30 ci ‑ dessus). En tout état de cause, il apparaît que très peu d’enquêtes engagées par l’Inspection judiciaire ont conduit à des procédures disciplinaires pour des agissements imputables aux magistrats concernés, et que celles qui ont abouti à une sanction sont encore plus rares (paragraphes 61 et 64 et 65 ci ‑ dessus). Dès lors, les actions disciplinaires engagées contre les juges ne sauraient être considérées, au regard de l’article 13 de la Convention, comme un recours effectif permettant de se plaindre de la durée excessive d’une procédure, du point de vue notamment de la durée de rédaction de la décision y afférente.

93. En deuxième lieu, le Gouvernement considère que les requérants auraient dû exercer une action fondée sur l’article 96 de la loi nº 303/2004 portant statut des juges et procureurs afin de demander une réparation pour erreur judiciaire. Il avance que les requérants avaient tous obtenu des décisions favorables sur le fond, et qu’une réparation pécuniaire aurait donc suffi en l’espèce (pour une situation contraire, voir Abramiuc c. Roumanie , n o 37411/02, §§ 123-124, 24 février 2009). Il souligne également que la Cour constitutionnelle a jugé en 2018 que la rédaction tardive d’une décision pouvait constituer un cas d’erreur judiciaire (paragraphe 59 ci-dessus). Il soutient que la faute disciplinaire du juge mis en cause dans la requête nº 26272/18 avait déjà été constatée par les autorités nationales dans une procédure séparée, que le jugement du 23 mars 2015 avait bien été pris en compte dans cette procédure disciplinaire, et que ces circonstances ouvraient à la requérante la voie d’une action en responsabilité de l’État pour erreur judiciaire.

94. Le premier requérant rétorque qu’un retard de rédaction d’une décision de justice ne peut s’analyser en une erreur judiciaire.

95. La Cour note que, dans sa décision n o 45 rendue le 5 mars 2018, la Cour constitutionnelle a interprété la notion d’erreur judiciaire comme englobant l’ajournement injustifié d’une procédure ou la rédaction tardive d’une décision (paragraphe 59 ci-dessus), ce qui correspond en l’espèce au grief des requérants. Depuis sa modification par la loi n o 242/2018, l’article 96 de la loi nº 303/2004 portant statut des juges et procureurs définit l’erreur judiciaire comme l’accomplissement d’actes de procédure « manifestement contraires à des dispositions de droit matériel ou procédural » (paragraphe 54 ci-dessus).

96. Toutefois, la Cour constate que le Gouvernement n’a produit aucune décision interne faisant application de cette disposition et concluant à l’existence d’une erreur judiciaire à raison de la durée excessive d’une procédure.

97. Partant, la Cour estime qu’en l’état actuel du droit interne, une action en réparation pour erreur judiciaire ne saurait passer pour offrir, en pratique, un redressement approprié à un grief de durée excessive de procédure, notamment en ce qui concerne la durée de rédaction des motifs d’une décision.

98. En troisième lieu, le Gouvernement estime que les requérants auraient dû former des recours spécifiques, sur le fondement de l’article 522 du CPC, en matière civile, et de l’article 488 1 du CPP, en matière pénale.

99. S’agissant plus particulièrement de la requête n o 26272/18, le Gouvernement avance que bien qu’elle fût représentée par un avocat, la requérante n’a pas saisi les tribunaux d’une action fondée sur l’article 522 du CPC pour dénoncer le retard de rédaction du jugement la concernant, action qui aurait été selon lui efficace en pratique. Selon lui, elle s’est au contraire bornée à déposer de simples demandes auprès du greffe du tribunal pour solliciter la rédaction rapide du jugement. De plus, la première de ces demandes n’aurait été déposée qu’un an après le prononcé, le 3 mars 2016 (paragraphe 16 ci-dessus), ce qui dénoterait un manque de diligence de la part de l’intéressée.

100. Le premier requérant allègue que les dispositions de l’article 522 du CPC et de l’article 488 1 du CPP ne lui sont pas applicables. Qui plus est, le Gouvernement n’aurait transmis aucun exemple de décision ordonnant à un juge de rédiger dans un délai précis les motifs d’une décision prononcée en matière pénale.

101. Si la Cour a déjà pris note de l’introduction, dans le droit interne roumain, de recours spécifiques tendant à l’accélération des procédures judiciaires, elle n’a pas eu l’occasion jusqu’à présent d’examiner leur caractère effectif en pratique ( Vlad et autres c. Roumanie, n os 40756/06, 41508/07 et 50806/07, § 122, 26 novembre 2013 et Brudan , précité, § 71).

102. En l’occurrence, la Cour note que la première requête concerne une procédure pénale engagée contre le requérant en 2008. Or les dispositions de l’article 488 1 du CPP introduisant un recours tendant à l’accélération de la procédure ne sont applicables, selon les termes dénués de toute ambiguïté de l’article 105 de la loi n⁰ 255/2013, qu’aux procédures introduites après le 1er février 2014 (paragraphe 46 ci-dessus). Partant, ces dispositions ne sont pas applicables à la situation du premier requérant.

103. Les deuxième et troisième requêtes concernent des procédures qui ont été initiées en 2014 et sont régies par les dispositions en matière de procédure civile. Compte tenu de la date de leur introduction, les dispositions du CPC concernant l’accélération des procédures, entrées en vigueur le 15 février 2013 (paragraphe 35 ci-dessus), leur sont applicables en principe. Dès lors, il appartient à la Cour d’examiner, sur la base des éléments des dossiers, si ces dispositions constituent un recours effectif que les requérants auraient dû épuiser avant de saisir la Cour.

104. À cet égard, la Cour observe qu’à la différence des simples demandes administratives déposées auprès des greffes des tribunaux, qui sont assimilables à des recours gracieux, le droit interne prévoit des recours spécifiques tendant à l’accélération des procédures. Ces recours peuvent être exercés notamment lorsqu’un délai fixé pour l’achèvement d’une procédure, le prononcé ou la motivation d’une décision a expiré sans que l’acte ait été réalisé. Ils sont tranchés en chambre du conseil dans un délai de cinq jours. Lorsque le bien-fondé d’un tel recours est reconnu, la décision avant-dire droit qui le constate prévoit les mesures à prendre pour mettre un terme à la situation de durée excessive constatée. En cas de rejet du recours, la décision avant-dire droit prononçant ce rejet est susceptible d’appel devant la juridiction hiérarchiquement supérieure, qui doit trancher rapidement (paragraphes 35-36 ci-dessus).

105. En outre, le Gouvernement a soumis plusieurs exemples de décisions par lesquelles les juridictions nationales ont fait application de cet article à des phases spécifiques de la procédure, notamment à la rédaction des décisions après leur prononcé, stade de la procédure qui fait grief aux requérants en l’espèce (paragraphes 37-41 ci-dessus). Il apparaît que les tribunaux ont effectivement examiné avec célérité ces recours et fixé des délais raisonnables pour l’adoption de mesures procédurales adéquates et précises. Bien que ces exemples concernent des phases particulières de différentes procédures (la communication de la demande introductive, le rapprochement de la date d’une audience publique ou la rédaction d’une décision après son prononcé), rien ne donne à penser que lors de l’examen de tels recours dans des contextes différents, les tribunaux ne prendront pas en compte la durée de l’ensemble des étapes d’une procédure.

106. La Cour note également que lors de l’examen de ces recours, les tribunaux ont mentionné plusieurs critères, dont la charge de travail du juge ou du tribunal concerné, les absences motivées d’un juge ou la complexité de l’affaire en cause (paragraphes 38-41 ci-dessus). Elle considère qu’il n’est pas déraisonnable de prendre en compte des éléments afférents à la spécificité de chaque procédure lors de l’examen d’un recours en accélération, en vue de doter le recours en cause d’une certaine flexibilité dans son application. Cependant, dès lors que les conditions fixées par les articles 522 et suivants du CPC se trouvent réunies, la prise en considération de ces éléments par l’organe judiciaire compétent ne saurait avoir pour effet de rendre discrétionnaire l’accueil de ce recours.

107. Dans ces conditions, la Cour considère que ce recours préventif peut avoir un effet significatif sur la durée de la procédure considérée dans son ensemble, en débouchant sur son accélération ( Holzinger c. Autriche (n o 1) , n⁰ 23459/94, § 22, CEDH 2001-I).

108 . À la lumière de ce qui précède et ayant à l’esprit que les dispositions de l’article 35 § 1 de la Convention doivent s’appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif, la Cour estime que le recours préventif prévu par le CPC, qui tend à l’accélération de la procédure, y compris de la rédaction d’une décision, peut être considéré, à ce jour, comme un recours effectif au sens des articles 13 et 35 § 1 de la Convention.

109. En quatrième lieu, invoquant l’arrêt Brudan précité, le Gouvernement considère que les requérants auraient dû exercer une action en responsabilité civile délictuelle tendant à l’octroi d’une réparation pour la durée des procédures litigieuses, qu’ils jugent excessive. Il précise qu’il s’agit d’une action en indemnisation contre l’État ouverte par l’article 1349 du nouveau code civil (articles 998-999 de l’ancien code civil).

110 . La Cour rappelle qu’elle a déjà constaté que depuis le 22 mars 2015, l’ordre juridique roumain offre aux justiciables ce recours effectif, au sens de l’article 13 de la Convention, qui leur permet de se plaindre de la durée à leurs yeux excessive d’une procédure civile ou pénale aux fins de l’article 6 § 1 de la Convention ( Brudan , précité, §§ 86 et 88). En effet, elle a conclu que l’action en responsabilité civile délictuelle mentionnée par le Gouvernement, telle qu’interprétée constamment par les juridictions internes, représentait une voie de recours effective pour dénoncer la durée excessive de procédures terminées ou toujours pendantes au niveau national.

111 . En l’absence d’arguments en sens contraire avancés par les requérants, la Cour ne voit aucune raison de conclure en l’espèce que ce recours est inefficace pour leurs griefs tirés de la durée de rédaction des motifs des décisions litigieuses (voir, mutatis mutandis , Ersümer c. Turquie (déc.), n o 7327/08, §§ 15-16, 10 avril 2018). Bien que le Gouvernement n’ait pas soumis d’exemple de jurisprudence concernant spécifiquement la durée de la rédaction des motifs, les requérants auraient dû exercer cette voie de recours car le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison propre à justifier la non-utilisation du recours en question ( Vučković et autres , précité, § 74).

112. La Cour rappelle que c’est en principe à la date d’introduction de la requête que s’apprécie l’effectivité d’un recours donné ( Xynos c. Grèce , n o 30226/09, § 56, 9 octobre 2014). Or en l’espèce, le recours préventif en matière civile (paragraphe 108 ci-dessus) et le recours indemnitaire (paragraphe 110 ci-dessus) étaient effectifs à la date d’introduction des présentes requêtes.

113 . Partant, la Cour conclut que les requérants étaient tenus, en vertu de l’article 35 § 1 de la Convention, d’utiliser les recours les concernant pour obtenir soit l’accélération du processus de rédaction des décisions de justice (requêtes n os 26272/18 et 4052/19), soit une réparation pécuniaire (toutes les requêtes). Elle ne décèle en l’espèce aucune circonstance exceptionnelle de nature à dispenser les requérants de l’obligation d’épuiser l’une de ces voies de recours internes.

114. Eu égard à ce qui précède, le grief des requérants tirée de l’article 6 § 1 de la Convention et concernant la durée de rédaction des décisions doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

115. Dans la requête n o 26272/18, la requérante se plaint également de l’absence d’un recours effectif qui lui aurait permis de dénoncer le retard de rédaction d’un jugement. Elle invoque l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

116. Eu égard aux considérations précédentes (paragraphes 108 et 111 ci ‑ dessus) la Cour conclut que le présent grief est manifestement mal fondé et qu’il doit en conséquence être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

117 . Dans la requête nº 26272/18, la requérante avance que le retard de rédaction du jugement du 23 mars 2015 rendu par le tribunal départemental de Bucarest a conduit en outre à l’exécution tardive de ce jugement, intervenue en juillet 2017 seulement, et uniquement grâce à la bonne volonté de l’autorité publique défenderesse. Elle invoque l’article 6 de la Convention et l’article 1 du Protocole nº 1 à la Convention, dont les passages pertinents sont ainsi libellés :

Article 6

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

L’article 1 du Protocole n o 1

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. (...) »

118. Le Gouvernement soutient pour sa part que le jugement du 23 mars 2015 a été mis à exécution le 27 janvier 2017, soit moins de trois mois après que la requérante eut saisi le ministère de l’Économie à cet effet, le 3 novembre 2016 (paragraphe 19-20 ci-dessus). Dans ces conditions, il estime que la requérante ne peut se prétendre victime des conditions de l’exécution du jugement du 23 mars 2015, et il souligne la bonne foi du ministère, qui a mis à exécution le jugement susmentionné, dont la motivation n’était pas encore rédigée.

119. La requérante n’a pas formulé d’observations à ce sujet.

120. La Cour rappelle que l’exécution d’un jugement ou arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l’article 6. Elle renvoie par ailleurs à sa jurisprudence concernant l’inexécution ou l’exécution tardive de décisions de justice internes définitives ( Hornsby c. Grèce , 19 mars 1997, § 40, Recueil des arrêts et décisions 1997 ‑ II). Relevant en outre que le jugement litigieux a ordonné l’adoption de certaines mesures ayant des conséquences pécuniaires, la Cour en conclut qu’il vise des « biens » au sens de l’article 1 du Protocole n o 1 à la Convention.

121. La Cour examinera d’office le respect par la requérante du délai de six mois prévu à l’article 35 § 1 de la Convention. Elle constate que les violations alléguées par la requérante s’analysent en une situation continue qui ne prend fin qu’à la date à laquelle la décision judiciaire définitive est exécutée ou à laquelle l’impossibilité objective d’exécution est dûment constatée. Par conséquent, le délai de six mois ne commence à courir qu’à partir du moment où cette situation continue prend fin ( Tripcovici c. Roumanie (déc.), n o 21489/03, § 18, 22 septembre 2009).

122. En l’espèce, la Cour note que le ministre de l’Économie a ordonné la réintégration de la requérante dans son poste de chef du service d’audit public interne le 27 janvier 2017. Cependant, celle-ci n’a pas repris son activité antérieure, car son contrat de travail, interrompu depuis le 25 juin 2014, est demeuré suspendu à sa demande pour motifs personnels (paragraphe 19 ci-dessus). Par conséquent, l’inexécution du jugement du 23 mars 2015 ne peut être imputée à l’employeur de la requérante. En tout état de cause, aucune juridiction interne n’a constaté que cette réintégration n’avait pas été effective. Dès lors, la Cour estime que la réintégration de la requérante ordonnée en janvier 2017 satisfaisait aux exigences du jugement en question. En outre, la Cour observe que, le 7 juillet 2017, l’employeur de la requérante a versé sur le compte bancaire de celle-ci les sommes que ce jugement l’avait condamné à payer. Ce compte ayant été clôturé, les sommes en question ont été versées sur un autre compte en janvier 2018 (paragraphe 20 ci-dessus). De surcroît, force est de constater que la requérante considère que l’exécution du jugement du 23 mars 2015 a eu lieu en juillet 2017 (paragraphe 117 ci-dessus).

123. Eu égard à la portée du grief de la requérante et au fait que celle-ci a saisi la Cour le 30 mai 2018, soit plus de six mois après la date à laquelle elle considère que le jugement a été exécuté, force est à la Cour de constater que ledit grief est tardif et qu’il doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Décide de joindre les requêtes ;

Déclare les requêtes irrecevables.

Fait en français puis communiqué par écrit le 2 juin 2022.

Ilse Freiwirth Yonko Grozev Greffière adjointe Président

ANNEXE

N o

Requête N o

Date d’introduction

Requérant Année de naissance Lieu de résidence

Représentant

1.

25801/17

23/03/2017

Gheorghe-Marius MIERLÄ‚ 1969 Uiasca

A.-V. GHILENSCHI

Bucarest

2.

26272/18

30/05/2018

Claudia COȘERU 1969 Bucarest

B. PALADE

Bucarest

3.

4052/19

08/01/2019

Sándor János CIBI-MIKLOS 1983 Târgu Mureş Elena CIBI-MIKLÓS 1983 Târgu Mureş

I. S. FILIP

Târgu Mureş

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