Arrêt Du Tribunal (Septième Chambre) Du 3 Septembre 2025.
DJO LLC contre Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle.
• 62023TJ1102 • ECLI:EU:T:2025:820
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DOCUMENT DE TRAVAIL
ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)
3 septembre 2025 ( * )
« Dessin ou modèle de l’Union européenne – Procédure de nullité – Dessin ou modèle de l’Union européenne enregistré représentant une orthèse pour hallux valgus – Motif de nullité – Non-respect des conditions de protection – Article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 6/2002 – Caractéristiques de l’apparence d’un produit exclusivement imposées par la fonction technique de celui-ci – Article 8, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 »
Dans l’affaire T‑1102/23,
DJO LLC, établie à Carlsbad, Californie (États-Unis), représentée par M es N. Schmitz et A.-K. Hofmann, avocats,
partie requérante,
contre
Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M me E. Nicolás Gómez, en qualité d’agent,
partie défenderesse,
les autres parties à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant
Hallufix AG, établie à Grünwald (Allemagne),
Vitus Maria Huber, demeurant à Munich (Allemagne),
représentés par M es A. Wenninger-Lenz et S. Horlacher, avocats,
LE TRIBUNAL (septième chambre),
composé de M me K. Kowalik‑Bańczyk, présidente, M. G. Hesse (rapporteur) et M me B. Ricziová, juges,
greffier : M me R. Ūkelytė, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure,
vu les décisions de suspension de la procédure des 8 mai et 1 er octobre 2024,
à la suite de l’audience du 29 avril 2025,
rend le présent
Arrêt
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, DJO LLC, demande l’annulation et la réformation de la décision de la troisième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 25 septembre 2023 (affaire R 1499/2022-3) (ci-après la « décision attaquée »).
Antécédents du litige
2 Le 10 mars 2018, la requérante a présenté à l’EUIPO une demande de nullité du dessin ou modèle de l’Union européenne enregistré sous le numéro 322557-0001 à la suite d’une demande déposée par les intervenants, Hallufix AG et M. Vitus Maria Huber, le 8 avril 2005, et qui est représenté dans les vues suivantes :
3 Le produit auquel le dessin ou modèle, dont la nullité était demandée, est destiné à être appliqué relève de la classe 24.04 au sens de l’arrangement de Locarno du 8 octobre 1968 instituant une classification internationale pour les dessins et modèles industriels, tel que modifié, et correspond à la description suivante : « Gouttières [bandages chirurgicaux] ».
4 Les motifs invoqués à l’appui de la demande en nullité étaient, notamment, ceux visés à l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) n o 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles de l’Union européenne (JO 2002, L 3, p. 1), dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du règlement (UE) 2024/2822 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2024 (JO L, 2024/2822), lu conjointement avec l’article 8, paragraphe 1, du même règlement.
5 La demande en nullité était notamment fondée sur le non-respect des conditions de protection de l’apparence d’un dessin ou modèle de l’Union européenne. À cet égard, la requérante a fait valoir que les caractéristiques de l’apparence du produit concerné étaient exclusivement imposées par sa fonction technique.
6 Le 15 juin 2022, la division d’annulation a rejeté la demande en nullité.
7 Le 10 août 2022, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO contre la décision de la division d’annulation.
8 Par la décision attaquée, la chambre de recours a rejeté le recours. En particulier, après avoir examiné les éléments de preuves fournis par la requérante, y compris le fascicule d’un brevet européen portant la référence EP1688106B1 pour une orthèse pour hallux valgus dont les intervenants étaient titulaires (ci-après le « brevet »), la chambre de recours a considéré que ces éléments n’étaient pas de nature à démontrer que les caractéristiques de l’apparence du produit en cause avaient été uniquement dictées par des considérations techniques. Ainsi, elle a conclu qu’il n’y avait pas lieu de déclarer nul le dessin ou modèle contesté, conformément à l’article 25, paragraphe 1, du règlement n o 6/2002, dans sa version antérieure, lu conjointement avec l’article 8, paragraphe 1, dudit règlement.
Conclusions des parties
9 La requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :
– réformer la décision attaquée en accueillant la demande de nullité du dessin ou modèle contesté ;
– à titre subsidiaire, annuler la décision attaquée ;
– condamner l’EUIPO aux dépens de la procédure.
10 L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens si une audience est organisée.
11 Les intervenants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
12 À l’appui du recours, la requérante invoque un moyen unique, tiré de la violation de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement n o 6/2002, dans sa version antérieure, lu conjointement avec l’article 8, paragraphe 1, du même règlement.
13 Premièrement, la requérante soutient que la chambre de recours n’a pas identifié de manière suffisamment précise les caractéristiques de l’apparence du produit en cause. Deuxièmement, la requérante estime que la chambre de recours a considéré, sans motivation suffisante et en ne tenant pas suffisamment compte de ses arguments, qu’elle n’avait pas démontré que toutes les caractéristiques de l’apparence dudit produit étaient exclusivement imposées par des raisons techniques. À cet égard, la requérante fait valoir que la chambre de recours n’a pas correctement apprécié toutes les circonstances objectives de l’espèce et a notamment omis de prendre en considération certains éléments mis en avant par elle, comme la publicité du produit en cause sur le site Internet de Hallufix et l’absence de pertinence des prix décernés pour la conception du produit en cause. En outre, la chambre de recours aurait méconnu tant le cadre d’examen qu’elle avait elle-même défini que le fait que la couleur et le matériau du produit en cause ne pouvaient pas bénéficier d’une protection au titre du droit des dessins ou modèles de l’Union européenne. Par ailleurs, la requérante reproche à la chambre de recours de lui avoir imposé une charge de la preuve excessive.
14 L’EUIPO et les intervenants contestent cette argumentation.
15 En vertu de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement n o 6/2002, dans sa version antérieure, un dessin ou modèle de l’Union européenne peut être déclaré nul s’il ne remplit pas les conditions fixées aux articles 4 à 9 dudit règlement.
16 L’article 8, paragraphe 1, du règlement n o 6/2002 prévoit qu’un dessin ou modèle de l’Union européenne ne confère pas de droits sur les caractéristiques de l’apparence d’un produit exclusivement imposées par la fonction technique de celui-ci.
17 L’appréciation d’un dessin ou modèle au regard de cette disposition comporte les étapes suivantes : en premier lieu, il convient de déterminer la fonction technique du produit concerné, en deuxième lieu, d’analyser les caractéristiques de l’apparence dudit produit au sens de l’article 8, paragraphe 1, du règlement n o 6/2002 et, en troisième lieu, d’examiner, au regard de toutes les circonstances objectives pertinentes, si ces caractéristiques sont exclusivement imposées par la fonction technique du produit concerné, en d’autres termes, si la nécessité de remplir cette fonction technique est le seul facteur ayant déterminé le choix par le créateur de ces caractéristiques, des considérations d’une autre nature, en particulier celles liées à l’aspect visuel dudit produit, n’ayant joué aucun rôle lors du choix de ces caractéristiques (voir, en ce sens, arrêt du 8 mars 2018, DOCERAM, C‑395/16, EU:C:2018:172, points 26 et 31).
18 Afin de déterminer si les caractéristiques de l’apparence d’un produit relèvent de l’article 8, paragraphe 1, du règlement n o 6/2002, il y a lieu de tenir compte, notamment, du dessin ou modèle contesté, des circonstances objectives révélatrices des motifs qui ont présidé au choix des caractéristiques de l’apparence du produit concerné, des données relatives à son utilisation ou encore de l’existence de dessins ou modèles alternatifs permettant de réaliser la même fonction technique, pour autant que ces circonstances, ces données ou cette existence sont étayées par des éléments de preuve fiables (arrêt du 8 mars 2018, DOCERAM, C‑395/16, EU:C:2018:172, points 36 et 37).
19 S’il est conclu qu’au moins l’une des caractéristiques de l’apparence du produit concerné n’est pas exclusivement imposée par la fonction technique dudit produit, le dessin ou modèle concerné ne peut être annulé en application de l’article 8, paragraphe 1, du règlement n o 6/2002 [arrêts du 24 mars 2021, Lego/EUIPO – Delta Sport Handelskontor (Élément de construction d’une boîte de jeu de construction), T‑515/19, non publié, EU:T:2021:155, point 96, et du 19 octobre 2022, Praesidiad/EUIPO – Zaun (Poteau), T‑231/21, non publié, EU:T:2022:649, point 43].
20 En l’espèce, la chambre de recours a relevé, premièrement, que le produit en cause était une orthèse mobile destinée à corriger les déformations du gros orteil (hallux valgus), ce sur quoi s’accordaient les parties. Elle a précisé que, au-delà de la correction de la déformation, la fonction technique de l’orthèse était de répartir, en utilisant l’effet de levier, la force qui pénétrait dans le pied en passant par le tibia lorsque la personne marchait et d’éviter un écartement excessif du métatarse.
21 La requérante ne conteste pas ce constat de la chambre de recours.
22 Deuxièmement, la chambre de recours a identifié les caractéristiques de l’apparence du produit en cause suivantes :
– une orthèse composée de deux branches de taille et de longueur différentes, avec des bords arrondis, et reliées par une articulation ronde, la plus petite branche ayant deux fentes allongées et la plus grande branche ayant quatre fentes allongées ;
– un bandage large en matériau souple, de forme légèrement courbée, passant par les fentes de la branche la plus grande et autour du métatarse, dont les deux extrémités étaient conçues pour se fermer par un velcro ;
– un bandage en matériau souple, de forme légèrement courbée, passant par les fentes de la branche la plus petite et autour du gros orteil, dont les deux extrémités étaient conçues pour se fermer par un velcro ;
– un coussin destiné à accueillir l’orthèse, adapté à la forme de celle-ci ;
– un petit coussin en forme de goutte (pelote) destiné à être introduit sous le métatarse.
23 À cet égard, la requérante fait valoir que, étant donné que le dessin ou modèle contesté est représenté par des photographies, les caractéristiques auraient dû être définies de manière plus précise que ne l’a fait la chambre de recours. Toutefois, comme la requérante le rappelle dans la requête, l’identification des caractéristiques de l’apparence d’un produit doit être effectuée au cas par cas et dépend du produit concerné [arrêt du 29 mars 2023, Tinnus Enterprises/EUIPO – Mystic Products (Installations pour la distribution de fluides), T‑545/21, non publié, EU:T:2023:176, point 26]. Dans le cas d’espèce, le seul fait que le dessin ou modèle contesté est représenté par plusieurs photographies en noir et blanc du produit en cause n’imposait pas à la chambre de recours de décrire plus précisément les caractéristiques de l’apparence de ce produit. Par ailleurs, il ne ressort pas de l’argumentation de la requérante qu’une définition plus précise de ces caractéristiques aurait pu avoir une incidence sur la conclusion de la chambre de recours selon laquelle il n’était pas établi que toutes les caractéristiques du produit en cause avaient été imposées par des raisons techniques. Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de remettre en cause l’identification des caractéristiques effectuée par la chambre de recours.
24 Troisièmement, la chambre de recours a considéré que la requérante n’avait pas démontré que l’apparence concrète de l’orthèse (branches et articulation annulaire) et des bandages avait été imposée par des considérations techniques. À cet égard, la chambre de recours a constaté que les éléments de preuve produits par la requérante, tels que la déclaration du technicien orthopédiste et podo-orthésiste, se limitaient à décrire le fonctionnement technique de l’orthèse. La chambre de recours a notamment relevé que le brevet ne démontrait pas que l’enseignement technique qu’il protégeait exigeait une apparence particulière de l’orthèse. La chambre de recours a également constaté qu’aucune prescription technique concernant notamment la forme concrète des bandages ne pouvait être déduite du fascicule du brevet, ni du fait que la longueur des bandages était déterminée par la circonférence moyenne d’un gros orteil et d’un métatarse, ni encore du fait que les fermetures velcros servaient à adapter les bandages de manière flexible et confortable. La chambre de recours a ajouté, en réponse à l’argumentation de la requérante, que le simple fait que l’apparence du produit ne faisait pas expressément l’objet d’une publicité commerciale ne permettait pas, en soi, de conclure que ces caractéristiques étaient exclusivement dictées par des raisons techniques.
25 La chambre de recours a alors conclu que le motif de nullité prévu à l’article 8, paragraphe 1, du règlement n o 6/2002 ne pouvait être retenu. La chambre de recours en a déduit qu’il ne lui était pas nécessaire de déterminer dans quelle mesure les autres caractéristiques du dessin ou modèle contesté pouvaient être exclusivement imposées par la fonction technique d’une orthèse pour hallux valgus. La chambre de recours a considéré qu’il n’y avait pas lieu non plus d’examiner la prétendue tardiveté de l’argumentation de la requérante relative à ces autres caractéristiques, ainsi que des annexes produites pour la première fois au stade de la procédure de recours, qui ne conduisaient pas, en tout état de cause, à une appréciation différente. De même, elle a considéré qu’il n’était pas nécessaire d’examiner la question de la force probante éventuellement limitée de la déclaration du technicien orthopédiste et podo-orthésiste fournie par la requérante, la pertinence des formes alternatives présentées par les intervenants et la mesure dans laquelle l’orthèse restait visible quand elle était portée.
26 En premier lieu, dans la mesure où la requérante reproche à la décision attaquée d’être insuffisamment motivée et à la chambre de recours de ne pas avoir tenu suffisamment compte de ses arguments, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 62, première phrase, du règlement n o 6/2002, les décisions de l’EUIPO doivent être motivées. Cette obligation de motivation a la même portée que celle découlant de l’article 296 TFUE, selon laquelle le raisonnement de l’auteur de l’acte doit apparaître de façon claire et non équivoque. Cette obligation a pour double objectif de permettre, d’une part, aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre leurs droits et, d’autre part, au juge de l’Union européenne d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision qui est attaquée [arrêt du 16 février 2017, Antrax It/EUIPO – Vasco Group (Thermosiphons pour radiateurs), T‑828/14 et T‑829/14, EU:T:2017:87, point 82].
27 La question de savoir si la motivation d’une décision satisfait à ces exigences doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée [arrêt du 9 février 2017, Mast-Jägermeister/EUIPO (Gobelets), T‑16/16, EU:T:2017:68, point 58].
28 En l’espèce, ainsi qu’il ressort des points 20 à 24 ci-dessus, la chambre de recours a successivement procédé à la définition du produit en cause, à celle de sa fonction et à celle des caractéristiques de son apparence et a indiqué, s’agissant de l’orthèse et des bandages, que les éléments produits devant elle ne démontraient pas que leur forme concrète était exclusivement déterminée par des considérations techniques. Ce faisant, elle a exposé les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision attaquée, de sorte qu’elle n’était pas obligée de prendre position sur tous les arguments que la requérante avait invoqués devant elle [voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2015, Dairek Attoumi/OHMI – Diesel (DIESEL), T‑278/14, non publié, EU:T:2015:606, point 69 et jurisprudence citée]. Par ailleurs, ainsi qu’il ressort du point 25 ci-dessus, la chambre de recours a donné les raisons pour lesquelles elle a considéré qu’il ne lui était pas nécessaire de prendre position sur tous les arguments présentés devant elle.
29 Dès lors, la motivation de la décision attaquée satisfait aux critères de l’article 62 du règlement n o 6/2002.
30 En second lieu, il convient de rappeler que, puisque la requérante a invoqué le motif de nullité prévu à l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement n o 6/2002, dans sa version antérieure, il lui incombait de fournir les éléments de nature à démontrer que le dessin ou modèle contesté ne remplissait pas les conditions fixées à l’article 8, paragraphe 1, de ce règlement (voir, en ce sens, arrêt du 21 septembre 2017, Easy Sanitary Solutions et EUIPO/Group Nivelles, C‑361/15 P et C‑405/15 P, EU:C:2017:720, point 60).
31 En l’espèce, la requérante a produit devant la chambre de recours le fascicule du brevet, la déclaration d’un technicien orthopédiste et podo-orthésiste ayant participé à la conception du produit en cause, un article auquel celui-ci a contribué, d’autres articles, des captures d’écran du site Internet de Hallufix ainsi que d’autres éléments de preuve.
Sur le fascicule de brevet
32 S’agissant du fascicule du brevet, la requérante soutient que la chambre de recours a présumé à tort qu’un brevet n’était pas susceptible d’être un indice que la fonction technique du produit en cause avait été le seul facteur ayant déterminé les caractéristiques de son apparence. En outre, elle fait valoir que la chambre de recours a, de manière contradictoire, mentionné le fascicule du brevet aux fins de démontrer que celui-ci ne pouvait pas constituer un tel indice, parce que, à la figure 7 dudit fascicule, une orthèse légèrement différente de celle du dessin ou modèle contesté était désignée comme « autre mode de réalisation ». Elle ajoute que, en observant que le fascicule du brevet ne montrait pas la forme courbée du bandage concerné, la chambre de recours a méconnu le fait que le dessin inclus dans ce fascicule ne représentait pas de manière fidèle ledit bandage.
33 Toutefois, contrairement à ce que soutient la requérante, au point 25 de la décision attaquée, la chambre de recours n’a pas considéré qu’un brevet ne pouvait en aucun cas constituer un indice que la fonction technique du produit en cause était le seul facteur ayant déterminé les caractéristiques de son apparence. Elle s’est uniquement prononcée sur le brevet invoqué par la requérante dans le cas d’espèce.
34 En outre, la chambre de recours a considéré à juste titre que le fascicule du brevet en cause ne constituait pas, en l’espèce, un indice de nature à étayer l’argumentation de la requérante.
35 En effet, comme l’a relevé la chambre de recours, le brevet sert à divulguer l’enseignement technique qu’il protège. Ainsi, un brevet, en raison de sa finalité exclusivement technique, ne permet pas d’automatiquement exclure que des considérations autres que techniques aient pu également être prises en compte lors de la création d’un dessin ou modèle s’y trouvant, par ailleurs, représenté (arrêt du 19 octobre 2022, Poteau, T‑231/21, non publié, EU:T:2022:649, point 32).
36 En l’espèce, le fascicule du brevet en cause contient des dessins destinés à expliquer plus en détail l’enseignement technique qu’il protège. Comme le souligne l’EUIPO à juste titre, ces dessins sont à apprécier au regard des descriptions et des revendications qui les accompagnent. Ces dessins, descriptions et revendications recensent les éléments composant le produit en cause et contribuant à l’enseignement technique protégé. Le fascicule du brevet ne contient pas, en revanche, d’explications qui lient la forme de l’orthèse à la fonction technique du produit en cause.
37 À cet égard, la chambre de recours a relevé, sans se contredire, que la description qui accompagnait la figure 7, représentant l’orthèse se rapprochant le plus de celle du dessin ou modèle contesté, précisait qu’il s’agissait d’un « autre mode de réalisation », ce qui laissait entendre que l’enseignement technique pouvait être mis en œuvre de différentes manières sans apparence imposée.
38 Par ailleurs, ainsi que le soutient la requérante, les dessins inclus dans le fascicule du brevet ne représentent pas de manière fidèle le bandage du produit en cause. Aucun enseignement ne peut donc être tiré des dessins inclus dans le fascicule du brevet au sujet de la forme concrète de ce bandage. En outre, ainsi que la chambre de recours l’a indiqué, si les descriptions et les revendications du fascicule du brevet mentionnent deux bandages annulaires, elles n’évoquent pas la forme courbée de ceux-ci.
39 Dès lors, le fascicule du brevet est insuffisant pour conclure que la fonction technique du produit en cause est le seul facteur ayant déterminé les caractéristiques de l’apparence de ce produit que sont l’orthèse, le bandage annulaire pour le métatarse et le bandage annulaire pour le gros orteil.
Sur la déclaration du technicien orthopédiste et podo-orthésiste
40 S’agissant de la déclaration faite par un technicien orthopédiste et podo-orthésiste ayant participé à la conception du produit en cause fournie par la requérante, cette dernière fait valoir que la chambre de recours n’a pas suffisamment et correctement apprécié cet élément de preuve. La requérante met notamment en exergue le fait que, selon cette déclaration, chaque caractéristique de l’apparence du produit en cause a été choisie exclusivement pour remplir sa fonction technique et aucune considération d’une autre nature, en particulier visuelle, n’a joué un rôle pertinent lors de la conception de ce produit.
41 La déclaration du technicien orthopédiste et podo-orthésiste en question indique, en particulier, que l’orthèse est composée de deux branches reliées entre elles par une articulation annulaire pour permettre la flexion, que la taille différente des branches répond aux contraintes anatomiques du pied, que la forme concrète de l’orthèse a été choisie parce qu’elle permettait d’obtenir un effet de levier, que la forme arrondie des angles garantit le confort de port et la protection contre les blessures, que les quatre fentes de la branche sont techniquement nécessaires en raison de la largeur du bandage et de sa souplesse, que la forme courbée du bandage est adaptée à la forme du pied afin d’éviter les frottements et de générer un effet de levier supplémentaire et que les fermetures velcro permettent de proposer un produit en taille unique.
42 Force est de constater que la chambre de recours a relevé à juste titre, en substance, que, si cette déclaration décrivait comment le produit en cause fonctionnait et comment les différents composants de ce produit participaient à son fonctionnement, il n’en ressortait pas que la forme concrète des deux branches de l’orthèse ainsi que la configuration de l’articulation annulaire étaient exclusivement imposées par la fonction technique de ce produit. De même, s’il ressort notamment de cette déclaration que la forme du pied, la circonférence du gros orteil et celle du métatarse ont joué un rôle dans la création du produit en cause, la chambre de recours a relevé à juste titre que cette circonstance ne permettait pas de démontrer que la forme concrète des bandages avait été exclusivement dictée par des considérations techniques.
43 En outre, dans cette déclaration, le technicien orthopédiste et podo-orthésiste explique avoir développé le produit en cause avec M. Huber. Dans sa propre déclaration, M. Huber affirme que certaines caractéristiques de l’apparence du produit en cause, notamment les quatre fentes de la plus grande des branches de l’orthèse et la forme courbée des bandages, sont aussi le résultat d’un choix d’esthétique industrielle. En substance, il ressort de la déclaration de M. Huber que, bien que le produit en cause comporte une branche avec quatre fentes et des bandages de forme courbe, la fonction technique d’une orthèse pour hallux valgus serait également remplie si cette branche comportait deux fentes et si les bandages étaient simples sans courbure.
44 À cet égard, la requérante affirme que, sur le plan technique, une orthèse pour hallux valgus peut être dotée de deux ou quatre fentes, mais que ces variations sont liées au matériau utilisé pour le bandage. Toutefois, la requérante n’étaye pas son affirmation. Plus particulièrement, elle ne précise pas quels matériaux pouvaient être utilisés, ni la raison pour laquelle le choix parmi ces matériaux pouvait avoir une influence sur le nombre de fentes que comporte une telle orthèse. De même, elle n’explique pas la raison pour laquelle la largeur du bandage choisi nécessitait quatre fentes. En ce qui concerne les bandages, la requérante n’explique pas la raison pour laquelle leur forme courbée permettrait de s’adapter à la forme du pied, d’éviter les frottements et de créer un effet de levier supplémentaire. En outre, comme l’a constaté la chambre de recours, le fascicule de brevet ne mentionne pas la forme des deux bandages. Par ailleurs, M. Huber, avec qui le technicien orthopédiste et podo-orthésiste a déclaré avoir développé le produit en cause, affirme, à l’inverse, que la forme courbée des bandages crée du gaspillage, qu’elle ne procure aucun avantage par rapport à un bandage conventionnel et que le choix d’une telle forme n’est donc pas technique. À cet égard, la requérante ne développe aucun argument pour remettre en cause la déclaration de M. Huber.
45 Par ailleurs, la requérante reproche à la chambre de recours de ne pas avoir tenu compte de la circonstance que le produit en cause était conçu dans une taille unique. Toutefois, l’EUIPO relève à juste titre que la requérante n’explique pas en quoi cette circonstance aurait une incidence sur l’appréciation du caractère exclusivement technique de la forme concrète du produit en cause, cette forme pouvant varier quand bien même les dimensions et les proportions de l’orthèse seraient imposées par la taille d’un pied moyen.
46 Dès lors, la déclaration du technicien orthopédiste et podo-orthésiste présentée pour le compte de la requérante est insuffisante pour exclure que des considérations autres que techniques, par exemple d’une nature relevant de l’esthétique industrielle, aient pu également être prises en compte lors de la création du dessin ou modèle contesté.
47 Dans ces circonstances, il n’y a lieu de se prononcer ni sur l’allégation des intervenants selon laquelle la déclaration du technicien orthopédiste et podo-orthésiste aurait été faite en méconnaissance d’une obligation contractuelle de confidentialité qui le lierait, ni sur celle selon laquelle cet expert manquerait d’objectivité.
Sur l’article auquel le technicien orthopédiste et podo-orthésiste a contribué
48 S’agissant de l’article auquel le technicien orthopédiste et podo-orthésiste a contribué, intitulé « Le traitement conservateur de l'hallux valgus par une nouvelle orthèse dynamique », force est de constater, à l’instar de la chambre de recours et contrairement à ce que soutient la requérante, que cet article se limite à donner des informations techniques sur l’orthèse, mais n’expose pas les raisons pour lesquelles l’apparence concrète de ce produit s’imposerait sur le plan technique.
49 Dès lors, cet article ne saurait établir que les caractéristiques de l’apparence du produit en cause étaient exclusivement imposées par sa fonction technique.
Sur les preuves relatives à la publicité pour le produit en cause
50 S’agissant des preuves relatives à la publicité pour le produit en cause, la requérante soutient que « l’absence totale de référence aux aspects liés à l’apparence dans la publicité est un indice essentiel que les caractéristiques sont imposées par des raisons techniques ». Dans la décision attaquée, la chambre de recours aurait répondu que « le seul fait » que les particularités de l’apparence du produit en cause ne faisaient pas l’objet d’une publicité expresse ne suffisait pas à établir que ces caractéristiques avaient été exclusivement imposées par la fonction technique de ce produit. La requérante en déduit que la chambre de recours a erronément examiné ces preuves de manière isolée et ne les a pas appréciées globalement.
51 À cet égard, la lecture de la décision attaquée permet de constater que la chambre de recours a reconnu que des supports promotionnels mettant l’accent sur les caractéristiques techniques d’un produit pouvaient être un indice que seules des considérations techniques avaient été prises en compte lors de la création d’un dessin ou modèle. Toutefois, la chambre de recours a précisé à juste titre, en substance, que l’absence de référence aux aspects liés à l’apparence du produit en cause dans les supports promotionnels le concernant ne pouvait suffire à établir que l’ensemble des caractéristiques de l’apparence de ce produit avaient été exclusivement dictées par sa fonction technique. Cette affirmation de la chambre de recours ne signifie pas, contrairement à ce que soutient la requérante, qu’elle n’a pas apprécié les preuves globalement, mais résulte du constat qu’aucune autre preuve ne démontrait que toutes les caractéristiques de l’apparence du produit en cause avaient été exclusivement imposées par sa fonction technique.
52 Dès lors, la circonstance que les supports promotionnels concernant le produit en cause ne font pas expressément la publicité de l’apparence de ce produit est insuffisante pour exclure que des considérations autres que techniques aient pu jouer un rôle lors de la création du dessin ou modèle contesté.
Sur les autres preuves
53 S’agissant des autres preuves produites par la requérante, cette dernière reproche, de manière générale, à la chambre de recours de ne pas avoir suffisamment examiné tous les indices qu’elle a présentés. Toutefois, elle ne mentionne pas spécifiquement les autres preuves qui auraient pu ou auraient dû influencer l’appréciation de la question de savoir si les caractéristiques de l’apparence du produit en cause étaient exclusivement imposées par sa fonction technique. Cet argument de la requérante n’est donc pas susceptible de remettre en cause l’appréciation de la chambre de recours.
54 Dans ces conditions, il convient de considérer qu’aucune des preuves invoquées par la requérante, individuellement ou prises ensemble, ne permet d’établir que les caractéristiques de l’apparence du produit en cause étaient exclusivement imposées par la fonction technique de celui-ci.
55 Par ailleurs, s’agissant de la circonstance que certaines parties du produit en cause sont peu visibles lorsqu’il est porté, la requérante reproche à la chambre de recours de ne pas en avoir tenu compte alors qu’une telle circonstance suggérait que les caractéristiques de son apparence avaient été exclusivement choisies pour leur fonctionnalité et leur confort.
56 À cet égard, force est de constater, à l’instar de la chambre de recours et ainsi qu’il ressort des points 32 à 53 ci-dessus, que les éléments de preuve fournis par la requérante ne sont pas de nature à établir, individuellement ou pris ensemble, que les caractéristiques de l’apparence du produit en cause, notamment l’orthèse, le bandage annulaire pour le métatarse et le bandage annulaire pour le gros orteil, sont exclusivement imposées par des raisons techniques. Dès lors, la circonstance que ce produit est visible ou non lorsqu’il est porté n’est pas susceptible de remettre en cause la conclusion de la chambre de recours selon laquelle la requérante n’a pas démontré que toutes les caractéristiques de l’apparence de ce produit étaient exclusivement imposées par sa fonction technique au sens de l’article 8, paragraphe 1, du règlement n o 6/2002. Il en va de même, ainsi que la chambre de recours l’a aussi relevé, pour l’allégation de la requérante concernant la pertinence des prix décernés pour la conception du produit en cause.
57 La conclusion de la chambre de recours résumée au point 56 ci-dessus n’est pas remise en cause par les autres arguments de la requérante.
58 En effet, d’une part, la requérante fait valoir que la chambre de recours s’est fondée à tort sur la couleur et le matériau du produit en cause dans la décision attaquée, étant donné qu’ils ne font pas partie des caractéristiques identifiées par la chambre de recours et qu’ils ne figurent pas dans la demande d’enregistrement.
59 À cet égard, il ressort du point 54 ci-dessus qu’aucune circonstance, ni aucun élément de preuve présenté devant la chambre de recours ne permettait de démontrer que la forme concrète de l’orthèse et des bandages était exclusivement imposée par la fonction technique du produit en cause. L’EUIPO fait donc valoir à juste titre que ce constat suffit pour exclure l’application de l’article 8, paragraphe 1, du règlement n o 6/2002, conformément à la jurisprudence exposée au point 19 ci-dessus. Ainsi, cet argument de la requérante est inopérant.
60 D’autre part, la requérante soutient que la chambre de recours lui a imposé une charge de la preuve excessive. Toutefois, cet argument repose, en réalité, sur la prémisse selon laquelle les éléments de preuve qu’elle a fournis, notamment la déclaration du technicien orthopédiste et podo-orthésiste, exposent suffisamment les circonstances et les motifs purement techniques ayant présidé à la création du dessin ou modèle contesté. Cependant, ainsi qu’il ressort des points 32 à 53 ci-dessus, si ces éléments de preuve et les observations de la requérante indiquent la manière dont les différents composants du produit en cause participent à la réalisation de sa fonction technique, à savoir corriger les déformations du gros orteil, tout en tenant compte du confort de l’utilisateur, ils ne révèlent pas que l’apparence de l’orthèse et des bandages est indissociable de cette fonction technique. Ainsi, la conclusion de la chambre de recours n’est pas le résultat d’une charge excessive de la preuve, mais du constat que, contrairement à ce qu’exige la jurisprudence mentionnée au point 30 ci-dessus, les éléments de preuve en question ne faisaient pas apparaître que le dessin ou modèle contesté ne remplissait pas les conditions énoncées à l’article 8, paragraphe 1, du règlement n o 6/2002. Dès lors, cet argument de la requérante doit être écarté.
61 Eu égard à tout ce qui précède, c’est à juste titre que la chambre de recours a rejeté la demande de nullité du dessin ou modèle contesté sur le fondement de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement n o 6/2002, dans sa version antérieure, lu conjointement avec l’article 8, paragraphe 1, dudit règlement.
62 Par conséquent, le moyen unique invoqué par la requérante au soutien de ses conclusions ne devant pas être accueilli, le recours doit être rejeté dans son intégralité.
Sur les dépens
63 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
64 Une audience ayant eu lieu et la requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO et des intervenants.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (septième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) DJO LLC est condamnée aux dépens.
Kowalik-Bańczyk
Hesse
Ricziová
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 3 septembre 2025.
Signatures
* Langue de procédure : l’allemand.