Judgment of the General Court (Seventh Chamber) of 23 July 2025.
EveMotion GmbH v European Union Intellectual Property Office.
• 62024TJ0054 • ECLI:EU:T:2025:753
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DOCUMENT DE TRAVAIL
ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)
23 juillet 2025 ( * )
« Dessin ou modèle de l’Union européenne – Procédure de nullité – Dessin ou modèle de l’Union européenne enregistré représentant un pavillon – Dessin ou modèle antérieur – Motif de nullité – Absence de caractère individuel – Article 6 et article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 6/2002 »
Dans l’affaire T‑54/24,
EveMotion GmbH, établie à Berlin (Allemagne), représentée par M e G. Dahle, avocat,
partie requérante,
contre
Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M me E. Nicolás Gómez, en qualité d’agent,
partie défenderesse,
l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant
WMK Trading GmbH, établie à Altenberge (Allemagne), représentée par M e O. Wallscheid, avocat,
LE TRIBUNAL (septième chambre),
composé de M me K. Kowalik‑Bańczyk (rapporteure), présidente, MM. E. Buttigieg et I. Dimitrakopoulos, juges,
greffier : M me R. Ūkelytė, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite de l’audience du 11 avril 2025,
rend le présent
Arrêt
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, EveMotion GmbH, demande l’annulation de la décision de la troisième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 1 er décembre 2023 (affaire R 436/2023-3) (ci-après la « décision attaquée »).
Antécédents du litige
2 Le 18 février 2022, l’intervenante, WMK Trading GmbH, a introduit, en vertu du règlement (CE) n o 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles de l’Union européenne (JO 2002, L 3, p. 1), une demande en nullité du dessin ou modèle de l’Union européenne n o 005490596‑0003, déposé et enregistré le 9 juillet 2018 auprès de l’EUIPO, dont la requérante est titulaire.
3 Le dessin ou modèle contesté est représenté dans la vue suivante :
4 Le produit auquel le dessin ou modèle contesté est destiné à être appliqué relève de la classe 25.03 au sens de l’arrangement de Locarno du 8 octobre 1968 instituant une classification internationale pour les dessins et modèles industriels, tel que modifié, et correspond à la description suivante : « Pavillons ».
5 Le motif invoqué au soutien de la demande en nullité était celui visé à l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement n o 6/2002, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du règlement (UE) 2024/2822 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2024 (JO L, 2024/2822). En particulier, l’intervenante a fait valoir que le dessin ou modèle contesté était dépourvu de caractère individuel au sens de l’article 6 de ce règlement.
6 La demande en nullité était fondée notamment sur un dessin ou modèle de l’Union européenne antérieur, divulgué au plus tard le 7 mars 2016 et représenté comme suit :
7 Le 15 février 2023, la division d’annulation a déclaré la nullité du dessin ou modèle contesté.
8 Le 21 février 2023, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO contre la décision de la division d’annulation.
9 Par la décision attaquée, la chambre de recours a rejeté le recours au motif que le dessin ou modèle contesté était dépourvu de caractère individuel au sens de l’article 6 du règlement n o 6/2002.
Conclusions des parties
10 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– condamner l’EUIPO et l’intervenante aux dépens.
11 L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens si une audience est organisée.
12 L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
13 À l’appui du recours, la requérante invoque un moyen unique, tiré de la violation de l’article 6 du règlement n o 6/2002. Lors de l’audience, elle a précisé qu’elle n’invoquait pas de second moyen tiré de la violation de son droit d’être entendue.
14 Par son moyen unique, la requérante soutient, en substance, que, en considérant que le dessin ou modèle contesté était dépourvu de caractère individuel, la chambre de recours a violé l’article 6 du règlement n o 6/2002.
15 Au soutien de son moyen unique, la requérante développe cinq griefs, par lesquels elle reproche à la chambre de recours, premièrement, d’avoir appliqué des critères trop stricts lors de l’appréciation du caractère individuel du dessin ou modèle contesté, deuxièmement, d’avoir méconnu l’importance de l’éclairage du pavillon représenté sur le dessin ou modèle contesté, troisièmement, d’avoir considéré, à tort, qu’il n’était pas démontré que le patrimoine des formes était saturé, quatrièmement, d’avoir estimé, à tort, que la liberté du créateur n’était pas limitée et, cinquièmement, de ne pas avoir conclu que le dessin ou modèle contesté produisait une impression globale particulière et différente de celle produite par le dessin ou modèle antérieur.
16 L’EUIPO et l’intervenante contestent l’argumentation de la requérante.
Considérations liminaires
17 En vertu de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement n o 6/2002, dans sa version antérieure, un dessin ou modèle de l’Union européenne peut être déclaré nul s’il ne remplit pas les conditions fixées aux articles 4 à 9 dudit règlement et, notamment, la nouveauté et le caractère individuel.
18 Selon l’article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement n o 6/2002, un dessin ou modèle de l’Union européenne enregistré est considéré comme présentant un caractère individuel si l’impression globale qu’il produit sur l’utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou, si une priorité est revendiquée, avant la date de priorité.
19 L’article 6, paragraphe 2, du règlement n o 6/2002 précise en outre que, pour apprécier ce caractère individuel, il doit être tenu compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle.
20 L’appréciation du caractère individuel d’un dessin ou modèle de l’Union européenne procède, en substance, d’un examen en quatre étapes. Cet examen consiste à déterminer, premièrement, le secteur des produits auxquels le dessin ou modèle est destiné à être incorporé ou auxquels il est destiné à être appliqué, deuxièmement, l’utilisateur averti desdits produits selon leur finalité et, en référence à cet utilisateur averti, le degré de connaissance de l’art antérieur ainsi que le niveau d’attention aux similitudes et aux différences dans la comparaison des dessins ou modèles, troisièmement, le degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle, dont l’influence sur le caractère individuel est en proportion inverse, et, quatrièmement, en tenant compte de ce degré de liberté, le résultat de la comparaison, directe si possible, des impressions globales produites sur l’utilisateur averti par le dessin ou modèle contesté et par tout dessin ou modèle antérieur divulgué au public, pris individuellement [voir arrêt du 13 juin 2019, Visi/one/EUIPO – EasyFix (Porte-affichette pour véhicules), T‑74/18, EU:T:2019:417, point 66 et jurisprudence citée].
21 En outre, lors de l’appréciation du caractère individuel d’un dessin ou modèle par rapport à toute antériorité au sein du patrimoine des dessins ou modèles, il convient également de tenir compte d’une éventuelle saturation de l’état de l’art ainsi que de la manière dont le produit en cause est utilisé [voir arrêt du 7 novembre 2013, Budziewska/OHMI – Puma (Félin bondissant), T‑666/11, non publié, EU:T:2013:584, point 31 et jurisprudence citée].
22 C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’analyser, à l’étape de l’examen à laquelle ils peuvent être rattachés, les différents griefs de la requérante, résumés au point 15 ci-dessus, et de déterminer si, en l’espèce, la chambre de recours a commis une erreur d’appréciation en considérant que le dessin ou modèle contesté était dépourvu de caractère individuel.
Sur le secteur concerné et le produit en cause
23 La chambre de recours a indiqué au point 27 de la décision attaquée qu’il était constant entre les parties que les dessins ou modèles en conflit, et notamment le dessin ou modèle contesté, concernaient des pavillons de jardin (ci-après les « pavillons »), ce que la requérante ne conteste pas.
Sur l’utilisateur averti et son niveau d’attention
24 En l’espèce, au point 31 de la décision attaquée, la chambre de recours a défini l’utilisateur averti comme un utilisateur informé qui utilisait habituellement les pavillons et les employait conformément à leur finalité. Elle a précisé que cet utilisateur était familiarisé avec les caractéristiques des pavillons et connaissait les différentes sortes de pavillons disponibles sur le marché ainsi que les dessins ou modèles existant dans ce secteur. Elle a également rappelé que, conformément à la jurisprudence, ledit utilisateur faisait preuve d’un niveau d’attention relativement élevé.
25 La requérante ne conteste pas ces appréciations de la chambre de recours.
Sur le degré de liberté du créateur
26 Selon la jurisprudence, le degré de liberté du créateur dans l’élaboration d’un dessin ou modèle est défini à partir, notamment, des contraintes liées aux caractéristiques imposées par la fonction technique du produit ou d’un élément du produit, ou encore des prescriptions légales applicables au produit. Ces contraintes conduisent à une normalisation de certaines caractéristiques, devenant alors communes à plusieurs dessins ou modèles appliqués au produit concerné [arrêt du 18 mars 2010, Grupo Promer Mon Graphic/OHMI – PepsiCo (Représentation d’un support promotionnel circulaire), T‑9/07, EU:T:2010:96, point 67].
27 La liberté du créateur ne saurait être très élevée lorsque, pour qu’un objet puisse remplir sa fonction correctement, il doit présenter certaines caractéristiques techniques [voir, en ce sens, arrêt du 4 juillet 2017, Murphy/EUIPO – Nike Innovate (Bracelet de montre électronique), T‑90/16, non publié, EU:T:2017:464, point 41].
28 À l’inverse, le degré de liberté du créateur est considéré comme étant élevé ou très élevé par le juge de l’Union européenne lorsqu’il est possible d’imaginer diverses configurations pour un même produit, lorsque le produit peut être réalisé dans une très grande variété de formes, de couleurs ou de matériaux, lorsque la description du produit concerné s’avère très large, ne comportant aucune précision sur son type ou sur sa fonctionnalité, ou encore lorsque les contraintes de nature fonctionnelle concernant la présence de certains éléments essentiels ne sont pas susceptibles d’influer, dans une mesure significative, sur la forme et l’aspect général du produit, celui-ci pouvant revêtir diverses formes et être aménagé de diverses manières (voir arrêt du 13 juin 2019, Porte-affichette pour véhicules, T‑74/18, EU:T:2019:417, point 79 et jurisprudence citée).
29 En l’espèce, aux points 35 à 38 de la décision attaquée, la chambre de recours a constaté, en substance, que, si un pavillon devait être stable et comporter un toit, il pouvait prendre toutes les formes de base imaginables (ronde, ovale, rectangulaire, pentagonale…) et ne devait pas nécessairement comporter des parois mobiles latérales. Selon la chambre de recours, il n’existerait pas non plus de prescriptions légales applicables au produit et limitant la liberté du créateur. Dans ces conditions, elle a considéré que cette liberté n’était « pas limitée ».
30 La requérante ne conteste pas les constatations de la chambre de recours relatives à la possibilité d’utiliser toutes les formes de base imaginables ainsi qu’à l’absence de contraintes résultant de prescriptions légales. En revanche, elle soutient que la liberté du créateur était limitée en raison, d’une part, de certaines nécessités techniques liées à l’insertion d’un éclairage dans la construction du toit et, d’autre part, de la saturation du patrimoine des formes pour les pavillons.
31 En premier lieu, s’agissant des nécessités techniques prétendument liées à l’insertion d’un éclairage, la requérante fait valoir que la fonction technique des points lumineux constitués de diodes électroluminescentes (LED) rendait nécessaire de combiner une douille pour les ampoules avec un dispositif de fixation dans la construction du toit. Elle ajoute que le câblage assurant l’alimentation électrique de ces points lumineux est intégré dans le cadre grâce à des bornes électriques de forme particulière permettant de loger lesdits points lumineux, de sorte que ce câblage demeure invisible.
32 Cependant, la requérante n’établit pas, ni même n’allègue, que les contraintes liées à la fonction technique des points lumineux LED et à l’intégration du câblage dans le cadre influent, dans une mesure significative, sur la forme et l’aspect général du produit. En effet, ces points lumineux, même positionnés sur le cadre, peuvent revêtir diverses formes et être agencés de diverses manières. Il s’ensuit que lesdites contraintes n’ont pas pour effet de limiter le degré de liberté du créateur.
33 De plus, la requérante ne saurait invoquer la forme particulière des bornes électriques dès lors qu’une telle caractéristique, qui n’est pas visible dans la représentation du dessin ou modèle contesté, ne peut être prise en compte pour déterminer si le dessin ou modèle contesté pouvait faire l’objet d’une protection [voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2014, Biscuits Poult/OHMI – Banketbakkerij Merba (Biscuit), T‑494/12, EU:T:2014:757, point 29].
34 En second lieu, s’agissant de la prétendue saturation du patrimoine des formes pour les pavillons, il convient de rappeler qu’une saturation de l’état de l’art ne saurait être considérée comme limitant la liberté du créateur [arrêt du 16 février 2017, Antrax It/EUIPO – Vasco Group (Thermosiphons pour radiateurs), T‑828/14 et T‑829/14, EU:T:2017:87, point 55]. En effet, cette situation, qui découle de l’existence de dessins ou modèles présentant les mêmes caractéristiques d’ensemble que le dessin ou modèle en cause, ne saurait constituer une contrainte liée aux caractéristiques imposées par la fonction technique d’un produit ou d’un élément d’un produit et ne répond pas à des prescriptions légales applicables au produit [voir ordonnance du 15 décembre 2021, Legero Schuhfabrik/EUIPO – Rieker Schuh (Chaussure), T‑684/20, non publiée, EU:T:2021:912, point 80 et jurisprudence citée].
35 Dans ces conditions, le degré de liberté du créateur doit être considéré comme élevé, de sorte que la chambre de recours n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant que cette liberté n’était « pas limitée » en l’espèce.
Sur la saturation de l’état de l’art
36 Une éventuelle saturation de l’état de l’art peut être de nature à rendre l’utilisateur averti plus sensible aux différences entre les dessins ou modèles comparés (arrêt du 16 février 2017, Thermosiphons pour radiateurs, T‑828/14 et T‑829/14, EU:T:2017:87, point 55), avec pour conséquence qu’un dessin ou modèle peut, du fait d’une saturation de l’état de l’art, avoir un caractère individuel du fait de caractéristiques qui, en l’absence d’une telle saturation, ne seraient pas susceptibles de susciter une différence d’impression globale sur le même utilisateur averti [arrêt du 12 mars 2014, Tubes Radiatori/OHMI – Antrax It (Radiateur), T‑315/12, non publié, EU:T:2014:115, point 87].
37 En principe et sans préjudice de la constatation d’un fait notoire, il appartient à la partie qui invoque une saturation de l’état de l’art de présenter des éléments de preuve suffisamment clairs, précis et cohérents, établissant qu’il existe, dans le secteur concerné, une multitude de dessins ou modèles similaires, possédant les mêmes caractéristiques d’ensemble [arrêt du 21 juin 2018, Haverkamp IP/EUIPO – Sissel (Tapis de sol), T‑227/16, non publié, EU:T:2018:370, point 66].
38 Ainsi que l’a rappelé la chambre de recours au point 42 de la décision attaquée, ces éléments de preuve doivent porter sur une saturation de l’état de l’art existant à la date de dépôt ou de priorité du dessin ou modèle contesté [arrêt du 15 juin 2022, Tubes Radiatori/EUIPO – Antrax It (Radiateur de chauffage), T‑380/20, non publié, EU:T:2022:359, point 75]. Dès lors, la date pertinente pour apprécier une éventuelle saturation de l’état de l’art est, en l’espèce, le 9 juillet 2018, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté par les parties.
39 En l’occurrence, aux points 43 à 45 de la décision attaquée, la chambre de recours a estimé, en substance, que la requérante n’avait pas produit de preuves suffisantes permettant de démontrer que le patrimoine des formes dans le domaine des pavillons était saturé. En effet, devant les instances de l’EUIPO, la requérante aurait produit uniquement des résultats de recherches sur l’internet effectuées le 15 juin 2023, soit près de cinq ans après la date de dépôt de la demande d’enregistrement du dessin ou modèle contesté, lesquels ne permettraient pas de savoir à quoi ressemblait le patrimoine des formes au jour dudit dépôt.
40 La requérante ne conteste pas l’absence de pertinence temporelle des résultats de recherches sur l’internet produits devant la chambre de recours. Tout au plus fait-elle valoir que la date de divulgation des dessins ou modèles présentés dans ces résultats de recherches n’est pas déterminante. En effet, d’autres éléments et allégations du dossier, non contestés, permettraient d’établir que, à la date de dépôt de la demande d’enregistrement du dessin ou modèle contesté, il existait déjà une grande variété et densité de formes de pavillons, de sorte que le patrimoine des formes était saturé.
41 À cette fin, premièrement, la requérante mentionne les dessins ou modèles antérieurs invoqués par l’intervenante à l’appui de la demande en nullité et apparaissant dans les annexes de cette demande.
42 À cet égard, il ressort effectivement du dossier que, outre le dessin ou modèle antérieur, divulgué, au plus tard, le 7 mars 2016, l’intervenante avait invoqué au soutien de la demande en nullité trois autres dessins ou modèles antérieurs, divulgués entre le 1 er mai 2014 et le 3 septembre 2016. En particulier, l’intervenante avait produit des photographies du pavillon « Minzo », vendu par la requérante elle-même, d’abord sans éclairage, puis, à partir au plus tard du 12 avril 2018, avec un éclairage.
43 Toutefois, la présence sur le marché de quatre pavillons produits par quatre entreprises est, à l’évidence, insuffisante pour établir l’existence d’une grande variété de formes de pavillons ainsi que la saturation de l’état de l’art dans ce secteur (voir, en ce sens, arrêt du 21 juin 2018, Tapis de sol, T‑227/16, non publié, EU:T:2018:370, point 66).
44 Deuxièmement, la requérante fait valoir qu’elle a produit d’autres comparaisons issues de procédures parallèles en contrefaçon, dont il découlerait que le patrimoine des formes était saturé en ce qui concernait les pavillons sans guirlande lumineuse.
45 À cet égard, dans la partie de la requête consacrée à la saturation de l’état de l’art, la requérante ne précise pas à quelles procédures en contrefaçon elle se réfère.
46 Il est vrai que, dans d’autres parties de la requête, la requérante mentionne une procédure en contrefaçon ayant donné lieu à un jugement en référé du Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin, Allemagne) du 12 avril 2022 puis, dans le cadre d’un appel dirigé contre ce jugement, à une information aux parties du Kammergericht Berlin (tribunal régional supérieur de Berlin, Allemagne) du 28 octobre 2022. Cependant, même en admettant que la requérante entende faire référence à cette procédure en contrefaçon, force est de constater qu’elle ne fournit aucune explication ou précision quant à la façon dont ladite procédure permettrait de démontrer une éventuelle saturation de l’état de l’art.
47 Troisièmement, la requérante relève que l’intervenante a déjà invoqué à l’appui de sa demande en nullité la circonstance que les pavillons à double toit pliant sans éclairage étaient déjà connus avant le dépôt de la demande d’enregistrement du dessin ou modèle contesté.
48 Cet argument ne saurait convaincre. En effet, outre le fait que la requérante ne se réfère pas à un passage précis de la demande en nullité, la circonstance qu’un type particulier de pavillon aurait déjà été connu ne saurait suffire à établir la saturation de l’état de l’art dans le secteur concerné.
49 Quatrièmement, la requérante n’allègue pas que la saturation de l’état de l’art dans le secteur des pavillons, à la date du dépôt de la demande d’enregistrement du dessin ou modèle contesté, constituerait un fait notoire.
50 Dans ces conditions, la requérante n’a pas apporté la preuve, qui lui incombe, de la saturation de l’état de l’art dans le secteur des pavillons. Il s’ensuit qu’elle n’est pas fondée à soutenir que, en raison de cette saturation, l’utilisateur averti serait sensible à la moindre différence entre les dessins ou modèles en conflit.
Sur l’impression globale
51 Selon une jurisprudence constante, le caractère individuel d’un dessin ou modèle résulte d’une impression globale de différence, ou d’absence de « déjà vu », du point de vue de l’utilisateur averti, par rapport à toute antériorité au sein du patrimoine des dessins ou modèles, sans tenir compte de différences demeurant insuffisamment marquées pour affecter ladite impression globale, bien qu’excédant des détails insignifiants, mais en ayant égard à des différences suffisamment marquées pour créer des impressions d’ensemble dissemblables (voir arrêt du 16 février 2017, Thermosiphons pour radiateurs, T‑828/14 et T‑829/14, EU:T:2017:87, point 53 et jurisprudence citée).
52 Des différences ne sont pas suffisantes pour créer une impression globale de différence lorsqu’elles ne sont pas suffisamment marquées pour distinguer les produits en cause dans la perception de l’utilisateur averti ou contrebalancer les similitudes constatées entre les dessins ou modèles (voir, en ce sens, arrêt du 18 mars 2010, Représentation d’un support promotionnel circulaire, T‑9/07, EU:T:2010:96, points 77 à 84).
53 La comparaison des impressions globales produites par les dessins ou modèles en conflit doit être synthétique et ne peut se borner à la comparaison analytique d’une énumération de similitudes et de différences. Cette comparaison doit prendre pour base les caractéristiques divulguées du dessin ou modèle contesté et doit porter uniquement sur les caractéristiques protégées, sans tenir compte des caractéristiques, notamment techniques, exclues de la protection. Ladite comparaison doit porter, en principe, sur les dessins ou modèles tels qu’enregistrés (voir arrêt du 13 juin 2019, Porte-affichette pour véhicules, T‑74/18, EU:T:2019:417, point 84 et jurisprudence citée).
54 Par ailleurs, la nature même de l’utilisateur averti implique que, lorsque cela est possible, il procédera à une comparaison directe des dessins ou modèles en cause (arrêt du 20 octobre 2011, PepsiCo/Grupo Promer Mon Graphic, C‑281/10 P, EU:C:2011:679, point 55).
55 En l’espèce, la chambre de recours a procédé à une comparaison directe des dessins ou modèles en conflit. Elle a constaté que ces dessins ou modèles présentaient essentiellement les mêmes caractéristiques, à savoir, premièrement, six pieds (montants) dans le même placement, deuxièmement, un cadre similaire, avec des rideaux constituant les côtés fixés par des attaches à fronces sur les montants, troisièmement, les mêmes parois latérales intégrées pouvant être fermées, représentées ouvertes, et, quatrièmement, un double toit à deux niveaux, chacun avec une base rectangulaire et un cadre similaire soutenant le toit (voir points 51 et 52 de la décision attaquée).
56 La chambre de recours a admis qu’il existait des différences entre les dessins ou modèles en conflit, liées, premièrement, à la structure du cadre soutenant le toit, deuxièmement, à la couleur des rideaux et, troisièmement, à l’intégration d’une guirlande lumineuse dans le dessin ou modèle contesté. Elle a toutefois estimé que ces différences étaient peu perceptibles et qu’elles n’étaient pas de nature à produire des impressions générales différentes (voir points 53 à 57 de la décision attaquée).
57 En particulier, la chambre de recours a considéré que les circonstances selon lesquelles, d’une part, le câblage de la guirlande lumineuse était dissimulé dans la structure du dessin ou modèle contesté et, d’autre part, la requérante aurait été la première à proposer des pavillons comportant une telle guirlande n’avaient aucune importance pour l’évaluation de l’impression globale. En revanche, elle a tenu compte du fait que le câblage n’était pas visible, de sorte que la structure produisait un « effet illimité » sur l’utilisateur averti (voir point 56 de la décision attaquée).
58 Au final, la chambre de recours a estimé que les similitudes entre les dessins ou modèles en conflit l’emportaient sur leurs différences, notamment parce que la forme de base et la suspension identiques des rideaux ainsi que le toit à deux étages revêtaient une plus grande importance. Elle a donc conclu à l’absence de caractère individuel du dessin ou modèle contesté (voir point 58 de la décision attaquée).
59 La requérante conteste l’appréciation de la chambre de recours.
60 En premier lieu, la requérante fait valoir que les caractéristiques communes aux dessins ou modèles en conflit, rappelées au point 55 ci-dessus, sont toutes dictées par une fonction technique et, en outre, déjà connues et usuelles pour les pavillons, de sorte qu’elles présentent une importance moindre pour l’examen du caractère individuel.
61 À cet égard, premièrement, il y a lieu de rappeler que, dans la mesure où le règlement n o 6/2002 ne prévoit pas une limitation de protection quant aux dessins ou modèles et à leurs caractéristiques qui remplissent (également) une fonction technique, c’est seulement dans le cas où une ou plusieurs caractéristiques de l’apparence d’un produit sont exclusivement dictées par sa fonction technique que ledit règlement prévoit qu’une telle caractéristique ne doit pas être prise en compte aux fins de l’appréciation du caractère individuel [arrêt du 21 mai 2015, Senz Technologies/OHMI – Impliva (Parapluies), T‑22/13 et T‑23/13, EU:T:2015:310, point 101 (non publié)]. Pour apprécier si des caractéristiques de l’apparence d’un produit sont exclusivement imposées par la fonction technique de celui-ci, il y a lieu d’établir que cette fonction était le seul facteur ayant déterminé ces caractéristiques, l’existence de dessins ou modèles alternatifs n’étant pas déterminante à cet égard (arrêt du 8 mars 2018, DOCERAM, C‑395/16, EU:C:2018:172, point 32).
62 En l’espèce, la requérante ne soutient pas que les caractéristiques rappelées au point 55 ci-dessus sont exclusivement dictées par une fonction technique. Au demeurant, elle n’explique pas non plus, de façon concrète, en quoi ces caractéristiques seraient, même partiellement, influencées par une telle fonction, alors que, comme il a été relevé au point 35 ci-dessus, le degré de liberté du créateur doit être considéré comme élevé.
63 Deuxièmement, il est vrai que l’utilisateur averti n’accorde qu’une attention limitée aux éléments qui sont totalement banals et communs à tous les exemples du type de produit en cause et se concentre sur les caractéristiques qui sont arbitraires ou qui diffèrent de la norme [arrêt du 21 juin 2017, Kneidinger/EUIPO – Topseat International (Abattant de toilettes), T‑286/16, non publié, EU:T:2017:411, point 45] et sur les éléments les plus visibles et les plus importants (voir, en ce sens, arrêt du 13 juin 2019, Porte-affichette pour véhicules, T‑74/18, EU:T:2019:417, point 91).
64 En l’espèce, la circonstance, à la supposer établie, selon laquelle les caractéristiques communes aux dessins ou modèles en conflit, rappelées au point 55 ci-dessus, étaient déjà connues et usuelles sur le marché ne permet pas de conclure que ces caractéristiques étaient totalement banales et communes à tous les pavillons présents sur le marché. Elle ne permet pas non plus de remettre en cause le fait que lesdites caractéristiques sont parfaitement visibles et, partant, importantes aux fins d’apprécier le caractère individuel du dessin ou modèle contesté.
65 En deuxième lieu, la requérante soutient que l’éclairage du pavillon par des points lumineux LED est spécifiquement revendiqué et constitue la caractéristique centrale et dominante du dessin ou modèle contesté. Cette caractéristique revêtirait donc une grande importance pour l’utilisation et l’apparence du produit. De plus, l’éclairage du pavillon présenterait un caractère innovant et inhabituel par rapport au patrimoine des formes existantes. Dès lors, il produirait une impression globale particulière, notamment dans ses conditions normales d’utilisation, à savoir au crépuscule et dans l’obscurité.
66 À cet égard, premièrement, il convient de rappeler que, en l’espèce, comme le relève l’EUIPO, toutes les caractéristiques du pavillon représenté par le dessin ou modèle contesté, et non pas seulement l’éclairage de ce pavillon, sont protégées et doivent être prises en considération lors de l’appréciation du caractère individuel.
67 Deuxièmement, il y a lieu de préciser que, s’agissant du dessin ou modèle contesté, la comparaison doit être effectuée sur la base de la représentation inscrite au registre, à savoir des vues déposées lors de la demande d’enregistrement, lesquelles déterminent l’objet et l’étendue de la protection (voir, en ce sens, arrêt du 21 juin 2017, Abattant de toilettes, T‑286/16, non publié, EU:T:2017:411, point 44).
68 En l’espèce, force est de constater que le dessin ou modèle contesté, tel qu’enregistré, est représenté dans une vue unique, en couleurs et sur un fond blanc ou neutre. Il n’est ni possible ni nécessaire de déterminer si le pavillon représenté sur cette vue unique est placé en pleine lumière, ainsi que le soutient l’intervenante, ou dans la pénombre, ainsi que le prétend la requérante. En effet, il suffit de relever que, sur ladite vue, les points lumineux LED éclairant le pavillon sont, certes, perceptibles, mais ne sont pas particulièrement visibles et frappants. De même, sur cette même vue, l’effet d’« illumination » ou de « rayonnement » produit par l’éclairage et invoqué par la requérante lors de l’audience demeure discret.
69 Troisièmement, il est évident que, comme l’a relevé, à juste titre, la division d’annulation dans sa décision du 15 février 2023, dont la motivation est rappelée au point 9 de la décision attaquée, et comme le fait également valoir l’intervenante, le rôle de l’éclairage est secondaire et accessoire par rapport à celui du pavillon en tant que tel dans la mesure où ce dernier peut être utilisé le jour, à un moment où l’éclairage n’est pas nécessaire et où, même allumé, il est moins perceptible. Ainsi que le relève l’EUIPO, la finalité principale d’un pavillon consiste à offrir une protection contre le soleil et les intempéries et non à fournir un éclairage. Contrairement à ce qu’a indiqué la requérante lors de l’audience, un pavillon est destiné à être utilisé au moins autant durant le jour qu’au crépuscule et durant la nuit. Dans ces conditions, la présence d’un éclairage intégré dans le pavillon faisant l’objet du dessin ou modèle contesté ne peut avoir qu’une incidence faible sur l’impression globale produite par ce dessin ou modèle sur l’utilisateur averti [voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 2020, Glimarpol/EUIPO – Metar (Outil pneumatique), T‑748/18, non publié, EU:T:2020:321, point 56].
70 Quatrièmement, ainsi que le relève l’intervenante, la requérante n’a pas étayé son affirmation selon laquelle, à la date de dépôt de la demande d’enregistrement du dessin ou modèle contesté, l’éclairage de son pavillon par des points lumineux LED présentait un caractère innovant et inhabituel et, à cette date, elle était la seule entreprise à proposer un tel éclairage. Au demeurant, à les supposer établies, de telles circonstances ne sauraient être déterminantes dans la mesure où elles concernent un élément secondaire et accessoire par rapport au produit dans son ensemble (point 69 ci-dessus).
71 Cinquièmement, il convient de constater que le câblage de la guirlande lumineuse est entièrement dissimulé dans le cadre du pavillon représenté sur le dessin ou modèle contesté, de sorte que la structure du pavillon reste pleinement visible, ainsi que la chambre de recours l’a, en substance, relevé au point 56 de la décision attaquée. Ainsi, les autres caractéristiques du pavillon rappelées au point 55 ci-dessus apparaissent plus nombreuses, plus visibles et plus frappantes que l’éclairage par des points lumineux LED.
72 Compte tenu des éléments mentionnés aux points 66 à 71 ci-dessus, il y a lieu de conclure que l’éclairage du pavillon représenté dans le dessin ou modèle contesté, d’une part, ne saurait constituer la caractéristique centrale et dominante du dessin ou modèle contesté et, d’autre part, ne constitue pas une différence suffisamment importante et marquée pour être susceptible, à elle-seule, de produire une impression globale différente de celle du dessin ou modèle antérieur.
73 En troisième lieu, la requérante fait valoir que, dans le cadre de la procédure en contrefaçon mentionnée au point 46 ci-dessus, les juridictions allemandes ont confirmé le caractère individuel du dessin ou modèle contesté en raison, précisément, du fait qu’il représentait un pavillon éclairé.
74 À cet égard, il ressort, certes, du dossier et des explications fournies par les parties lors de l’audience que, dans le jugement et dans l’information aux parties mentionnés au point 46 ci-dessus, le Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin) et le Kammergericht Berlin (tribunal régional supérieur de Berlin) ont conclu au caractère nouveau et individuel du dessin ou modèle contesté au regard de plusieurs dessins ou modèles antérieurs au motif, notamment, qu’un pavillon éclairé se distinguait clairement d’un pavillon non éclairé.
75 Toutefois, d’une part, il convient de rappeler que le régime des dessins ou modèles de l’Union européenne est autonome et que la légalité des décisions des chambres de recours doit être appréciée uniquement sur la base du règlement n o 6/2002, de sorte que l’EUIPO ou, sur recours, le Tribunal, ne sont pas tenus de parvenir à des résultats identiques à ceux atteints par les administrations ou les juridictions nationales dans une situation similaire [voir, par analogie, arrêt du 15 décembre 2015, LTJ Diffusion/OHMI – Arthur et Aston (ARTHUR & ASTON), T‑83/14, EU:T:2015:974, point 37 et jurisprudence citée].
76 D’autre part et en tout état de cause, il y a lieu de relever que les juridictions allemandes mentionnées au point 74 ci-dessus ne se sont prononcées qu’à titre provisoire, dans le cadre d’une procédure en référé opposant la requérante et une entreprise tierce. De surcroît, dans son information aux parties, le Kammergericht Berlin (tribunal régional supérieur de Berlin) n’a pris aucune décision, mais a seulement envisagé de confirmer le jugement du Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin).
77 En conclusion, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, et eu égard notamment au degré élevé de liberté du créateur (voir point 35 ci-dessus) ainsi qu’à l’absence de saturation de l’état de l’art (voir point 50 ci-dessus), la chambre de recours n’a ni appliqué des critères trop stricts, ni commis d’erreur d’appréciation en estimant que les similitudes entre les dessins ou modèles en conflit l’emportaient sur leurs différences et que, par suite, le dessin ou modèle contesté était dépourvu de caractère individuel.
78 Il résulte de tout ce qui précède que tous les griefs du moyen unique doivent être écartés et que, partant, le recours doit être rejeté.
Sur les dépens
79 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
80 La requérante ayant succombé et une audience ayant été organisée, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO et de l’intervenante.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (septième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) EveMotion GmbH est condamnée aux dépens.
Kowalik-Bańczyk
Buttigieg
Dimitrakopoulos
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 23 juillet 2025.
Signatures
* Langue de procédure : l’allemand.