KAYA v. TURKEYOPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. A.S. GÖZÜBÜYÜK
Doc ref: • ECHR ID:
Document date: October 24, 1996
- 0 Inbound citations:
- •
- 0 Cited paragraphs:
- •
- 0 Outbound citations:
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. A.S. GÖZÜBÜYÜK
A mon regret, je ne puis partager l'opinion de la majorité de
la Commission sur la question de la violation des articles 2 et 6 de
la Convention.
Je souscris pleinement au raisonnement de la Commission
développée dans l'affaire McCan et autres c. Royaume Uni, reprise dans
la présente affaire et selon laquelle :
"Considérant par conséquent la nécessité d'assurer la protection
effective des droits garantis par la Convention, qui prend une
importance accrue dans le contexte du droit à la vie, la
Commission conclut que l'obligation imposée à l'Etat, selon
laquelle le droit de toute personne à la vie sera "protégé par
la loi", peut inclure un aspect procédural. Ceci englobe la
condition minimale d'un dispositif par lequel les circonstances
d'un homicide commis par les représentants d'un Etat peuvent être
soumises à un examen approfondi, public et indépendant. La nature
et le niveau d'un examen qui satisfasse au seuil minimum doivent,
de l'avis de la Commission, dépendre des circonstances de
l'espèce. Des affaires peuvent se présenter dans lesquelles les
faits entourant un homicide sont clairs et incontestés et où
l'examen inquisitoire subséquent peut légitimement se réduire Ã
une formalité minimale. Mais, de la même manière, d'autres
situations peuvent se présenter dans lesquelles une victime meurt
dans des circonstances troubles, auquel cas l'absence de toute
procédure effective permettant d'enquêter sur la cause de
l'homicide pourrait par elle-même soulever une question au titre
de l'article 2 de la Convention" (rapport Comm. 4.3.94, Cour eur.
D.H., série A n° 324, p. 79, par. 193).
Toutefois, je n'approuve pas l'analyse suivie en l'espèce par la
majorité qui est parvenue à la conclusion qu'il existait des doutes
quant aux circonstances exactes du décès de Abdülmenaf Kaya.
J'observe en premier lieu que les dépositions faites par les
gendarmes devant les délégués de la Commission sont précises,
concordantes et convaincantes. En revanche, ni le requérant ni la
personne citée par le requérant comme principal témoin des faits en
cause n'ont comparu devant la Commission.
Je relève par ailleurs que les témoignages recueillis par les
délégués de la Commission mettent en évidence que les faits concernant
la mort de Abdülmenaf Kaya sont clairs et ne laissent planer aucun
doute quant aux circonstances décrites par les gendarmes qui ont pris
part à l'opération militaire en question.
Les doutes exprimés par la majorité de la Commission dans les
paragraphes 155-160 du rapport me paraissent relever quelque peu de la
spéculation et sans rapport avec la réalité des opérations militaires
se déroulant dans des régions montagneuses ou sur de grands espaces :
- le fait que la victime ait été touchée par sept ou huit balles
(par. 96) n'a rien d'étonnant, compte tenu de la rapidité et de la
puissance des fusils de guerre utilisés de nos jours. Il suffirait Ã
la victime un moment d'une seconde d'inattention ou de déplacement
pour recevoir autant de balles ;
- la thèse des gendarmes selon laquelle la victime aurait été
touchée au front et aux jambes à une distance de 300-1000 mètres parait
tout à fait plausible du fait de la longue portée des fusils de
guerre ;
- la tenue vestimentaire n'est pas réputée être un élément de
distinction entre un membre du PKK et un villageois, mais il s'agit
plutôt d'une méthode de camouflage utilisée par les militants du PKK
qui se déguisent en villageois ;
- on ne peut s'attendre des gendarmes en pleine opération
militaire dans les montagnes à ce qu'ils gardent avec eux le corps de
la victime, même si cette dernière est présumée être un terroriste. Il
faut observer que les constats par le procureur et par le médecin
avaient déjà été faits avant que le corps ne soit rendu aux villageois.
En ce qui concerne l'enquête pénale menée au plan national, les
procureurs qui sont intervenus dans la présente affaire ont constitué
le dossier et ont déclenché une instruction contre les présumés auteurs
de l'attaque contre les forces de l'ordre. Ni un membre de la famille
de la victime (y compris le requérant), ni une autre personne n'ont
soutenu devant les procureurs la thèse selon laquelle les forces de
l'ordre auraient délibérément tué Abdulmenaf Kaya alors que celui-ci
était non armé. Une telle allégation a été formulée pour la première
fois devant la Commission. Ni le requérant, ni le témoin cité par le
requérant n'ont comparu devant les délégués de la Commission. Par
ailleurs, la déposition faite par ce témoin le 17 juin 1994 devant le
procureur de Lice, lequel a fait également l'objet des poursuites pour
avoir aidé le PKK, est loin d'être précise et crédible, celui-ci ayant
pu inventer cette histoire afin d'échapper aux poursuites. En tout état
de cause, la Commission n'a pas eu la possibilité de vérifier ce
témoignage et ce, en raison uniquement d'un manquement imputable à la
partie requérante.
Je conclus dès lors que les faits relatifs au décès de Abdülmenaf
Kaya étaient "clairs et incontestés" et que "l'examen inquisitoire
subséquent" était suffisant et proportionné à la nature de l'incident.
Pour ces raisons, j'ai voté en l'espèce pour la non-violation des
articles 2 et 6 de la Convention.
(Or. français)