WILLE v. LIECHTENSTEINOPINION DISSIDENTE DE M. F. MARTINEZ A LAQUELLE
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Document date: September 17, 1998
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OPINION DISSIDENTE DE M. F. MARTINEZ A LAQUELLE
M. K. HERNDL DECLARE SE RALLIER
Je ne partage pas l'opinion de la majorité: à mon avis, il n'y a pas eu de violation au droit du requérant à la liberté d'expression.
Tout d'abord concernant les paragraphes 56 et 57 du rapport de la Commission, je ne crois pas que le requérant ait eu le statut de fonctionnaire public au sens réel du mot. Il n'est pas ce fonctionnaire type qui fait toute sa carrière au service de l'administration publique ou de la justice.
Je considère le requérant comme une personne impliquée dans les plus hautes activités publiques de son pays: il a été tantôt membre du Gouvernement, tantôt Président de la Cour Administrative. Ce dernier poste n'est pas ouvert aux fonctionnaires. Il concerne l'une des plus hautes fonctions de l'Etat, et la nomination à ce poste requiert l'accord du Parlement (qui propose) et du Souverain (qui décide). Par conséquent, le poste de Président de la Cour Administrative est généralement accordé à une personne impliquée dans la vie politique, sans aucun égard à une éventuelle carrière de fonctionnaire.
Le poste de Président de la Cour Administrative de Liechtenstein ne donne pas le statut de fonctionnaire, mais le statut propre à cette fonction. Pour ce qui nous intéresse, c'est un poste à durée limitée, de libre choix et qui n'ouvre pas de droit à réélection. En conclusion, le requérant n'a été privé d'aucun droit.
Concernant le paragraphe 61 du rapport, j'ajouterais que la lettre du Prince n'est pas un acte d'Etat. L'acte d'Etat doit être un acte juridique. Et je n'ai trouvé aucun acte juridique jusqu'à ce que le Prince ait refusé la nomination du requérant, proposée par la Diète.
La lettre du Prince, qui n'est donc pas un acte juridique, n'est pas une sanction non plus: elle est purement et simplement une déclaration d'intention. Cette déclaration d'intention pourrait être considérée comme une gentillesse à l'égard du requérant, pour que celui-ci sache bien, avant la fin de son mandat, qu'il ne sera pas reconduit dans ces fonctions. La lettre ne heurte pas le droit du requérant. Tout le droit du requérant ne consiste qu'à poursuivre ses activités de Président de la Cour Administrative, jusqu'à l'expiration de son mandat, et c'est tout.
Bref, la lettre n'est pas un acte juridique, le lettre n'empiète pas le droit du requérant, la lettre n'engage pas la responsabilité de l'Etat.
Contrairement à ce qui est écrit au paragraphe 62 du rapport de la Commission, ni la lettre ni même l'acte juridique de refus de la nomination ne constituent une ingérence dans la liberté d'expression du requérant.
Même si la raison du refus se trouve dans les propos du requérant, le Prince a pu ne pas nommer celui dont il ne veut pas. Et le refus de la nomination ne constitue point une entrave à la liberté d'expression du requérant.
Le Prince et le requérant ont des opinions différentes sur un sujet constitutionnel. Le requérant est libre de s'exprimer, mais il faut respecter l'opinion du Prince et sa liberté de l'exprimer.
L'opinion contraire du requérant ne saurait créer, à la charge du Prince, une obligation de le confirmer à son poste. La liberté d'expression ne fait pas obstacle à ce que l'individu subisse les conséquences de ce qu'il a exprimé. Il est tout à fait normal que l'expression d'une opinion sur un point de vue qui n'est pas partagé par le détenteur du pouvoir politique, entraîne un choix négatif de la part de ce dernier.
Ainsi, par exemple, lorsqu'une personne veut devenir ministre et qu'elle a exprimé une opinion contraire à celle du Premier Ministre, il est tout à fait normal que celui-ci refuse au dissident un poste de son Cabinet. Cela ne saurait constituer la violation du droit à la liberté d'expression.
Il est paradoxal qu'en matière de libre choix une opinion contraire à celle de celui qui a le pouvoir de choisir puisse obliger à choisir le dissident. Dans un pareil cas, ce n'est pas la liberté d'expression, mais la liberté de choisir qui l'emporte.
Je ne finirais pas sans préciser deux points. D'une part, pour ce qui est de la publicité du cas, c'est le requérant qui a voulu rendre public l'épisode. Il aurait pu garder la lettre du Prince par-devers lui, sans avoir besoin de la publier ... D'autre part, en dehors des cas de nomination exercée par le Prince - très peu de postes publics - le requérant peut être nommé à n'importe quelle autre fonction.
Le Prince a dit lui-même à la Diète qu'il refusait la nomination du requérant comme Président de la Cour Administrative, mais que rien n'empêchait la Diète de le nommer juge à la même cour.
J'ai le sentiment que la présente espèce n'est que l'illustration d'un rapport de force entre le requérant et le Prince, d'une situation conflictuelle: ce n'est pas l'apanage de la Commission européenne des Droits de l'Homme.
(or. English)