Vlahov c. Croatie
Doc ref: 31163/13 • ECHR ID: 002-13648
Document date: May 5, 2022
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Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 262
Mai 2022
Vlahov c. Croatie - 31163/13
Arrêt 5.5.2022 [Section I]
Article 11
Article 11-1
Liberté d'association
Caractère non nécessaire dans une société démocratique de la condamnation pénale d’un représentant syndical pour rejet de demandes d’adhésion : violation
En fait – Au moment des faits, le requérant était représentant d’une antenne locale du Syndicat des agents des douanes croates. Il fit l’objet d’une condamnation pénale pour avoir rejeté les demandes d’adhésion à ce syndicat soumises par quinze personnes. Il forma un recours contre sa condamnation, sans succès.
En droit – Article 11 : La condamnation pénale du requérant s’analyse en une ingérence dans l’exercice par l’intéressé de son droit à la liberté d’association. Cette ingérence était prévue par la loi, et la Cour part du principe qu’elle avait pour but la protection des droits et libertés d’autrui, plus précisément du droit pour les quinze candidats à l’adhésion au syndicat d’exercer sans entrave indue leur liberté d’association.
La Cour estime qu’elle doit donc déterminer si cette ingérence était nécessaire dans une société démocratique, et que la question qui se pose en l’espèce est celle de savoir dans quelle mesure l’État pouvait intervenir pour protéger les candidats à l’adhésion au syndicat contre une entrave à leur droit à la liberté d’association, compte tenu du droit qu’avaient le requérant et le syndicat, qu’il représentait au moment des faits, de contrôler la composition du syndicat en décidant avec qui ils voulaient s’associer.
Le syndicat en question était un syndicat indépendant et autonome qui avait pour objet de protéger les droits et intérêts des agents des douanes dans le cadre de leur emploi. Il ne disposait d’aucune prérogative de puissance publique et l’adhésion y était purement volontaire. Sa principale source de revenus était constituée par les cotisations de ses membres, et il ne percevait pas de soutien financier direct de la part de l’État ou de fonds publics. Il n’était pas non plus le seul syndicat représentant les agents des douanes, et aucun accord de monopole syndical n’imposait à ceux-ci d’en être membres. L’antenne du syndicat que représentait le requérant était une structure relativement modeste, qui comptait au moment des faits une trentaine d’adhérents.
Compte tenu de l’absence d’accord de monopole syndical, il n’apparaît pas que l’impossibilité pour les quinze individus concernés d’adhérer au syndicat au moment des faits les ait concrètement ou potentiellement exposés à des inconvénients ou un préjudice particuliers quant à leurs revenus ou leurs conditions de travail. Ils étaient libres d’adhérer à l’autre syndicat existant ou même de fonder leur propre syndicat, et ils pouvaient aussi protéger leurs droits en engageant le cas échéant des procédures judiciaires portant sur les conditions de travail. Rien n’indique donc qu’ils aient été exposés à un risque individuel d’actions défavorables de la part de leur employeur ou laissés sans protection face à l’éventualité de telles actions.
Rien n’indique non plus que les candidats à l’adhésion aient subi un traitement discriminatoire de la part du requérant, et le règlement et les statuts du syndicat ne font en eux-mêmes l’objet d’aucun différend. Le litige dont est saisie la Cour en l’espèce porte sur la question de savoir si, en rejetant les demandes d’adhésion, le requérant a agi de manière abusive et déraisonnable et violé le règlement du syndicat. Ainsi, le Gouvernement soutenait que le requérant avait méconnu les statuts du syndicat en rejetant les demandes d’adhésion.
Il n’existait pas de directives faisant autorité quant à la manière d’interpréter les règles internes du syndicat relatives à l’admission de nouveaux membres telles qu’elles étaient établies dans son règlement intérieur. D’autre part, le raisonnement des juridictions internes est très succinct et ne développe pas les considérations liées au respect par le requérant des règles applicables et des statuts du syndicat lus à la lumière du droit interne pertinent et des exigences de l’article 11.
En particulier, les statuts du syndicat ne prévoyaient aucune exigence spécifique pour l’admission de nouveaux membres. Le requérant a finalement – quoiqu’après la modification de la composition du syndicat – été démis de sa fonction de représentant du syndicat, à une large majorité des voix des membres. Toutefois, rien ne permettait de dire que ses agissements au moment des faits ne fussent pas conformes aux intérêts du syndicat ou des autres membres de l’antenne dont il était responsable, lesquels n’ont pas engagé de procédure contre lui en droit interne après qu’il les eut informés qu’il avait rejeté les demandes d’adhésion. En effet, selon le règlement intérieur et les statuts du syndicat, la fonction du requérant consistait notamment à représenter le syndicat et à protéger les intérêts de ses membres.
En outre, il existait des procédures établies qui permettaient aux candidats à l’adhésion de finalement devenir membres du syndicat, et les actes du requérant n’avaient pas pour objectif de refuser leur admission en elle-même mais de ne pas prendre la décision relative à l’ouverture du syndicat à de nouveaux membres avant l’assemblée ordinaire annuelle qui devait avoir lieu quelque temps plus tard. La Cour note à cet égard qu’il n’a pas été suggéré que le requérant disposât de pouvoirs, institutionnels ou autres, lui permettant de décider à la place de l’assemblée si le syndicat devait s’ouvrir à de nouveaux membres ou d’empêcher l’admission de nouveaux membres malgré une décision contraire de l’assemblée, qui était l’organe suprême du syndicat. Or les juridictions internes n’ont pas expliqué le rapport entre ces considérations et le refus par le requérant d’admettre au sein du syndicat les candidats à l’adhésion.
Elles ont également rejeté la proposition du requérant tendant à l’audition de témoins supplémentaires, alors que cette audition aurait peut-être permis d’éclaircir les circonstances dans lesquelles les candidats à l’adhésion avaient souhaité rejoindre le syndicat. Pour justifier leur décision, elles se sont contentées d’indiquer que la demande de l’intéressé n’était pas pertinente. Dans ces conditions, cette décision ne saurait passer pour une décision dûment motivée.
Conclusion : violation (unanimité).
Article 41 : 5 000 EUR pour préjudice moral.
(Voir aussi Associated Society of Locomotive Engineers and Firemen (ASLEF) c. Royaume-Uni, n o 11002/05, 27 février 2007, résumé juridique )
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