L.B. c. Lituanie
Doc ref: 38121/20 • ECHR ID: 002-13696
Document date: June 14, 2022
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Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 263
Juin 2022
L.B. c. Lituanie - 38121/20
Arrêt 14.6.2022 [Section II]
Article 2 du Protocole n° 4
Article 2 al. 2 du Protocole n° 4
Liberté de quitter un pays
Refus formaliste et non individualisé de délivrer un nouveau passeport pour étranger à un résident de longue durée d’origine tchétchène qui avait précédemment bénéficié d’une protection subsidiaire et qui avait peur de contacter les autorités russes : violation
En fait – Le requérant, un ressortissant russe d'origine tchétchène, arriva en Lituanie en 2001 et se vit accorder la protection subsidiaire à plusieurs reprises entre 2004 et 2008, en raison de la guerre qui était en cours et des violations généralisées des droits de l'homme en république tchétchène. Ses demandes d'asile furent rejetées. En 2008, il obtint un permis de séjour permanent au motif qu’il résidait régulièrement de façon ininterrompue en Lituanie depuis cinq ans. Auparavant, en 2004, il s’était également vu délivrer un passeport pour étranger. Chaque fois que ce passeport expirait, un nouveau lui était délivré jusqu'en 2018. Les autorités lituaniennes rejetèrent ensuite les demandes de délivrance d'un tel passeport formées par le requérant, au motif que ce dernier ne remplissait pas l'une des trois conditions prévues par la loi applicable, à savoir l’incapacité, pour des raisons objectives, d'obtenir un passeport en cours de validité ou un titre de voyage équivalent auprès des autorités du pays d'origine. Le requérant contesta cette décision devant le juge interne, en vain.
En droit – Article 2 § 2 du Protocole n° 4
a) Applicabilité – C’est la première affaire dans laquelle la Cour est saisie du refus de délivrance d’un titre de voyage à un ressortissant étranger. De l'avis de la Cour, l'article 2 du Protocole n° 4 à la Convention ne peut être considéré comme faisant peser sur les États contractants une obligation générale de délivrer aux étrangers résidant sur leur territoire tel ou tel document leur permettant de voyager à l'étranger. En revanche, la Cour souligne qu'aux termes de l'article 2 § 2 du Protocole n° 4, le droit de quitter n’importe quel pays, y compris le sien, est reconnu à « toute personne ». Le requérant séjournait régulièrement en Lituanie et ne possédait pas d'autres pièces d'identité valables que celles qui lui avaient été délivrées par les autorités lituaniennes. De plus, étant donné que, selon le droit interne, le permis de séjour dont il était titulaire ne lui donnait pas le droit de voyager à l'étranger, son droit de quitter la Lituanie n’aurait pas été concret et effectif sans l’obtention d’un titre de voyage. Enfin, le droit lituanien autorisait la délivrance aux étrangers en situation régulière d’un passeport pour étranger, à condition qu'ils remplissent les conditions requises. L'article 2 du Protocole n° 4 est donc applicable.
b) Fond – Il y a eu une ingérence dans le droit du requérant à la liberté de circulation. En particulier, même si, selon le droit applicable de l'Union européenne, le requérant, en tant que résident permanent en Lituanie, avait le droit de franchir les frontières entre les États membres de l'Union sans titre de voyage, un tel document pouvait, dans certaines circonstances, être nécessaire même lors d’un déplacement à l’intérieur de la zone Schengen. De plus, sans document de voyage valable, il lui était interdit de se rendre dans des pays hors de la zone Schengen et hors de l'UE, y compris le Royaume-Uni où vivaient ses enfants. Cette ingérence était prévue par le droit interne applicable. Il n’est cependant pas nécessaire de déterminer si elle poursuivait un but légitime, car en tout état de cause elle n'était pas « nécessaire dans une société démocratique », pour les raisons suivantes.
En l'espèce, contrairement à d'autres affaires examinées à ce jour par la Cour sur le terrain de cette disposition qui concernaient diverses mesures visant à empêcher les requérants de quitter le pays, les autorités lituaniennes n'ont pas cherché à empêcher le requérant de se rendre à l'étranger : leur refus de lui délivrer un passeport pour étranger était fondé sur le fait que, selon elles, il aurait pu obtenir un titre de voyage auprès des autorités russes.
La Cour n'est pas en mesure de déterminer si, dans le cadre de la procédure d'asile, les autorités ont correctement évalué les risques que le requérant aurait encourus dans son pays d'origine car cette procédure, qui a pris fin bien plus de six mois avant l’introduction de la présente requête, n’entre pas dans l’objet du litige. Il ne lui appartient pas non plus de se prononcer sur l'interprétation ou l'application correcte du droit interne en matière d'asile, d'en évaluer la compatibilité avec les directives européennes pertinentes ni de déterminer à quel statut le requérant aurait pu prétendre au regard du droit interne. Cela dit, les autorités lituaniennes ont reconnu pendant un certain temps et à plusieurs reprises que le requérant ne pouvait pas retourner dans son pays d'origine en toute sécurité. À la suite de la dernière décision en la matière, rendue en 2008, le requérant a fait usage de la faculté que lui offrait la loi d'obtenir un permis de séjour plus favorable. Dès lors, l'interruption de l'octroi régulier à lui de la protection subsidiaire avait pour origine des circonstances étrangères à la situation dans son pays d'origine ou aux raisons pour lesquelles il avait demandé ce bénéfice auparavant. En effet, à aucun moment les autorités internes n'ont décidé, à l’issue d’un examen de la situation dans le pays d'origine du requérant et de sa situation personnelle, qu'il n'avait plus besoin de la protection subsidiaire et qu'il aurait pu s'adresser sans crainte aux autorités russes.
En outre, il a été accordé une grande importance au fait que les demandes du requérant tendant à lui accorder le bénéfice du statut de réfugié avaient été rejetées et qu'il n'avait démontré l’existence d’aucune persécution dirigée contre lui personnellement. Toutefois, son allégation selon laquelle il craignait de contacter les autorités russes en raison des motifs pour lesquels il s'était auparavant vu accorder la protection subsidiaire n'a pas été suffisamment examinée dans le cadre de la procédure interne. De plus, le droit lituanien reconnaît depuis lors, même si le requérant ne peut plus s’en prévaloir, que les bénéficiaires de la protection subsidiaire peuvent être fondés à craindre de contacter les autorités de leur pays d’origine : cette crainte est désormais considérée comme une raison objective de ne pas pouvoir obtenir un titre de voyage auprès de ces autorités.
Par ailleurs, pendant près de dix ans, les autorités lituaniennes ont admis que le requérant n'avait pas été en mesure d’obtenir un passeport auprès des autorités russes. Si le Gouvernement soutient que le refus ultérieur de lui délivrer un titre de voyage était fondé sur le changement de pratique des autorités russes en matière de délivrance de passeports aux ressortissants russes résidant à l'étranger, rien n'indique que les autorités lituaniennes aient recherché si cette possibilité était ouverte en pratique au requérant compte tenu de sa situation personnelle, notamment le fait qu'il avait vécu en Lituanie pendant près de vingt ans et qu’il n’était titulaire d’aucun document d'identité russe valable pendant toute cette période.
Par conséquent, le refus de délivrer au requérant un passeport pour étranger a été prononcé sans procéder à une mise en balance et sans veiller à ce que cette mesure soit justifiée et proportionnée à sa situation individuelle. Ce refus était fondé sur des motifs formalistes, à savoir qu'il n'avait pas démontré qu'il risquait personnellement d'être persécuté et qu'il ne pouvait alors pas prétendre au bénéfice de l'asile, ce sans examen adéquat de la situation dans son pays d'origine, et sur la possibilité qu’il aurait eue d'obtenir un passeport russe, ce sans rechercher s’il aurait effectivement eu cette possibilité en pratique compte tenu de sa situation particulière.
Conclusion : violation (unanimité)
Article 41 : 5 000 EUR pour dommage moral.
(Voir aussi Stamose c. Bulgarie , 29713/05, 27 novembre 2012, Résumé juridique ; Khlyustov c. Russie , 28975/05, 11 juillet 2013, Résumé juridique )
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