Lexploria - Legal research enhanced by smart algorithms
Lexploria beta Legal research enhanced by smart algorithms
Menu
Browsing history:

Ecodefence et autres c. Russie

Doc ref: 9988/13, 14338/14, 45973/14, 48431/14, 59787/14, 4798/15, 7098/15, 13474/15, 14070/15, 24773/15, 259... • ECHR ID: 002-13688

Document date: June 14, 2022

  • Inbound citations: 0
  • Cited paragraphs: 0
  • Outbound citations: 0

Ecodefence et autres c. Russie

Doc ref: 9988/13, 14338/14, 45973/14, 48431/14, 59787/14, 4798/15, 7098/15, 13474/15, 14070/15, 24773/15, 259... • ECHR ID: 002-13688

Document date: June 14, 2022

Cited paragraphs only

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 263

Juin 2022

Ecodefence et autres c. Russie - 9988/13, 14338/14, 45973/14 et al.

Arrêt 14.6.2022 [Section III]

Article 11

Article 11-1

Liberté d'association

L’application de la loi sur les agents étrangers à des organisations non gouvernementales et à leurs dirigeants n’était ni prévue par la loi ni nécessaire dans une société démocratique : violation

Article 34

Entraver l'exercice du droit de recours

Manquement à l’obligation de se conformer à une mesure provisoire à l’effet de suspendre l’exécution d’une ordonnance de dissolution prise contre une organisation non gouvernementale : violation

En fait – Les requérants sont des organisations non gouvernementales (ONG) russes et, dans certains cas, leurs dirigeants. La plupart d’entre eux furent inscrits en application de la loi sur les agents étrangers (mise à jour depuis à plusieurs reprises) sur un registre des « agents étrangers » financés par des « sources étrangères » et exerçant une « activité politique ». Les requérants concernés saisirent les juridictions internes pour contester les décisions en vertu desquelles le statut d’« agent étranger » leur avait été attribué, sans succès.

L’application de la loi se traduisit pour les requérants par des amendes administratives, des dépenses financières, des restrictions à leurs activités et, pour le dirigeant d’une organisation, par des poursuites pénales. De nombreuses organisations requérantes furent liquidées pour violation des exigences applicables aux « agents étrangers », ou se trouvèrent contraintes de se déclarer en liquidation soit parce qu’elles n’étaient pas en mesure de payer les amendes qui leur avaient été infligées, soit pour éviter de nouvelles sanctions.

En droit – Article 11 :

a) Sur l’existence d’une ingérence

En conséquence de la loi sur les agents étrangers, les organisations requérantes et leurs dirigeants ont été directement touchés par une série d’inspections, de nouvelles exigences en matière d’enregistrement, de sanctions et de restrictions quant à leurs sources de financement et la nature de leurs activités. Ils se sont trouvés contraints de modifier leur conduite de manière significative afin de réduire le risque de se voir infliger de nouvelles sanctions en application de la loi, mais ces mesures n’ont toutefois pas empêché les autorités de leur infliger de nouvelles amendes alors qu’ils étaient inscrits au registre des « agents étrangers ». Ces mesures ont entraîné la dissolution de certaines organisations requérantes. La dissolution d’une association, qu’elle soit le fait de ses membres agissant sous la contrainte ou ordonnée par les autorités internes, s’analyse en une ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’association.

Il y a donc eu ingérence dans l’exercice par les requérants de leur droit à la liberté d’association garanti par l’article 11, interprété à la lumière de l’article 10.

b) Sur la question de savoir si l’ingérence était « prévue par la loi »

La Cour doit déterminer si la loi pertinente était suffisamment claire et prévisible dans ses termes et si le droit interne offrait un minimum de protection juridique contre les ingérences arbitraires.

i) L’interprétation de l’expression « activité politique »

Les autorités russes ont appliqué une interprétation extensive et imprévisible de l’expression « activités politiques » figurant dans la loi sur les agents étrangers afin d’y inclure même des activités qui avaient été spécifiquement exclues de son champ d’application, et elles ont traité de manière indifférenciée les activités des organisations elles-mêmes, celles de leurs dirigeants ou membres agissant à titre personnel et celles dont la finalité n’était pas d’influer sur les décisions et politiques de l’État, condition pourtant requise par la loi. En effet, la loi sur les agents étrangers disposait qu’une activité ne pouvait être qualifiée de politique que si sa finalité était d’influer sur les politiques de l’État. Dans la pratique, néanmoins, les autorités exécutives et autres ont étendu la notion d’« activité politique » à toute forme de plaidoyer public concernant un ensemble extrêmement large de thématiques, que le but des activités en question ait ou non été d’influer sur les politiques publiques. La classification des activités des ONG en fonction de ce critère - c’est-à-dire selon qu’il s’agissait ou non d’« activités politiques » - a donné des résultats incohérents et engendré des incertitudes parmi les ONG souhaitant exercer des activités de la société civile, en particulier des activités dans le domaine des droits de l’homme ou de la protection de l’environnement, ou des actions caritatives, d’autant plus que les juridictions internes n’ont fourni aucune indication cohérente à propos de ce qui constituait ou non une « activité politique ».

ii) Les dispositions relatives aux « financements étrangers »

La loi ne contenait aucune règle quant aux buts visés par les « financements étrangers », et elle n’imposait pas aux autorités d’établir un lien entre ces financements et les « activités politiques » alléguées de l’organisation. Les autorités ont par ailleurs utilisé l’expression « financement étranger » de manière indifférenciée, y incluant les paiements en faveur de membres ou dirigeants des organisations requérantes, même lorsque ceux-ci avaient agi à titre personnel sans impliquer l’organisation. En outre, la loi définissait le terme « source étrangère » comme incluant à la fois les sources étrangères à proprement parler, comme les États ou encore les institutions, associations et personnes physiques étrangères, et les entités russes « recevant des fonds et d’autres biens de ces sources ». La loi ne précisait pas en vertu de quel critère une entité russe pouvait être considérée comme relevant de cette catégorie, ce qui a créé une situation d’incertitude. L’absence de critères clairs et prévisibles a laissé aux autorités toute la latitude qui leur était nécessaire pour affirmer que les organisations requérantes recevaient des « financements étrangers », aussi lointaine ou ténue fût leur association avec une « source étrangère » présumée. Les circonstances dans lesquelles un refus de financement étranger pouvait être considéré comme valable n’étaient ni plus claires ni plus prévisibles.

Dès lors, les requérants se sont retrouvés dans l’incapacité d’envisager avec un degré suffisant de prévisibilité quels financements et quelles sources de financement seraient qualifiés de « financements étrangers » aux fins de leur enregistrement en tant qu’» agents étrangers ». La norme juridique applicable aux financements étrangers, qui a permis une interprétation trop large et imprévisible de cette notion, ne répondait pas à l’exigence de « qualité de la loi » et a privé les requérants de la possibilité de réguler leur situation financière.

Globalement, deux notions clés de la loi (« activité politique » et « financements étrangers ») ne satisfaisaient pas à l’exigence de prévisibilité, et le contrôle juridictionnel n’offrait pas de garanties adéquates et effectives contre l’exercice arbitraire et discriminatoire du large pouvoir discrétionnaire laissé à l’exécutif. Pareil constat suffirait pour conclure à la violation de l’article 11, interprété à la lumière de l’article 10. Néanmoins, les questions posées en l’espèce sont étroitement liées à la question plus large de savoir si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique ».

c) Sur l’existence d’un but légitime

La Cour admet en principe qu’une plus grande transparence dans le financement des organisations de la société civile peut servir le but légitime que représente la protection de l’ordre public.

d) Sur la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique

i) Création d’un statut spécial d’« agent étranger »

Le fait de qualifier d’« agent étranger » toute organisation ayant reçu des fonds d’entités étrangères était injustifié et préjudiciable, et était susceptible d’avoir un effet fortement dissuasif et stigmatisant sur les opérations des organisations concernées. Cette qualification a donné des organisations concernées l’image d’entités sous contrôle étranger, quand bien même ces organisations se considéraient comme des membres de la société civile nationale œuvrant en faveur du respect des droits de l’homme, de l’État de droit et du développement humain dans l’intérêt de la société russe et du système démocratique.

Du fait de l’attitude négative des groupes cibles de ces organisations et des restrictions réglementaires et législatives qui furent imposées au droit des organisations considérées comme des « agents étrangers » de participer à des projets de coopération et de surveillance, la création de ce nouveau statut a sérieusement limité la capacité des organisations requérantes à poursuivre leurs activités. L’enregistrement des organisations requérantes en tant qu’« agents étrangers » a restreint la capacité de celles-ci à participer à la vie publique et à se livrer à des activités qu’elles menaient avant la création de cette nouvelle catégorie. Le Gouvernement n’a été en mesure ni d’avancer des motifs « pertinents et suffisants » propres à justifier la création de cette nouvelle catégorie, ni de démontrer que ces mesures poursuivaient l’objectif déclaré d’accroître la transparence. La création de ce statut tel que défini par le droit interne n’était donc pas « nécessaire dans une société démocratique ».

ii) Les exigences supplémentaires en matière d’audit et de déclaration

Le Gouvernement a également échoué à avancer des motifs « pertinents et suffisants » propres à justifier l’imposition d’exigences supplémentaires aux organisations requérantes du seul fait de leur inscription au registre des « agents étrangers ». Parmi ces exigences figuraient notamment une augmentation de la fréquence des obligations déclaratives et des inspections, l’introduction pour les organisations considérées comme des « agents étrangers » de l’obligation de se soumettre à un audit obligatoire et d’en publier les résultats sur un site Internet dédié, et l’impossibilité pour ces organisations d’opter pour une comptabilité simplifiée. La Cour ne voit pas comment ces mesures pouvaient sensiblement faciliter la communication au public d’informations plus transparentes et complètes, comme le Gouvernement le prétend. En toute hypothèse, ces mesures supplémentaires ont imposé aux organisations requérantes et à leur personnel une charge financière et organisationnelle importante et excessive, et elles ont amoindri leur capacité à exercer leurs activités principales. Ces exigences supplémentaires imposées par le droit interne n’étaient ni « nécessaires dans une société démocratique », ni proportionnées aux buts déclarés.

iii) Restriction de l’accès aux sources de financement

En l’absence de conditions claires quant à l’applicabilité de la loi sur les agents étrangers, la seule manière pour les organisations requérantes, d’une part, d’échapper à l’application du statut d’« agent étranger » et des restrictions y afférentes et, d’autre part, de poursuivre leurs activités était de renoncer totalement aux « financements étrangers ». Les requérants ont donc dû choisir entre refuser tout « financement étranger », selon l’interprétation la plus large possible de ce terme, et engager des dépenses supplémentaires et respecter les autres exigences. En leur imposant ce choix, la loi a contraint les organisations requérantes à opter soit pour un financement exclusivement national, soit pour un financement exclusivement étranger, ce qui, dans les faits, a eu pour effet de restreindre les options de financement disponibles.

Obliger une organisation à choisir entre accepter des financements étrangers et solliciter des financements publics n’est pas lui laisser un vrai choix. Pour que les ONG puissent jouer leur rôle de « chien de garde de la société », elles doivent être libres de solliciter et de recevoir des fonds de diverses sources. La diversité de ces sources pourrait renforcer l’indépendance des bénéficiaires de ces financements dans une société démocratique. En outre, la Cour n’est pas convaincue par l’affirmation selon laquelle les aides et subventions publiques accordées aux organisations non commerciales qui mettent en œuvre des « projets socialement importants » auraient pu compenser de manière adéquate les financements étrangers et internationaux dont les organisations avaient bénéficié jusqu’alors.

Le Gouvernement n’a pas été en mesure de démontrer que les organisations requérantes qui avaient été contraintes de refuser des financements étrangers de peur d’être inscrites au registre des « agents étrangers » auraient pu avoir accès en toute transparence et de manière non discriminatoire à des financements publics. Il a également échoué à avancer des motifs « pertinents et suffisants » propres à justifier sa décision de contraindre les organisations requérantes à choisir entre poursuivre leur travail tout en acceptant des financements étrangers et les lourdes exigences découlant du statut d’« agent étranger », et réduire leurs activités de manière significative du fait de l’insuffisance, voire de l’absence totale, de financements publics. Sans un financement adéquat, les organisations requérantes se sont trouvées dans l’incapacité de mener des activités qui représentaient leur raison d’être principale, et certaines d’entre elles ont dû être liquidées. Les autorités exécutives comme les juridictions internes n’ont considéré ni les conséquences des dispositions relatives aux « financements étrangers » sur le travail de ces organisations, ni la possibilité pour ces dernières d’obtenir d’autres financements en Russie. Il s’ensuit que les restrictions à l’accès aux financements qui leur ont été imposées n’étaient pas nécessaires dans une société démocratique.

iv) Nature et sévérité des sanctions

La loi sur les agents étrangers a érigé en infraction passible d’une amende le fait pour une organisation d’avoir poursuivi ses activités sans s’être enregistrée en tant qu’» agent étranger », de ne pas s’être conformée aux exigences comptables ou déclaratives supplémentaires et de ne pas avoir ajouté à ses publications une mention précisant qu’une organisation classée comme « agent étranger » en était l’auteur. Elle a également érigé en infraction pénale le fait pour une personne physique d’omettre délibérément de fournir des documents aux fins de l’enregistrement d’une organisation en tant qu’« agent étranger ». Même le montant plancher de l’amende en question a été fixé à un niveau qui représentait entre trente (en 2013) et treize (en 2019) fois le salaire minimum mensuel, autrement dit, à un niveau représentant entre un et trois ans de salaire minimum. De plus, les sanctions infligées aux organisations classées comme « agent étranger » étaient bien plus lourdes que celles qui étaient infligées aux organisations non commerciales ne relevant pas de cette catégorie qui avaient commis des infractions analogues.

Des sanctions de cette ampleur appellent un contrôle renforcé de leur proportionnalité. Pourtant, le Gouvernement n’a avancé aucun motif pertinent et suffisant propre à justifier des amendes d’un tel montant. Nombre des organisations requérantes n’avaient pas les moyens de payer les amendes en question. Certaines ont dû réduire considérablement leurs activités ou être liquidées, soit parce qu’elles ne pouvaient pas payer les amendes qui leur avaient été infligées, soit parce qu’elles ne pouvaient courir le risque de se voir infliger de nouvelles amendes.

Les juridictions internes ont également échoué à fournir des « motifs pertinents et suffisants » propres à justifier leur choix en matière de sanctions. Elles n’ont pas examiné la proportionnalité des amendes au regard, en particulier, de l’impact de celles-ci sur la capacité de l’organisation à poursuivre son travail. Il ressort en outre de la jurisprudence interne présentée à la Cour que les sanctions étaient imprévisibles. La loi ne renfermait aucune indication quant aux actes constitutifs d’une infraction plus ou moins grave, et elle a laissé place à l’arbitraire quant au montant des amendes.

Compte tenu du caractère essentiellement réglementaire des infractions, du montant élevé des amendes administratives infligées et de leur accumulation fréquente, ainsi que du fait que les requérants aient été des organisations de la société civile sans but lucratif qui avaient subi une réduction de leur budget en raison des restrictions qui leur avaient été imposées quant aux financements étrangers, les amendes prévues par la loi sur les agents étrangers ne pouvaient pas être considérées comme proportionnées au but légitime poursuivi. Ce constat s’applique a fortiori aux sanctions pénales, le non-respect des exigences formelles relatives à la réinscription d’une ONG ne pouvant guère justifier une condamnation pénale ; ces sanctions étaient donc elles aussi disproportionnées par rapport au but légitime poursuivi.

Globalement, le Gouvernement n’a pas avancé de motifs pertinents et suffisants de nature à justifier la création d’un statut spécial d’« agent étranger », l’imposition d’obligations comptables et déclaratives supplémentaires pour les organisations inscrites en tant qu’« agents étrangers », la restriction de l’accès de ces organisations à certaines sources de financement et des sanctions disproportionnées infligées d’une manière imprévisible en cas de violation de la loi sur les agents étrangers. Cumulativement, ces restrictions ont abouti - par conception ou par effet - à un régime juridique qui a produit un « effet dissuasif » significatif quant au choix de rechercher ou d’accepter des financements étrangers, aussi insignifiant eussent-ils été, dans un contexte où les possibilités d’obtenir des financement publics étaient plutôt limitées, en particulier dans des domaines politiquement ou socialement sensibles ou pour des causes impopulaires au niveau national. Les mesures en question ne pouvaient donc passer pour « nécessaires dans une société démocratique ».

Conclusion : violation à l’égard de chacun des requérants (unanimité).

La Cour dit également, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 34 en ce que l’exécution d’une ordonnance de dissolution contre International Memorial a révélé un manquement à une mesure provisoire indiquée par elle en vertu de l’article 39 du règlement et a porté atteinte au droit de recours individuel de l’organisation en question.

Article 41 : la Russie doit verser aux requérants des sommes comprises entre 60 EUR et 21 430 EUR pour dommage matériel, et 10 000 EUR à chacune des ONG requérantes et à leurs dirigeants pour préjudice moral.

© Conseil de l’Europe/Cour européenne des droits de l’homme Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.

Cliquez ici pour accéder aux Notes d'information sur la jurisprudence

© European Union, https://eur-lex.europa.eu, 1998 - 2025

LEXI

Lexploria AI Legal Assistant

Active Products: EUCJ + ECHR Data Package + Citation Analytics • Documents in DB: 401132 • Paragraphs parsed: 45279850 • Citations processed 3468846