Tagiyeva c. Azerbaïdjan
Doc ref: 72611/14 • ECHR ID: 002-13738
Document date: July 7, 2022
- 0 Inbound citations:
- •
- 0 Cited paragraphs:
- •
- 0 Outbound citations:
Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 264
Juillet 2022
Tagiyeva c. Azerbaïdjan - 72611/14
Arrêt 7.7.2022 [Section V]
Article 2
Obligations positives
Absence de risque réel et immédiat pour la vie d’un écrivain connu qui avait été visé par une fatwa religieuse, non suivie de menaces ou d’intimidations, et qui est mort poignardé par un inconnu : violation
En fait – L’époux de la requérante était un écrivain et chroniqueur bien connu. En novembre 2006, il publia un article intitulé « L'Europe et nous », qui critiquait l'islam. Après la publication de l'article, il fut publiquement décrié par diverses personnalités et groupes religieux azerbaïdjanais et iraniens. En particulier, ce même mois, une personnalité religieuse iranienne éminente émit une fatwa religieuse qui appelait à la mort du mari de la requérante. L'article fut également à l’origine de manifestations en Iran devant l'ambassade et le consulat d'Azerbaïdjan. L’époux de la requérante fut ensuite reconnu coupable d'une infraction pénale en rapport avec l'article en cause (incitation à la haine et à l'hostilité ethniques, raciales, sociales ou religieuses, commise publiquement ou au moyen des médias). Ce procès pénal était l’objet de l’arrêt Tagiyev et Huseynov c. Azerbaïdjan rendu par la Cour. En décembre 2007, l’époux de la requérante fut gracié par le président et libéré de prison.
Il continua à collaborer avec divers journaux et revues après sa libération et, le 10 novembre 2011, il publia un article intitulé « L'Iran et la fatalité de la mondialisation », critiquant le caractère religieux et totalitaire de l'État iranien et sa politique mondiale. Le 19 novembre 2011, il fut poignardé par un inconnu et mourut quelques jours après. Des poursuites pénales furent engagées immédiatement après l'agression, mais classées sans suite deux ans plus tard au motif qu’il était impossible d'identifier les auteurs du crime.
En droit – Article 2:
a) Volet matériel – La Cour constate qu’une fatwa religieuse dirigée contre l’époux de la requérante a été émise à la suite de la publication de son article intitulé « L'Europe et nous » et que des protestations s'en sont suivies. Elle n'exclut pas que, dans certaines circonstances, une fatwa émise par une personnalité religieuse, exerçant une influence religieuse et politique considérable sur un groupe social, puisse faire naître l’obligation pour l'État d’agir en prenant des mesures préventives concrètes. Cependant, elle n'est pas convaincue que, dans les circonstances particulières de l'espèce, les autorités avaient eu ou auraient dû avoir connaissance à l'époque considérée, c’est-à-dire dans les jours qui ont précédé le 19 novembre 2011, de l'existence d'un risque réel et immédiat pour la vie de l'époux de la requérante d’actes criminels d'un tiers, sur la seule base des éléments susmentionnés.
Aucun élément du dossier n'indique qu'à l'époque des faits les forces de l'ordre aient été conscientes du danger pour la vie de l'époux de la requérante ni qu'elles aient détenu des éléments d’information qui auraient pu leur en donner conscience. Notamment, jamais l’époux de la requérante n'avait saisi les autorités nationales ni ne les avait informées d'un danger ou d'une menace pour sa vie avant d'être poignardé. Il n'avait reçu aucune menace verbale ni fait l'objet d'aucune forme d'intimidation, encore moins de violence physique, en rapport avec ses publications postérieurement à sa sortie de prison. La Cour ne peut pas non plus méconnaître les propos que l’époux de la requérante avait tenus avant sa mort dans lesquels il évoquait non pas à la fatwa ni les manifestations religieuses, mais son article de 2011, tout en indiquant qu'il n'avait reçu aucune menace à la suite de sa publication.
Pour ces raisons, rien ne permet de conclure que les autorités internes avaient eu ou auraient dû avoir connaissance à l'époque pertinente de l'existence d'un risque réel et immédiat pour la vie de l'époux de la requérante.
Conclusion : non-violation (unanimité).
b) Volet procédural – Il n'y a eu aucune lacune susceptible de faire douter du caractère globalement adéquat de l'enquête menée par les autorités internes sur le décès de l'époux de la requérante. Cependant, alors que la requérante avait obtenu la qualité de victime dans le cadre de l'enquête, les autorités chargées de celle-ci lui ont refusé à plusieurs reprises l'accès au dossier. Le droit interne pertinent ne prévoyait aucun droit d'accès, ce que la Cour juge inacceptable. Cette situation a privé la requérante de la possibilité de préserver ses intérêts légitimes et a empêché le public d’exercer un contrôle suffisant sur l'enquête. Dès lors, l'enquête a été ineffective car il lui manquait une garantie importante, celle de l’association de la famille du défunt.
Conclusion : violation (unanimité).
Article 41 : 12 000 EUR pour dommage moral. Rejet des prétentions pour dommage matériel.
(Voir aussi Huseynova c. Azerbaïdjan , 10653/10, 13 avril 2017, Résumé juridique ; Tagiyev et Huseynov c. Azerbaïdjan , 13274/08, 5 décembre 2019, Résumé juridique ; Shuriyya Zeynalov c. Azerbaïdjan , 69460/12, 10 septembre 2020).
© Conseil de l’Europe/Cour européenne des droits de l’homme Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.
Cliquez ici pour accéder aux Notes d'information sur la jurisprudence