Chocholáč c. Slovaquie
Doc ref: 81292/17 • ECHR ID: 002-13742
Document date: July 7, 2022
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Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 264
Juillet 2022
Chocholáč c. Slovaquie - 81292/17
Arrêt 7.7.2022 [Section I]
Article 8
Article 8-1
Respect de la vie privée
L’interdiction générale et indifférenciée faite aux détenus de posséder du matériau pornographique ne permet pas d’apprécier la proportionnalité dans un cas donné : violation
En fait – Le requérant purge une peine d'emprisonnement à vie. Après une fouille de routine, des photographies tirées de magazines pour adultes et illustrant des rapports hétérosexuels adultes « classiques » furent trouvées en sa possession. Le matériau fut jugé pornographique et, en tant que tel, contraire à la moralité au sens de la loi sur l'exécution des peines de prison. Il fut saisi et le requérant fut reconnu coupable d'une infraction disciplinaire, pour laquelle il reçut un blâme. Il contesta cette décision, en vain, et forma un recours constitutionnel qui fut lui aussi rejeté.
En droit – Article 8 :
a) Applicabilité et ingérence – Il n'est pas contesté que le requérant détenait des matériaux imprimés susceptibles de servir, dans le cadre de sa sphère privée, de stimulant à la satisfaction auto-érotique. L'affaire ne soulève donc en la matière aucune question tenant aux obligations positives en général ou in concreto . La possession de matériaux de ce type, note la Cour, n'est normalement pas contraire à la loi de l'Etat défendeur. Or, dans la situation particulière où se trouvait le requérant, elle était interdite. En outre, le fait que le régime carcéral en question n'autorisait aucune visite conjugale est un élément du contexte dans lequel il faut apprécier la restriction litigieuse à la capacité du requérant à avoir une vie sexuelle.
Dans ces conditions, les faits de l’espèce relèvent du champ d'application matériel du droit au respect de la vie privée consacré par l'article 8. La saisie des matériaux du requérant et le blâme qu'il a reçu pour leur possession s’analysent dès lors en une ingérence dans l’exercice de ce droit.
b) Justification de l’ingérence – L'ingérence était prévue par la loi. La Cour exprime des doutes quant à savoir si la mesure litigieuse poursuivait effectivement l'un quelconque des buts légitimes mis en avant par le Gouvernement (protection de la morale, défense de l'ordre et protection des droits et libertés d'autrui) mais elle ne juge pas nécessaire de trancher en définitive cette question puisque, de toute façon, cette mesure n'était pas nécessaire dans une société démocratique.
La possession de matériau explicite dans le contexte carcéral met en opposition l'intérêt privé de la personne concernée à l'intérêt public.
En ce qui concerne l'intérêt privé du requérant, puisque l'emprisonnement emportait une exclusion totale de tout contact intime avec le sexe opposé, la Cour constitutionnelle a reconnu que la pornographie pouvait servir de stimulant à la satisfaction auto-érotique. En outre, pour ce qui est de la situation individuelle du requérant, sa privation de tout contact intime direct était de longue durée, sinon permanente. Rien n'indique qu'il eût auparavant été reconnu coupable d'une infraction à caractère sexuel ni qu'il fût atteint d'un problème en raison duquel le matériau en question risquait de déclencher un comportement violent ou inapproprié pour d’autres raisons. En outre, rien ne permet de dire que ce matériau comportait des éléments interdits en eux-mêmes par la loi. Au contraire, le matériau de ce type était communément accessible par le biais de la distribution générale de la presse à la population adulte dans l'Etat défendeur et ailleurs. Il était confiné à la sphère privée du requérant et destiné exclusivement à son usage individuel et privé dans cette sphère, notamment dans sa cellule, dont il était le seul occupant. Dans ces conditions, la gravité relativement négligeable de la sanction qui a été infligée au requérant n'est pas décisive puisque le cœur du problème était non pas cette sanction mais l'interdiction qui en était à l’origine. En outre, si l'interdiction avait été enfreinte à plusieurs reprises, la sanction était censée s'alourdir.
S'agissant des intérêts publics en jeu, si la marge d'appréciation quant aux moyens de protéger la morale est étendue, une restriction aux droits conventionnels des détenus ne peut être justifiée en se fondant uniquement sur ce qui heurterait l'opinion publique. Quant à la défense de l'ordre en prison et à la protection des droits et libertés d'autrui, aucun élément prouvant l’existence concrète de cas n'a été apportée à l'appui de thèse selon laquelle la possession de matériaux pour adultes analogues à ceux saisis en l’espèce eût été source de risques réels au regard de ces valeurs. Sur l’impératif d’amendement et de réinsertion que vise toute peine de prison, celui-ci est généralement reconnu au niveau national et il est interdit aux détenus de détenir des objets incompatibles avec lui. Cependant, ce fondement particulier de la sanction du requérant pour possession des matériaux litigieux n'a pas été évoqué lorsque l'affaire a été jugée au niveau national.
Enfin, il n'y a pas eu la moindre mise en balance des intérêts individuels et publics en conflit. La loi n’offrait aucune possibilité de prendre en compte les intérêts individuels, l'administration carcérale n'était pas en mesure de traiter les cas individuels de manière différenciée et la Cour constitutionnelle a jugé qu'elle n'avait pas le pouvoir de traiter le problème dans le cadre d’un recours individuel, ayant supposé que le législateur avait fait reposer le texte qu'il avait voté sur l'expertise requise. Or aucune véritable expertise n’a été évoquée pour étayer cette supposition.
L'interdiction litigieuse s’analysait donc en une restriction généralisée et indifférenciée qui ne permettait pas l'analyse de proportionnalité requise dans un cas individuel. L'absence d'une telle analyse tant sur le plan législatif qu’au regard des faits du cas individuel du requérant au sujet d’une question qui revêtait une importance pour lui outrepasse toute marge d'appréciation acceptable, de sorte qu'un juste équilibre n'a pas été ménagé entre les intérêts publics et privés en conflit.
Conclusion : violation (cinq voix contre deux).
Article 41 : 2 600 EUR pour dommage moral.
© Conseil de l’Europe/Cour européenne des droits de l’homme Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.
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