Sergei Sorokin c. Russie
Doc ref: 52808/09 • ECHR ID: 002-13760
Document date: August 30, 2022
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Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 265
Août 2022
Sergei Sorokin c. Russie - 52808/09
Arrêt 30.8.2022 [Section III]
Article 10
Article 10-1
Liberté d'expression
Perquisition injustifiée du domicile d’un journaliste et saisie de ses appareils électroniques sans garanties procédurales propres à assurer la protection de la confidentialité des sources journalistiques : violation
En fait – Le requérant, journaliste de son état, publia un entretien avec M. L., directeur adjoint du ministère de l’Intérieur de la République de Komi, dans lequel était évoqué un scandale impliquant de hauts responsables publics. À la suite de cette publication, une procédure pénale fut ouverte contre M. L. pour divulgation d’informations relatives à des activités opérationnelles considérées par la loi comme relevant du secret défense. Le tribunal municipal de Syktyvkar autorisa la perquisition de l’appartement du requérant et la saisie d’appareils contenant des informations relatives à l’entretien de M. L. L’ordinateur du requérant, quatre disques durs et une cassette audio furent saisis. Le requérant attaqua ces mesures devant la Cour suprême de la République de Komi, qui le débouta de son recours.
En droit – Article 10 : La perquisition du domicile du requérant et la saisie de ses appareils électroniques s’analysent en une ingérence dans l’exercice par l’intéressé de son droit à la liberté d’expression. Si les mesures litigieuses avaient une base légale générale en droit interne, la Cour constate toutefois un manque de garanties procédurales propres à protéger les sources journalistiques et à encadrer la saisie et l’exploitation des supports de données :
- bien que le code de procédure pénale contînt certaines garanties générales en matière de perquisitions et de saisies, il ne prévoyait aucune protection spécifique des sources journalistiques au stade de l’exécution de ces mesures ;
- par ailleurs, on voit mal comment les dispositions du droit interne, qui font peser sur les responsables éditoriaux de médias de masse une obligation de ne pas divulguer les informations fournies sous couvert de confidentialité ni le nom de sources ayant requis l’anonymat, pourraient être respectées par les intéressés dans les cas où des mesures de perquisition et de saisie sont prises à l’encontre de journalistes. Si une décision de la Cour suprême de la Fédération de Russie a récemment fourni aux juridictions inférieures des orientations en la matière, elle n’est intervenue que postérieurement aux faits de la présente espèce.
La Cour n’est dès lors pas convaincue que le cadre juridique interne tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits assurât une protection juridique adéquate des sources journalistiques contre les ingérences arbitraires. Elle n’a toutefois pas besoin de se prononcer sur cette question dès lors que, pour les raisons exposées ci-après, l’ingérence en cause n’était en toute hypothèse pas « nécessaire dans une société démocratique ».
L’ingérence poursuivait le but légitime que constitue la prévention des infractions pénales, la perquisition et la saisie ayant été ordonnées dans le cadre d’une enquête pénale relative à des faits de divulgation d’informations classées secret défense qui étaient reprochés à M. L. La perquisition fut toutefois effectuée sans garanties procédurales contre des atteintes à la confidentialité des sources journalistiques du requérant :
- dans sa décision autorisant l’émission du mandat de perquisition, le tribunal de Syktyvkar n’a pas cherché à mettre en balance l’intérêt à obtenir des preuves qui s’attachait à l’enquête et l’intérêt public général à voir les sources journalistiques protégées ;
- la Cour suprême de la République de Komi, plutôt que de s’assurer de la nécessité et de la proportionnalité des actes accomplis par les autorités chargées de l’enquête, a limité son contrôle à l’examen de la légalité formelle de la perquisition ;
- dans sa décision autorisant les mesures de perquisition et de saisie, le tribunal de Syktyvkar n’a pas enjoint aux autorités chargées de l’enquête de recourir à des procédures de tri ou à d’autres méthodes visant à garantir l’inaccessibilité des informations personnelles et professionnelles du requérant sans lien avec les faits qui lui étaient reprochés. Il n’a pas davantage exposé les raisons précises qui l’avaient amené à conclure que l’exploitation de l’ensemble des données du requérants était nécessaire à l’enquête ;
- se conformant aux termes du mandat, l’enquêteur a saisi l’ensemble des appareils électroniques du requérant, lesquels contenaient nécessairement des informations sans lien avec l’affaire pénale. En l’absence de toute procédure de tri ou de toute autre méthode visant à protéger la confidentialité des sources journalistiques du requérant qui étaient sans lien avec l’affaire pénale, aucun élément ne permet de prouver que les autorités chargées de l’enquête n’aient pas immédiatement accédé à l’intégralité de ces informations.
Conclusion : violation (unanimité).
Article 41 : 7 500 EUR pour dommage moral.
© Conseil de l’Europe/Cour européenne des droits de l’homme Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.
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