J.I. c. Croatie
Doc ref: 35898/16 • ECHR ID: 002-13778
Document date: September 8, 2022
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Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 266
Septembre 2022
J.I. c. Croatie - 35898/16
Arrêt 8.9.2022 [Section I]
Article 3
Enquête effective
Manquement, contraire au droit interne, à l’obligation de mener une enquête effective sur des allégations de menaces de mort qui auraient été proférées contre une victime de viol vulnérable par l’auteur des faits, son père : violation
En fait – Le père de la requérante, B.S., fut condamné et emprisonné pour viols et inceste perpétrés contre sa fille. À l’occasion d’une permission de sortie, il aurait proféré, par l’intermédiaire de proches, des menaces de mort à l’égard de cette dernière, qui contacta alors la police à plusieurs reprises, notamment après avoir vu B.S. à un arrêt de bus. La police intervint sur les lieux mais aucune autre mesure ne fut prise. Les plaintes de la requérante relativement à l’attitude de la police aboutirent à une enquête interne du ministère de l’Intérieur, qui resta infructueuse. Le recours que l’intéressée forma devant la Cour constitutionnelle fut rejeté.
En droit – Article 3 :
a) Sur le point de savoir si la requérante a été soumise à un traitement contraire à l’article 3 – La requérante était une jeune femme d’origine rom extrêmement traumatisée, qui avait subi des souffrances physiques et des traumatismes psychologiques extrêmes. La Cour ne peut douter que la crainte de l’intéressé de subir de nouveaux abus et des représailles de la part de B.S., découlant des menaces de mort qu’elle avait indirectement reçues, était à la fois véritable et intense. Elle conclut que cette crainte associée à l’anxiété et au sentiment d’impuissance ressentis dans ces circonstances s’analysent en un traitement inhumain au sens de l’article 3.
b) Sur le point de savoir si les autorités se sont acquittées des obligations que l’article 3 faisait peser sur elles – La requérante a contacté la police à trois reprises pour l’informer de graves menaces proférées à son encontre par B.S. Alors qu’elles avaient l’obligation d’enquêter sur ces allégations de menaces de mort, les autorités n’ont ouvert à aucune de ces occasions l’enquête pénale que le droit interne leur imposait :
- La Cour n’a pas pu établir si, lorsqu’elle avait contacté la police pour la première fois en appelant le service d’assistance téléphonique d’urgence, la requérante avait clairement indiqué que B.S. avait proféré de graves menaces de mort à son encontre.
- La deuxième fois, lorsque la police était intervenue à l’arrêt de bus, le procès-verbal établi par les policiers indiquait clairement que la requérante leur avait dit que B.S. avait menacé de la tuer. Le droit interne n’exigeait aucune forme particulière pour le dépôt d’une plainte pénale qui pouvait être formulée oralement ou par écrit. La loi obligeait la police à mener une investigation préliminaire dès lors qu’elle avait connaissance d’allégations selon lesquelles une infraction susceptible d’être poursuivie d’office pouvait avoir été commise. Une menace grave proférée par un membre de la famille étant constitutive d’une infraction susceptible d’être poursuivie d’office, la police aurait au moins dû ouvrir une investigation préliminaire sur les allégations de la requérante. Elle aurait ensuite dû informer le parquet compétent des résultats de cette investigation. Par ailleurs, même si les autorités avaient conclu que les allégations de l’intéressée concernaient une infraction pénale relevant de poursuites privées ou que les actes dont elle se plaignait n’étaient pas constitutifs d’une infraction pénale, la police aurait dû l’en informer.
- La requérante a contacté la police une troisième fois par l’intermédiaire d’une lettre rédigée par son avocat, dans laquelle elle se plaignait de l’absence de réaction de la police à ses préoccupations et sollicitait des autorités les mesures appropriées pour protéger son intégrité physique. Elle demandait expressément que sa plainte relative aux menaces alléguées de B.S. à son encontre fût transmise au parquet compétent, ce qui n’a jamais été fait. Sa lettre a été perçue comme une simple plainte concernant le travail de la police et a donné lieu à une enquête interne.
Le grief par lequel la requérante soutenait que le comportement dédaigneux de la police résultait de son origine ethnique rom n’est pas étayé. Dans une affaire telle que le cas d’espèce, toutefois, où les autorités avaient connaissance de la vulnérabilité particulière de la requérante à raison de son sexe, de son origine ethnique et de ses traumatismes passés, celles-ci auraient dû répondre promptement et efficacement aux plaintes formulées par l’intéressée afin de la protéger de la mise à exécution des menaces de mort qu’elle soutenait avoir reçues, et de toutes représailles, intimidation et victimisation répétée.
La permission de sortie de B.S. a finalement été suspendue et celui-ci a été expulsé de Croatie immédiatement après sa libération, mais on ne saurait ignorer que la police n’a jamais ouvert d’enquête pénale, ni même d’investigation préliminaire, sur les allégations de la requérante, avant la communication de la présente requête au gouvernement défendeur. Les autorités n’ont jamais vraiment tenté d’examiner le cas d’espèce dans sa globalité, en tenant compte notamment des violences domestiques auxquelles la requérante avait précédemment été exposée, alors que ce type d’affaires requiert une telle approche
Partant, les autorités ont manqué à leur obligation de mener une enquête effective sur les allégations par lesquelles une victime de viol particulièrement vulnérable soutenait avoir reçu des menaces de mort.
Conclusion : violation (six voix contre une).
Article 41 : 12 000 EUR pour dommage moral.
(Voir aussi Volodina c. Russie 41261/17, 9 juillet 2019, Résumé juridique ; Tunikova et autres c. Russie , 55974/16 et al., 14 décembre 2021, Résumé juridique )
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