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Jansons c. Lettonie

Doc ref: 1434/14 • ECHR ID: 002-13780

Document date: September 8, 2022

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Jansons c. Lettonie

Doc ref: 1434/14 • ECHR ID: 002-13780

Document date: September 8, 2022

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Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 266

Septembre 2022

Jansons c. Lettonie - 1434/14

Arrêt 8.9.2022 [Section V]

Article 8

Obligations positives

Article 8-1

Respect du domicile

Défaut de protection du requérant face à un nouveau propriétaire qui, après s’être introduit de force et de manière illégale dans son domicile, en a interdit l’accès à l’intéressé ; expulsion illégale par un huissier, constitutive d’une ingérence : violation

En fait – Le requérant occupait un appartement dans un immeuble résidentiel sur le fondement d’un contrat d’« usage de locaux » qu’il avait conclu avec l’entité privée à laquelle appartenait alors l’immeuble. Ce contrat, qui avait été reconduit à plusieurs reprises, conférait au requérant la priorité pour la conclusion d’un nouveau contrat. L’immeuble fut un jour vendu à une autre entité privée. Après cette vente, le requérant versa à la nouvelle entité propriétaire les sommes prévues par le contrat pour l’usage des locaux, et il continua à verser ces sommes après l’expiration du contrat, présumant que celui-ci avait été de facto reconduit. Lorsqu’il refusa de signer un bail de courte durée non reconductible, la nouvelle entité propriétaire lui adressa une lettre lui intimant de vider les lieux et elle cessa d’accepter les sommes qu’il lui versait au titre du contrat. L’intéressé refusa de libérer les locaux et engagea contre la nouvelle entité propriétaire une procédure civile visant à faire établir que le contrat d’« usage des locaux » était un bail et qu’il existait en conséquence un rapport locatif de fait entre la nouvelle entité propriétaire et lui-même.

Avec l’aide d’agents de sécurité privés armés, la nouvelle entité propriétaire força alors la première des portes qui menaient au domicile du requérant. L’intéressé appela la police, qui se rendit sur place mais quitta les lieux après l’avoir informé qu’il ne pourrait porter plainte qu’au poste de police. Le lendemain, alors que le requérant était sorti de son appartement pour, entre autres, aller déposer une plainte pénale, la serrure de la porte extérieure fut changée ; pendant les semaines qui suivirent, les agents de sécurité empêchèrent l’intéressé d’entrer dans l’appartement. Malgré les demandes répétées du requérant, la police n’intervint pas.

Par la suite, un huissier fit exécuter la décision de justice portant transfert de possession qui avait été rendue en faveur de la nouvelle entité propriétaire contre l’ancienne entité propriétaire. La deuxième porte menant à l’appartement fut forcée en présence de la police. Le requérant arriva sur place après le départ des policiers ; il informa l’huissier de son identité et lui dit qu’il était le locataire de l’appartement, mais l’huissier continua à faire exécuter la décision de justice. Le requérant appela la police au sujet de cet incident, mais celle-ci n’intervint pas. Sous les yeux de l’intéressé, l’appartement fut vidé de tous ses biens meubles et possessions, qui furent emportés à un centre de stockage où il put les récupérer.

Le requérant tenta à plusieurs reprises d’engager des procédures pénales et civiles aussi bien contre la nouvelle entité propriétaire que contre l’huissier, mais il finit par être débouté de ses recours. Si, à la demande de la police nationale, une procédure disciplinaire fut ouverte relativement à la conduite de l’huissier, elle aboutit à la conclusion que rien ne permettait d’engager la responsabilité disciplinaire de ce dernier.

En droit – Article 8 :

a) Sur l’applicabilité de l’article 8 – Le requérant avait avec l’appartement des liens continus suffisants pour que celui-ci fût considéré comme son « domicile ». L’appartement était son lieu de résidence de fait depuis plus de trois ans au moment où il s’en est vu refuser l’accès. L’occupation de l’appartement par l’intéressé était, au moins pendant une période donnée, fondée sur un acte juridique, et, au moment où l’ingérence s’est produite, une procédure était en cours devant les juridictions internes relativement au droit pour le requérant de résider dans l’appartement. Le fait qu’il a été contraint de quitter l’appartement – qui constitue l’un des aspects du grief dont il a saisi la Cour – ne permet pas de soutenir que l’appartement ait dès lors cessé d’être son « domicile ». L’absence d’enregistrement ne suffit pas non plus pour conclure que le requérant n’avait pas établi son domicile dans l’appartement.

b) Sur la question de savoir si l’État avait l’obligation positive de protéger le requérant contre les actes de la nouvelle entité propriétaire – C’est une entité privée qui était propriétaire de l’appartement ; alors qu’aucune décision d’une autorité publique ne l’y avait autorisée, elle a forcé l’entrée du domicile du requérant et a privé l’intéressé de l’accès à celui-ci. La police était parfaitement au fait de la situation et de son évolution, puisque le requérant l’a appelée à de nombreuses reprises, qu’elle s’est rendue sur place, qu’elle a inspecté les lieux et qu’elle a pu constater qu’en toute vraisemblance le requérant y résidait. Dans ces circonstances, l’État avait l’obligation positive de protéger effectivement le droit du requérant au respect de son domicile. Or la police a refusé d’intervenir.

La protection que confère le droit de chacun au respect de son domicile ne concerne pas uniquement les locaux qui sont occupés légalement. Le droit interne prévoyait du reste que nul ne pouvait être expulsé en l’absence d’une décision d’expulsion valable rendue par un tribunal et que cette règle valait également pour les occupants sans titre valable de locaux résidentiels. La police a même expliqué cela aux représentants de l’entité privée. Elle n’a toutefois pris aucune autre mesure.

Par ailleurs, malgré les demandes du requérant, la police n’a pas davantage pris de mesures concrètes aux stades ultérieurs du litige, alors même que l’intéressé continuait d’être privé de l’accès à son domicile, et elle n’a rien fait non plus après l’ouverture d’une procédure pénale. Non seulement l’inaction de la police, qui était apparemment une pratique courante au moment des faits, n’a pas mis obstacle à la commission de nouveaux actes illégaux par l’entité privée, mais elle l’a indirectement encouragée.

La jurisprudence de la Cour ne suggère pas que dans ce contexte il devait y avoir, au titre des obligations positives de l’État, une voie de recours de nature pénale. Les autorités ont toutefois mené une enquête pénale en vue de déterminer notamment si une infraction d’atteinte à l’inviolabilité du domicile avait été commise. Cette enquête, dans sa partie pertinente, a pris fin sur la conclusion que le requérant n'avait pas le statut de locataire de l’appartement mais celui de « personne utilisant les locaux ». Les décisions à ce sujet ne comportaient aucune analyse relativement à la question de savoir si le requérant vivait réellement dans l’appartement et si celui-ci pouvait être considéré comme son « domicile » et mériter à ce titre la protection de l’inviolabilité associée à ce statut. Étant donné qu’il avait été considéré que le droit du requérant au respect de son domicile n’était pas mis en jeu, la question de la légalité des actes de l’entité privée n’a fait l’objet d’aucun examen. En conséquence, tous les éléments pertinents de l’affaire n’ont pas été analysés dans le cadre de l’enquête pénale ; cette dernière a donc eu une portée trop limitée, qui l’a empêchée d’offrir une protection effective à une personne dont les droits locatifs sur son domicile étaient contestés.

En conséquence, les autorités publiques n’ont pas pris les mesures appropriées pour garantir le droit du requérant au respect de son domicile.

c) Sur la légalité de l’expulsion du requérant de son domicile par l’huissier – Les actes de l’huissier s’analysent en une expulsion, qui a conduit à la perte par le requérant de son domicile, ce qui constitue l’atteinte la plus grave possible au droit au respect du domicile. Il n’est pas plausible, dans les circonstances de l’espèce, que l’huissier n’ait pas su que le requérant vivait dans l’appartement et qu’un contentieux était en cours relativement à ses droits locatifs. Il a pourtant procédé à l’exécution de la décision d’entrée en jouissance. Par ailleurs, en l’absence d’une décision d’expulsion valable, l’ingérence litigieuse n’était pas prévue par la loi.

Il faut distinguer la présente affaire des affaires dans lesquelles l’expulsion était fondée sur des décisions de mise en possession ( McCann c. Royaume-Uni , Ćosić c. Croatie ), car la décision d’entrée en jouissance ne concernait que la relation entre l’ancienne entité propriétaire et la nouvelle et la question du droit du requérant de résider dans l’appartement n’était pas pertinente à cet égard.

Le Gouvernement soutient par ailleurs que le requérant aurait pu chercher à retrouver la possession physique de l’appartement au moyen d’une procédure civile. Or un tel mécanisme ferait peser une charge disproportionnée sur les locataires en les forçant à défendre leurs droits au moyen d’une action civile alors qu’ils auraient déjà perdu leur domicile. Il ne saurait donc être considéré comme une garantie procédurale adéquate. Il existait clairement un contentieux juridique entre le requérant et la nouvelle entité propriétaire, et le droit interne exigeait que de tels litiges fussent tranchés par un tribunal avant toute expulsion ; or cela n’a pas eu lieu en l’espèce. La présente affaire doit à cet égard être distinguée des affaires précédemment examinées par la Cour qui portaient sur des expulsions ordonnées par la justice ( Vrzić c. Croatie , F.J.M. c. Royaume-Uni (déc.)), la Convention n’imposant pas dans ce dernier cas que les locataires aient le droit de demander l’examen de la proportionnalité de la mesure lorsque ce sont des propriétaires privés qui cherchent à prendre possession du bien. En l’espèce, le requérant a au contraire été expulsé en l’absence de tout examen de la légalité de cette ingérence, alors même que le droit interne indiquait expressément qu’un contrôle juridictionnel préalable était obligatoire.

Le cadre réglementaire interne comportait plusieurs garanties procédurales, notamment la nécessité d’obtenir une décision judiciaire pour procéder à une éviction et l’exigence que la police fût présente lors des procédures d’entrée en jouissance. Dans les faits, le non-respect par les autorités internes de ces garanties a cependant privées celles-ci d’effet. Par ailleurs, la simple existence d’un cadre réglementaire concernant la responsabilité disciplinaire et pénale ne peut passer pour une garantie procédurale capable de prévenir les ingérences injustifiées ou d’assurer le respect des intérêts protégés par la Convention.

Conclusion : violation (six voix contre une).

La Cour a également jugé, par six voix contre une, que le fait que le requérant n’avait pas eu accès à une voie de recours effective avait emporté violation de l’article 13 combiné avec l’article 8.

Article 41 : 8 000 EUR pour dommage moral. Demande pour dommage matériel rejetée.

(Voir aussi McCann c. Royaume-Uni , n o 19009/04, 13 mai 2008, résumé juridique ; Ćosić c. Croatie , n o 28261/06, 15 janvier 2009, résumé juridique ; Vrzić c. Croatie, n o 43777/13, 12 juillet 2016 ; F.J.M. c. Royaume-Uni (déc.), n o 76202/16, 6 novembre 2018, résumé juridique )

© Conseil de l’Europe/Cour européenne des droits de l’homme Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.

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