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H.F. et autres c. France [GC]

Doc ref: 24384/19;44234/20 • ECHR ID: 002-13790

Document date: September 14, 2022

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H.F. et autres c. France [GC]

Doc ref: 24384/19;44234/20 • ECHR ID: 002-13790

Document date: September 14, 2022

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Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 266

Septembre 2022

H.F. et autres c. France [GC] - 24384/19 et 44234/20

Arrêt 14.9.2022 [GC]

Article 3 du Protocole n° 4

Article 3 al. 2 du Protocole n° 4

Entrer dans son pays

Absence d’examen entouré de garanties contre l’arbitraire du refus de rapatrier des nationaux placés en détention avec leurs jeunes enfants dans des camps sous contrôle kurde après la chute de l’« État islamique » : violation

Article 1

Juridiction des États

Refus de rapatrier des nationaux placés en détention dans des camps sous contrôle kurde après la chute de l’ « État islamique » : juridiction non établie quant au grief de mauvais traitements ; juridiction établie quant au droit d’entrer sur le territoire national

En fait – En 2014-2015, les filles des requérants, L. et M., ressortissantes françaises, quittèrent la France pour la Syrie avec leurs compagnons. Elles y donnèrent naissance à des enfants. Depuis le début de l’année 2019 et la chute militaire de l’« État islamique » (« Daech »), elles seraient détenues avec leurs jeunes enfants dans des camps et/ou une prison du nord-est de la Syrie, sous le contrôle des Forces démocratiques syriennes (« FDS »), une force locale engagée dans le combat contre Daech qui est dominée par la milice kurde. Les requérants ont demandé, sans succès, le rapatriement en urgence de leurs filles et petits-enfants. Les juridictions internes ont refusé de se déclarer compétentes, au motif que les demandes des requérants concernaient des actes qui étaient indissociables de la conduite par la France de ses relations internationales.

En droit – Sur la recevabilité :

a) Sur la qualité pour agir – Il existe des circonstances exceptionnelles qui permettent à la Cour de reconnaître aux requérants la qualité pour agir en tant que représentants de leurs filles et de leurs petits-enfants, qui sont les victimes directes et qui se trouvent dans l’impossibilité d’introduire une requête devant la Cour.

b) Sur la juridiction – La Cour doit examiner si l’on peut considérer que du fait, d’une part, du lien de nationalité qui rattache les proches des requérants à l’État défendeur et, d’autre part, de la décision prise par ce dernier de ne pas les rapatrier, et donc de ne pas exercer sa compétence diplomatique ou consulaire à leur égard, ils sont susceptibles de relever de la juridiction de cet État aux fins de l’article 3 de la Convention et de l’article 3 § 2 du Protocole n o 4. Dans cette perspective, la présente affaire l’amène à se pencher sur la possibilité que l’obligation de reconnaître les droits découlant de la Convention qui incombe à l’État en vertu de l’article 1 soit « fractionnée et adaptée ».

La Cour a reconnu dans sa jurisprudence un certain nombre de circonstances exceptionnelles susceptibles d’emporter exercice par un État contractant de sa juridiction à l’extérieur de ses propres frontières. Dans chaque cas, c’est au regard des faits particuliers de la cause qu’il faut apprécier l’existence de pareilles circonstances. En l’espèce, pour déterminer si la Convention et ses Protocoles trouvent à s’appliquer, la Cour fait porter son examen sur trois aspects de la situation, et parvient aux conclusions suivantes :

i. Sur le point de savoir si la France exerce son contrôle sur le territoire concerné – La France n’exerce pas de « contrôle effectif » sur le territoire du nord-est de la Syrie ni d’« autorité » ou de « contrôle » sur les proches des requérants retenus dans des camps de cette région.

ii. Sur le point de savoir si l’ouverture d’une procédure interne a établi un lien juridictionnel – Les procédures pénales engagées par les autorités françaises contre L. et M. pour participation à une association de malfaiteurs à caractère terroriste ne portent pas sur les violations alléguées et elles n’ont donc aucune incidence sur le point de savoir si les faits litigieux relèvent de la juridiction de la France. Une interprétation contraire dissuaderait les États d’ouvrir des enquêtes dans pareil contexte. Par ailleurs, compte tenu de la teneur des griefs soulevés par les requérants, la procédure de rapatriement n’a pas d’incidence directe sur la question de savoir si ces griefs relèvent de la juridiction de la France, et elle ne constitue donc pas une circonstance suffisante pour que naisse un lien juridictionnel extraterritorial.

iii. Sur l’existence de liens de rattachement à l’État défendeur –

(1) Article 3 – Ni la nationalité française des proches des requérants, ni la seule décision des autorités françaises de ne pas les rapatrier n’ont pour effet de les placer dans le champ d’application de la juridiction de l’État français quant aux traitements qu’ils ont subis dans les camps syriens sous contrôle kurde. Une telle extension du champ d’application de la Convention ne trouve aucun appui dans la jurisprudence. Premièrement, la seule circonstance que des décisions prises au niveau national ont eu une incidence sur la situation de personnes résidant à l’étranger n’est pas de nature à établir la juridiction de l’État concerné à leur égard en dehors de son territoire. Deuxièmement, ni le droit interne ni le droit international n’imposent à l’État d’agir en faveur de ses ressortissants et de les rapatrier. En outre, la Convention ne garantit pas le droit à une protection diplomatique ou consulaire. Troisièmement, malgré la volonté affichée des autorités locales non étatiques que les États concernés rapatrient leurs ressortissants, la France devra négocier avec elles le principe et les conditions de toute opération de cette nature et en organiser la mise en œuvre, qui se déroulera inévitablement en Syrie.

Conclusion : irrecevable (juridiction non établie).

(2) Article 3 du Protocole n o 4 – C’est la première fois que la Cour est appelée à se prononcer sur l’existence d’un lien juridictionnel entre un État et ses « ressortissants » à l’égard d’un grief formulé sur le terrain de cette disposition. Le fait que celle-ci ne s’applique qu’aux nationaux ne peut passer pour une circonstance suffisante pour que soit établie la juridiction de la France au sens de l’article 1. Si la nationalité constitue un élément ordinairement pris en compte pour fonder l’exercice extraterritorial par un État de sa juridiction, elle ne saurait constituer un titre de juridiction autonome. En l’espèce, la protection par la France des proches des requérants passe par l’engagement de négociations avec les autorités kurdes qui les détiennent, voire par une intervention sur le territoire administré par ces autorités.

La décision de refus opposée aux requérants n’a pas privé formellement leurs proches du droit d’entrer sur le territoire ni ne les a empêchés de le faire. Pour autant, la question se pose de savoir si leur situation extra-frontalière peut avoir des conséquences sur la compétence ratione loci et ratione personae de l’État français. À cet égard, tant l’objet que la portée du droit garanti par l’article 3 § 2 du Protocole n o 4 supposent qu’il puisse bénéficier aux ressortissants de l’État partie qui se trouvent en dehors de sa juridiction. La Cour souligne par ailleurs que l’interprétation des dispositions de l’article 3 du Protocole n o 4 doit se faire à la lumière des phénomènes contemporains, en l’espèce la mondialisation et la mobilité internationale croissantes, qui posent de nouveaux défis aux États en termes de sécurité et de défense dans les domaines de la protection diplomatique et consulaire, du droit international humanitaire et de la coopération internationale. Le droit d’entrer sur le territoire d’un État se trouve au cœur des problématiques actuelles liées à la lutte contre le terrorisme et à la sécurité nationale. Si l’article 3 § 2 du Protocole n o 4 devait s’appliquer seulement aux ressortissants qui se trouvent à la frontière nationale ou qui sont dépourvus de documents de voyage, il se verrait privé d’effet utile dans le contexte actuel.

Il ne peut donc être exclu que certaines circonstances tenant à la situation de la personne qui prétend entrer sur le territoire de l’État dont elle est la ressortissante en se fondant sur les droits qu’elle tire de l’article 3 § 2 du Protocole n o 4 puissent faire naître un lien juridictionnel avec cet État aux fins de l’article 1. Il n’y a toutefois pas lieu de déterminer in abstracto ces circonstances car elles dépendront nécessairement des spécificités de chaque cause et peuvent varier considérablement d’une affaire à l’autre.

En l’espèce, outre le lien de rattachement juridique entre l’État et ses nationaux, il existe plusieurs circonstances particulières, liées à la situation des camps du nord-est syrien, qui sont propres à établir la juridiction de la France au sens de l’article 1 à l’égard du grief formulé sur le terrain de l’article 3 § 2 du Protocole n o 4 : les requérants ont introduit des demandes officielles de retour et d’assistance ; ils ont formulé ces demandes sur le fondement des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques, alors que la vie et l’intégrité physique de leurs proches étaient menacées de manière réelle et immédiate tant en raison des conditions de vie et de sécurité dans les camps, qui sont incompatibles avec le respect de la dignité humaine, qu’en raison de la santé de ces proches et de la situation d’extrême vulnérabilité dans laquelle se trouvaient en particulier les enfants, eu égard à leur jeune âge ; les proches des requérants se trouvent dans l’impossibilité matérielle de quitter les camps ou tout autre endroit où ils seraient détenus au secret pour rejoindre la frontière française ou une autre frontière étatique sans l’assistance des autorités françaises ; enfin, les autorités kurdes ont indiqué leur volonté de remettre aux autorités françaises les femmes détenues de nationalité française et leurs enfants.

Conclusion : recevable (juridiction établie).

Sur le fond :

a) Sur l’interprétation de l’article 3 § 2 du Protocole n o 4 – La Cour saisit l’occasion pour clarifier le sens de cette disposition et en examiner la portée, notamment en ce qui concerne les droits procéduraux des intéressés et/ou les obligations procédurales correspondantes de l’État dans le contexte d’un refus de rapatriement.

Il n’y a pas lieu d’exclure de l’application de l’article 3 § 2 du Protocole n o 4 les situations dans lesquelles le ressortissant a quitté volontairement le territoire national et s’est vu ensuite refuser le droit d’y entrer ou celles dans lesquelles il n’y a jamais résidé, comme dans le cas d’enfants nés à l’étranger et désirant entrer pour la première fois sur le territoire. Une telle limitation ne trouve en effet pas d’appui dans l’énoncé de cet article ni dans les travaux préparatoires.

L’article 3 § 1 du Protocole n o 4 n’interdit que l’expulsion des nationaux et non leur extradition. Le droit d’entrer sur le territoire de l’État dont on est le ressortissant ne doit ainsi pas être confondu avec le droit de rester sur le territoire, et il ne confère pas un droit absolu à demeurer sur celui-ci. Le droit que consacre l’article 3 § 2 du Protocole n o 4 d’entrer sur le territoire de l’État dont on est le ressortissant est absolu, de même que l’interdiction d’expulser quiconque du territoire de l’État dont il est le ressortissant qui figure au premier paragraphe du même article. Cela étant, le droit d’entrer sur le territoire national ne peut pas être utilisé pour paralyser les effets d’une décision d’extradition. Par ailleurs, comme l’article 3 § 2 reconnaît ce droit sans le définir, la Cour admet qu’il y a place pour des limitations implicites par l’intermédiaire, le cas échéant, de mesures dérogatoires simplement temporaires (par exemple l’hypothèse envisagée dans le contexte de la crise sanitaire mondiale provoquée par la pandémie de COVID-19).

Pris au sens littéral, le champ d’application de l’article 3 § 2 du Protocole n o 4 correspond à une obligation négative de l’État et se limite aux seules mesures formelles d’interdiction de retour sur le territoire. Il n’est toutefois pas exclu que des mesures informelles ou indirectes qui privent de facto le national de la jouissance effective de son droit de rentrer puissent, selon les circonstances, être incompatibles avec cette disposition.

Certaines obligations positives inhérentes à l’article 3 § 2 du Protocole n o 4 pèsent déjà sur l’État afin de garantir effectivement l’entrée sur le territoire national. Il s’agit de mesures qui découlent traditionnellement de l’obligation pour l’État de délivrer des documents de voyage à ses nationaux en vue de leur garantir le passage à la frontière. En ce qui concerne la mise en œuvre du droit d’entrer sur le territoire, comme dans d’autres contextes, l’étendue des obligations positives variera inévitablement en fonction de la diversité des situations dans les États contractants et des choix à faire en termes de priorités et de ressources. Ces obligations ne doivent pas être interprétées de manière à imposer aux autorités un fardeau insupportable ou excessif. Dans les cas où l’État est tenu de prendre des mesures positives, le choix de celles-ci relève en principe de sa marge d’appréciation.

b) Sur l’existence d’un droit au rapatriement (notamment pour les personnes dont la situation matérielle les empêche de se présenter à la frontière de l’État) – La Convention ne garantit aucun droit à une protection diplomatique que devrait exercer un État contractant en faveur de toute personne relevant de sa juridiction. Les États restent en effet les acteurs de l’assistance consulaire telle qu’elle est réglementée par la convention de Vienne. En vertu de cet instrument, les personnes retenues, comme les proches des requérants, dans des camps contrôlés par un groupe armé non étatique et dont l’État de nationalité n’a pas d’agent consulaire sur place (en l’espèce, en Syrie) ne sont donc pas, en principe, fondées à réclamer un droit à l’assistance consulaire. Le fait que les FDS ont appelé les États concernés à rapatrier leurs ressortissants et fait preuve de coopération à l’occasion de plusieurs rapatriements, effectués notamment par la France, est certes pertinent, mais il n’offre pas un fondement à un droit au rapatriement pour les proches des requérants. Il en va de même du droit international relatif à la protection diplomatique en son état actuel. Enfin, il n’existe aucun consensus au niveau européen à l’appui d’un droit général au rapatriement aux fins d’entrer sur le territoire national au sens de l’article 3 § 2 du Protocole n o 4. En bref, aucune obligation de droit international ne contraint les États à rapatrier leurs ressortissants. Il en résulte que les citoyens français retenus dans les camps du nord-est de la Syrie ne sont pas fondés à réclamer le bénéfice d’un droit général au rapatriement au titre du droit d’entrer sur le territoire national.

c) Sur les autres obligations découlant de l’article 3 § 2 du Protocole n o 4 dans le contexte de l’espèce – Tel qu’il se dégage des travaux préparatoires du Protocole n o 4, l’objet du droit d’entrer sur le territoire de l’État dont on est le ressortissant est d’interdire l’exil des nationaux. Vu sous cet angle, l’article 3 § 2 du Protocole n o 4 peut faire naître une obligation positive à la charge de l’État lorsque, eu égard aux particularités d’un cas donné, le refus de la part de cet État d’entreprendre toute démarche conduirait le national concerné à se trouver dans une situation comparable, de facto, à celle d’un exilé. Toutefois, pareille exigence imposée au titre de cette disposition doit recevoir une interprétation étroite et n’obliger les États qu’en présence de circonstances exceptionnelles, par exemple lorsque des éléments extraterritoriaux menacent directement l’intégrité physique et la vie d’un enfant placé dans une situation de grande vulnérabilité. En outre, dans l’examen de la question de savoir si un État a respecté son obligation positive de garantir l’exercice effectif du droit d’entrer sur son territoire protégé par l’article 3 § 2 du Protocole n o 4 en présence de pareilles circonstances exceptionnelles, le contrôle ne portera que sur l’existence d’une protection effective contre l’arbitraire dans la manière dont l’État en question s’est acquitté de son obligation positive au titre de cette disposition. L’impossibilité pour toute personne d’exercer son droit d’entrer sur le territoire national doit s’apprécier aussi à la lumière de la politique de retour suivie par l’État concerné et de ses conséquences. La Cour doit dès lors rechercher si la situation des proches des requérants est telle qu’il y a lieu de conclure à l’existence de circonstances exceptionnelles en l’espèce (i) et, dans l’affirmative, se prononcer sur la question de savoir si le processus décisionnel était entouré de garanties appropriées contre l’arbitraire (ii).

i. Sur l’existence de circonstances exceptionnelles – La Cour conclut à l’existence de circonstances exceptionnelles en l’espèce, eu égard à la présence d’éléments extraterritoriaux caractérisant l’existence d’un risque d’atteinte à l’intégrité physique et à la vie des proches des requérants, en particulier celles de leurs petits-enfants, ainsi qu’aux points suivants :

– La situation dans les camps en cause, contrôlés par un groupe armé non étatique, se distingue des contextes classiques de protection diplomatique ou consulaire et des mécanismes de coopération en matière pénale, et se rapproche d’un état de non-droit. La seule protection dont bénéficient les proches des requérants relève de l’article 3 commun aux quatre conventions de Genève et du droit international humanitaire coutumier.

– Les conditions générales dans les camps sont incompatibles avec les normes applicables en vertu du droit international humanitaire. Selon l’article 1 commun aux quatre conventions de Genève, tous les États parties aux instruments en question – y compris la France – sont tenus de veiller à ce que les autorités locales kurdes qui sont directement responsables des conditions de vie dans les camps respectent leurs obligations au titre de l’article 3 commun, en faisant tout ce qui est « raisonnablement en leur pouvoir » pour mettre fin aux violations du droit international humanitaire.

– D’une part, aucun tribunal ou autre organe international d’enquête n’a été mis en place à ce jour pour décider du sort des femmes détenues dans les camps, et la création d’un tribunal pénal international ad hoc est reportée sine die . Il n’existe par ailleurs aucune perspective que ces femmes soient jugées dans le nord-est de la Syrie. D’autre part, les procédures pénales engagées en France contre L. et M. relèvent en partie des obligations internationales de cet État et de son devoir d’enquêter sur les personnes impliquées dans des actes de terrorisme à l’étranger et, le cas échéant, de les poursuivre.

– Les autorités kurdes ont appelé à plusieurs reprises les États à rapatrier leurs ressortissants, faisant valoir l’impossibilité pour elles d’assurer à ceux-ci des conditions de vie décentes et d’organiser leur détention et leur jugement, ainsi que les risques pour la sécurité. Elles ont aussi démontré, dans la pratique, leur coopération à cet égard, notamment avec la France.

– Plusieurs organisations internationales et régionales ont appelé les États européens à rapatrier leurs ressortissants détenus dans les camps ; le Comité des droits de l’enfant des Nations unies a quant à lui affirmé que la France doit assumer une responsabilité concernant la protection des enfants français qui y sont retenus et que son refus de les rapatrier viole le droit à la vie ainsi que le droit à ne pas subir de traitements inhumains et dégradants. Enfin, la France a officiellement indiqué que les mineurs français en Irak ou en Syrie ont droit à la protection de la République et peuvent être rapatriés.

ii. Sur les garanties contre l’arbitraire – La Cour est particulièrement consciente des difficultés réelles que les États rencontrent dans la protection de leurs populations contre la violence terroriste et des préoccupations majeures que représentent les attentats perpétrés dans le contexte actuel. Néanmoins, l’examen d’une demande individuelle de retour dans des circonstances exceptionnelles telles que celles précédemment exposées relève en principe de la catégorie des volets concrets de l’action des autorités qui ont une incidence directe sur le respect des droits protégés, et non de celle des choix politiques faits dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, qui échappent au contrôle de la Cour.

Les proches des requérants se trouvent dans une situation qui relève de l’urgence humanitaire et qui requiert un examen individuel de leurs demandes. Il revenait aux autorités françaises d’entourer le processus de décision sur ces demandes de garanties appropriées contre l’arbitraire . Les concepts de légalité et de prééminence du droit requièrent que toute mesure touchant les droits fondamentaux puisse être soumise à une forme de procédure contradictoire devant un organe indépendant compétent pour examiner les motifs de la décision en question et les preuves pertinentes, au besoin dans le respect des limitations procédurales adéquates pour l’examen d’informations classées secrètes lorsque la sécurité nationale est en jeu.

En l’occurrence, la Cour est d’avis que le rejet d’une demande de retour présentée dans le contexte litigieux doit pouvoir faire l’objet d’un examen individuel approprié, par un organe indépendant et détaché des autorités administratives de l’État, sans pour autant qu’il doive s’agir d’un organe juridictionnel. Cet examen doit permettre d’évaluer les éléments factuels et autres qui ont amené ces autorités à décider qu’il n’y avait pas lieu de faire droit à la demande en question. L’organe indépendant saisi doit ainsi pouvoir contrôler la légalité d’une décision rejetant une telle demande, soit que les autorités compétentes aient refusé d’y faire droit, soit qu’elles se soient efforcées d’y donner suite mais sans résultat. Un tel contrôle devrait aussi permettre au demandeur de prendre connaissance des motifs de la décision, même sommairement, et ainsi de vérifier que ceux-ci reposent sur une base factuelle suffisante et raisonnable. Lorsque, comme en l’espèce, la demande de retour est faite au nom de mineurs, ce contrôle doit en particulier permettre de vérifier que les autorités compétentes ont effectivement pris en compte, dans le respect du principe d’égalité qui s’applique au droit d’entrer sur le territoire national, l’intérêt supérieur des enfants ainsi que leur particulière vulnérabilité et leurs besoins spécifiques. En somme, il doit exister un mécanisme de contrôle permettant de vérifier que les motifs tirés de considérations impérieuses d’intérêt public ou de difficultés d’ordre juridique, diplomatique et matériel que les autorités exécutives pourraient légitimement invoquer sont bien dépourvus d’arbitraire.

De l’avis de la Cour, les garanties appliquées dans le cas des requérants n’étaient pas appropriées.

Les requérants n’ont reçu aucune explication quant au choix qui sous-tend la décision prise par le pouvoir exécutif quant à leurs demandes, hormis celle, implicite, qui ressort de la mise en œuvre de la politique suivie par la France, laquelle a pourtant assuré le retour de plusieurs mineurs sur le sol national. Rien n’indique que les refus qui leur ont été opposés ne pouvaient faire l’objet de décisions individuelles expresses ou être motivés selon des considérations adaptées aux faits de l’affaire, le cas échéant dans le respect du secret-défense. Les requérants n’ont pas non plus obtenu d’informations qui auraient été de nature à contribuer à la transparence du processus décisionnel. Compte tenu du refus des juridictions internes de se déclarer compétentes, ils n’ont pas eu accès à un contrôle indépendant des décisions implicites de refus de leurs demandes de rapatriement.

En l’absence de toute décision formalisée de la part des autorités compétentes quant à leur refus de faire droit aux demandes des requérants, l’immunité juridictionnelle qui a été opposée à ces derniers par les juridictions internes, alors qu’ils fondaient leur prétention devant elles sur le respect du droit posé par l’article 3 § 2 du Protocole n o 4 et les obligations positives mises à la charge de l’État par cette disposition, les a privés de toute possibilité de contester utilement les motifs qui ont été retenus par ces autorités et de vérifier que ces motifs étaient légitimes, raisonnables et exempts d’arbitraire. La Cour précise que l’exercice d’un tel contrôle n’implique pas nécessairement que le juge saisi se reconnaisse compétent pour ordonner, le cas échéant, le rapatriement.

Conclusion : violation (quatorze voix contre trois).

Article 41 : Le constat de violation représente en lui-même une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi.

Article 46 : Le Gouvernement doit reprendre l’examen des demandes de rapatriement dans les plus brefs délais en l’entourant de garanties appropriées contre l’arbitraire.

(Voir aussi M.N. et autres c. Belgique (déc.) [GC], n o 3599/18, 5 mai 2020, résumé juridique ; Géorgie c. Russie (II) [GC], n o 38263/08, 21 janvier 2021, résumé juridique ).

© Conseil de l’Europe/Cour européenne des droits de l’homme Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.

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