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Paketova et autres c. Bulgarie

Doc ref: 17808/19;36972/19 • ECHR ID: 002-13808

Document date: October 4, 2022

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Paketova et autres c. Bulgarie

Doc ref: 17808/19;36972/19 • ECHR ID: 002-13808

Document date: October 4, 2022

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Résumé juridique

Octobre 2022

Paketova et autres c. Bulgarie - 17808/19 et 36972/19

Arrêt 4.10.2022 [Section IV]

Article 14

Discrimination

Omissions des autorités ayant d’une part contraint des Roms à quitter leur domicile après des manifestations anti-Roms et les ayant d’autre part placés dans l’impossibilité d’y retourner : violation

En fait – Les cinquante et un requérants sont des membres de plusieurs familles d’origine rom. Dans la soirée du 6 janvier 2019, des manifestations publiques dirigées contre les habitants roms éclatèrent dans leur village en réaction à un incident, survenu plus tôt dans la journée, qui avait vu deux membres de la communauté rom blesser gravement un habitant non rom. Le maire du village ayant recommandé aux habitants roms de fuir pour leur propre sécurité, la plupart d’entre eux s’enfuirent cette nuit-là et les autres partirent le lendemain. Les manifestations se poursuivirent au cours des deux semaines suivantes.

Le 9 février 2019, certains des habitants roms, dont plusieurs des requérants, tentèrent de regagner leur domicile ; ils en furent toutefois empêchés et se trouvèrent par la suite dans l’impossibilité de retourner chez eux en raison d’obstacles mis à leur retour tant par les autorités que par les habitants non roms. Ils ne purent se rendre chez eux que de manière individuelle et uniquement dans le but de récupérer leurs biens. Ils engagèrent des poursuites judiciaires et déposèrent des plaintes auprès du parquet, mais aucune de ces démarches ne fut couronnée de succès.

Le 24 avril 2019, la Cour, faisant application de l’article 39 de son règlement, indiqua au Gouvernement des mesures provisoires qu’il convenait de prendre à l’égard de seize des requérants, membres de trois familles, qu’elle estimait les plus vulnérables. Elle demanda en particulier aux autorités d’entreprendre tous les efforts nécessaires pour reloger ces requérants en veillant à ce que les enfants ne fussent pas exposés à un risque de subir des traitements inhumains ou dégradants, interdits par l’article 3 de la Convention.

En droit – Article 8 combiné avec l’article 14 :

a) Sur l’épuisement des voies de recours internes – Deux plaintes, distinctes mais liées, ont été introduites, respectivement auprès du parquet régional et auprès du procureur en chef, mais l’un comme l’autre ont refusé d’ouvrir une procédure pénale. La première de ces plaintes avait été déposée par douze des requérants et la deuxième par le représentant des requérants au nom de la communauté rom du village dans son ensemble. Étant donné que les deux plaintes portaient sur des allégations consistant à dire que la communauté tout entière avait été forcée à partir et que des obstacles avaient été mis à son retour, l’issue des deux procédures importait à tous les requérants, qu’ils fissent ou non formellement partie des auteurs des plaintes. Le parquet a donc eu la possibilité de se prononcer sur l’ensemble des griefs dont les requérants ont par la suite saisi la Cour.

b) Sur le fond – Les maisons des requérants au sein du village où ils vivaient avant leur fuite constituaient leurs « domiciles » respectifs au sens de l’article 8. Dès lors, par ailleurs, que l’impossibilité pour les intéressés de retourner vivre chez eux pouvait avoir des répercussions sur leurs liens avec leur communauté et leur famille, la Cour estime que leur « vie privée et familiale » a également été touchée.

Les faits de l’espèce se distinguent de ceux d’affaires portant sur des problèmes semblables que la Cour a examinées par le passé. En effet, lors des événements du 6 janvier, il n’y a pas eu d’altercations physiques, les requérants n’ont subi aucune blessure, leurs biens n’ont pas été endommagés, et rien n’indique qu’ils aient ce jour-là personnellement été témoins, à courte distance, d’injures racistes ou d’affronts de la part des membres d’une foule en colère. Par ailleurs, ils n’allèguent pas avoir fait l’objet d’une expulsion.

Les parties sont en désaccord relativement à des points factuels essentiels. Les constats des différentes autorités internes sont incomplets sur ces points, et il existe d’importantes contradictions entre les éléments de preuve disponibles et leurs conclusions. La Cour juge donc nécessaire d’apprécier elle-même les faits pertinents.

En réaction aux manifestations, la plupart des requérants ont fui leur maison dans la soirée ou la nuit du 6 janvier, et les autres ont fait de même le lendemain. Les manifestants traitaient les Roms de « charognes » et de « va-nu-pieds » ; ils brandissaient des pancartes portant le slogan « Ici on est en Bulgarie, pas en Tsiganie » ; certains des manifestants interrogés par les médias ont même ouvertement incité la population bulgare à s’unir pour prendre les choses en main si les autorités ne le faisaient pas. De nombreuses manifestations ont fait l’objet de reportages à la télévision, que les Roms qui s’étaient enfuis ont probablement vus, de sorte que le quartier est demeuré désert au cours des semaines suivantes. Dans les observations qu’ils ont présentées à la police et aux tribunaux, les requérants ont mentionné ces manifestations et la crainte permanente qu’elles avaient à leurs dires suscitée chez eux. Trente-quatre des requérants ont écrit à la police pour demander une protection propre à leur permettre de retourner chez eux. Dans leur lettre, ils déclaraient qu’ils avaient fui leur domicile sous la menace de violences physiques et qu’ils craignaient toujours pour leur sécurité à cause des manifestations anti-Roms qui avaient lieu de manière répétée dans le village.

En conséquence, la situation dans laquelle les requérants se sont trouvés le 6 janvier et durant les semaines suivantes était propre à provoquer chez eux des craintes légitimes, même s’il n’a pas été établi que les manifestants fussent parvenus à proximité immédiate des requérants. Dans le cadre de son appréciation de la réaction des autorités internes aux événements survenus à cette date et le 9 février, la Cour admet l’allégation des requérants consistant à dire qu’ils ont quitté leur domicile du fait de craintes légitimes pour leur sécurité engendrées par les manifestations publiques et qu’ils se sont ensuite trouvés dans l’impossibilité d’y retourner.

La Cour ne peut faire abstraction du contexte plus général dans lequel les événements du 6 janvier se sont inscrits. Plus précisément, plusieurs fonctionnaires, notamment le vice-Premier ministre de l’époque, avaient manifesté publiquement à plusieurs reprises leur rejet des Roms et leur opposition au retour de la communauté. À ce sujet, la Cour rappelle avoir admis il y a longtemps déjà que les Roms se trouvent dans une situation vulnérable et défavorisée et qu’ils ont besoin d’une protection spéciale. De telles manifestations publiques de rejet des Roms représentaient un obstacle réel à tout retour paisible des requérants, dont les déclarations des fonctionnaires ont accru les craintes pour leur sécurité. Il n’y a toutefois pas lieu d’examiner la question plus avant étant donné que, comme les autorités avaient connaissance du danger qui menaçait les requérants, elles auraient dû prendre des mesures raisonnables visant à protéger les personnes exposées à ce danger, de manière à garantir le respect effectif de leur vie privée et familiale et de leur domicile. Ces obligations positives étaient d’autant plus importantes que les requérants allèguent avoir été pris pour cibles en raison de considérations ethniques.

Bien que, tant le 6 janvier que le 9 janvier, la police eût réagi rapidement en envoyant des agents au village, la protection ponctuelle de l’intégrité physique des requérants, certes louable, n’était pas suffisante en elle-même pour remplir l’obligation qu’avaient les autorités de traiter les plaintes déposées par des personnes relativement à des actes récurrents d’intolérance qui les empêchaient de jouir paisiblement de leur domicile. Par ailleurs, rien n’indique qu’après les événements du 6 janvier le maire du village ait mis en place ce soir-là à l’égard des requérants des mesures de protection spéciales propres à leur permettre de rester en toute sécurité à leur domicile. De fait, il n’a été soutenu ni dans le cadre de la procédure interne ni dans le cadre de la procédure menée devant la Cour que les tensions fussent survenues de manière tellement soudaine, ou que les policiers eussent été débordés à un point tel, qu’il fût justifié pour les autorités de décider de seulement tenter de minimiser les dégâts en conseillant aux requérants de prendre la fuite. En outre, le maire du village n’a ce soir-là donné aux requérants aucune information de nature à les aider à faire face à la situation ou à leur permettre d’exercer effectivement leurs droits, par exemple au sujet des refuges ou services sociaux ou juridiques disponibles. Il ne leur a pas non plus dit quand ils pourraient regagner leur domicile ni quelle autorité ils pouvaient saisir à cet égard. Les groupes sociaux défavorisés et communautés marginales, tels que la communauté des requérants, peuvent avoir besoin d’aide pour être en mesure de jouir effectivement des mêmes droits que la population majoritaire.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, les omissions dont les différentes autorités se sont rendues coupables dans le cadre de l’accomplissement par elles de leurs obligations positives ont abouti, par leurs effets cumulés, à une situation dans laquelle tous les requérants ont été chassés de leur domicile sans que cela ait entraîné la moindre conséquence juridique. Ainsi, les requérants se sont vus dans l’impossibilité de jouir paisiblement de leur vie privée et familiale et de leur domicile, et les autorités n’ont pas accordé la protection nécessaire à leurs droits garantis par l’article 8.

Conclusion : violation (unanimité).

Article 39 du règlement : levée des mesures provisoires.

Article 41: 9 000 EUR pour dommage moral conjointement à la première requérante et aux trente-deuxième, trente-septième et trente-neuvième requérants ; la même indemnité conjointement aux deuxième, quatrième, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième requérants ; la même indemnité conjointement aux troisième, cinquième, quinzième, trentième, trente-cinquième, trente-sixième et quarante-quatrième requérants ; la même indemnité conjointement aux quarante-sixième, quarante-septième et quarante-neuvième requérants ; la même indemnité conjointement aux vingt-sixième, vingt-septième et vingt-huitième requérantes ; la même indemnité conjointement aux vingtième, vingt-deuxième, vingt-quatrième et vingt-cinquième requérants ; la même indemnité conjointement aux septième, neuvième, quarante et unième et quarante-deuxième requérantes ; la même indemnité conjointement aux quatorzième, seizième, cinquantième, cinquante et unième, cinquante-deuxième, cinquante-troisième, cinquante-quatrième et cinquante-cinquième requérants ;

5 000 EUR pour dommage moral conjointement aux quarante-cinquième et quarante-huitième requérants ; la même indemnité conjointement aux sixième et huitième requérants ; la même indemnité conjointement aux douzième et vingt-neuvième requérantes ; la même indemnité conjointement aux treizième et trente-quatrième requérants ; la même indemnité conjointement aux onzième et trente-troisième requérants ;

4 000 EUR chacun pour dommage moral à la dixième requérante, à la vingt et unième requérante et au quarantième requérant.

(Voir aussi Moldovan et autres c. Roumanie (n° 2) , n os 41138/98 et 64320/01, 12 juillet 2005, résumé juridique ; Király et Dömötör c. Hongrie , n o 10851/13, 17 janvier 2017, résumé juridique ; Burlya et autres c. Ukraine , n o 3289/10, 6 novembre 2018, résumé juridique )

© Conseil de l’Europe/Cour européenne des droits de l’homme Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.

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