Pinkas et autres c. Bosnie-Herzégovine
Doc ref: 8701/21 • ECHR ID: 002-13810
Document date: October 4, 2022
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Résumé juridique
Octobre 2022
Pinkas et autres c. Bosnie-Herzégovine - 8701/21
Arrêt 4.10.2022 [Section IV]
Article 1 du Protocole n° 12
Interdiction générale de la discrimination
Différence de traitement injustifiée entre greffiers et juges opérée par les juridictions internes, qui ont considéré que les premiers se trouvaient dans une « autre situation » que les seconds, relativement à la période au titre de laquelle certaines indemnités pouvaient être octroyées : violation
En fait – Les requérants sont un groupe de 51 greffiers du Tribunal d’État. Avec des juges de la même juridiction, ils engagèrent une procédure civile commune tendant à ce que leur fussent versées des indemnités alimentaires, des indemnités de déplacement et des indemnités pour séparation familiale à compter de l’année 2009, expliquant qu’à l’époque la loi qui régissait leur rémunération ne prévoyait pas les indemnités en question et qu’ils étaient en conséquence victimes d’une discrimination. Le Tribunal d’État demanda un contrôle abstrait de la constitutionnalité de la loi en cause. Au terme de la procédure, la Cour constitutionnelle déclara en janvier 2013 que pour ce qui était du grief des juges et greffiers, cette loi avait un caractère discriminatoire et était en conséquence inconstitutionnelle.
La procédure civile commune fut divisée en deux affaires distinctes en fonction du statut des demandeurs. Les deux causes furent entendues séparément. En application de la règle générale selon laquelle les décisions constatant l’inconstitutionnalité d’une loi n’avaient pas d’effet rétroactif, les prétentions des requérants ne furent accueillies que pour la période postérieure à janvier 2013.
Les intéressés formèrent un recours constitutionnel. Peu après, une décision fut rendue relativement à la procédure civile intentée par les juges, qui obtinrent quant à eux des indemnités à compter de l’année 2009 ; cette décision fut confirmée en appel. Les requérants tentèrent en vain de s’appuyer sur cet arrêt dans leur recours constitutionnel, qui fut rejeté.
En droit
Article 6 § 1 :
a) Sur l’applicabilité du volet civil de l’article 6 – Si le grief des requérants concerne en substance l’issue de leur procédure civile, il vise aussi indirectement l’issue du recours formé par les intéressés devant la Cour constitutionnelle. L’article 6 § 1 était applicable à cette procédure également : la Cour constitutionnelle était habilitée à annuler la décision litigieuse, et la procédure était en conséquence directement déterminante pour la contestation qui portait sur le droit de caractère civil des requérants.
Conclusion : article 6 § 1 applicable.
b) Sur le fond – En ce qui concerne les décisions qui ont été rendues dans le cadre de la procédure civile engagée par les requérants, la Cour souligne le principe de subsidiarité et souscrit à la conclusion de la Cour constitutionnelle selon laquelle ces décisions étaient clairement conformes au droit constitutionnel interne et n’étaient en conséquence pas arbitraires. Si une décision contraire a certes été rendue dans l’affaire presque identique qui concernait les juges, elle l’a été plusieurs mois après que la décision rendue dans l’affaire des requérants fut devenue définitive. Il n’existait pas dans la jurisprudence interne de divergences « profondes et persistantes » susceptibles de faire conclure à une atteinte au droit à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1.
Les requérants communiquèrent à la Cour constitutionnelle la décision définitive qui avait été rendue relativement aux indemnités des juges, mais la haute juridiction la traita comme un nouveau grief, au sens de l’article 22 § 3 de son règlement, et non comme un changement de nature factuelle ou juridique qui aurait été pertinent pour l’affaire, au sens de l’article 21 § 6 de son règlement. Elle a en conséquence conclu qu’elle ne pouvait en tenir compte, les requérants lui ayant notifié ladite décision plus de soixante jours après que la dernière décision concernant leur propre affaire eut été rendue. La Cour souligne à cet égard que la réglementation relative aux formalités et délais à observer pour la formation de recours vise clairement à assurer une bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique. La Cour constitutionnelle n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles elle avait décidé de considérer que la décision que les requérants lui avaient présentée relevait de l’article 22 § 3 et non de l’article 21 § 6 de son règlement ; toutefois, les requérants ne se sont pas plaints que la manière dont elle avait interprété et appliqué son règlement procédural dans leur affaire eût été en elle-même arbitraire.
Conclusion : non-violation (unanimité).
Article 1 du Protocole n o 12 :
a) Sur l’applicabilité – Quoiqu’il soit difficile de dire si pour la période antérieure à janvier 2013 également les requérants avaient droit aux indemnités qu’ils demandaient, l’article 1 du Protocole n o 12 ne limite pas le champ de la protection contre la discrimination à « tout droit prévu par la loi » : son deuxième paragraphe prévoit en effet que nul ne peut faire l’objet d’une discrimination de la part d’une autorité publique, cours et tribunaux compris.
Conclusion : article 1 du Protocole n o 12 applicable .
b) Sur le fond – Le sens de la notion de « discrimination » figurant à l’article 1 du Protocole n o 12 est censé être identique à celui du terme employé à l’article 14 ; il n’existe donc aucune raison de s’écarter de l’interprétation bien établie de la notion de « discrimination ». La Cour considère que les greffiers et les juges du Tribunal d’État se trouvaient dans une situation analogue aux fins de leur grief, étant donné que les fonctionnaires de ces deux catégories relevaient du même régime relativement aux indemnités qu’ils demandaient. Peu importe que leurs statuts juridiques respectifs fussent différents sur de nombreux autres points. Les éléments qui caractérisent des situations différentes et déterminent leur comparabilité doivent être appréciés à la lumière du domaine concerné et de la finalité de la mesure qui opère la distinction en cause. L’analyse de la question de savoir si deux personnes ou deux groupes de personnes se trouvent dans des situations comparables aux fins de l’appréciation d’une différence de traitement et d’une éventuelle discrimination doit donc être à la fois spécifique et contextuelle.
Leurs demandes de versement d’indemnités ayant été accueillies pour des périodes qui n’étaient pas identiques, les deux catégories de fonctionnaires concernées ont été traitées différemment l’une de l’autre. Le raisonnement des juridictions internes n’était pas directement fondé sur une caractéristique ou « situation » identifiable des demandeurs, mais il était formulé de manière neutre. Une politique ou mesure générale qui a des effets préjudiciables disproportionnés sur un groupe de personnes peut toutefois être considérée comme discriminatoire même si elle ne vise pas spécifiquement ce groupe. Une telle situation peut en effet s’analyser en une « discrimination indirecte », le constat de pareille discrimination n’exigeant pas nécessairement une intention discriminatoire.
La particularité de la présente affaire est que les juges et les greffiers concernés ont formé une procédure civile commune fondée sur les mêmes dispositions juridiques, que les juridictions civiles ont par la suite divisé cette procédure en deux affaires distinctes en fonction du statut des demandeurs et qu’elles sont parvenues à des conclusions divergentes relativement à l’une des questions juridiques principales que soulevaient ces affaires. Du fait de ces circonstances particulières, les greffiers ont été traités différemment des juges quant à la détermination de la période pour laquelle ils avaient droit aux indemnités qu’ils demandaient. Partant, la différence de traitement entre les deux catégories était fondée sur une « autre situation » au sens de l’article 1 du Protocole n o 12.
Dès lors que ni le Gouvernement ni les juridictions internes ne l’ont d’aucune manière justifiée, la différence de traitement litigieuse ne reposait pas sur une justification objective et raisonnable.
Conclusion : violation (unanimité).
Article 41 : 1 000 EUR à chacun des requérants pour dommage moral ; demande pour dommage matériel rejetée.
© Conseil de l’Europe/Cour européenne des droits de l’homme Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.
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