VALIYEVA v. RUSSIA
Doc ref: 55072/12 • ECHR ID: 001-159739
Document date: December 9, 2015
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Communiquée le 9 décembre 2015
TROISIÈME SECTION
Requête n o 55072/12 Nataliya Borisovna VALIYEVA contre la Russie introduite le 13 août 2012
EXPOSÉ DES FAITS
1. La requérante, M me Nataliya Borisovna Valiyeva, est une ressortissante russe née en 1964 et résidant à Ekaterinbourg (région de Sverdlovsk).
A. Les circonstances de l ’ espèce
2. Les faits de la cause, tels qu ’ ils ont été exposés par la requérante, peuvent se résumer comme suit.
1. La genèse de l ’ affaire
3. Le 15 octobre 2000, la requérante avait prêté ses fonds à un certain B. L ’ échéance du prêt était fixée au 15 décembre 2006. Le prêt n ’ étant pas remboursé, la requérante avait introduit, en 2007, une action contre son débiteur.
4 . Le 15 mai 2007, le tribunal du district Kirovski d ’ Ekaterinbourg se déclara incompétent et déclina sa compétence territoriale au profit soit d ’ un tribunal du domicile du défendeur (Ukraine), soit d ’ un tribunal du domicile de la requérante au moment de la naissance de l ’ obligation, c ’ est ‑ Ã ‑ dire, celui du district Oktiabrski d ’ Ekaterinbourg.
5 . Le 5 juillet 2007, la cour régionale de Sverdlovsk confirma cette décision. Elle rejeta comme erroné l ’ argument de la requérante, selon lequel le lieu d ’ exécution de l ’ obligation était celui du domicile du créancier, car la disposition pertinente du code civil (article 316) ne s ’ appliquait qu ’ au cas où le lieu d ’ exécution n ’ était pas stipulé dans le contrat. Or, selon la cour, en l ’ espèce, le texte du contrat permettait d ’ établir sans équivoque le lieu d ’ exécution de ce dernier, à savoir le district Oktiabrski ; aucun autre lieu pour le remboursement des fonds n ’ était stipulé dans le texte.
2. L ’ examen judiciaire de l ’ action sur le fond
6. Le 6 novembre 2009, la requérante introduisit la même action devant le tribunal du district Oktiabrski d ’ Ekaterinbourg, se conformant à l ’ interprétation des textes relatifs à la compétence territoriale donnée dans la décision du 15 mai 2007 et de l ’ arrêt du 5 juillet 2007 (paragraphes 4 et 5 ci ‑ dessus). La requérante demanda d ’ échelonner le paiement de la taxe judiciaire au motif de l ’ insuffisance de ses ressources financières.
7. Le 11 novembre 2009, le tribunal, constatant l ’ absence de paiement de la taxe judiciaire, fixa un délai jusqu ’ au 27 novembre, pour remédier à ce défaut. Le 30 novembre 2009, le tribunal prononça l ’ extinction de l ’ instance ( определение о возврате искового заявления ) faute du paiement demandé.
8. Le 4 décembre 2009, la requérante introduisit la même action réitérant sa demande d ’ échelonner le paiement de la taxe judiciaire. Par une décision du 9 décembre 2009, le tribunal du district Oktiabrski d ’ Ekaterinbourg rejeta la demande d ’ échelonnement et fixa un nouveau délai, jusqu ’ au 23 décembre 2009, pour le paiement de la taxe.
9. La requérante interjeta appel de la décision du 9 décembre 2009. Par une décision du 21 janvier 2010, la cour régionale de Sverdlovsk fit droit à la demande d ’ échelonnement de la requérante, après avoir constaté que bien que celle ‑ ci fût dûment motivée, elle n ’ était pas examinée par le tribunal de district. La cour infirma la décision attaquée et retourna le dossier pour réexamen.
10. Le 5 mars 2010, le tribunal de district déclara la demande irrecevable ( определение о возврате искового заявления ) déclinant sa compétence territoriale au profit d ’ un tribunal du domicile du défendeur. La requérante interjeta appel.
11 . Par une décision du 11 mai 2010, la cour régionale confirma la décision attaquée. Dans les considérants, elle nota que le texte du contrat ne permettait pas d ’ établir le lieu d ’ exécution de ce dernier, et que, par conséquent, par le jeu de l ’ article 316 du code civil, le lieu d ’ exécution était celui du domicile de la créancière, c ’ est-à-dire, le district Leninski d ’ Ekaterinbourg.
12. Le 15 juin 2010, la requérante introduisit la même action devant le tribunal du district Leninski.
13. Par une décision contradictoire du 14 décembre 2011, ce tribunal statua en faveur de la requérante et ordonna à B. de rembourser le crédit à la requérante. Le tribunal rejeta la demande de B. de déclarer l ’ action prescrite au motif que la requérante l ’ avait introduite dans le temps, à savoir le 6 novembre 2009. Le tribunal estima qu ’ en application de l ’ article 203 du code civil, le délai de prescription avait ainsi été interrompu par l ’ introduction de l ’ action selon les modalités prévues par la loi.
14 . Le 16 février 2012, la cour régionale de Sverdlovsk, statuant en appel, infirma cette décision et déclara l ’ action prescrite. Elle rappela que, selon l ’ article 203 du code civil, le délai de prescription était interrompu par l ’ introduction de l ’ action selon les modalités prévues par la loi. Or, selon la cour, en l ’ espèce, l ’ action avait été introduite en méconnaissance des dispositions légales relatives au paiement de la taxe judiciaire et la compétence territoriale. Le même jour, cet arrêt acquit l ’ autorité de la chose jugée.
15 . La requérante se pourvut en cassation devant la cour régionale de Sverdlovsk. Par une décision du 24 avril 2012, la cour, en formation de juge unique, rejeta le pourvoi faisant siens les motifs de l ’ arrêt d ’ appel.
16 . La requérante se pourvut en cassation devant la Cour suprême de Russie. Par une décision du 28 juin 2012, la Cour suprême, en formation de juge unique, rejeta le recours au motif que, en vertu du principe de sécurité juridique, l ’ instance de cassation n ’ était pas appelée à réexaminer et réévaluer les preuves. D ’ autre part, le juge constata qu ’ en l ’ espèce il n ’ y avait aucune apparence de violation fondamentale du droit substantiel et procédural.
B. Le droit et la pratique internes pertinents
17. Le délai de prescription, qui est de trois ans (article 196 du code civil), est interrompu par l ’ introduction d ’ une action judiciaire selon les modalités prévues par la loi ( в установленном порядке ) (article 203 du code, rédaction en vigueur au moment des faits).
18 . Aux termes de la directive commune de l ’ assemblée plénière de la Cour suprême de Russie et Cour suprême de commerce relative à la prescription interprétant l ’ article 203 du code, le délai de prescription est interrompu, en particulier, par l ’ introduction de l ’ action selon les modalités prévues par la loi ( в установленном порядке ) , c ’ est-à-dire, en conformité avec les dispositions relatives à la compétence judiciaire et, notamment, à la compétence territoriale, ainsi que celles relatives à la forme et au contenu de la déclaration, au paiement de la taxe judiciaire. Lorsque le plaignant corrige les défauts de la déclaration dans les délais fixés à cet effet par le juge, ou bien en cas de révocation en appel de la décision d ’ irrecevabilité, il est considéré que l ’ action est introduite le jour de la présentation initiale. C ’ est depuis cette date que le délai de prescription est interrompu (paragraphe 15 de la directive).
19. Selon l ’ article 316 du code, lorsque le lieu d ’ exécution de l ’ obligation n ’ est pas fixé par la loi ou le contrat , l’exécution s’effectue: (...) pour une obligation de somme d ’ argent, au lieu de l ’ établissement du créancier. Si le créancier a chang é d ’ établissement après la conclusion du contrat et l ’ a notifié au débiteur, l ’ exécution s ’ effectue à ce lieu et le créancier supporte l ’ augmentation des frais liés à l ’ exécution qu ’ un tel changement a pu occasionner.
GRIEFS
20. Invoquant l ’ article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint en substance de l ’ application, qu ’ elle juge erronée, d ’ une disposition relative à la prescription. Cette application s ’ analyse, selon la requérante, en une violation de son droit d ’ accès à un tribunal.
21. Sous l ’ angle du même article, la requérante se plaint de l ’ insuffisance de motifs donnés par des juges uniques de la cour régionale de Sverdlovsk et de la Cour suprême dans leurs décisions rejetant ses pourvois en cassation.
22. Invoquant l ’ article 1 du Protocole n o 1 à la Convention, la requérante se plaint que la justice nationale, ayant tranché en faveur de la partie adverse, a de ce fait approuvé la privation par cette dernière de ses biens.
QUESTIONS AUX PARTIES
1. La requérante a-t-elle bénéficié d ’ un droit d ’ accès à un tribunal, au sens de l ’ article 6 de la Convention, dans la mesure où son action civile a été rejetée le 16 février 2012 par le jeu de la prescription extinctive ?
Plus particulièrement,
a) la requérante, a-t-elle introduit, le 6 novembre 2009, l ’ action « selon les modalités prévues par la loi » ( в установленном порядке ), au sens de l ’ article 203 du code civil ?
b) L ’ introduction de l ’ action auprès du tribunal Oktiabrski d ’ Ekaterinbourg a-t-elle été conforme à ces « modalités prévues par la loi », notamment en matière de la compétence territoriale, telles qu ’ interprétée par l ’ arrêt de la cour régionale de Sverdlovsk du 5 juillet 2007 ?
c) Les juridictions nationales, ont-elles rendu une décision définitive relative à la demande de la requérante tendant à l ’ échelonnement du paiement de la taxe judiciaire ?
d) En cas de réponses affirmatives aux questions a) et b), l ’ introduction de l ’ action, a-t-elle interrompu, en vertu de l ’ article 203 du code civil, le délai de prescription ?
2. Les décisions des juges uniques du 24 avril 2012 et du 28 juin 2012, rejetant les pourvois en cassation, ont-elles été dûment motivées ( Ruiz Torija et Hiro Balani c. Espagne , arrêts du 9 décembre 1994, série A n os 303-A et 303-B) ?
Plus particulièrement,
a) les instances de cassation, ont-elles donné suite aux griefs relatifs à la violation des droits garantis par la Convention, notamment du droit de la requérante d ’ accès à un tribunal ?
b) Étant donné que le pourvoi en cassation constitue, depuis la réforme du code de procédure civile en 2012, une voie de recours ordinaire examinant la conformité aux règles du droit ( Abramyan et Yakubovskiye c. Russie , (déc.), n os 38951/13 et 59611/13, § 93, 12 mai 2015), la référence au principe de sécurité juridique dans la décision rejetant le pourvoi de la requérante par le juge unique de la Cour suprême de Russie, était ‑ elle pertinente ( Abramyan et Yakubovskiye , précité, §§ 91-92) ?
c) Dans la négative, cette absence/insuffisance de motivation, s ’ analyse ‑ t ‑ elle en une violation de l ’ article 6 § 1 de la Convention ?
3. Le rejet de l ’ action de la requérante par le jeu de la prescription extinctive, a-t-il porté atteinte à son droit au respect de ses biens, au sens de l ’ article 1 du Protocole n o 1 à la Convention ?
4. La requérante est invitée à présenter les copies de ses pourvois en cassation.