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Judgment of the Court (Third Chamber) of 26 september 2013.

European Commission v Italian Republic.

C-236/11 • 62011CJ0236 • ECLI:EU:C:2013:607

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Judgment of the Court (Third Chamber) of 26 september 2013.

European Commission v Italian Republic.

C-236/11 • 62011CJ0236 • ECLI:EU:C:2013:607

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ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

26 septembre 2013 ( * )

«Manquement d’État – Fiscalité – TVA – Directive 2006/112/CE – Articles 306 à 310 – Régime particulier des agences de voyages – Divergences entre versions linguistiques – Législation nationale prévoyant l’application de ce régime particulier à des personnes autres que les voyageurs –– Notions de ‘voyageur’ et de ‘client’»

Dans l’affaire C‑236/11,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 17 mai 2011,

Commission européenne, représentée par M mes C. Soulay et D. Recchia, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République italienne, représentée par M me G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. G. De Bellis, avvocato dello Stato, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

soutenue par:

République tchèque, représentée par MM. M. Smolek et T. Müller ainsi que par M me J. Očková, en qualité d’agents,

République hellénique, représentée par M me E.‑M. Mamouna, en qualité d’agent,

Royaume d’Espagne, représentée par M me S. Centeno Huerta, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

République française, représentée par MM. G. de Bergues et J.‑S. Pilczer, en qualité d’agents,

République de Pologne, représentée par MM. M. Szpunar et B. Majczyna, en qualité d’agents,

République de Finlande, représentée par M. J. Heliskoski, en qualité d’agent,

parties intervenantes,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, MM. E. Jarašiūnas, A. Ó Caoimh, M me C. Toader et M. C. G. Fernlund (rapporteur), juges,

avocat général: M me E. Sharpston,

greffier: M me M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 mars 2013,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 juin 2013,

rend le présent

Arrêt

1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en permettant aux agences de voyages d’appliquer le régime particulier des agences de voyages aux services de voyages vendus à des personnes autres que les voyageurs, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 306 à 310 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1, ci-après la «directive TVA»).

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

2 L’article 26 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»), dans sa version en langue italienne (GU L 145, pag. 1), disposait:

«1. Les États membres appliquent la taxe sur la valeur ajoutée [(ci-après la ʻTVAʼ)] aux opérations des agences de voyages conformément au présent article, dans la mesure où ces agences agissent en leur propre nom à l’égard du voyageur [‘viaggiatore’] et lorsqu’elles utilisent, pour la réalisation du voyage, des livraisons et des prestations de services d’autres assujettis. Le présent article n’est pas applicable aux agences de voyages qui agissent uniquement en qualité d’intermédiaire et auxquelles l’article 11 sous A paragraphe 3 sous c) est applicable. Au sens du présent article, sont également considérés comme agences de voyages les organisateurs de circuits touristiques.

2. Les opérations effectuées par l’agence de voyages pour la réalisation du voyage sont considérées comme une prestation de service unique de l’agence de voyages au voyageur [‘viaggiatore’]. Celle-ci est imposée dans l’État membre dans lequel l’agence de voyages a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable à partir duquel elle a fourni la prestation de services. Pour cette prestation de services est considérée comme base d’imposition et comme prix hors taxe, au sens de l’article 22 paragraphe 3 sous b), la marge de l’agence de voyages, c’est-à-dire la différence entre le montant total à payer par le voyageur [‘viaggiatore’] hors [TVA] et le coût effectif supporté par l’agence de voyages pour les livraisons et prestations de services d’autres assujettis, dans la mesure où ces opérations profitent directement au voyageur [‘viaggiatore’].

[...]

4. Les montants de la [TVA] qui sont portés en compte à l’agence de voyages par d’autres assujettis pour les opérations visées au paragraphe 2 et qui profitent directement au voyageur [‘viaggiatore’] ne sont ni déductibles, ni remboursables dans aucun État membre.»

3 Les articles 306 à 310 de la directive TVA, dans sa version en langue italienne, prévoient sous le chapitre 3 de cette directive, intitulé «Régime particulier des agences de voyages»:

« Article 306

1. Les États membres appliquent un régime particulier de la TVA aux opérations des agences de voyages conformément au présent chapitre, dans la mesure où ces agences agissent en leur propre nom à l’égard du voyageur [‘viaggiatore’] et lorsqu’elles utilisent, pour la réalisation du voyage, des livraisons de biens et des prestations de services d’autres assujettis.

Le présent régime particulier n’est pas applicable aux agences de voyages qui agissent uniquement en qualité d’intermédiaire et auxquelles s’applique, pour calculer la base d’imposition, l’article 79, premier alinéa, point c).

2. Aux fins du présent chapitre, les organisateurs de circuits touristiques sont considérés comme agences de voyages.

Article 307

Les opérations effectuées, dans les conditions prévues à l’article 306, par l’agence de voyages pour la réalisation du voyage sont considérées comme une prestation de services unique de l’agence de voyages au voyageur [‘viaggiatore’].

La prestation unique est imposée dans l’État membre dans lequel l’agence de voyages a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable à partir duquel elle a fourni la prestation de services.

Article 308

Pour la prestation de services unique fournie par l’agence de voyages, est considérée comme base d’imposition et comme prix hors TVA, au sens de l’article 226, point 8), la marge de l’agence de voyages, c’est-à-dire la différence entre le montant total, hors TVA, à payer par le voyageur [‘viaggiatore’] et le coût effectif supporté par l’agence de voyages pour les livraisons de biens et les prestations de services d’autres assujettis, dans la mesure où ces opérations profitent directement au voyageur [‘viaggiatore’].

[...]

Article 310

Les montants de la TVA qui sont portés en compte à l’agence de voyages par d’autres assujettis pour les opérations qui sont visées à l’article 307 et qui profitent directement au voyageur [‘viaggiatore’] ne sont ni déductibles, ni remboursables dans aucun État membre.»

Le droit italien

4 L’article 74 ter du décret du président de la République n° 633, du 26 octobre 1972, instituant et régissant la taxe sur la valeur ajoutée (supplément ordinaire à la GURI nº 1, du 11 novembre 1972, p. 1), prévoit:

«1. Les opérations effectuées par les agences de voyages et de tourisme pour l’organisation de forfaits touristiques constitués, conformément à l’article 2 du décret législatif n° 111, du 17 mars 1995, de voyages, de vacances, de circuits tout compris et de services connexes, en contrepartie du paiement d’un prix global, sont considérés comme une prestation de services unique. Les dispositions du présent article s’appliquent également lorsque les prestations susdites sont fournies par les agences de voyages et de tourisme par l’intermédiaire de mandataires; ces dispositions ne s’appliquent pas aux agences de voyages et de tourisme qui agissent au nom et pour le compte des clients.»

La procédure précontentieuse et la procédure devant la Cour

5 Le 23 mars 2007, la Commission a adressé une lettre de mise en demeure à la République italienne, dans laquelle elle faisait valoir que, en permettant que le régime particulier des agences de voyages soit appliqué à des prestations fournies à des personnes autres que les voyageurs, cet État membre ne s’était pas conformé aux articles 306 à 310 de la directive TVA.

6 Dans sa lettre en réponse du 21 mai 2007, la République italienne a contesté l’interprétation donnée par la Commission des articles 306 à 310 de la directive TVA.

7 N’étant pas satisfaite de cette réponse, la Commission a émis, le 29 février 2008, un avis motivé auquel la République italienne a répondu par une lettre du 29 avril 2008, dans laquelle elle a maintenu sa position.

8 C’est dans ces conditions que la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

9 Par ordonnance du président de la Cour du 13 octobre 2011, la République tchèque, la République hellénique, le Royaume d’Espagne, la République française, la République de Pologne et la République de Finlande ont été admis à intervenir au soutien des conclusions de la République italienne.

Sur le recours

Argumentation des parties

10 La Commission considère que le régime particulier des agences de voyages, prévu aux articles 306 à 310 de la directive TVA, est applicable uniquement en cas de vente de voyages à des voyageurs (ci-après l’«approche fondée sur le voyageur»). Elle reproche à la République italienne d’avoir autorisé l’application de ce régime en cas de vente de voyages à tout type de clients (ci-après l’«approche fondée sur le client»).

11 Cette institution rappelle que les dispositions de ces articles 306 à 310 reprennent, en substance, celles de l’article 26, paragraphes 1 à 4, de la sixième directive.

12 Or, la Commission soutient que l’intention du législateur de l’Union, lors de l’adoption de la sixième directive, était de restreindre le régime particulier des agences de voyages aux prestations fournies au voyageur, consommateur final. À l’appui de cette affirmation, elle fait valoir que cinq des six versions linguistiques initiales de cette directive utilisaient systématiquement le terme «voyageur» à l’article 26 de ladite directive d’une manière parfaitement claire et cohérente. Il en résulterait que ce terme ne nécessitait aucun effort d’interprétation allant au-delà de son sens littéral, de sorte que l’interprétation dudit article 26 était univoque.

13 L’emploi du terme «client» («customer») dans la version en langue anglaise de la sixième directive constituerait une erreur, qui n’aurait d’ailleurs été commise qu’une seule fois, à l’article 26, paragraphe 1, de celle-ci. Cette version en langue anglaise ayant servi de base aux traductions ultérieures de la sixième directive, ce terme aurait souvent été repris dans ces dernières, de même que dans de nombreuses versions linguistiques des articles 306 à 310 de la directive TVA.

14 Lors de l’audience devant la Cour, la Commission a précisé que la version en langue française de la sixième directive qui utilisait uniquement le terme «voyageur» avait constitué le texte sur lequel tous les États membres concernés avaient travaillé et s’étaient mis d’accord.

15 La Commission souligne que les dispositions relatives au régime particulier des agences de voyages doivent faire l’objet d’une interprétation uniforme. La coexistence de l’approche fondée sur le voyageur et de celle fondée sur le client serait source de doubles impositions et de distorsions de concurrence.

16 La Commission précise, en se référant à l’article 26 de la sixième directive, les raisons pour lesquelles, même si le terme «client» apparaît dans certaines versions linguistiques des articles 306 à 310 de la directive TVA, il doit être néanmoins entendu dans le sens de «voyageur».

17 Tout d’abord, la Commission estime que, si l’approche fondée sur le client devait être retenue, la condition figurant à l’article 26, paragraphe 1, de la sixième directive, selon laquelle l’agence agit «en son propre nom», serait redondante puisqu’un opérateur agit toujours en son propre nom à l’égard de son client. Il en résulte, selon la Commission, que ces termes ne doivent pas recevoir une interprétation littérale et que le mot «client» doit être entendu dans le même sens que celui retenu dans les cinq autres versions linguistiques initiales de cette directive, à savoir dans le sens de «voyageur». La Commission soutient, à cet égard, qu’une agence de voyages peut agir à l’égard d’un «voyageur» tant en son propre nom qu’au nom et pour le compte de tiers.

18 Ensuite, si le législateur de l’Union avait entendu conférer au terme «client» non pas le sens de voyageur, mais celui de tout type de «clients», il en résulterait des conséquences illogiques, dès lors que le régime particulier des agences de voyages s’appliquerait même lorsqu’une agence agit en tant qu’intermédiaire, notamment lorsqu’elle recherche des clients pour le compte d’un hôtelier, conformément à un contrat d’intermédiation conclu avec celui-ci.

19 La Commission considère que ce caractère illogique apparaît d’autant plus clairement que le mot «voyageur» est utilisé dans la version en langue anglaise de l’article 26, paragraphe 2, première phrase, de la sixième directive, aux termes de laquelle «les opérations effectuées par l’agence de voyages pour la réalisation du voyage sont considérées comme une prestation de service unique de l’agence de voyages au voyageur [‘traveller’]». Or, selon la Commission, cette phrase serait dénuée de sens si le régime particulier des agences de voyages s’appliquait sans qu’il soit tenu compte de la qualité du destinataire des services. Si tel était le cas, le législateur aurait dû, selon cette institution, utiliser de manière systématique le terme «client».

20 La Commission ajoute que les six versions linguistiques initiales de l’article 26, paragraphe 2, troisième phrase, de la sixième directive utilisent le terme «voyageur». Il serait, partant, incohérent de mentionner le «montant total à payer par le voyageur» si le régime particulier des agences de voyages pouvait s’appliquer indépendamment de la qualité du client de l’agence de voyages. En effet, lorsqu’une telle agence effectue une vente à une autre agence de voyages, il faudrait alors, selon la Commission, calculer la marge visée à cet article 26, paragraphe 2, troisième phrase, en prenant en compte la différence entre le montant à payer par le voyageur et les coûts supportés par la première agence, ce qui serait dénué de pertinence en l’absence de lien entre celle-ci et le voyageur.

21 Enfin, la Commission invoque deux autres arguments. Elle souligne, premièrement, que les dispositions de l’article 26 de la sixième directive sont restées en vigueur pendant près de 30 ans, jusqu’à l’abrogation de cette dernière, et que les versions linguistiques de cet article, postérieures aux six versions initiales, adoptent, dans leur grande majorité, le libellé des cinq versions initiales identiques, en utilisant uniquement le terme «voyageur». Seules cinq versions linguistiques ultérieures de cet article se seraient référées à la version en langue anglaise. Deuxièmement, la Commission rappelle que les exceptions au régime général de la TVA doivent être interprétées de manière stricte.

22 Dans ces conditions, bien que l’approche fondée sur le client serait la mieux à même d’atteindre les objectifs visés par le régime particulier des agences de voyages, cette circonstance n’impliquerait pas que cette approche soit correcte. La Commission reconnaît que ce régime particulier est perfectible, mais elle souligne que les États membres ne peuvent adopter de leur propre initiative une telle approche, en s’écartant des dispositions figurant expressément dans la sixième directive. À cet égard, la Commission fait référence, en particulier, au point 28 de l’arrêt du 6 octobre 2005, Commission/Espagne (C‑204/03, Rec. p. I‑8389). Elle ajoute que ledit régime particulier a été introduit pour faire face à la situation qui prévalait en 1977, à une époque où les voyages étaient principalement vendus directement aux voyageurs par les agences de voyages. Le secteur concerné compterait aujourd’hui un plus grand nombre d’opérateurs, mais ce serait non pas aux États membres, mais au législateur de l’Union qu’il incomberait de pallier les insuffisances du même régime particulier.

23 À la suite d’observations des États membres intervenants, tout en maintenant fermement l’approche fondée sur le voyageur, la Commission a légèrement nuancé sa position en indiquant que le terme «voyageur» désigne non seulement la personne physique, mais aussi la personne morale qui achète un forfait pour ses besoins propres et qui est, par conséquent, le preneur final du service de voyages. Est donc comprise sous ce terme, selon la Commission, la société qui achète des services de voyages pour ses employés. En revanche, le terme «voyageur» ne serait pas applicable à la personne physique ou à la personne morale qui revend ledit service à une autre personne. Cette institution souligne que le régime particulier des agences de voyages n’est pas applicable à un stade antérieur à la vente d’un tel service au preneur final.

24 La République italienne conteste l’interprétation que donne la Commission du régime particulier des agences de voyages figurant aux articles 306 à 310 de la directive TVA.

25 Cet État membre fait valoir, de sa propre initiative, ou en marquant son accord avec les États membres intervenants, les arguments suivants.

26 L’interprétation littérale à laquelle s’est livrée la Commission ne pourrait prévaloir, dès lors que, outre la version en langue anglaise de l’article 306 de la directive TVA, de nombreuses autres versions linguistiques de cette disposition, à savoir celles en langues bulgare, polonaise, portugaise, roumaine, slovaque, finnoise et suédoise, emploieraient non pas le terme «voyageur», mais le terme «client».

27 L’analyse des termes utilisés dans les dispositions entourant l’article 26, paragraphe 1, de la sixième directive ou cet article 306 ne pourrait davantage servir de guide en vue de déterminer la portée exacte de ces deux dernières dispositions. En effet, l’examen des différentes versions linguistiques de celles-ci révélerait que le terme «voyageur» n’est utilisé de manière systématique ni à l’article 26, paragraphes 1 à 4, de la sixième directive ni aux articles 306 à 310 de la directive TVA. Certaines versions linguistiques utiliseraient systématiquement le terme «client», tandis que d’autres utiliseraient tantôt le terme «voyageur», tantôt celui de «client». Ces divergences seraient source d’ambiguïté, ainsi qu’en attesterait le fait que, notamment, la République italienne, la République tchèque, la République hellénique, le Royaume d’Espagne et la République française mettent en œuvre l’approche fondée sur le client, alors même que les versions linguistiques de la directive TVA, telles que publiées dans leurs langues nationales, emploient le terme «voyageur».

28 La République italienne en déduit qu’il convient de recourir à une interprétation téléologique des dispositions concernées en recherchant les objectifs poursuivis par le régime particulier des agences de voyages. Ces derniers ne seraient d’ailleurs pas contestés par la Commission et comprendraient, d’une part, la simplification des règles relatives à la TVA applicables aux agences de voyages et, d’autre part, la répartition des recettes de TVA entre les États membres. Or, il serait également constant que l’approche fondée sur le client est celle qui est la mieux à même d’atteindre ces objectifs. Par conséquent, cette approche constituerait la seule interprétation correcte.

29 La République italienne souligne que la qualité du preneur du service, qu’il s’agisse du voyageur, consommateur final, ou d’une agence intermédiaire, n’est pas pertinente. Cet État membre s’appuie par analogie, notamment, sur l’arrêt du 22 octobre 1998, Madgett et Baldwin (C‑308/96 et C‑94/97, Rec. p. I‑6229), et soutient que, dans cet arrêt, malgré le caractère dérogatoire du régime particulier en cause, la Cour s’est livrée à une interprétation large de l’article 26 de la sixième directive en faisant prévaloir l’objectif poursuivi par ce régime sur le libellé de cet article.

30 L’approche fondée sur le client, contrairement à celle fondée sur le voyageur, permettrait de respecter le principe de neutralité de la TVA en traitant de la même manière les opérateurs qui vendent directement des voyages à forfait aux voyageurs et ceux qui vendent de tels voyages à d’autres opérateurs.

31 S’agissant du risque de double imposition invoqué par la Commission, la République italienne soutient qu’il est dû à la coexistence des deux approches en cause et qu’il disparaîtrait si une seule approche était retenue.

32 Quant aux prétendues incohérences relevées par la Commission, s’agissant, en premier lieu, des termes «en son propre nom à l’égard du client», la République italienne conteste leur existence. La Commission confondrait l’expression «à l’égard ‘du’ client», utilisée dans la version en langue anglaise de l’article 26 de la sixième directive, et l’expression «à l’égard de ‘son’ client». Seule cette seconde expression pourrait avoir un caractère redondant.

33 Par ailleurs, la Commission, elle-même, aurait utilisé l’expression «qui agit en son propre nom à l’égard des clients» dans un grand nombre de versions linguistiques de sa proposition de directive du Conseil, du 8 février 2002, modifiant la directive 77/388 en ce qui concerne le régime particulier des agences de voyages [COM(2002) 64 final].

34 La crainte exprimée par la Commission de voir ladite expression conduire à l’application du régime particulier des agences de voyages aux intermédiaires n’aurait pas lieu d’être en raison de la mention expresse figurant à l’article 306, paragraphe 1, second alinéa, de la directive TVA qui exclut cette possibilité.

35 S’agissant, en second lieu, de l’expression «à payer par le voyageur», la Cour aurait déjà reconnu que celle-ci ne saurait être interprétée littéralement et qu’elle couvre également la contrepartie à payer par une tierce personne.

36 L’approche de la Commission soulèverait en outre un problème pratique, en ce sens que, si le régime particulier des agences de voyages ne s’appliquait qu’aux ventes au voyageur, consommateur final, il pourrait être nécessaire de vérifier, au cas par cas, si l’acheteur d’un voyage est bien la personne qui va bénéficier de ce dernier et s’il ne va pas le revendre à une autre personne.

37 En outre, la référence, par la Commission, à l’arrêt Commission/Espagne, précité, ne serait pas pertinente, dès lors que les dispositions en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, contrairement à celles en cause dans le présent recours, étaient univoques.

Appréciation de la Cour

38 Aux fins d’apprécier le présent recours, il convient de déterminer si, en autorisant les agences de voyages à appliquer le régime particulier en cause aux opérations que celles-ci effectuent non seulement avec les «voyageurs», mais également avec tout type de «clients», la République italienne a opéré une transposition correcte des articles 306 à 310 de la directive TVA.

39 Les versions en langue italienne desdits articles 306 à 310, d’une part, et de l’article 26, paragraphes 1 à 4, de la sixième directive, d’autre part, emploient l’une comme l’autre, le terme «voyageur» de manière systématique. En revanche, les autres versions linguistiques de chacune de ces deux directives utilisent les termes «voyageur» et/ou «client» en faisant parfois varier l’emploi de ceux-ci d’une disposition à l’autre.

40 Malgré ces divergences particulièrement importantes, la Commission soutient qu’une interprétation littérale, fondée sur cinq des six versions linguistiques initiales de la sixième directive qui emploient le terme «voyageur» de manière systématique, est possible, le recours au terme «client» dans la version en langue anglaise de cette directive constituant une erreur.

41 La circonstance que seule cette version en langue anglaise utilisait le terme «client», de surcroît dans une seule occurrence, pourrait laisser présumer qu’il s’agissait d’une erreur. Les explications fournies par la Commission lors de l’audience, selon lesquelles le document de travail à l’origine de la sixième directive était rédigé en langue française, pourrait également corroborer l’idée selon laquelle une erreur a été commise à l’occasion de la traduction de cette directive en langue anglaise.

42 Toutefois, plusieurs constatations conduisent à remettre en cause cette analyse de la Commission.

43 Tout d’abord, force est de constater que, s’il s’agissait d’une erreur, celle-ci n’a pas été corrigée dans la version en langue anglaise de la sixième directive.

44 Ensuite, loin de n’apparaître qu’une seule fois et d’être cantonné à une version linguistique en particulier, le terme «client» a été employé dans de nombreuses autres versions linguistiques de la sixième directive et n’a pas seulement été utilisée à l’article 26, paragraphe 1, de celle-ci.

45 En outre, alors que cette prétendue erreur aurait pu être corrigée à tout le moins lors de l’adoption de la directive TVA, tel n’a pas été le cas, puisque le terme «client» figure également dans de nombreuses versions linguistiques des articles 306 à 310 de cette directive, et parfois de manière non systématique.

46 Enfin, la proposition de directive mentionnée au point 33 du présent arrêt, laquelle visait à remplacer la législation existante par un texte adoptant en substance l’approche fondée sur le client, employait le terme «voyageur» dans la version en langue française de l’article 26, paragraphe 1, de cette directive, tandis qu’elle utilisait le terme «client» dans la version en langue anglaise de cette même disposition.

47 Il s’ensuit que, contrairement à ce que prétend la Commission, une interprétation purement littérale du régime particulier des agences de voyages fondée sur le texte d’une ou de plusieurs versions linguistiques, à l’exclusion des autres, ne saurait prévaloir. Conformément à une jurisprudence constante, il y a lieu de considérer que les dispositions du droit de l’Union doivent être interprétées et appliquées de manière uniforme à la lumière des versions établies dans toutes les langues de l’Union. En cas de disparité entre les diverses versions linguistiques d’un texte de l’Union, la disposition en cause doit être interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (arrêt du 8 décembre 2005, Jyske Finans, C‑280/04, Rec. p. I‑10683, point 31).

48 En l’espèce, les autres dispositions qui entourent celles utilisant le terme «client», tel qu’il est employé dans la version en langue anglaise de la sixième directive, varient selon les versions linguistiques des deux directives en cause, si bien qu’aucune conclusion quant à l’interprétation du régime particulier des agences de voyages ne peut être tirée de l’économie de ces dispositions.

49 Quant à la finalité de ce régime particulier, la Cour a rappelé à maintes reprises que les services fournis par les agences de voyages et par les organisateurs de circuits touristiques se caractérisent par le fait que, en règle générale, ces services se composent de multiples prestations, notamment en matière de transport et d’hébergement, qui sont exécutées tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du territoire de l’État membre où l’entreprise a son siège ou un établissement stable. L’application des règles de droit commun concernant le lieu d’imposition, la base d’imposition et la déduction de la taxe en amont se heurterait, en raison de la multiplicité et de la localisation des prestations fournies, à des difficultés pratiques pour ces entreprises, qui seraient de nature à entraver l’exercice de leur activité. C’est afin d’adapter les règles applicables au caractère spécifique de cette activité que le législateur de l’Union a institué, à l’article 26, paragraphes 2 à 4, de la sixième directive, un régime particulier de TVA (voir arrêts du 12 novembre 1992, Van Ginkel, C‑163/91, Rec. p. I‑5723, points 13 à 15; Madgett et Baldwin, précité, point 18; du 19 juin 2003, First Choice Holidays, C‑149/01, Rec. p. I‑6289, points 23 à 25; du 13 octobre 2005, ISt, C‑200/04, Rec. p. I‑8691, point 21, ainsi que du 9 décembre 2010, Minerva Kulturreisen, C‑31/10, Rec. p. I‑12889, points 17 et 18).

50 Ledit régime particulier poursuit, par conséquent, un objectif de simplification des règles relatives à la TVA applicables aux agences de voyages. Il vise également à répartir les recettes provenant de la perception de cette taxe de manière équilibrée entre les États membres, en assurant, d’une part, l’attribution des recettes de TVA relatives à chaque service individuel à l’État membre dans lequel a lieu la consommation finale du service et, d’autre part, l’attribution de celles afférentes à la marge de l’agence de voyages à l’État membre dans lequel cette dernière est établie.

51 Or, il convient de souligner, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté, que l’approche fondée sur le client est celle qui est la mieux à même d’atteindre ces deux objectifs en permettant aux agences de voyages de bénéficier de règles simplifiées quel que soit le type de clients auquel elles fournissent leurs prestations et en favorisant, par là même, une répartition équilibrée des recettes entre les États membres.

52 La circonstance que, lors de l’adoption, en 1977, du régime particulier des agences de voyages, la majorité de ces dernières vendaient leurs services directement au consommateur final n’implique pas que le législateur ait entendu limiter ce régime particulier à ce type de ventes et exclure de celui-ci les ventes à d’autres opérateurs.

53 En effet, lorsqu’un opérateur organise un voyage à forfait et vend celui-ci à une agence de voyages qui le revend ensuite à un consommateur final, c’est ce premier opérateur qui assume la tâche consistant à combiner plusieurs prestations achetées auprès de divers tiers assujettis à la TVA. Au regard de la finalité du régime particulier des agences de voyages, il importe que cet opérateur puisse bénéficier de règles simplifiées en matière de TVA et que celles-ci ne soient pas réservées à l’agence de voyages qui se borne, dans un tel cas, à revendre au consommateur final le forfait qu’elle a acquis auprès dudit opérateur.

54 En outre, il convient de rappeler que la Cour a déjà été amenée à interpréter le terme «voyageur» en lui conférant un sens plus étendu que celui de consommateur final. Ainsi, au point 28 de l’arrêt First Choice Holidays, précité, la Cour a jugé que les termes «à payer par le voyageur», utilisés à l’article 26, paragraphe 2, de la sixième directive, ne sauraient être interprétés littéralement en ce sens qu’ils excluraient de la base d’imposition de la TVA un élément de la «contrepartie» obtenu de la part d’un tiers au sens de l’article 11, A, paragraphe 1, sous a), de cette directive.

55 Les autres objections émises par la Commission aux fins d’écarter l’approche fondée sur le client ne sauraient remettre en cause cette analyse.

56 Le fait que le régime particulier des agences de voyages constitue une exception aux règles de droit commun, de sorte que, en tant que telle, cette exception ne doit pas être étendue au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs qu’elle poursuit (voir arrêt First Choice Holidays, précité, point 22), n’implique cependant pas qu’il faille adopter l’approche fondée sur le voyageur si celle-ci porte atteinte à l’effet utile de ce régime particulier.

57 Tout en reconnaissant que le régime particulier des agences de voyages est perfectible, la Commission souligne, en se fondant sur le point 28 de l’arrêt Commission/Espagne, précité, qu’il n’appartient pas aux États membres d’adopter de leur propre initiative une approche qui, selon ces États, améliore ledit régime car, ce faisant, ils se substituent au législateur de l’Union. Toutefois, cet arrêt ne saurait être utilement invoqué en l’espèce, puisque, contrairement au régime particulier des agences de voyages, la législation en cause dans cet arrêt était univoque.

58 L’argument tiré des prétendues incohérences qui résulteraient d’une lecture du terme «client» au sens non pas de «voyageur», mais de tout type de «clients» ne vaut qu’au regard de la version initiale en langue anglaise de la sixième directive et des versions linguistiques postérieures, calquées sur celle-ci, qui n’utilisent ce terme que dans une seule occurrence. En ce qui concerne les versions linguistiques de la directive TVA qui emploient ce terme de manière systématique aux articles 306 à 310 de celle-ci, cet argument est inopérant.

59 Quant à l’existence d’un risque de voir les agences de voyages appliquer ledit régime particulier même lorsqu’elles agissent comme intermédiaire, il suffit de relever que, compte tenu des termes explicites de l’article 306, paragraphe 1, second alinéa, de la directive TVA, qui excluent, en tout état de cause, une telle possibilité, ce risque n’est pas fondé.

60 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient d’interpréter les dispositions des articles 306 à 310 de la directive TVA en suivant l’approche fondée sur le client.

61 Il y a lieu, par conséquent, de rejeter le recours de la Commission comme étant non fondé.

Sur les dépens

62 En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La République italienne ayant conclu à la condamnation de la Commission et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens. Par ailleurs, conformément à l’article 140, paragraphe 1, du même règlement, selon lequel les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens, il convient de décider que la République tchèque, la République hellénique, le Royaume d’Espagne, la République française, la République de Pologne et la République de Finlande supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête:

1) Le recours est rejeté.

2) La Commission européenne est condamnée à supporter les dépens exposés par la République italienne.

3) La République tchèque, la République hellénique, le Royaume d’Espagne, la République française, la République de Pologne et la République de Finlande supportent leurs propres dépens.

Signatures

* Langue de procédure: l’italien.

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