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Judgment of the Court (Sixth Chamber) of 9 February 2023.

SIA 'Druvnieks' v Lauku atbalsta dienests.

C-668/21 • 62021CJ0668 • ECLI:EU:C:2023:82

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Judgment of the Court (Sixth Chamber) of 9 February 2023.

SIA 'Druvnieks' v Lauku atbalsta dienests.

C-668/21 • 62021CJ0668 • ECLI:EU:C:2023:82

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ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

9 février 2023 ( * )

« Renvoi préjudiciel – Agriculture – Politique agricole commune – Soutien au développement rural – Règles communes – Règlement (UE) no 1306/2013 – Article 60 – Clause de contournement – Notion de “conditions créées artificiellement” – Rejet d’une demande d’aide au vu de la situation dans laquelle se trouve une entreprise appartenant au même propriétaire que l’entreprise ayant demandé l’aide concernée »

Dans l’affaire C‑668/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Augstākā tiesa (Senāts) (Cour suprême, Lettonie), par décision du 5 novembre 2021, parvenue à la Cour le 8 novembre 2021, dans la procédure

« Druvnieks » SIA

en présence de :

Lauku atbalsta dienests,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. P. G. Xuereb (rapporteur), président de chambre, M. A. Kumin et M me I. Ziemele, juges,

avocat général : M me J. Kokott,

greffier : M me A. Lamote, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 13 octobre 2022,

considérant les observations présentées :

– pour « Druvnieks » SIA, par M. A. Zauers,

– pour le gouvernement letton, par M mes J. Davidoviča et K. Pommere, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par M me J. Aquilina et M. A. Sauka, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 60 du règlement (UE) n o 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune et abrogeant les règlements (CEE) n o 352/78, (CE) n o 165/94, (CE) n o 2799/98, (CE) n o 814/2000, (CE) n o 1290/2005 et (CE) n o 485/2008 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 549).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure engagée par « Druvnieks » SIA contre la décision du Lauku atbalsta dienests (service de soutien au monde rural, Lettonie) de rejeter la demande de Druvnieks visant à pouvoir bénéficier d’une aide au titre du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et de la mesure 4 du programme de développement rural de la Lettonie pour la période 2014‑2020, intitulée « Investissements dans des immobilisations corporelles ».

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Le considérant 15 du règlement (UE) n o 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et abrogeant le règlement (CE) n° 1698/2005 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 487), énonce :

« Afin d’améliorer les performances économiques et environnementales des exploitations agricoles et des entreprises rurales, d’améliorer l’efficacité du secteur de la commercialisation et de la transformation des produits agricoles, y compris la mise en place de petites installations de transformation et de commercialisation dans le cadre de circuits d’approvisionnement courts et de marchés locaux, de prévoir les infrastructures nécessaires au développement de l’agriculture et de la foresterie et un soutien aux investissements non rémunérateurs nécessaires à la réalisation des objectifs dans le domaine de l’environnement, une aide devrait être apportée aux investissements physiques contribuant à ces objectifs. [...] »

4 L’article 17, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1305/2013, intitulé « Investissements physiques », prévoit :

« L’aide au titre de la présente mesure couvre les investissements matériels et/ou immatériels qui :

a) améliorent la performance globale et la durabilité de l’exploitation agricole ».

5 L’article 60 du règlement n o 1306/2013 dispose :

« Sans préjudice de dispositions particulières, aucun des avantages prévus par la législation agricole sectorielle n’est accordé en faveur des personnes physiques ou morales dont il est établi qu’elles ont créé artificiellement les conditions requises en vue de l’obtention de ces avantages, en contradiction avec les objectifs visés par cette législation. »

6 L’article 63 de ce règlement, intitulé « Paiements indus et sanctions administratives », énonce, à son paragraphe 2 :

« De surcroît, lorsque la législation agricole sectorielle le prévoit, les États membres imposent également des sanctions administratives, conformément aux règles énoncées aux articles 64 et 77, et sans préjudice des dispositions du titre VI, articles 91 à 101. »

7 L’article 64 dudit règlement, intitulé « Application des sanctions administratives », prévoit, à son paragraphe 4 :

« Les sanctions administratives peuvent revêtir l’une des formes suivantes :

[...]

d) l’exclusion du droit de participer au régime d’aide, à la mesure de soutien ou à une autre mesure concernée ou de bénéficier de ceux‑ci. »

8 En vertu de l’article 2, points 2 et 14, du règlement (UE) n o 702/2014 de la Commission, du 25 juin 2014, déclarant certaines catégories d’aides, dans les secteurs agricole et forestier et dans les zones rurales, compatibles avec le marché intérieur, en application des articles 107 et 108 [TFUE] (JO 2014, L 193, p. 1) :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

(2) “PME” ou “micro, petites et moyennes entreprises” : les micro, petites et moyennes entreprises remplissant les critères énoncés à l’annexe I ;

[...]

(14) “entreprise en difficulté : une entreprise remplissant au moins une des conditions suivantes :

a) s’il s’agit d’une société à responsabilité limitée (autre qu’une PME établie depuis moins de trois ans), lorsque plus de la moitié de ses fonds propres a disparu à la suite des pertes accumulées. [...] Aux fins de la présente disposition, on entend par “société à responsabilité limitée” notamment les types d’entreprises mentionnés à l’annexe I de la directive 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil[, du 26 juin 2013, relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents de certaines formes d’entreprises, modifiant la directive 2006/43/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant les directives 78/660/CEE et 83/349/CEE du Conseil (JO 2013, L 182, p. 19),] et le “capital social” comprend, le cas échéant, les primes d'émission ;

[...]

c) lorsque l’entreprise fait l’objet d’une procédure collective d’insolvabilité ou remplit, selon le droit national qui lui est applicable, les conditions de soumission à une procédure collective d’insolvabilité à la demande de ses créanciers ;

[...] »

9 L’article 3 de l’annexe I de ce règlement, intitulé « Définition des micro, petites et moyennes entreprises », prévoit, à son paragraphe 1, que, aux fins de déterminer si une entreprise peut être considérée comme une PME, une distinction est effectuée entre les entreprises autonomes, les entreprises partenaires et les « entreprises liées », la définition de cette dernière catégorie d’entreprises figurant à l’article 3, paragraphe 3, de cette annexe.

Le droit letton

10 L’article 9 du Ministru kabineta noteikumi Nr. 598 « Noteikumi par valsts un Eiropas Savienības atbalsta piešķiršanu, administrēšanu un uzraudzību lauku un zivsaimniecības attīstībai 2014.–2020.gada plānošanas periodā » (décret n o 598 du conseil des ministres, relatif à l’octroi, à la gestion et au contrôle des aides de l’État et de l’Union européenne au développement rural et de la pêche pour la période de programmation 2014-2020), du 30 septembre 2014 ( Latvijas Vēstnesis , 2014, n° 205), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « décret n o 598/2014 »), dispose :

« Aucune aide n’est accordée au demandeur : [...]

9.3. pour lequel, dans le cadre [de la procédure] d’approbation de la proposition de projet, le [service de soutien au monde rural] a établi l’une des caractéristiques d’une entreprise en difficulté conformément à la réglementation relative à la gestion du Fonds européen agricole de garantie [(FEAGA)], du [Feader] et du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche [(FEAMP)], ainsi qu’à la gestion des aides accordées par l’État et l’Union européenne en faveur de l’agriculture et du développement rural et de la pêche pour la période de programmation 2014‑2020. »

11 L’article 10 de ce décret énonce :

« Conformément à l’annexe 9 du présent décret, le [service de soutien au monde rural] exclut du cercle des bénéficiaires d’aide le soumissionnaire, personne physique ou morale de droit privé, dans tous les cas suivants :

[...]

10.2. le soumissionnaire a été condamné par une décision de l’autorité compétente ou par une décision judicaire définitive et non susceptible de recours pour une infraction consistant dans : [...]

10.2.3. une procédure de retenue ou de recouvrement des dépenses irrégulières effectuées dans le cadre des mesures d’investissement gérées par le [service de soutien au monde rural], ce demandeur de l’aide n’ayant pas remboursé le montant des dépenses irrégulières, convenu d’un calendrier de remboursement avec ce service ou respecté les conditions de ce calendrier. »

12 L’article 17 dudit décret prévoit :

« Une proposition de projet est rejetée si [...]

17.3. au cours de son évaluation, de sa mise en œuvre [ou] de son contrôle, le [service de soutien au monde rural] constate que le demandeur de l’aide a délibérément créé des conditions pour obtenir un financement public supérieur au montant maximal des fonds publics disponibles par bénéficiaire, pour obtenir un avantage par rapport à d’autres soumissionnaires ou pour contourner l’une des conditions d’obtention de l’aide. [...] »

13 L’annexe 1 du même décret, intitulée « Déclaration des demandeurs de l’aide », oblige le candidat à certifier avec sa signature qu’il n’a pas été déclaré insolvable, qu’il ne fait pas l’objet d’une procédure de liquidation, qu’il n’a pas été placé en situation de redressement judiciaire et que son activité économique n’a pas été suspendue ou arrêtée (point 12 de cette annexe), ainsi qu’à certifier qu’il n’a pas enfreint les règles concernant l’octroi d’aides provenant du financement par l’Union, et, par conséquent, n’a pas été exclu du bénéfice d’une telle aide (point 17 de ladite annexe).

Le litige au principal et les questions préjudicielles

14 Le 21 décembre 2016, la requérante au principal, Druvnieks, une société à responsabilité limitée établie en Lettonie, a soumis une proposition de projet au service de soutien au monde rural pour pouvoir bénéficier d’une aide au titre du Feader et de la mesure 4 du programme de développement rural de la Lettonie pour la période 2014‑2020, intitulée « Investissements dans des immobilisations corporelles ».

15 Par une décision du service de soutien au monde rural fondée sur le point 17.3 du décret n o 598/2014 (ci-après la « décision litigieuse »), cette proposition a été rejetée au motif que le propriétaire de la requérante au principal était également propriétaire de « Dižcildi » SIA, une autre société à responsabilité limitée établie en Lettonie, qui avait été déclarée insolvable.

16 Dans la décision litigieuse, le service de soutien au monde rural a relevé que, d’une part, le 6 mai 2015, à la suite de sa constitution et de son inscription au registre du commerce, la requérante au principal avait repris en grande partie l’activité agricole précédemment exercée par Dižcildi, en continuant, notamment, à exploiter les mêmes terres que cette dernière. D’autre part, Dižcildi ayant été déclarée insolvable, il lui aurait été ordonné de rembourser les fonds publics qui lui avaient été précédemment versés. Le 19 mai 2016, la procédure de recouvrement de ces fonds aurait été engagée. Au vu de ces circonstances, le service de soutien au monde rural a considéré que le fait que le propriétaire de Dižcildi avait constitué une nouvelle société, à savoir la requérante au principal, signifiait que des « conditions artificielles » avaient été délibérément créées afin d’obtenir un financement pour le projet faisant l’objet de la proposition soumise par cette dernière le 21 décembre 2016.

17 La requérante au principal a introduit un recours contre la décision litigieuse devant l’Administratīvā apgabaltiesa (Cour administrative régionale, Lettonie), laquelle a rejeté ce recours. Cette juridiction a considéré, en substance, que, pour évaluer la demande soumise par la requérante au principal, il y avait lieu de prendre en considération également les indicateurs financiers des personnes qui lui étaient liées, ainsi qu’il serait prévu à l’article 3 de l’annexe I du règlement n o 702/2014. Or, la requérante au principal devrait être considérée comme une entreprise liée à Dižcildi, les parts sociales des deux sociétés étant détenues par une seule et même personne.

18 La requérante au principal a formé un pourvoi contre ce jugement devant la juridiction de renvoi, l’Augstākā tiesa (Senāts) (Cour suprême, Lettonie). Au soutien de son pourvoi, elle fait valoir, d’une part, que la procédure d’insolvabilité concernant Dižcildi n’avait aucun rapport avec l’activité agricole de cette société, mais était due à un litige civil concernant le paiement de travaux de construction d’une route et, d’autre part, que l’article 3 de l’annexe I du règlement n o 702/2014 n’avait pas vocation à s’appliquer en l’occurrence, la définition figurant dans cette annexe visant exclusivement à définir les micro, petites et moyennes entreprises.

19 La juridiction de renvoi observe que la clause de contournement figurant au point 17.3 du décret n o 598/2014, sur laquelle la décision litigieuse a été fondée, est la transposition des dispositions de l’article 60 du règlement n o 1306/2013.

20 Elle relève, en premier lieu, que, selon le service de soutien au monde rural, le point 10.2.3 du décret n o 598/2014 et le point 17 de l’annexe 1 de ce décret doivent être considérés comme ayant été contournés en l’occurrence. Selon la juridiction de renvoi, la première de ces dispositions prévoit que l’administration peut adopter une décision imposant l’exclusion d’une personne du cercle des demandeurs d’aide pour un certain type d’infraction, tandis que la seconde oblige une personne souhaitant bénéficier d’une aide agricole couverte par le décret n o 598/2014 à certifier qu’aucune décision de cette nature n’a été prise à son égard. La juridiction de renvoi considère qu’une telle décision qui, selon elle, relève, en tant que sanction administrative, du champ d’application de l’article 64, paragraphe 4, sous d), du règlement n o 1306/2013 ne peut être prise qu’à l’égard du demandeur de l’aide concernée et que, par conséquent, le décret n o 598/2014 ne prévoit pas la possibilité d’imposer une telle sanction au propriétaire de la société qui demande cette aide. Elle constate, d’ailleurs, que, selon le service de soutien au monde rural, aucune sanction de ce type n’a été imposée à Dižcildi, à la requérante au principal ou au propriétaire de ces deux sociétés.

21 La juridiction de renvoi se demande donc si, pour que l’article 60 du règlement n o 1306/2013 puisse être appliqué en l’occurrence, s’agissant d’une sanction telle que celle qui est prévue à l’article 10.2.3 du décret n o 598/2014, il est nécessaire que le propriétaire de la société qui demande l’aide se soit soustrait à l’application d’une sanction administrative, pour lui-même ou pour une autre entreprise dont il a été antérieurement propriétaire. Elle précise à cet égard que le service de soutien au monde rural n’a pas mentionné de circonstances susceptibles de démontrer que ce propriétaire avait pris des mesures pour éviter l’application ou l’exécution d’une telle sanction.

22 En deuxième lieu, cette juridiction relève que le service de soutien au monde rural estime que la proposition de projet soumise par la requérante au principal doit également être rejetée, conformément au point 17.3 du décret n o 598/2014, au motif que Dižcildi est insolvable. Tout en reconnaissant qu’une telle situation relève du champ d’application du point 9.3 du décret n o 598/2014, en ce que ce dernier point indique la présence d’une « entreprise en difficulté », ainsi que de celui du point 12 de l’annexe 1 de ce décret, la juridiction de renvoi éprouve des doutes quant au point de savoir si la création d’une nouvelle entité constitue une violation de la clause de contournement figurant à l’article 60 du règlement n o 1306/2013, du seul fait qu’une société existante ne saurait être utilisée, en raison de son insolvabilité, par son propriétaire pour bénéficier de nouvelles mesures d’aide. Se poserait donc la question de savoir si l’article 2, point 14, du règlement n o 702/2014 s’applique uniquement au demandeur d’une aide ou si son application peut être étendue dans certains cas de figure, en vertu de l’article 60 du règlement n o 1306/2013, en examinant la question de savoir si le propriétaire de la société qui demande l’aide détient ou a détenu une entreprise qui connaît des difficultés financières.

23 La juridiction de renvoi considère que le propriétaire d’une société peut utiliser frauduleusement des fonds de l’Union par l’intermédiaire d’une société et créer par la suite une nouvelle société, se soustrayant ainsi à l’obligation de rembourser l’aide octroyée par l’Union. Toutefois, l’exclusion du cercle des demandeurs d’aide ne serait justifiée que si l’allégation de comportement frauduleux d’un tel propriétaire était dûment examinée. En l’occurrence, le service de soutien au monde rural se serait contenté de constater qu’une autre entreprise du propriétaire de la requérante au principal, aujourd’hui insolvable, n’avait pas remboursé l’aide indûment versée, sans examiner les circonstances ayant conduit à l’insolvabilité de cette entreprise et à l’absence de remboursement de l’aide octroyée à celle-ci. Or, le transfert de responsabilité d’une personne à une autre devrait être suffisamment clair et prévisible.

24 Dans ces conditions, l’Augstākā tiesa (Senāts) (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’application de l’article 60 du règlement n o 1306/2013 est-elle justifiée lorsqu’une autre entreprise du propriétaire de la société qui demande l’aide concernée a commis une infraction dont les conséquences financières n’ont pas été réparées et que cette société a effectivement repris l’activité agricole de cette autre entreprise ?

2) L’article 60 du règlement n o 1306/2013 peut-il être appliqué de telle sorte qu’il soit constaté que la société qui demande l’aide concernée s’est soustraite à la sanction administrative prévue à l’article 64, paragraphe 4, sous d), de ce règlement, alors qu’aucune décision n’a été prise à l’égard de cette société ou de son propriétaire pour leur imposer une sanction administrative conduisant à leur exclusion du cercle des demandeurs d’aide ?

3) L’article 60 du règlement n o 1306/2013 peut-il être appliqué en ce sens que l’autorité chargée d’examiner une proposition de projet doit vérifier si d’autres entreprises détenues antérieurement par le propriétaire de la société qui demande l’aide concernée relèvent du champ d’application de l’article 2, point 14, du règlement n o 702/2014 et, en cas de non‑respect, rejeter cette proposition de projet sans autre appréciation individuelle des faits ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur les première et troisième questions

25 Par ses première et troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 60 du règlement n o 1306/2013 doit être interprété en ce sens qu’une situation dans laquelle les conditions de rejet d’une demande d’aide, présentée au titre du Feader, prévues par la réglementation nationale, sont satisfaites non pas par le demandeur de l’aide concernée, mais par une autre entreprise appartenant au même propriétaire que ce dernier, dont le demandeur a repris l’activité agricole, est susceptible de relever de la notion de « conditions créées artificiellement », au sens de cet article 60.

26 À titre liminaire, il convient de rappeler que les États membres mettent en œuvre le règlement n° 1305/2013 relatif au soutien au titre du Feader par l’intermédiaire de leurs programmes de soutien au développement rural et que ce règlement leur laisse la possibilité d’adopter un ensemble de mesures visant à répondre aux priorités de l’Union pour le développement rural (arrêt du 1 er décembre 2022, DELID, C‑409/21, EU:C:2022:946, point 25 et jurisprudence citée).

27 La Cour a jugé que le règlement n° 1305/2013 laisse aux États membres une marge d’appréciation quant aux modalités de mise en œuvre des aides qu’il prévoit [arrêts du 6 octobre 2021, Lauku atbalsta dienests (Aides au démarrage d’entreprises agricoles), C-119/20, EU:C:2021:817, point 56, et du 1 er décembre 2022, DELID, C‑409/21, EU:C:2022:946, point 27].

28 Cette marge d’appréciation peut concerner notamment les critères de sélection des projets, afin de veiller à ce que les ressources financières destinées au développement rural soient utilisées de la meilleure façon possible et pour cibler les mesures au titre des programmes de développement rural conformément aux priorités de l’Union pour le développement rural et en vue de garantir l’égalité de traitement des demandeurs [arrêts du 6 octobre 2021, Lauku atbalsta dienests (Aides au démarrage d’entreprises agricoles), C-119/20, EU:C:2021:817, point 58, et du 1 er décembre 2022, DELID, C‑409/21, EU:C:2022:946, point 28].

29 Il ressort de la demande de décision préjudicielle que, conformément à la réglementation nationale, une demande d’aide, présentée au titre du Feader, doit être rejetée si le demandeur est une entreprise en difficulté, au sens de l’article 2, point 14, du règlement n o 702/2014, ou si ce demandeur a commis une infraction à cette réglementation, en s’abstenant de rembourser des aides irrégulières.

30 En l’espèce, il est constant que le demandeur de l’aide ne satisfait pas les conditions visées au point précédent du présent arrêt. La juridiction de renvoi demande, cependant, si, aux fins de l’application de l’article 60 du règlement n o 1306/2013, il doit être vérifié si de telles conditions sont satisfaites par une autre entreprise appartenant au même propriétaire que ce dernier, dont le demandeur a repris l’activité agricole.

31 À cet égard, il convient de rappeler que, au regard de ses termes, l’article 60 du règlement n o 1306/2013 est, en substance, une réitération de dispositions antérieures, opérant la codification d’une jurisprudence existante selon laquelle les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 7 avril 2022, Avio Lucos, C‑176/20, EU:C:2022:274, point 68).

32 Il est en effet de jurisprudence constante que l’application des règlements de l’Union ne saurait être étendue jusqu’à couvrir des pratiques abusives d’opérateurs économiques (arrêt du 7 avril 2022, Avio Lucos, C‑176/20, EU:C:2022:274, point 69 et jurisprudence citée).

33 Or, la Cour a jugé que la preuve d’une pratique abusive dans le chef du bénéficiaire potentiel d’une aide nécessite, d’une part, un ensemble de circonstances objectives dont il résulte que, malgré un respect formel des conditions prévues par la réglementation pertinente, l’objectif poursuivi par cette réglementation n’a pas été atteint et, d’autre part, un élément subjectif consistant dans la volonté d’obtenir un avantage résultant de la réglementation de l’Union en créant artificiellement les conditions requises pour son obtention (arrêt du 7 avril 2022, Avio Lucos, C‑176/20, EU:C:2022:274, point 70 et jurisprudence citée).

34 Au demeurant, la Cour a précisé qu’il incombait à la juridiction nationale d’établir l’existence de ces deux éléments, dont la preuve doit être rapportée conformément aux règles du droit national, pour autant qu’il ne soit pas porté atteinte à l’efficacité du droit de l’Union (arrêt du 7 avril 2022, Avio Lucos, C‑176/20, EU:C:2022:274, point 71 et jurisprudence citée).

35 C’est dans ce contexte qu’il y a lieu d’interpréter la notion de « conditions créées artificiellement », au sens de l’article 60 du règlement n o 1306/2013 (arrêt du 7 avril 2022, Avio Lucos, C‑176/20, EU:C:2022:274, point 72).

36 S’agissant, en premier lieu, de l’élément objectif visé au point 33 du présent arrêt, il y a lieu de relever qu’il ressort de l’article 17, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1305/2013, ainsi que du considérant 15 de ce dernier, que l’aide aux investissements physiques vise notamment à améliorer la performance globale et la durabilité de l’exploitation agricole. Un tel objectif ne serait pas atteint, si l’aide était accordée à un demandeur qui fait l’objet d’une procédure d’insolvabilité.

37 En outre, si l’aide était accordée à un demandeur faisant l’objet d’une procédure d’insolvabilité ou ayant commis une infraction à la réglementation relative aux aides, en s’abstenant de rembourser des aides irrégulières, l’objectif visant à ce que les ressources financières destinées au développement rural soient utilisées de la meilleure façon possible, relevé au point 28 du présent arrêt, ne serait pas non plus atteint.

38 Par conséquent, si l’octroi de l’aide concernée à la requérante au principal avait pour conséquence que le bénéfice de cette aide revienne, en tout ou en partie, à une autre entreprise qui, pour l’une ou l’autre des raisons prévues dans la réglementation pertinente, visées au point 29 du présent arrêt, n’a pas droit à une telle aide, il s’agirait d’une situation dans laquelle, en dépit du respect formel des conditions prévues par cette réglementation, l’objectif poursuivi par la législation agricole sectorielle n’a pas été atteint.

39 Toutefois, le seul fait que le propriétaire de la requérante au principal soit également propriétaire de cette autre entreprise, à savoir Dižcildi, ne saurait suffire à permettre de conclure à l’existence d’une telle situation. En effet, ce seul fait n’affecte pas, en tant que tel, le constat qu’il s’agit de deux sociétés à responsabilité limitée distinctes.

40 Cette conclusion n’est pas remise en cause par la notion d’« entreprises liées » figurant à l’article 3, paragraphe 3, de l’annexe I du règlement n o 702/2014, cette notion ne visant, ainsi qu’il ressort de l’intitulé de cet article 3, qu’à déterminer si une entreprise peut être considérée comme relevant de la catégorie des « micro, petites et moyennes entreprises », au sens de l’article 2, point 2, de ce règlement, et non à définir la notion d’« entreprise en difficulté », visée à l’article 2, point 14, dudit règlement. L’arrêt du 27 février 2014, HaTeFo (C‑110/13, EU:C:2014:114), auquel le gouvernement letton fait référence dans ses observations écrites, n’est donc pas pertinent pour la réponse aux questions posées, cet arrêt ayant également pour objet la définition de la catégorie des « micro, petites et moyennes entreprises ».

41 Ladite conclusion n’est pas non plus remise en cause par le fait que, selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le droit de la concurrence de l’Union, la notion d’« entreprise » doit être interprétée en ce sens qu’elle comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement, et désigne ainsi une unité économique même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (arrêt du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, point 41 et jurisprudence citée). En effet, il ressort de cette jurisprudence que, lorsqu’une telle unité économique enfreint l’article 101, paragraphe 1, TFUE, il lui incombe, selon le principe de la responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction et que, à cet égard, le comportement d’une société filiale peut être imputé à la société mère du groupe concerné, notamment, lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette société filiale ne détermine pas de façon autonome, à la date de la commission de l’infraction, son comportement sur le marché concerné, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par cette société mère, eu égard, en particulier, aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques, de telle sorte que, dans une telle situation, celles-ci font partie d’une même unité économique et, partant, forment une seule et même entreprise auteur du comportement infractionnel (arrêt du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, points 42 et 43). Cette jurisprudence n’est donc pas pertinente pour l’interprétation de la notion d’« entreprise en difficulté », au sens de l’article 2, points 2 et 14, du règlement n o 702/2014.

42 Il appartiendra donc à la juridiction de renvoi d’examiner tous les éléments factuels de la situation concernée, y compris les circonstances qui ont conduit à l’insolvabilité de Dižcildi et à l’absence de remboursement de l’aide qui avait été octroyée à cette entreprise, afin d’apprécier si, en l’occurrence, en dépit du respect formel des conditions prévues par la réglementation pertinente, l’objectif poursuivi par cette réglementation n’a pas été atteint.

43 S’agissant, en second lieu, de l’élément subjectif visé au point 33 du présent arrêt, il appartiendra en l’occurrence à la juridiction de renvoi de tenir compte de l’ensemble des éléments pertinents du litige au principal aux fins de déterminer si Druvnieks et son propriétaire avaient la volonté d’obtenir un avantage résultant de la réglementation de l’Union en créant artificiellement les conditions requises pour son obtention. Font partie des éléments de fait pouvant ainsi être pris en considération, outre les liens existant entre les entreprises concernées et leur propriétaire, le but poursuivi par ce dernier en établissant la requérante au principal et le lien existant éventuellement entre la formation de cette dernière et l’insolvabilité de Dižcildi.

44 De même, est pertinente la circonstance que la requérante au principal a repris l’activité agricole de Dižcildi. À cet égard, il convient de relever que, selon le gouvernement letton, la requérante au principal gère une partie des biens immobiliers précédemment gérés par Dižcildi et utilise les machines précédemment utilisées par cette dernière. Il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier si tel est le cas et si, le cas échéant, ainsi que la requérante au principal l’a fait valoir, en substance, lors de l’audience devant la Cour, cela est le résultat de transactions commerciales normales. S’il devait s’avérer qu’une telle gestion ou utilisation n’est pas le résultat de transactions commerciales normales, cela serait susceptible de constituer une indication de la présence de l’élément subjectif, au sens du point 33 du présent arrêt.

45 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux première et troisième questions que l’article 60 du règlement n o 1306/2013 doit être interprété en ce sens qu’une situation dans laquelle les conditions de rejet d’une demande d’aide, présentée au titre du Feader, prévues par la réglementation nationale, sont satisfaites non pas par le demandeur de l’aide concernée, mais par une autre entreprise appartenant au même propriétaire que ce dernier, dont le demandeur a repris l’activité agricole, est susceptible de relever de la notion de « conditions créées artificiellement », au sens de cet article, pour autant, d’une part, qu’il résulte d’un ensemble de circonstances objectives que, en dépit du respect formel des conditions prévues par ladite réglementation, l’objectif poursuivi par la législation agricole sectorielle n’a pas été atteint et, d’autre part, que la volonté d’obtenir un avantage résultant de la réglementation de l’Union en créant artificiellement les conditions requises pour son obtention soit établie.

Sur la deuxième question

46 Par sa deuxième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 60 du règlement n o 1306/2013 doit être interprété en ce sens qu’il peut être appliqué dans une situation où ni le demandeur de l’aide concernée ni le propriétaire de celui-ci n’ont fait l’objet d’une décision imposant une sanction administrative, à savoir une exclusion du cercle des bénéficiaires de cette aide.

47 À cet égard, il suffit de relever que l’applicabilité de l’article 60 du règlement n o 1306/2013 n’est pas soumise à la condition que le demandeur de l’aide concernée ou le propriétaire de celui-ci aient fait l’objet d’une telle sanction.

48 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 60 du règlement n o 1306/2013 doit être interprété en ce sens qu’il peut être appliqué alors qu’aucune sanction administrative n’a été imposée au demandeur de l’aide concernée ou au propriétaire de celui-ci.

Sur les dépens

49 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

1) L’article 60 du règlement (UE) n o 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune et abrogeant les règlements (CEE) n o 352/78, (CE) n o 165/94, (CE) n o 2799/98, (CE) n o 814/2000, (CE) n o 1290/2005 et (CE) n o 485/2008 du Conseil,

doit être interprété en ce sens que :

une situation dans laquelle les conditions de rejet d’une demande d’aide, présentée au titre du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), prévues par la réglementation nationale, sont satisfaites non pas par le demandeur de l’aide concernée, mais par une autre entreprise appartenant au même propriétaire que ce dernier, dont le demandeur a repris l’activité agricole, est susceptible de relever de la notion de « conditions créées artificiellement », au sens de cet article, pour autant, d’une part, qu’il résulte d’un ensemble de circonstances objectives que, en dépit du respect formel des conditions prévues par ladite réglementation, l’objectif poursuivi par la législation agricole sectorielle n’a pas été atteint et, d’autre part, que la volonté d’obtenir un avantage résultant de la réglementation de l’Union européenne en créant artificiellement les conditions requises pour son obtention soit établie.

2) L’article 60 du règlement n o 1306/2013 doit être interprété en ce sens qu’il peut être appliqué alors qu’aucune sanction administrative n’a été imposée au demandeur de l’aide concernée ou au propriétaire de celui-ci.

Signatures

* Langue de procédure : le letton.

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