YORDANOF c. GRÈCE
Doc ref: 16769/20 • ECHR ID: 001-219824
Document date: September 6, 2022
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PREMIÈRE SECTION
DÉCISION
Requête n o 16769/20 Rumen YORDANOF contre la Grèce
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant le 6 septembre 2022 en un comité composé de :
Krzysztof Wojtyczek , président,
Erik Wennerström ,
Ioannis Ktistakis , juges, et de Liv Tigerstedt, greffière adjointe de section,
Vu :
la requête n o 16769/20 dirigée contre la Grèce et dont un ressortissant bulgare, M. Rumen Yordanof (« le requérant »), né en 1960, représenté par M e P. Stefanou , avocat à Thessalonique, a saisi la Cour le 5 mars 2020 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
la décision de porter à la connaissance du gouvernement grec (« le Gouvernement »), représenté par la déléguée de son agent, M me A. Dimitrakopoulou, assesseure au Conseil juridique de l’État, les griefs concernant les articles 3, 8 et 13 de la Convention et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus,
les observations des parties,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
OBJET DE l’AFFAIRE
1. L’affaire concerne principalement l’absence allégué d’un suivi médical adapté à l’état de santé du requérant dans la prison de Diavata et de Nigrita et l’absence allégué d’un recours effectif à cet égard, ainsi que l’inexécution du mandat d’arrêt européen.
2. Le requérant allègue que, lors de son arrivée à la prison de Diavata le 8 octobre 2015, il n’a pas été soumis à des examens médicaux. À l’appui de rapports établis par les autorités pénitentiaires, le Gouvernement soutient que l’intéressé a fait l’objet d’un examen médical, conformément à la pratique standard des autorités pénitentiaires et à la loi pertinente. Il soutient également que le requérant a été examiné de nouveau par le médecin de la prison le 22 décembre 2015 et que, le 10 février 2016 et le 1 er avril 2016, il a été transféré à la clinique radiologique de l’hôpital de Thessalonique.
3. Le 4 mars 2016, le requérant entama une grève de la faim pour protester contre l’indifférence des autorités concernant son état de santé. Le Gouvernement conteste cette thèse. Il allègue que le requérant a invoqué des raisons personnelles l’ayant conduit à mener la grève en question, notamment le fait que son état psychique aurait été troublé en raison de son incarcération.
4 . D’après les faits soumis par le Gouvernement, non contestés par le requérant, ce dernier fut hospitalisé du 15 août au 4 septembre 2017 à la clinique orthopédique de l’hôpital de Serres et du 14 au 24 avril 2020 à la clinique pneumologique de cet hôpital. De plus, l’intéressé fut soumis à des examens médicaux pour des problèmes orthopédiques variés aux dates suivantes : le 15 novembre 2017, le 21 décembre 2017 et le 11 janvier 2018.
5 . Le 13 septembre 2016, il subit un scanner de la nuque, qui révéla qu’il avait un kyste mais pas d’autres anomalies. En 2017, il fut soumis à un nouvel examen qui confirma le diagnostic issu du premier scanner. Le 5 février 2019 et le 10 février 2020, un médecin lui proposa de subir une exérèse chirurgicale du kyste en question. Le 27 mars 2019 un rendez-vous fut fixé au 6 août 2019 et le 13 février 2020 un autre rendez-vous fut fixé au 31 mars 2020 pour effectuer de nouveau un scanner.
6 . Après avoir signé des attestations sur l’honneur, lesquelles ont été fournies par le Gouvernement, l’intéressé refusa d’être transféré à l’hôpital pour effectuer le scanner prévu le 6 août 2019, et refusa de subir l’opération programmée le 19 février 2020.
7. Entretemps, le 13 février 2017, un mandat d’arrêt européen fut délivré par les autorités bulgares contre le requérant. Le 12 avril 2017, le président de la cour d’appel de Thessalonique rendit la décision n o 1/2017, dans laquelle il ordonna l’exécution du mandat d’arrêt, la suspension de celui-ci jusqu’à ce que le requérant ait purgé sa peine de 25 ans et le maintien en détention de l’intéressé. Le 21 mai 2020, le requérant fut transféré en Bulgarie pendant une période de six mois pour se présenter devant les autorités.
8. Le 9 septembre 2020, le requérant a subi, en Bulgarie, une exérèse chirurgicale de son kyste. Le 19 novembre 2020, il est revenu dans la prison de Nigrita. Selon les informations fournies par les parties, le requérant a été transféré le 5 août 2021 dans une prison en Bulgarie pour purger sa peine.
9. Au vu de ce qui précède, le requérant invoque l’article 3 de la Convention en raison de l’absence des soins médicaux adaptés à son état de santé, l’article 13 en raison de l’absence d’un recours effectif à cet égard, ainsi que l’article 8 de la Convention, en raison de l’omission des autorités d’exécuter le mandat d’arrêt depuis 2017.
APPRÉCIATION DE LA COUR
10. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il note que le requérant se plaint de circonstances particulières qui l’ont touché personnellement en tant qu’individu et qu’il reproche aux autorités pénitentiaires de ne pas avoir pris les mesures appropriées afin d’y mettre un terme. À cet égard, il indique que le requérant avait à sa disposition plusieurs voies de recours internes, fondés sur les articles du code de procédure pénale (y compris l’article 572 dudit code), du code pénal (y compris l’article 110A dudit code) et l’article 6 du code pénitentiaire.
11. La Cour ne voit aucune raison de s’écarter dans la présente affaire de sa jurisprudence constante à cet égard ( D.M. c. Grèce , n o 44559/15, §§ 24 ‑ 28, 16 février 2017, et Zabelos et autres c. Grèce , n o 1167/15, § 53, 17 mai 2018). De plus, elle relève que le Gouvernement ne produit aucune décision administrative ou judiciaire susceptible d’établir que le requérant pouvait dénoncer effectivement les insuffisances alléguées quant à son traitement médical en prison ( Kargakis c. Grèce , n o 27025/13, § 54, 14 janvier 2021). Elle rejette donc l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement.
12. Les principes généraux découlant de la jurisprudence de la Cour relative aux défaillances dans le suivi médical à la prison sont exposés dans les affaires Kargakis (précité, §§ 57-59), et Pilalis et autres c. Grèce (n o 5574/16, § 52, 17 mai 2018).
13. En l’espèce, la Cour note que les doléances du requérant se fondent sur l’absence alléguée de traitement adéquat de son kyste situé au niveau de la nuque. Elle tient à souligner qu’elle ne peut toutefois se prononcer sur des questions qui relèvent de l’expertise médicale. Afin de déterminer si l’article 3 de la Convention a été respecté, elle ne peut examiner que la seule question de savoir si les autorités nationales ont assuré au requérant un suivi médical approprié.
14. À ce sujet, la Cour constate que, d’après le dossier, pendant sa détention à la prison de Nigrita, le requérant a été examiné par un médecin ou hospitalisé à plusieurs reprises (paragraphes 4-5 ci-dessus).
15. Quant à l’allégation du requérant selon laquelle il n’a pas été examiné par un médecin après son arrestation et son arrivée à la prison de Diavata, la Cour s’appuie sur la version du Gouvernement. Elle se fonde, en particulier, sur des rapports détaillés, établis par les autorités compétentes à la demande du Gouvernement, qui indiquent les dates et le type d’examen médical effectué (paragraphe 2 ci-dessus).
16. La Cour prend également note du comportement du requérant, notamment son refus d’être transféré à l’hôpital pour y subir l’opération programmée ou le scanner prévu, ainsi que des rendez-vous fixés par les autorités à cette fin (paragraphe 6 ci-dessus).
17. Dans ces circonstances, la Cour ne saurait conclure que les autorités nationales ont failli à leur devoir d’assurer un suivi médical au requérant. En outre, elle considère que seul l’argument du requérant selon lequel les autorités n’ont pas agi de manière prompte, ne suffit pas à conclure qu’en l’espèce les autorités compétentes n’ont pas satisfait à leur obligation positive de fournir au requérant une assistance médicale adéquate.
18. En conclusion, la Cour déclare le grief fondé sur l’article 3 irrecevable et le rejette pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
19. Invoquant l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3, le requérant se plaint d’une absence de recours effectif pour se plaindre des défaillances alléguées dans son traitement médical.
20. Le grief fondé sur l’article 3 ayant été déclaré irrecevable, la Cour estime que le requérant n’a aucun grief défendable aux fins de l’article 13 de la Convention ( Boyle et Rice c. Royaume-Uni , arrêt du 27 avril 1988, § 52, série A n o 131, et Nzapali c. Pays-Bas (déc.), n o 6107/07, § 36, 17 novembre 2015). Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
21. Le requérant allègue en plus que les autorités ont porté atteinte à sa vie privée à raison de l’omission de celles-ci d’exécuter le mandat d’arrêt européen et de le transférer en Bulgarie pour purger sa peine. La Cour note qu’entre le 21 mai et le 19 novembre 2020, le requérant était transféré en Bulgarie pour se présenter devant les autorités bulgares et que le 5 août 2021 le requérant a été transféré en Bulgarie pour purger sa peine. D’ailleurs, en ce qui concerne l’allégation du requérant d’après laquelle il est traité comme un vrai paria en prison en raison de sa morphologie et que cela porte atteinte à sa vie sociale, la Cour constate, au vu de l’ensemble des éléments en sa possession, que ce grief n’est pas étayé et donc ne satisfait pas aux critères de recevabilité énoncés à l’article 35 de la Convention.
22. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que cette partie de la requête doit être déclarée irrecevable en application de l’article 35 § 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 29 septembre 2022.
Liv Tigerstedt Krzysztof Wojtyczek Greffière adjointe Président