AKKUŞ v. TURKEY
Doc ref: 70017/10 • ECHR ID: 001-155493
Document date: May 19, 2015
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DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
Requête n o 70017/10 Mecit AKKUŞ contre la Turquie
La Cour européenne des droits de l ’ homme ( deuxième section ) , siégeant le 19 mai 2015 en un comité composé de :
Paul Lemmens, président, Robert Spano, Jon Fridrik Kjølbro, juges, et de Abel Campos , greffier adjoint d e section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 21 août 2010 ,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
1. Le requérant, M. Mecit AkkuÅŸ , est un ressortissant turc né en 1945 et résidant à İstanbul . Il a été représenté devant la Cour par M e H. Türkmen , avocat à İstanbul .
2. Le requérant résidait à l ’ époque des faits en Allemagne. Il était le propriétaire d ’ un terrain sur deux parcelles situé dans le quartier de Bakırköy à İstanbul . En 1979, le service des Domaines (Arsa Ofisi Genel Müdürlüğü , « l ’ Administration ») prit une décision d ’ expropriation du terrain en cause ainsi que de nombreux autres terrains situés dans le même quartier.
3. En juin 1979, l ’ Administration envoya au requérant l ’ acte d ’ expropriation à son adresse mentionné sur le registre foncier mais les services postaux ne parvinrent pas à notifier ce document, l ’ intéressé n ’ ayant pu y être trouvé.
4. En juin et juillet 1979, l ’ Administration effectua des recherches pour trouver l ’ adresse du requérant et demanda au commandement de gendarmerie de Bakırkö y, à la municipalité de Halkalı et à l ’ élu du quartier (muhtar) s ’ ils connaissaient l ’ adresse du requérant. Ces derniers firent savoir qu ’ ils n ’ avaient pas pu trouver l ’ adresse malgré les recherches effectuées.
5. Le 13 novembre 1982, l ’ administration procéda à la notification de l ’ acte d ’ expropriation par voie de publication dans un quotidien national, au motif qu ’ il était impossible de déterminer l ’ adresse du requérant.
6. Les deux parcelles du requérant furent enregistrées au nom de l ’ Administration le 26 février 1985 suite aux décisions de tribunal de grande instance de Bakırköy qui fixa l ’ indemnité d ’ expropriation pour les terrains concernés par cette opération d ’ expropriation. La somme déterminée par le tribunal fut déposée à la banque au nom du requérant.
7. Le 29 décembre 2006, le requérant introduisit une action en dommages et intérêts devant le tribunal de grande instance de Küçükçekmece (« le tribunal ») en vue de la réparation du préjudice causé par l ’ expropriation de son terrain. Il alléguait que l ’ expropriation n ’ a vait pas été faite en bonne et due forme.
8. Par un jugement du 19 mars 2008, le tribunal, après avoir pris connaissance du rapport de l ’ expertise qu ’ il avait ordonné e , donna gain de cause au requérant. Il considéra que l ’ administration avait pris physiquement possession du terrain sans notifier sa décision d ’ expropriation à l ’ intéressé. En conséquence, le tribunal estima que le requérant avait droit à une indemnité pour expropriation de facto de son terrain d ’ un montant de 206 500 livres turques (TRY - environ 100 500 euros à l ’ époque des faits), augmentée d ’ intérêts moratoires.
9. Par un arrêt du 27 janvier 2009, la Cour de cassation cassa le jugement rendu par la juridiction de première instance au motif que le requérant n ’ a vait pas respecté le délai prévu dans la loi d ’ expropriation (qui était en vigueur à l ’ époque des faits) pour introduire une action, soit 30 jours suivant la notification de l ’ acte d ’ expropriation par voie de publication.
10. L ’ affaire lui ayant été renvoyée, le tribunal rejeta cette fois la demande du requérant pour forclusion en précisant que le requérant avait saisi le tribunal le 29 décembre 2006 , soit 24 ans après la notification de l ’ acte d ’ expropriation.
11. Le 26 janvier 2010, la Cour de cassation confirma ce jugement.
GRIEFS
12. Invoquant l ’ article 1 du Protocole n o 1 et l ’ a rticle 6 de la Convention, le requérant dénonce une atteinte à son droit au respect de ses biens, reprochant à l ’ administration d ’ avoir occupé son terrain sans qu ’ une expropriation en bonne et due forme n ’ ait été effectuée. Le requérant allègue que comme il résidait en Allemagne il n ’ a pris connaissance de l ’ expropriation qu ’ en décembre 2006. Il soutient avoir été privé de sa propriété sans indemnisation.
EN DROIT
13. Le requérant allègue qu ’ il a été privé de son bien sans indemnisation et il conteste les décisions rendues par les tribunaux internes qui, d ’ après lui, ont porté atteinte à son droit de la propriété.
14. Il convient d ’ examiner ces griefs sous l ’ angle de l ’ article 1 du Protocole n o 1.
15 . La Cour constate à cet égard que la privation d ’ un droit de propriété ou d ’ un autre droit réel constitue en principe un acte instantané et ne crée pas une situation continue de « privation d ’ un droit » (voir, entre autres, Malhous c. République tchèque (déc.) [GC], n o 33071/96 , CEDH 2000-XII).
16. Il ressort de l ’ examen du dossier que l a date précise à laquelle l ’ ingé rence alléguée aurait eu lieu est le 26 février 1985, date à laquelle le tribunal de grande instance de Bakırkö y a ordonné l ’ enregistrement du terrain du requérant au nom du Trésor Public. L ’ ingérence alléguée se situe donc dans une période bien antérieure au 28 janvier 1987, date à l aquelle la Turquie a accepté le droit de recours individuel.
17. Dès lors, étant donné que la compétence temporelle de la Cour se détermine par rapport aux faits constitutifs de l ’ ingérence alléguée ( Blečić c. Croatie [GC], n o 59532/00, § 77 , CEDH 2006 ‑ III , et Å ilih c. Slovénie [GC], n o 71463/01, § 146, 9 avril 2009 ) , les griefs des requérants sont incompatibles ratione temporis avec les dispositions de la Convention. Le fait que le requérant a saisi les tribunaux internes le 29 décembre 2006 ne change rien à ce constat dans la mesure où les décisions de ces tribunaux ont eu pour seul effet de laisser subsister l ’ ingérence supposée être résultée du jugement du tirbunal de grande instance de Bakırkö y du 26 février 1985, jugement qui était par lui-même susceptible de violer les droits du requérant ( Blečić , précité, § 85).
18. En conséquence, l ’ examen des griefs tirés de l ’ article 1 du Protocole n o 1 échappe à la compétence ratione temporis de la Cour. Il s ’ ensuit que cette partie de la requête est incompatible avec les dispositions de la Convention et doit être rejetée en vertu de l ’ article 35 §§ 3 et 4 de celle-ci.
19. Il reste encore à examiner si les procédures ultérieures devant le tribunal de grande instance de K üçükçekmece et la Cour de cassation ont en soi respecté les dispositions de la Convention (consulter Blečić , précité, § 87).
20 . À cet égard , la Cour tient d ’ abord à souligner que le rejet de la demande du requérant par ce tribunal n ’ a pas eu pour effet de le priver de son bien , dans la mesure où l ’ intéressé n ’ était pas le propriétaire du terrain en question à la date de la saisine du tribunal.
21 . La Cour souligne ensuite que le fait que le requérant n ’ a pas pu contester la procédure d ’ expropriation (tant sur sa légalité que sur le montant de l ’ indemnité) est dû à sa propre inaction . En effet, un long délai de 24 ans s ’ est écoulé entre la prise de possession du terrain litigieux par l ’ administration et l ’ introduction de l ’ action en justice par le requérant, sans que ce dernier ait expliqué de manière convaincante pourquoi il ne lui a pas été possible de respecter les délais légaux de saisine des tribunaux internes.
22 . Dès lors, les décisions des juridictions nationales, déclarant irrecevable la demande du requérant pour tardiveté , après avoir dûment considéré les arguments de celui-ci , ne sauraient être considérées comme arbitraires ou manifestement déraisonnables.
23 . Il s ’ ensuit que le grief du requérant, pour autant qu ’ il concerne les procédures entamées après la ratification de la Convention par la Turquie , est manifestement mal fondé.
Par ces motifs, la Cour, à l ’ unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 11 juin 2015 .
Abel Campos Paul Lemmens Greffier adjoint Président