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Arrêt De La Cour (Huitième Chambre) Du 20 Novembre 2025.

Commission européenne contre République hellénique.

• 62024CJ0518 • ECLI:EU:C:2025:911

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Arrêt De La Cour (Huitième Chambre) Du 20 Novembre 2025.

Commission européenne contre République hellénique.

• 62024CJ0518 • ECLI:EU:C:2025:911

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ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

20 novembre 2025 ( * )

« Manquement d’État – Article 258 TFUE – Directive (UE) 2018/958 – Évaluation par les États membres du caractère proportionné des réglementations nationales limitant l’accès aux professions réglementées ou leur exercice – Article 2, paragraphe 1 – Champ d’application – Organismes nationaux compétents – Article 4, paragraphes 1 et 6 – Examen de proportionnalité ex ante et ex post ainsi que suivi des mesures nationales restrictives – Transposition incomplète »

Dans l’affaire C‑518/24,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 26 juillet 2024,

Commission européenne, représentée par M me L. Armati, MM. J. Szczodrowski et D. Triantafyllou, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

République hellénique, représentée par M mes M. Tassopoulou et D. Tsagkaraki, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. S. Rodin, faisant fonction de président de chambre, MM. N. Piçarra et N. Fenger (rapporteur), juges,

avocat général : M. N. Emiliou,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que :

– en n’ayant pas veillé à ce que les mesures nationales de transposition de la directive (UE) 2018/958 du Parlement européen et du Conseil, du 28 juin 2018, relative à un contrôle de proportionnalité avant l’adoption d’une nouvelle réglementation de professions (JO 2018, L 173, p. 25), couvrent tous les types d’organismes compétents pour réglementer et/ou proposer la réglementation des professions, à savoir les mesures prises par les associations ou organismes professionnels et les initiatives émanant du parlement national, y compris les amendements parlementaires, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 2, paragraphe 1, de cette directive ;

– en n’ayant pas garanti un réexamen systématique ou régulier au fil du temps de la proportionnalité de toute disposition nouvelle ou modifiée limitant l’accès à des professions réglementées ou leur exercice après son adoption, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 6, de ladite directive.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

2 Les considérants 12 et 15 de la directive 2018/958 énoncent :

« (12) Avant d’introduire de nouvelles dispositions législatives, réglementaires ou administratives limitant l’accès à des professions réglementées ou leur exercice ou de modifier de telles dispositions existantes, les États membres devraient examiner si ces dispositions respectent le principe de proportionnalité. L’étendue de l’examen devrait être proportionnée à la nature, au contenu et à l’impact de la disposition introduite.

[...]

(15) Il convient de contrôler le caractère proportionné des dispositions nouvelles ou modifiées limitant l’accès à des professions réglementées ou leur exercice après leur adoption. Le réexamen du caractère proportionné d’une mesure nationale restrictive dans le domaine des professions réglementées devrait tenir compte non seulement de l’objectif de cette mesure nationale au moment de son adoption, mais également de ses effets, à évaluer après son adoption. L’examen du caractère proportionné de la mesure nationale devrait tenir compte des développements intervenus dans le domaine dont relève la profession réglementée depuis l’adoption de la mesure. »

3 L’article 2, paragraphe 1, de cette directive dispose :

« La présente directive s’applique aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives des États membres qui limitent l’accès à une profession réglementée ou l’exercice de celle-ci, ou l’une des modalités d’exercice de celle-ci, y compris l’usage d’un titre professionnel et les activités professionnelles autorisées sur le fondement de ce titre et qui relèvent du champ d’application de la directive 2005/36/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissances des qualifications professionnelles (JO 2005, L 255, p. 22)]. »

4 L’article 4 de la directive 2018/958, intitulé « Examen ex ante de nouvelles mesures et suivi », prévoit, dans son paragraphe 1 :

« Avant d’introduire de nouvelles dispositions législatives, réglementaires ou administratives limitant l’accès à des professions réglementées ou leur exercice ou avant de modifier de telles dispositions existantes, les États membres procèdent à un examen de proportionnalité conformément aux dispositions de la présente directive. »

5 L’article 4, paragraphe 6, de cette directive est libellé comme suit :

« Les États membres contrôlent la conformité des dispositions législatives, réglementaires ou administratives nouvelles ou modifiées limitant l’accès à des professions réglementées ou leur exercice, après leur adoption, avec le principe de proportionnalité, en tenant dûment compte de l’évolution de la situation depuis l’adoption des dispositions concernées. »

Le droit grec

La Constitution de la République hellénique

6 L’article 25 de la Syntagma tis Elladas (Constitution de la République hellénique) prévoit :

« Les droits de l’homme, en tant qu’individu et en tant que membre du corps social, et le principe de l’État de droit social sont placés sous la garantie de l’État. Tous les organes de l’État sont tenus d’en assurer l’exercice libre et efficace. Ces principes sont également valables dans les relations entre particuliers auxquelles ils sont propres. Les restrictions de tout ordre qui peuvent être imposées à ces droits selon la Constitution doivent être prévues soit directement par la Constitution soit par la loi, sans préjudice de celle-ci et dans le respect du principe de proportionnalité.

[...] »

Le règlement intérieur du Parlement

7 Aux termes de l’article 85, paragraphe 3, du Kanonismos tis Voulís (règlement intérieur du Parlement) :

« Les projets de loi sont impérativement accompagnés d’une analyse d’impact réglementaire comprenant les éléments suivants : (a) l’exposé des motifs [...] qui doit comprendre, notamment, la définition et la délimitation du problème que la législation vise à résoudre, la formulation d’objectifs précis, clairement délimités dans le temps et, dans la mesure du possible, mesurables et les raisons pour lesquelles ils ne peuvent être atteints sans ladite législation, (b) le rapport sur les conséquences générales, qui analyse les incidences de la législation, c’est-à-dire les avantages, les coûts et les risques [...] (d) le rapport sur la légalité, qui met l’accent sur la constitutionnalité des dispositions et leur conformité avec le droit européen et international, (e) la liste des dispositions modifiées ou abrogées [...] Les propositions de loi doivent être accompagnées d’une analyse d’impact succincte, comprenant au moins les éléments (a) et (e) ci-dessus. »

8 L’article 88, paragraphe 2, de ce règlement intérieur précise que « le texte de chaque amendement proposé par les ministres est précédé d’une brève analyse d’impact réglementaire, comprenant au moins les éléments (a) et (e) ainsi que les éléments (b) et (d) de l’article 85, paragraphe 3. Les amendements proposés par les députés doivent être accompagnés d’une brève analyse d’impact réglementaire, comprenant au moins les éléments (a) et (e) de l’article 85, paragraphe 3 ».

La loi 4763/2020

9 L’article 139, paragraphe 1, du Nomos 4763/2020 Ethniko Systima Epangelmatikis Ekpaidefsis, Katartisis kai dia Viou Mathisis, ensomatosi stin elliniki nomothesia tis Odigias (EE) 2018/958 tou Evropaïkou Koinovouliou kai tou Symvouliou tis 28is Iouniou 2018 schetika me ton elencho analogikotitas prin apo ti thespisi neas nomothetikis katochyrosis ton epangelmaton (EE L 173), kyrosi tis Symfonias metaxy tis Kyvernisis tis Ellinikis Dimokratias kai tis Kyvernisis tis Omospondiakis Dimokratias tis Germanias gia to Ellinogermaniko Idryma Neolaias kai alles diataxeis [loi 4763/2020 portant « Système national d’enseignement, de formation et d’éducation et de formation tout au long de la vie, transposition en droit grec de la directive (UE) 2018/958 du Parlement européen et du Conseil du 28 juin 2018 relative à un contrôle de proportionnalité avant l’adoption d’une nouvelle réglementation de professions (JO L 173), ratification de l’accord entre le gouvernement de la République hellénique et le gouvernement de la République fédérale d’Allemagne sur la Fondation germano-hellénique pour la jeunesse, et autres dispositions »] (FEK A’ 254/21.12.2020, ci-après la « loi de transposition »), dispose :

« Les dispositions de la présente partie s’appliquent aux dispositions législatives ou réglementaires qui limitent l’accès à une profession réglementée ou l’exercice de celle-ci, ou l’une des modalités d’exercice de celle-ci, y compris l’usage d’un titre professionnel et les activités professionnelles autorisées sur le fondement de ce titre concerné et qui relèvent du champ d’application du décret présidentiel nº 38/2010 [FEK A’ 78]. »

10 L’article 139, paragraphe 3, de cette loi énonce :

« Toute décision réglementaire relevant du champ d’application de la présente partie s’entend comme une réglementation d’importance économique et sociale majeure au sens de l’article 62, paragraphe 1, et de l’article 63, paragraphe 2, du [Nomos 4622/2019 Epiteliko Kratos : organosi, leitourgia kai diafaneia tis Kyvernisis, ton kyvernitikon organon kai tis kentrikis dimosias dioikisis (loi 4622/2019 portant “Exécutif central de l’État : organisation, fonctionnement et transparence du gouvernement, des organes gouvernementaux et de l’administration publique centrale”, FEK A’ 133/7.8.2019, ci-après la “loi 4622/2019”)] [...] »

11 L’article 141, paragraphe 1, de ladite loi prévoit :

« Le ministère compétent ou l’autorité compétente procède à un examen préliminaire de la proportionnalité conformément aux règles énoncées dans la présente partie avant d’introduire de nouvelles dispositions législatives ou réglementaires ou de modifier de telles dispositions existantes limitant l’accès à des professions réglementées ou leur exercice. »

12 L’article 141, paragraphes 6 et 7, de la même loi dispose :

« 6. Le respect de la proportionnalité au sens du paragraphe 1 est vérifié dans le cadre du processus législatif prévu aux articles 63 et 64 de la loi 4622/2019, par la commission de rédaction législative compétente et par le comité d’évaluation de la qualité de la rédaction législative.

7. Le ministère compétent contrôle l’application des dispositions législatives ou réglementaires nouvelles ou modifiées limitant l’accès à des professions réglementées ou leur exercice, sur la base du principe de proportionnalité, en tenant compte de l’évolution de la situation depuis l’adoption des dispositions concernées, selon la procédure prévue à l’article 56 de la loi 4622/2019, qui s’applique mutatis mutandis lorsque l’examen est effectué par une autorité compétente. »

La loi 4622/2019

13 Aux termes de l’article 56, paragraphe 1, de la loi 4622/2019 :

« Après trois ans, et en tout état de cause avant cinq ans après son entrée en vigueur, la législation est évaluée sur la base des données résultant de son application. Cet exercice comprend une évaluation du coût de la mise en œuvre de la législation, de son impact ou des effets secondaires qui en ont résulté, des avantages et des résultats globalement positifs de la mise en œuvre et des conclusions de la jurisprudence. »

14 Conformément à l’article 64, paragraphe 1, de cette loi, « [l]e comité d’évaluation de la qualité de la rédaction législative est institué en tant qu’organe consultatif indépendant, interdisciplinaire et consultatif ».

La procédure précontentieuse

15 Le 20 janvier 2021, la République hellénique a notifié à la Commission la loi de transposition, qui a transposé la directive 2018/958 postérieurement à la date limite du 30 juillet 2020 prévue à cet effet, ainsi qu’un tableau de correspondance. Le 22 janvier 2021, cet État membre a communiqué à la Commission le texte de la Constitution de la République hellénique et celui du décret présidentiel nº 18/1989 contenant les dispositions législatives applicables au Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’État, Grèce).

16 Après avoir évalué la conformité de la loi de transposition aux dispositions de cette directive, la Commission a adressé à la République hellénique, le 2 décembre 2021, une lettre de mise en demeure ayant pour objet un manquement aux obligations découlant de l’article 2, paragraphe 1, et de l’article 4, paragraphe 6, de ladite directive.

17 En particulier, la Commission reprochait, en premier lieu, à la République hellénique d’avoir manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2018/958, au motif que les mesures nationales de transposition ne couvraient pas, d’une part, tous les types de dispositions pouvant limiter l’accès à des professions réglementées ou leur exercice, en ne visant pas les dispositions administratives, et, d’autre part, tous les types d’organismes pouvant être à l’origine de mesures limitant l’accès à des professions réglementées ou leur exercice, en ne visant pas les associations ou organismes professionnels ainsi que le Parlement dans le cadre des initiatives parlementaires.

18 La Commission reprochait, en second lieu, à cet État membre d’avoir manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 6, de la directive 2018/958, au motif que les mesures nationales de transposition n’apportaient pas suffisamment de clarté sur la manière dont serait assuré de manière régulière le réexamen des mesures estreignant l’accès à des professions réglementées ou leur exercice.

19 Cet État membre a répondu à la lettre de mise en demeure le 4 février 2022 en rejetant les deux griefs invoqués.

20 S’agissant du grief tiré de la violation de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2018/958, la République hellénique a fait, en substance, valoir, en premier lieu, que, s’agissant des propositions de lois, un contrôle de leur constitutionnalité est opéré conformément au principe constitutionnel de proportionnalité. En outre, s’agissant des organismes professionnels, cet État membre a fait, en substance, valoir qu’ils ne peuvent pas légiférer de manière autonome, mais uniquement sur la base d’une habilitation spécifique proposée par le ministère compétent dans une proposition législative. Or, ces propositions seraient elles‑mêmes soumises au contrôle de proportionnalité.

21 En second lieu, quant au reproche de la Commission selon lequel la République hellénique n’assurerait pas de contrôle de proportionnalité régulier des mesures estreignant l’accès à des professions réglementées ou leur exercice, en méconnaissance de l’article 4, paragraphe 6, de cette directive, cet État membre s’est référé à l’article 141, paragraphe 7, de la loi de transposition en vertu duquel ce contrôle serait assuré en tenant compte de toute évolution de la situation depuis l’adoption des dispositions en cause.

22 Le 15 février 2023, la Commission a adressé à la République hellénique une lettre de mise en demeure complémentaire par laquelle elle soulevait, sans préjudice des griefs figurant dans la lettre de mise en demeure du 2 décembre 2021, des questions relatives aux amendements d’origine parlementaire.

23 Le 21 avril 2023, cet État membre a répondu à cette lettre de mise en demeure complémentaire en rejetant tous les griefs supplémentaires invoqués.

24 Lors d’une réunion avec la Commission dite « paquet », tenue le 8 juin 2023, les représentants de la République hellénique se sont engagés à examiner les codes de déontologie des organismes professionnels grecs afin de déterminer s’ils respectent les exigences de la directive 2018/958 et à communiquer les résultats de cet examen à la Commission. Par ailleurs, ils sont convenus d’examiner les procédures suivies en ce qui concerne les contrôles de proportionnalité effectués à l’égard des amendements et des initiatives parlementaires afin de s’assurer que ces contrôles sont suffisamment précis et détaillés.

25 À la suite de cette réunion, la République hellénique a communiqué, par courriel du 12 juin 2023, des copies des codes de déontologie de certains organismes professionnels, à savoir ceux des kinésithérapeutes, des avocats, des médecins et des ingénieurs, sans toutefois en apprécier le contenu et sans, par ailleurs, apporter d’informations sur les questions relatives aux amendements et initiatives parlementaires.

26 Au vu des éléments fournis, la Commission a, le 18 octobre 2023, adressé un avis motivé à la République hellénique dans lequel elle a conclu que cette dernière ne respectait toujours pas les obligations qui lui incombent en vertu des exigences de l’article 2, paragraphe 1, et de l’article 4, paragraphe 6, de la directive 2018/958.

27 Les réponses des autorités helléniques du 1 er février 2024 n’ayant pas conduit la Commission à revenir sur cette conclusion, celle-ci a décidé d’introduire le présent recours.

Sur la demande tendant à la production d’un élément de preuve après la clôture de la phase écrite de la procédure

28 Après la clôture de la phase écrite de la procédure, le 6 janvier 2025, la République hellénique a, le 31 janvier 2025, soumis à la Cour, à l’appui de sa demande d’audience, un document que cet État membre a, par la suite, demandé à celle-ci d’examiner en tant qu’élément de preuve au sens de l’article 128, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour.

29 Dans ce document, ledit État membre a présenté, d’une part, une description des procédures de contrôle de la proportionnalité des mesures restreignant l’accès à des professions réglementées ou leur exercice émanant du Parlement ainsi que des explications à cet égard et, d’autre part, une description d’un projet de modification de la loi de transposition, tout en demandant à la Cour de statuer sur la question de savoir si cette loi, lue en combinaison avec ce projet, est contraire aux obligations découlant de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2018/958 et si ladite loi est conforme à l’article 4, paragraphe 6, de cette directive.

30 Par une lettre du 26 mars 2025, la Commission a demandé à la Cour de rejeter ledit document comme étant irrecevable.

31 L’article 128, paragraphe 2, première et deuxième phrases, du règlement de procédure dispose que, à titre exceptionnel, les parties peuvent encore produire des preuves ou faire des offres de preuve après la clôture de la phase écrite de la procédure en motivant le retard apporté à la présentation de ces éléments.

32 En l’espèce, s’agissant de la description de la réglementation nationale en vigueur et des explications qui s’y rapportent, lesquelles traitent de la situation juridique qui existait déjà au moment où une duplique pouvait être déposée, le document soumis à la Cour ne comporte aucune justification quant au retard avec lequel il a été déposé, de sorte qu’il doit être considéré comme étant irrecevable.

33 Quant au projet de modification de la réglementation nationale auquel fait référence ce document, force est de constater que, sans qu’il y ait besoin d’examiner les motifs de retard avancés par la République hellénique, ce projet, auquel cette dernière a d’ailleurs déjà fait en partie référence dans son mémoire en défense, ne concerne pas la situation factuelle et juridique existante à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, à savoir le 18 décembre 2023, et ne saurait constituer une « preuve » ou une « offre de preuve », au sens de l’article 128, paragraphe 2, du règlement de procédure (voir, a contrario, arrêt du 10 novembre 2016, Commission/Grèce , C‑504/14, EU:C:2016:847, point 26).

34 Partant, il n’y a pas lieu d’admettre le document produit par la République hellénique au titre de l’article 128, paragraphe 2, du règlement de procédure.

Sur le recours

Sur le premier grief

Argumentation des parties

35 Par son premier grief, la Commission considère, en substance, que la République hellénique n’a pas veillé à ce que les mesures nationales de transposition de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2018/958 couvrent tous les types d’organismes compétents pour réglementer et/ou proposer la réglementation des professions. À cet égard, la Commission soutient que le champ d’application de cette disposition n’est pas limité à certains types d’organismes nationaux ou à certains types de réglementations mais couvre toutes les dispositions législatives, réglementaires ou administratives qui limitent l’accès à une profession réglementée ou l’exercice de celle-ci, ou l’une des modalités d’exercice de celle‑ci. Or, la loi de transposition n’indiquerait pas clairement quelles autorités seraient, dans chaque cas, chargées de procéder à un examen de la proportionnalité de tous les types de mesures.

36 En premier lieu, la Commission considère que les mesures restrictives découlant des initiatives émanant des membres du Parlement ne seraient pas soumises au contrôle de proportionnalité prévu par cette directive. À cet égard, cette institution soutient que, si l’article 4 de ladite directive fait référence aux « États membres », l’article 141, paragraphe 1, de la loi de transposition ne renvoie qu’au « ministère compétent ou [à] l’autorité compétente ». La loi de transposition renverrait, en ce qui concerne le contrôle de la proportionnalité, à la loi 4622/2019, laquelle ne concernerait que le gouvernement, les institutions gouvernementales et l’administration publique centrale.

37 En outre, l’article 141, paragraphe 6, de la loi de transposition ferait référence à un contrôle de proportionnalité des projets de loi ou actes réglementaires revêtant une importance économique et sociale majeure, au sens de l’article 62, paragraphe 1, et de l’article 63, paragraphe 2, de la loi 4622/2019. L’intervention de la commission de rédaction législative et du comité d’évaluation de la qualité de la rédaction législative prévue à cet article 141, paragraphe 6, ne concernerait que les initiatives émanant des ministères.

38 Par ailleurs, la Commission estime, en substance, que le principe constitutionnel de proportionnalité ne garantit pas un examen de la proportionnalité conforme à la directive 2018/958 à l’égard des mesures restreignant l’accès aux professions réglementées et leur exercice, émanant des initiatives parlementaires.

39 En deuxième lieu, la Commission soutient que les reproches qu’elle a formulés à l’égard des initiatives parlementaires valent également pour les amendements d’origine parlementaire adoptés par le Parlement et instaurant de nouvelles exigences ou modifiant des exigences existantes qui limitent l’accès à des professions réglementées. En effet, aucune des dispositions nationales transposant les dispositions de la directive 2018/958, ni même la loi 4622/2019, ne s’appliqueraient à ces amendements et il n’apparaîtrait pas clairement quels organismes nationaux seraient chargés de procéder à l’examen de leur proportionnalité en vertu de cette directive.

40 En outre, l’intervention de la commission de rédaction législative et du comité d’évaluation de la qualité de la rédaction législative prévue à l’article 141, paragraphe 6, de la loi de transposition, lequel renvoie aux articles 62 à 64 de la loi 4622/2019, n’interviendrait qu’avant la transmission des projets de loi et des actes réglementaires préparés par les ministères compétents au Parlement.

41 Par ailleurs, tout comme pour les initiatives parlementaires, la Commission estime que le libellé de l’article 85, paragraphe 3, du règlement intérieur du Parlement ne garantit pas qu’un contrôle des amendements d’origine parlementaire dans le domaine des professions réglementées, effectué sur la base du principe constitutionnel de la proportionnalité et conformément à ce règlement intérieur, soit conforme aux exigences procédurales spécifiques du contrôle de la proportionnalité ressortant de la directive 2018/958.

42 S’agissant, en troisième lieu, des règles émanant d’organismes ou d’associations professionnels visant à réglementer et/ou à proposer la réglementation des professions, la Commission soutient que le cadre juridique national ne contient pas suffisamment de garanties pour assurer que toute mesure estreignant l’accès à des professions réglementées ou leur exercice, émanant de tels organismes ou associations, fasse l’objet d’un examen de la proportionnalité conforme aux exigences de la directive 2018/958. Cette institution précise que les considérations relatives à l’examen des articles 139, 141 et 143 de la loi de transposition et des articles 62 à 64 de la loi 4622/2019, effectué pour les initiatives parlementaires et les amendements d’origine parlementaire, sont également valables pour le traitement des mesures approuvées par ces organismes ou associations.

43 À cet égard, la Commission considère, tout d’abord, que, même si la loi autorisant une association professionnelle à adopter des règlements ou des décisions d’application générale est elle-même soumise à un examen de sa proportionnalité, le contenu de ces règlements ou décisions ne l’est pas. Ensuite, même si une telle loi a fixé des limites strictes auxdits règlements ou décisions, les mêmes règlements ou décisions pourraient différer des dispositions de cette loi quant à leur portée ou à leur contenu, sans être soumis à un contrôle de proportionnalité. Enfin, les mesures prises par des organisations professionnelles relatives à la formation professionnelle, aux cotisations, aux codes de déontologie, à la publicité ou aux frais/abonnements ne seraient pas soumises à un examen de la proportionnalité, en méconnaissance des dispositions de la directive 2018/958.

44 Dans sa défense, la République hellénique se borne à mentionner plusieurs propositions de modification de la loi de transposition, lesquelles devraient être encore soumises à consultation, en conformité avec le calendrier des travaux législatifs du Parlement.

Appréciation de la Cour

45 Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2018/958, celle-ci s’applique aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives des États membres qui limitent l’accès à une profession réglementée ou l’exercice de celle-ci, ou l’une des modalités d’exercice de celle-ci, y compris l’usage d’un titre professionnel et les activités professionnelles autorisées sur le fondement de ce titre et qui relèvent du champ d’application de la directive 2005/36.

46 Les États membres ont l’obligation, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2018/958, lu en combinaison avec le considérant 12 de celle-ci, de procéder à un examen de proportionnalité avant d’introduire de nouvelles dispositions législatives, réglementaires ou administratives limitant l’accès à des professions réglementées ou leur exercice ou avant de modifier de telles dispositions existantes.

47 Cette directive, dont le délai de transposition expirait le 30 juillet 2020, a été transposée dans l’ordre juridique hellénique par la loi de transposition.

48 La Commission se prévaut, en substance, de l’absence d’applicabilité des dispositions nationales transposant l’article 4, paragraphe 1, de ladite directive à l’ensemble du champ d’application de celle-ci, tel que défini à son article 2, paragraphe 1.

49 En l’espèce, il ressort du dossier soumis à la Cour, dont la République hellénique ne contredit pas, dans son mémoire en défense, les éléments qu’il contient, que le droit national et, en particulier, l’article 141, paragraphes 1, 6 et 7, de la loi de transposition mentionnée au point 47 du présent arrêt, lu en combinaison avec les dispositions pertinentes de la loi 4622/2019, à laquelle la loi de transposition renvoie, ne couvrent pas l’intégralité du champ d’application de la directive 2018/958, tel que défini à l’article 2, paragraphe 1, de celle-ci, à savoir les règles découlant d’initiatives parlementaires, les règles découlant d’amendements d’origine parlementaire aux propositions législatives et celles émanant d’organismes ou d’associations professionnels. Par ailleurs, dans son mémoire en défense, la République hellénique ne contredit pas non plus la Commission quant au caractère insuffisant, au regard des exigences de cette directive, de l’examen de proportionnalité des mesures restreignant l’accès aux professions réglementées ou leur exercice, opéré dans le cadre du contrôle de proportionnalité prévu par la Constitution de la République hellénique ou encore par l’article 85, paragraphe 3, du règlement intérieur du Parlement.

50 En outre, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre en cause telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour (arrêt du 18 novembre 2004, Commission/Autriche , C‑78/04, EU:C:2004:735, point 23 et jurisprudence citée). Les arguments avancés par un État membre doivent dès lors être examinés en fonction de la situation existante au terme de ce délai et être écartés lorsqu’ils portent sur le développement ultérieur de la législation nationale (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2012, Commission/Portugal , C‑557/10, EU:C:2012:662, point 25).

51 Or, la République hellénique ne conteste pas, dans son mémoire en défense, que la transposition complète de la directive 2018/958 dans l’ordre juridique national n’a pas été réalisée au terme du délai de deux mois imparti à cet État membre par l’avis motivé, arrivant à échéance le 18 décembre 2023. En effet, cet État membre se limite, sans même conclure au rejet du recours, à mentionner de futures modifications de la loi de transposition, sans faire référence à un mécanisme juridique national en vigueur susceptible, selon lui, de garantir le respect des obligations prévues par cette directive.

52 Il s’ensuit que le recours de la Commission, en ce qu’il porte sur la violation de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2018/958, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 1, de celle-ci, est fondé.

Sur le second grief

Argumentation des parties

53 Par son second grief, la Commission considère, en substance, que la République hellénique, en violation de l’article 4, paragraphe 6, de la directive 2018/958, n’a pas garanti un réexamen systématique ou régulier au fil du temps de la proportionnalité de toute disposition nouvelle ou modifiée limitant l’accès à des professions réglementées ou leur exercice après son adoption.

54 La mesure nationale de transposition de cette disposition, à savoir l’article 141, paragraphe 7, de la loi de transposition, lequel, en renvoyant à l’article 56 de la loi 4622/2019, prévoit une évaluation ponctuelle de la proportionnalité d’une législation limitant l’accès à des professions réglementées ou à leur exercice dans un délai de trois à cinq ans au maximum après l’entrée en vigueur de cette législation, manquerait en clarté quant à la manière dont cette mesure nationale garantit, dans la pratique, une certaine forme de réexamen systématique ou régulier au fil du temps d’une telle législation, au-delà de cette seule évaluation. En outre, cette disposition nationale ne garantirait pas que des mesures de contrôle soient effectuées avant l’expiration de ce délai de trois ans en cas de changement substantiel des circonstances.

55 Dans sa défense, la République hellénique se borne à mentionner un projet de modification de cet article 141, paragraphe 7, lequel prévoit un contrôle de proportionnalité des dispositions prévoyant des mesures restrictives qui tiendrait désormais compte de toute évolution intervenue depuis l’adoption de ces dispositions.

Appréciation de la Cour

56 Aux termes de l’article 4, paragraphe 6, de la directive 2018/958, lu en combinaison avec le considérant 15 de celle-ci, les États membres contrôlent la conformité des dispositions législatives, réglementaires ou administratives nouvelles ou modifiées limitant l’accès à des professions réglementées ou leur exercice, après leur adoption, au principe de proportionnalité, en tenant dûment compte de l’évolution de la situation depuis l’adoption des dispositions concernées.

57 Ainsi que le précise ce considérant, le réexamen du caractère proportionné d’une mesure nationale restreignant l’accès aux professions réglementées ou leur exercice devrait tenir compte non seulement de l’objectif de cette mesure nationale au moment de son adoption, mais également de ses effets, à évaluer après son adoption. Un tel examen devrait tenir compte des développements intervenus dans le domaine dont relève la profession réglementée depuis l’adoption de ladite mesure.

58 Il s’ensuit que le contrôle de la proportionnalité d’une telle mesure nationale, nouvelle ou modifiée, relative à l’accès ou à l’exercice d’une profession réglementée, implique une certaine continuité, en ce que ce contrôle doit être effectué « au fil du temps », en tenant ainsi dûment compte de l’évolution de la situation depuis l’adoption de cette mesure, le but d’un tel contrôle étant d’éviter que subsiste dans l’ordre juridique d’un État membre, alors qu’il y a eu un changement de circonstances, une mesure nationale de cette nature, sans qu’elle soit soumise au contrôle prévu à l’article 4, paragraphe 6, de la directive 2018/958, lu en combinaison avec le considérant 15 de celle-ci.

59 En l’espèce, ainsi que le souligne la Commission, l’article 141, paragraphe 7, de la loi de transposition, lu en combinaison avec l’article 56 de la loi 4622/2019, qui vise à transposer l’article 4, paragraphe 6, de la directive 2018/958, ne prévoit pas un tel contrôle, dès lors que cet article 56 précise que la législation est évaluée « après trois ans », et « en tout état de cause avant cinq ans après son entrée en vigueur ». En effet, il n’est pas prévu d’effectuer un réexamen de la proportionnalité des mesures, nouvelles ou modifiées, restreignant l’accès aux professions réglementées ou leur exercice lorsqu’une telle période des cinq années aura expiré.

60 Or, au regard des exigences imposées à l’article 4, paragraphe 6, de cette directive, lu en combinaison avec le considérant 15 de celle-ci, quant à une certaine continuité du contrôle de proportionnalité, un réexamen des mesuresestreignant l’accès à des professions réglementées ou leur exercice qui n’est pas opéré « au fil du temps », ne tenant ainsi pas dûment compte de l’évolution de la situation depuis l’adoption des mesures concernées, ne saurait être considéré comme étant conforme à ladite directive.

61 Par ailleurs, force est de constater que la défense de la République hellénique ne contient aucun élément visant à réfuter les arguments de la Commission dans le cadre du présent grief. En effet, cet État membre se limite à mentionner une modification future de l’article 141, paragraphe 7, de la loi de transposition, qui, selon ledit État membre, prévoira que l’évaluation des limitations à l’accès à des professions réglementées ou leur exercice est « réitérée tous les deux ans » et peut être « réitérée à tout moment » en raison d’un changement important de circonstances dans la profession réglementée.

62 Or, au regard de la jurisprudence rappelée au point 50 du présent arrêt, il est constant que, à l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé, cette modification de l’article 141, paragraphe 7, de la loi de transposition n’était pas en vigueur dans l’ordre juridique hellénique.

63 Il s’ensuit que le recours de la Commission, en ce qu’il porte sur la violation de l’article 4, paragraphe 6, de la directive 2018/958, est fondé.

64 Par conséquent, il convient de constater que, en n’ayant pas veillé à ce que les mesures nationales de transposition de la directive 2018/958 couvrent tous les types d’organismes compétents pour réglementer et/ou proposer la réglementation des professions, à savoir les mesures prises par les associations ou organismes professionnels et les initiatives émanant du parlement national, y compris les amendements d’origine parlementaire, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 2, paragraphe 1, de cette directive, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 1, de celle-ci, et, en n’ayant pas garanti un réexamen « au fil du temps » de la proportionnalité des dispositions nouvelles ou modifiées limitant l’accès à des professions réglementées ou leur exercice après leur adoption, qui tiendrait dûment compte de l’évolution de la situation depuis l’adoption de ces dispositions, cet État membre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 6, de ladite directive.

Sur les dépens

65 En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République hellénique aux dépens et celle‑ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de condamner cette dernière à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) déclare et arrête :

1) En n’ayant pas veillé à ce que les mesures nationales de transposition de la directive (UE) 2018/958 du Parlement européen et du Conseil, du 28 juin 2018, relative à un contrôle de proportionnalité avant l’adoption d’une nouvelle réglementation de professions, couvrent tous les types d’organismes compétents pour réglementer et/ou proposer la réglementation des professions, à savoir les mesures prises par les associations ou organismes professionnels et les initiatives émanant du parlement national, y compris les amendements d’origine parlementaire, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 2, paragraphe 1, de cette directive, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 1, de celle-ci.

2) En n’ayant pas garanti un réexamen « au fil du temps » de la proportionnalité des dispositions nouvelles ou modifiées limitant l’accès à des professions réglementées ou leur exercice après leur adoption, qui tiendrait dûment compte de l’évolution de la situation depuis l’adoption de ces dispositions, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 6, de ladite directive.

3) La République hellénique est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.

Signatures

* Langue de procédure : le grec.

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