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Arrêt De La Cour (Dixième Chambre) Du 4 Septembre 2025.

Commission européenne contre République de Pologne.

• 62023CJ0201 • ECLI:EU:C:2025:669

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Arrêt De La Cour (Dixième Chambre) Du 4 Septembre 2025.

Commission européenne contre République de Pologne.

• 62023CJ0201 • ECLI:EU:C:2025:669

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ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

4 septembre 2025 ( * )

« Manquement d’État – Article 258 TFUE – Directive (UE) 2019/790 – Marché unique numérique – Droits d’auteur et droits voisins – Absence de transposition et de communication des mesures de transposition – Article 260, paragraphe 3, TFUE – Sanctions pécuniaires – Demande de condamnation au paiement d’une somme forfaitaire – Date de la cessation du manquement »

Dans l’affaire C‑201/23,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 et de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, introduit le 28 mars 2023,

Commission européenne, représentée par M mes J. Samnadda et B. Sasinowska, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

République de Pologne, représentée par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. D. Gratsias, président de chambre, M. I. Jarukaitis, président de la quatrième chambre, et M. Z. Csehi (rapporteur), juge,

avocat général : M. A. Rantos,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour :

– de constater que, en ayant omis d’adopter les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil, du 17 avril 2019, sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE (JO 2019, L 130, p. 92), ainsi qu’en ayant omis de communiquer lesdites dispositions à la Commission, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 29 de cette directive ; et

– de condamner la République de Pologne à payer à la Commission une somme forfaitaire correspondant au plus élevé des deux montants suivants :

– un montant journalier de 13 700 euros, multiplié par le nombre de jours écoulés entre le jour suivant l’expiration du délai de transposition fixé dans la directive 2019/790 et la date de cessation de l’infraction ou, à défaut de régularisation, la date du prononcé de l’arrêt dans la présente affaire ;

– une somme forfaitaire minimale de 3 836 000 euros.

– si le manquement visé au premier tiret persiste jusqu’à la date du prononcé de l’arrêt dans la présente affaire, de condamner la République de Pologne à verser à la Commission une astreinte s’élevant à 82 200 euros par jour de retard à compter de la date du prononcé de cet arrêt et jusqu’à ce que la République de Pologne se conforme aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 2019/790 ;

– de condamner la République de Pologne aux dépens.

Le cadre juridique

La directive 2019/790

2 Le considérant 3 de la directive 2019/790 énonce :

« L’évolution rapide des technologies continue à modifier la manière dont les œuvres et autres objets protégés sont créés, produits, distribués et exploités. Il apparaît sans cesse de nouveaux modèles économiques et de nouveaux acteurs. La législation en la matière doit résister à l’épreuve du temps afin de ne pas entraver l’évolution des technologies. Les objectifs et les principes définis par le cadre de l’Union [européenne] en matière de droit d’auteur restent satisfaisants. Néanmoins, une insécurité juridique subsiste, tant pour les titulaires de droits que pour les utilisateurs, en ce qui concerne certaines utilisations, notamment transfrontières, d’œuvres et autres objets protégés dans l’environnement numérique. Comme l’indique la communication de la Commission du 9 décembre 2015 intitulée “Vers un cadre moderne et plus européen pour le droit d’auteur”, il est nécessaire, dans certains domaines, d’adapter et de compléter le cadre actuel de l’Union en matière de droit d’auteur, tout en maintenant un niveau élevé de protection du droit d’auteur et des droits voisins. La présente directive prévoit des règles visant à adapter certaines exceptions et limitations au droit d’auteur et aux droits voisins à l’environnement numérique et transfrontière, ainsi que des mesures destinées à faciliter certaines pratiques d’octroi de licences, notamment, mais pas seulement, en ce qui concerne la diffusion d’œuvres indisponibles dans le commerce et d’autres objets protégés, et la disponibilité en ligne d’œuvres audiovisuelles sur les plateformes de vidéo à la demande, en vue d’assurer un accès plus large aux contenus. Elle contient également des règles destinées à faciliter l’utilisation de contenus qui sont dans le domaine public. Afin de réaliser un marché performant et équitable pour le droit d’auteur, il devrait également exister des règles sur les droits dans les publications, sur l’utilisation des œuvres ou autres objets protégés par les prestataires de services en ligne qui stockent et donnent accès à des contenus téléversés par leurs utilisateurs, sur la transparence des contrats d’auteurs et d’artistes interprètes ou exécutants, et sur la rémunération de ces auteurs et artistes interprètes ou exécutants, de même qu’il devrait exister un mécanisme de révocation des droits que les auteurs et artistes interprètes ou exécutants ont transférés sur une base exclusive. »

3 L’article 1 er de la directive 2019/790, intitulé « Objet et champ d’application », prévoit, à son paragraphe 1 :

« La présente directive fixe des règles visant à poursuivre l’harmonisation du droit de l’Union applicable au droit d’auteur et aux droits voisins dans le cadre du marché intérieur, en tenant compte, en particulier, des utilisations numériques et transfrontières des contenus protégés. Elle fixe également des règles relatives aux exceptions et limitations au droit d’auteur et aux droits voisins, à la facilitation des licences, ainsi que des règles destinées à assurer le bon fonctionnement du marché pour l’exploitation des œuvres et autres objets protégés. »

4 Le titre IV de cette directive, intitulé « Mesures visant à assurer le bon fonctionnement du marché du droit d’auteur », comporte les articles 15 à 23 de celle-ci.

5 L’article 17 de ladite directive, intitulé « Utilisation de contenus protégés par des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne », prévoit, à ses paragraphes 1 et 10 :

« 1. Les États membres prévoient qu’un fournisseur de services de partage de contenus en ligne effectue un acte de communication au public ou un acte de mise à la disposition du public aux fins de la présente directive lorsqu’il donne au public l’accès à des œuvres protégées par le droit d’auteur ou à d’autres objets protégés qui ont été téléversés par ses utilisateurs.

Un fournisseur de services de partage de contenus en ligne doit dès lors obtenir une autorisation des titulaires de droits [...], par exemple en concluant un accord de licence, afin de communiquer au public ou de mettre à la disposition du public des œuvres ou autres objets protégés.

[...]

10. À compter du 6 juin 2019, la Commission organise, en coopération avec les États membres, des dialogues entre parties intéressées afin d’examiner les meilleures pratiques pour la coopération entre les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne et les titulaires de droits. Après consultation des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne, des titulaires de droits, des organisations d’utilisateurs et des autres parties prenantes concernées, et compte tenu des résultats des dialogues entre parties intéressées, la Commission émet des orientations sur l’application du présent article, en particulier en ce qui concerne la coopération visée au paragraphe 4. Lors de l’examen des meilleures pratiques, une attention particulière doit être accordée, entre autres, à la nécessité de maintenir un équilibre entre les droits fondamentaux et le recours aux exceptions et aux limitations. Aux fins des dialogues avec les parties intéressées, les organisations d’utilisateurs ont accès aux informations adéquates fournies par les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne sur le fonctionnement de leurs pratiques en ce qui concerne le paragraphe 4. »

6 L’article 29 de la directive 2019/790 est libellé comme suit :

« 1. Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 7 juin 2021. Ils en informent immédiatement la Commission.

Lorsque les États membres adoptent ces dispositions, celles-ci contiennent une référence à la présente directive ou sont accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle. Les modalités de cette référence sont arrêtées par les États membres.

2. Les États membres communiquent à la Commission le texte des dispositions essentielles de droit interne qu’ils adoptent dans le domaine régi par la présente directive. »

La communication de 2023

7 La communication de la Commission 2023/C 2/01, intitulée « Sanctions financières dans les procédures d’infraction » (JO 2023, C 2, p. 1, ci-après la « communication de 2023 »), dispose, à son point 2, intitulé « Principes généraux », que les sanctions financières infligées doivent se fonder sur trois critères fondamentaux :

– la gravité de l’infraction ;

– sa durée ;

– la nécessité d’assurer l’effet dissuasif de la sanction financière elle-même pour éviter les récidives.

8 Cette communication prévoit, à ses points 3 et 4, les règles relatives respectivement à l’astreinte et à la somme forfaitaire.

9 Le point 3.2 de ladite communication, relatif à l’application du coefficient de gravité dans le cadre du calcul de l’astreinte journalière, est rédigé comme suit :

« Une infraction relative [...] à l’absence de communication de mesures de transposition d’une directive adoptée dans le cadre d’une procédure législative est toujours considérée comme grave. Afin d’adapter le montant de la sanction aux circonstances particulières de l’espèce, la Commission détermine le coefficient de gravité sur la base de deux paramètres : l’importance des règles de l’Union enfreintes ou non transposées et les effets de l’infraction sur des intérêts d’ordre général ou particulier.

À la lumière des considérations développées ci-après, la gravité de l’infraction est déterminée par un coefficient, fixé par la Commission, compris entre un minimum de 1 et un maximum de 20. »

10 Le point 3.2.2 de la même communication, intitulé « Non-communication de mesures de transposition (article 260, paragraphe 3, TFUE) », est libellé comme suit :

« Pour les recours introduits en vertu de l’article 260, paragraphe 3, [TFUE], la Commission applique systématiquement un coefficient de gravité de 10 en cas de manquement complet à l’obligation de communiquer les mesures de transposition. Dans une Union fondée sur le respect de l’[É]tat de droit, toutes les directives législatives doivent être considérées comme étant d’une importance égale et doivent être intégralement transposées par les États membres dans les délais qui y sont fixés.

En cas de manquement partiel à l’obligation de communiquer les mesures de transposition, l’importance de la lacune de transposition doit être prise en considération lors de la fixation d’un coefficient de gravité qui sera inférieur à 10. En outre, les effets de l’infraction sur des intérêts d’ordre général ou particulier pourraient être pris en compte (voir les considérations exposées [au point] 3.2.1.2 ci-dessus). »

11 Le point 3.4 de la communication de 2023, intitulé « Capacité de paiement de paiement de l’État membre », prévoit :

« [...]

Le niveau de sanction requis pour produire un effet dissuasif variera en fonction de la capacité de paiement des États membres. Cet effet dissuasif se reflète dans le facteur n. Il se définit comme une moyenne géométrique pondérée du produit intérieur brut (PIB) de l’État membre concerné par rapport à la moyenne des PIB des États membres, dont le poids est égal à deux, et de la population de l’État membre concerné par rapport à la moyenne de la population des États membres, dont le poids est égal à un. Cela représente la capacité de paiement de l’État membre concerné par rapport à la capacité de paiement des autres États membres :

[...]

Les facteurs n sont fixés pour chaque État membre au point 3 de l’annexe [I]. »

12 Aux termes du point 4.1 de cette communication, intitulé « Somme forfaitaire minimale » :

« Chaque fois que la Commission saisit la Cour d’un recours en vertu de l’article 260 TFUE, elle propose au moins une somme forfaitaire fixe, déterminée pour chaque État membre en fonction de son facteur n, et ce indépendamment du résultat du calcul exposé [au point] 4.2.

[...]

La somme forfaitaire minimale est fixée pour chaque État membre au point 5 de l’annexe I. »

13 Le point 4.2 de ladite communication, intitulé « Méthode de calcul de la somme forfaitaire », dispose :

« La somme forfaitaire est calculée d’une manière globalement similaire à la méthode de calcul de l’astreinte, à savoir :

– en multipliant un forfait par un coefficient de gravité ;

– en multipliant le résultat par le facteur n ;

– en multipliant le résultat par le nombre de jours de persistance de l’infraction [...]

[...] »

14 Le point 4.2.1 de la communication de 2023, intitulé « Nombre de jours de persistance de l’infraction », prévoit :

« Aux fins du calcul de la somme forfaitaire, le montant journalier doit être multiplié par le nombre de jours de persistance de l’infraction. Ce nombre de jours est défini comme suit :

[...]

– pour les recours introduits en vertu de l’article 260, paragraphe 3, [TFUE], il s’agit du nombre de jours compris entre le jour suivant l’expiration du délai de transposition fixé dans la directive concernée et la date à laquelle l’infraction prend fin ou, à défaut de régularisation, la date du prononcé de l’arrêt au titre de l’article 260 [TFUE].

[...] »

15 Aux termes du point 4.2.2 de cette communication :

« Pour le calcul de la somme forfaitaire, la Commission applique le même coefficient de gravité et le même facteur n fixe que pour le calcul de l’astreinte [...]

[...]

Le forfait applicable à la somme forfaitaire est fixé au point 2 de l’annexe I.

[...] »

16 L’annexe I de ladite communication, intitulée « Données servant au calcul des sanctions financières proposées à la Cour », prévoit, à son point 1, que le forfait de l’astreinte visé au point 3 de ladite communication est fixé à 3 000 euros par jour, à son point 2, que le forfait de la somme forfaitaire mentionné au point 4.2.2 de la même communication est fixé à 1 000 euros par jour et, à son point 3, que le facteur « n » pour la République de Pologne est fixé à 1,37. Il ressort du point 5 de cette annexe I que la somme forfaitaire minimale correspondant à la République de Pologne s’élève à 3 836 000 euros.

La procédure précontentieuse et la procédure devant la Cour

17 N’ayant pas reçu d’information de la République de Pologne quant à l’adoption et à la publication des dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive 2019/790 à l’expiration du délai de transposition prévu par cette directive, à savoir le 7 juin 2021, la Commission a, le 23 juillet 2021, adressé une lettre de mise en demeure à cet État membre.

18 En réponse, la République de Pologne a, le 27 septembre 2021, indiqué que les mesures de transposition étaient en cours d’élaboration et que le retard de transposition était notamment dû au fait qu’elle s’employait à transposer de manière concomitante deux directives concernant le droit d’auteur dans l’ordre juridique polonais, à savoir la directive 2019/790 et la directive (UE) 2019/789 du Parlement européen et du Conseil, du 17 avril 2019, établissant des règles sur l’exercice du droit d’auteur et des droits voisins applicables à certaines transmissions en ligne d’organismes de radiodiffusion et retransmissions de programmes de télévision et de radio, et modifiant la directive 93/83/CEE du Conseil (JO 2019, L 130, p. 82), dans la mesure où elles ont été adoptées le même jour et ont le même délai de transposition, à savoir le 7 juin 2021. Selon la République de Pologne, ces deux directives devaient également être transposées en droit national par un instrument juridique unique. Cet État membre a indiqué qu’il avait estimé nécessaire de procéder à une large consultation publique préalable. Il a exposé que les travaux de transposition ont été retardés par la pandémie mondiale de COVID‑19, et par le fait que la communication COM(2021) 288 final de la Commission au Parlement européen et au Conseil, intitulée « Orientations relatives à l’article 17 de la directive 2019/790 sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique » (ci-après les « orientations relatives à l’article 17 de la directive 2019/790 »), n’a été publiée que le 4 juin 2021, soit trois jours avant l’expiration du délai de transposition prévu par cette directive. La République de Pologne a enfin rappelé qu’elle a introduit, le 24 mai 2019, un recours tendant à l’annulation de l’article 17 de ladite directive, qui a donné lieu à l’arrêt du 26 avril 2022, Pologne/Parlement et Conseil (C‑401/19, EU:C:2022:297).

19 En l’absence de toute autre communication concernant la transposition de la directive 2019/790, la Commission a, le 19 mai 2022, adressé à la République de Pologne un avis motivé (ci-après l’« avis motivé du 19 mai 2022 ») l’invitant à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à cette directive dans un délai de deux mois à compter de la réception dudit avis.

20 Par lettre du 11 juillet 2022, la République de Pologne a indiqué à la Commission que la directive 2019/790 devait être considérée comme étant partiellement transposée par la législation nationale en vigueur. Elle lui a ainsi notifié trois actes juridiques, à savoir l’ustawa z dnia 4 lutego 1994 r. o prawie autorskim i prawach pokrewnych (MNE(2022)04250) (loi du 4 février 1994, sur le droit d’auteur et les droits voisins), l’ustawa z dnia 27 lipca 2001 r. o ochronie baz danych (MNE(2022)04276) (loi du 27 juillet 2001, sur la protection des bases de données) et l’ustawa z dnia 17 listopada 1964 r. Kodeks postępowania cywilnego [MNE(2022)04277] (loi du 17 novembre 1964, portant code de procédure civile). Cette notification n’était accompagnée, selon la Commission, d’aucun tableau de correspondance ni d’aucune note explicative.

21 Par lettre du 18 juillet 2022, la République de Pologne a répondu à l’avis motivé du 19 mai 2022 qu’une transposition partielle avait été effectuée par les trois lois existantes mentionnées au point 20 du présent arrêt et notifiées à la Commission le 11 juillet 2022. En outre, selon la Commission, la République de Pologne a inséré dans sa réponse un lien vers le projet de loi de transposition soumis à consultation publique ainsi qu’un tableau de correspondance entre le projet de loi de transposition et les dispositions de la directive 2019/790. Elle a également fourni un nouveau calendrier des travaux législatifs de transposition, prévoyant l’achèvement de ces derniers pour le premier trimestre de l’année 2023.

22 Considérant que cet État membre ne s’était toujours pas conformé à ses obligations, la Commission a décidé, le 15 février 2023, de saisir la Cour du présent recours.

23 Le 22 août 2023, la phase écrite de la procédure dans la présente affaire a été clôturée.

24 Par décision du président de la Cour du 8 février 2024, la procédure a été suspendue jusqu’au prononcé de l’arrêt à intervenir dans l’affaire C‑147/23. À la suite du prononcé de l’arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte) (C‑147/23, EU:C:2024:346), la procédure dans la présente affaire a été reprise par décision du président de la Cour du même jour.

25 Le 19 août 2024, la République de Pologne a notifié à la Commission six actes législatifs, à savoir l’ustawa z dnia 26 lipca 2024 r. o zmianie ustawy o prawie autorskim i prawach pokrewnych, ustawy o ochronie baz danych oraz ustawy o zbiorowym zarządzaniu prawami autorskimi i prawami pokrewnymi (loi du 26 juillet 2024, modifiant la loi sur le droit d’auteur et les droits voisins, la loi sur la protection des bases de données et la loi sur la gestion collective des droits d’auteur et des droits voisins), publiée au Dziennik Ustaw Rzeczypospolitej Polskiej le 19 août 2024 et entrée en vigueur le 20 septembre 2024, l’ustawa z dnia 15 czerwca 2018 r. o zbiorowym zarządzaniu prawami autorskimi i prawami pokrewnymi (loi du 15 juin 2018, sur la gestion collective des droits d’auteur et des droits voisins), la loi du 4 février 1994, sur le droit d’auteur et les droits voisins, la loi du 17 novembre 1964, portant code de procédure civile, l’ustawa z dnia 18 lipca 2002 r. o świadczeniu usług drogą elektroniczną (loi du 18 juillet 2002, sur la fourniture de services par voie électronique) et l’ustawa z dnia 20 lipca 2018 r. – Prawo o szkolnictwie wyższym i nauce (loi du 20 juillet 2018, sur l’enseignement supérieur et la recherche).

26 Par un acte du 14 octobre 2024, la Commission a informé la Cour que ces actes pouvaient être considérés comme constituant une transposition complète de la directive 2019/790 et qu’elle estimait que, ce faisant, la République de Pologne avait pleinement rempli ses obligations découlant de cette directive depuis l’entrée en vigueur de la loi du 26 juillet 2024 mentionnée au point précédent. Par voie de conséquence, cette institution s’est, d’une part, désistée de ses conclusions tendant à l’imposition d’une astreinte et a, d’autre part, précisé ses conclusions tendant à la condamnation au paiement d’une somme forfaitaire, demandant à ce titre l’imposition d’une somme de 16 440 000 euros.

27 Le 18 novembre 2024, la République de Pologne a présenté des observations sur l’adaptation des conclusions de la Commission.

Sur le recours

Sur le manquement au titre de l’article 258 TFUE

Argumentation des parties

28 La Commission estime que la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 29 de la directive 2019/790, en ayant omis, à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé du 19 mai 2022, qui, selon une jurisprudence constance, constitue la date à laquelle doit être appréciée l’existence d’un manquement, d’adopter les dispositions nécessaires pour transposer cette directive dans son droit national, et, en toute hypothèse, de communiquer à la Commission ces dispositions de transposition.

29 La République de Pologne demande, à titre principal, de rejeter le recours.

30 En premier lieu, la République de Pologne fait valoir que la législation existante transposait déjà partiellement la directive 2019/790 et qu’elle avait notifié à la Commission, le 11 juillet 2022, les trois lois mentionnées au point 20 du présent arrêt qui assureraient cette transposition partielle. Selon elle, eu égard au constat du manquement en cause, il est sans pertinence que ces dispositions nationales aient été introduites avant l’adoption de ladite directive. Le critère dont la Commission devrait tenir compte pour apprécier l’existence d’un manquement serait uniquement de savoir si lesdites dispositions nationales répondent aux exigences de la directive 2019/790. La République de Pologne estime qu’il ressort de sa réponse du 18 juillet 2022 à l’avis motivé du 19 mai 2022 qu’elle avait déjà mis partiellement en œuvre cette directive par la législation nationale existante.

31 En second lieu, tout en reconnaissant partiellement le manquement en cause, la République de Pologne justifie le retard de transposition de la directive 2019/790 par plusieurs circonstances qui seraient objectives et indépendantes de sa volonté.

32 Elle indique, premièrement, que les travaux de transposition ont été menés sans retard injustifié, mais ont requis de larges et complexes consultations publiques portant sur les modalités de transposition des directives 2019/789 et 2019/790, directives qui devaient, selon elle, être transposées ensemble.

33 Deuxièmement, la procédure d’élaboration de la loi de transposition de la directive 2019/790 aurait été ralentie en raison des difficultés induites par la pandémie mondiale de COVID-19, qui aurait perturbé l’organisation des travaux législatifs.

34 Troisièmement, elle fait valoir que la Commission elle-même, qui était tenue d’émettre des orientations relatives à l’article 17 de la directive 2019/790 à l’attention des législateurs nationaux, a mis deux ans pour publier ces orientations, qui ne portent pourtant que sur une seule des nombreuses dispositions de cette directive. Elle relève également que ces orientations n’ont été publiées que le 4 juin 2021, c’est-à-dire trois jours avant la date d’expiration du délai de transposition de ladite directive, ce qui en aurait retardé la transposition.

35 Quatrièmement, elle rappelle qu’elle avait introduit, le 24 mai 2019, un recours en annulation contre l’article 17 de la directive 2019/790 et qu’elle avait décidé d’attendre l’arrêt à intervenir dans cette affaire, à savoir celui du 26 avril 2022, Pologne/Parlement et Conseil (C‑401/19, EU:C:2022:297), afin d’en tenir compte dans le projet de loi transposant cette directive.

36 Cinquièmement, elle indique que son projet de loi de transposition contiendrait des dispositions innovantes et ambitieuses protégeant la liberté d’expression et l’accès à l’information en ligne, et mettrait réellement en œuvre l’article 18 de la directive 2019/790 en garantissant aux auteurs et aux artistes interprètes ou exécutants un droit inaliénable à une rémunération pour l’exploitation en ligne de la musique et des films.

37 Enfin, sixièmement, elle souligne avoir tenu la Commission informée de l’avancement des travaux législatifs, conformément au principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE.

38 La Commission objecte, en premier lieu, que les mesures nationales notifiées par la République de Pologne le 11 juillet 2022 sont antérieures à l’adoption de la directive 2019/790 et que les modifications postérieures à cette directive n’étaient pas destinées à la transposer. Par conséquent, ces mesures n’auraient pas eu pour objectif spécifique de transposer la directive 2019/790. En outre, elles ne contenaient aucune référence à celle-ci. Par ailleurs, selon la Commission, le tableau de correspondance publié aux fins de la consultation publique semblait indiquer que certains articles de la directive 2019/790 ne nécessitaient pas de mesures de transposition spécifiques, étant donné qu’ils seraient déjà couverts par la législation nationale existante. Cependant, ni la lettre du 11 juillet 2021 ni la réponse du 18 juillet 2022 à l’avis motivé du 19 mai 2022 ne pouvaient être considérées comme des actes par lesquels cet État membre avait communiqué à la Commission les mesures de transposition de la directive, au sens de l’article 260, paragraphe 3, TFUE. À cet égard, la Commission rappelle que la Cour a itérativement jugé que, si la transposition d’une directive peut être assurée par des règles du droit interne déjà en vigueur, lorsqu’une directive prévoit que les mesures de transposition doivent contenir une référence à celle-ci ou être accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle, l’adoption d’un acte positif de transposition de la directive en cause demeure nécessaire.

39 En second lieu, la Commission rappelle également, afin de rejeter les justifications du retard de transposition invoquées par la République de Pologne, la jurisprudence constante selon laquelle un État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier la non-transposition d’une directive dans le délai que celle-ci prévoit.

40 La Commission ajoute, que, s’il est vrai que la pandémie mondiale de COVID-19 peut, dans des cas exceptionnels, être prise en compte pour justifier l’exécution tardive de certaines obligations incombant aux États membres en vertu du droit de l’Union, une telle justification ne peut être valable que lorsque l’acte de l’Union concerné prévoit la possibilité de concessions ou d’exceptions, dans des circonstances telles que les difficultés causées par cette pandémie ou lorsque les critères d’une situation de force majeure sont remplis, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce. Par ailleurs, il ressortirait de la jurisprudence de la Cour que les États membres ne peuvent invoquer la force majeure que pour la période nécessaire pour surmonter les obstacles résultant de la situation en question. Il ne saurait être question, dans la présente affaire, d’un retard strictement proportionnel à la nécessité, pour les autorités polonaises, de faire face à des difficultés insurmontables liées à ladite pandémie, compte tenu en particulier de la durée du retard pris dans la transposition de la directive 2019/790. Le délai de transposition prévu par cette directive aurait donc été suffisant, même au regard des circonstances spécifiques de l’espèce.

41 En outre, la Commission estime que ni l’attente du prononcé de l’arrêt du 26 avril 2022, Pologne/Parlement et Conseil (C‑401/19, EU:C:2022:297) ni celle de la publication des orientations relatives à l’article 17 de la directive 2019/790 ne permettent de justifier le retard de transposition de celle-ci, dès lors que, en tout état de cause, c’est le texte même de cette directive qui devait être transposé et que l’État membre demeurait libre de modifier les dispositions nationales de transposition, le cas échéant, après la publication de ces orientations ou après le prononcé de cet arrêt. Enfin, la Commission est d’avis que lesdites orientations n’ont pas été publiées tardivement, dans la mesure où aucun délai n’était prévu à cet effet par ladite directive.

42 Quant à la complexité de règles de l’Union en cause, la Commission estime que le délai de transposition de la directive 2019/790, légèrement supérieur à deux ans en raison de la complexité de la matière, permettait d’organiser toutes les consultations nécessaires et de mener à terme toutes les procédures nationales requises.

43 S’agissant du fait que la République de Pologne a tenu la Commission informée de l’évolution de la transposition en cause, l’obligation d’une telle information découlerait simplement du devoir de coopération loyale qui pèse sur cet État membre en vertu de l’article 4, paragraphe 3, TUE.

Appréciation de la Cour

44 Aux termes de l’article 29, paragraphe 1, de la directive 2019/790, les États membres devaient, au plus tard le 7 juin 2021, mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à celle-ci et en informer immédiatement la Commission. En outre, l’article 29, paragraphe 1, deuxième alinéa, de cette directive précise que, lorsque les États membres adoptent ces dispositions nationales, celles-ci contiennent une référence à la présente directive ou sont accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle. De surcroît, en vertu de l’article 29, paragraphe 2, il appartenait aux États membres de communiquer à la Commission le texte desdites dispositions nationales.

45 Conformément à une jurisprudence constante, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé de la Commission, les changements intervenus par la suite ne pouvant être pris en compte par la Cour [arrêts du 25 février 2021, Commission/Espagne (Directive données à caractère personnel – Domaine pénal) , C‑658/19, EU:C:2021:138, point 15, ainsi que du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte) , C‑147/23, EU:C:2024:346, point 28 et jurisprudence citée].

46 En l’espèce, après avoir constaté que la République de Pologne ne lui avait pas communiqué les dispositions nécessaires à la transposition de la directive 2019/790, la Commission a adressé à cet État membre, l’avis motivé du 19 mai 2022 l’invitant à se conformer, dans un délai de deux mois qui courait à compter de la réception de cet avis, aux obligations visées dans ce dernier.

47 Ainsi qu’il ressort du dossier dont dispose la Cour, à l’expiration de ce délai, la République de Pologne n’avait pas adopté toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive 2019/790 et, partant, n’avait pas non plus communiqué ces dernières à la Commission.

48 À cet égard, en premier lieu, dans sa réponse du 18 juillet 2022 à l’avis motivé du 19 mai 2022, cet État membre fait référence aux trois lois nationales existantes mentionnées au point 20 du présent arrêt, tout en indiquant que l’élaboration du projet de loi de transposition de cette directive était en cours et devait être achevée dans le courant de l’année 2023.

49 Premièrement, en indiquant que la transposition de la directive 2019/790 devait être achevée dans le courant de l’année 2023, la République de Pologne a reconnu qu’une transposition complète dans le droit national de cette directive n’avait été réalisée ni à l’expiration du délai prévu à l’article 29, paragraphe 1, de celle-ci, à savoir le 7 juin 2021, ni à celle du délai fixé dans l’avis motivé du 19 mai 2022.

50 Deuxièmement, s’agissant des dispositions de droit national notifiées à la Commission durant la procédure précontentieuse, il y a lieu de constater que la circonstance que le droit d’un État membre antérieur à l’entrée en vigueur de la directive 2019/790 soit, selon cet État membre, déjà conforme à cette directive, n’est pas suffisante pour exclure l’obligation, pour ledit État membre, de transposer ladite directive dans son ordre juridique et, dès lors, pour justifier un tel manquement [arrêt du 6 mars 2025, Commission/République tchèque (Directive lanceurs d’alerte) , C‑152/23, EU:C:2025:147, point 59 et jurisprudence citée]. En effet, la Cour a itérativement jugé que, si une directive prévoit expressément l’obligation pour les États membres d’assurer que les dispositions nécessaires pour sa mise en œuvre contiennent une référence à cette directive ou soient accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle, il est, en tout état de cause, nécessaire que les États membres adoptent un acte positif de transposition de la directive en cause [arrêt du 6 mars 2025, Commission/Hongrie (Directive lanceurs d’alerte) (C‑155/23, EU:C:2025:151), point 36 et jurisprudence citée].

51 En outre, il y a lieu de rappeler que les dispositions d’une directive doivent être mises en œuvre avec une force contraignante incontestable ainsi qu’avec la spécificité, la précision et la clarté requises, afin que soit satisfaite l’exigence de sécurité juridique qui requiert que, lorsque la directive vise à créer des droits pour les particuliers, les bénéficiaires soient mis en mesure de connaître la plénitude de leurs droits [arrêt du 6 mars 2025, Commission/République tchèque (Directive lanceurs d’alerte) , C‑152/23, EU:C:2025:147, point 63 et jurisprudence citée].

52 Or, les dispositions de droit national notifiées par la République de Pologne durant la procédure précontentieuse ne comportaient, selon la Commission, et sans que cela soit contesté par cet État membre, aucune référence à la directive 2019/790, et ne sauraient donc être considérées comme répondant aux exigences précisées au point précédent.

53 En deuxième lieu, aucun des autres arguments de la République de Pologne n’est de nature à justifier le retard de transposition de cette directive.

54 Premièrement, cet État membre fait valoir qu’il était nécessaire d’organiser une large consultation publique portant sur les modalités de transposition tant de la directive 2019/790 que de la directive 2019/789, afin de pouvoir les transposer ensemble.

55 À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, un État membre ne saurait exciper de dispositions, de pratiques ou de situations de son ordre juridique interne pour justifier une inobservation des obligations résultant du droit de l’Union, telles que l’absence de transposition d’une directive dans le délai imparti [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte) , C‑147/23, EU:C:2024:346, point 33 et jurisprudence citée].

56 Deuxièmement, s’agissant de l’argument de la République de Pologne relatif à la coïncidence de la consultation publique et de ses travaux de transposition de la directive 2019/790 avec la pandémie mondiale de COVID-19, il y a lieu de souligner que cette pandémie a effectivement eu lieu au cours de la période de transposition de la directive 2019/790.

57 Toutefois, si le législateur de l’Union avait considéré que les effets de ladite pandémie, qui a affecté la totalité du territoire de l’Union, étaient tels que les États membres se trouvaient dans l’impossibilité de se conformer aux obligations leur incombant en vertu de cette directive, il aurait décidé de proroger le délai de transposition de la directive 2019/790, ce qu’il n’a pas fait [voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2024, Commission/Irlande (Code des communications électroniques européen) , C‑439/22, EU:C:2024:229, point 73].

58 En outre, même à supposer que la République de Pologne entende faire valoir que les difficultés organisationnelles liées à la pandémie mondiale de COVID-19 aient été constitutives d’un cas de force majeure ayant empêché la transposition de la directive 2019/790 dans le délai imparti, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, si la notion de « force majeure » ne présuppose pas une impossibilité absolue de se conformer aux obligations résultant du droit de l’Union, elle exige néanmoins que le manquement en cause soit dû à des circonstances étrangères à celui qui l’invoque, anormales et imprévisibles, dont les conséquences n’auraient pu être évitées malgré toutes les diligences déployées, une situation de force majeure ne pouvant en outre être invoquée que pour la période nécessaire pour remédier à ces difficultés [arrêt du 8 juin 2023, Commission/Slovaquie (Droit de résiliation sans frais), C540/21 , EU:C:2023:450 , point 81 et jurisprudence citée].

59 Or, si la pandémie mondiale de COVID-19 peut être considérée comme étant étrangère à l’État membre concerné ainsi qu’anormale et imprévisible [voir, en ce sens, arrêt du 8 juin 2023, Commission/Slovaquie (Droit de résiliation sans frais), C540/21 , EU:C:2023:450 , point 83], elle ne pourrait être invoquée par les États membres que pendant la période nécessaire pour remédier à ces difficultés.

60 Il est, à cet égard, constant que la République de Pologne n’avait toujours pas procédé à la transposition de la directive 2019/790 à l’issue de la phase écrite de la présente procédure, à savoir plus d’un an après l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé du 19 mai 2022 et plus de deux ans après l’expiration du délai prévu à l’article 29 de cette directive. En tout état de cause, cet État membre n’a communiqué à la Commission les dispositions de transposition de la directive 2019/790 que le 19 août 2024, soit bien après la fin de cette pandémie.

61 Quant au fait, troisièmement, que les orientations relatives à l’article 17 de la directive 2019/790 n’ont été publiées que le 4 juin 2021, il n’est pas de nature à faire obstacle à l’établissement du manquement, dans la mesure où, d’une part, l’application de cet article 17 n’a jamais été suspendue dans l’attente de ces orientations et où, d’autre part, le texte même dudit article n’a pas été modifié par celles-ci.

62 Concernant, quatrièmement, la décision d’attendre le prononcé de l’arrêt du 26 avril 2022, Pologne/Parlement et Conseil (C‑401/19, EU:C:2022:297), pour procéder à la transposition de la directive 2019/790, il suffit de constater qu’il s’agit d’une décision propre à la République de Pologne, qui était susceptible de retarder le processus de transposition de cette directive, ce que cet État membre ne pouvait ignorer. En effet, le recours dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt n’impliquant pas automatiquement la suspension de l’entrée en vigueur de ladite directive ni la modification de ses dispositions, ledit État membre demeurait tenu de transposer celle-ci dans le délai imparti.

63 Cinquièmement, il y a lieu de rejeter les arguments de la République de Pologne relatifs à la qualité particulière de la transposition en droit polonais de certains articles de la directive 2019/790, la qualité de la transposition d’une directive n’étant pas susceptible de justifier un retard dans la transposition complète de celle-ci.

64 Sixièmement, concernant le fait que la République de Pologne a tenu la Commission informée de l’avancement des travaux législatifs de transposition de la directive 2019/790, il y a lieu de constater qu’il ne s’agit là que de la simple expression de son devoir de coopération loyale, énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE.

65 Par conséquent, il convient de constater que, en n’ayant pas, à l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé du 19 mai 2022, adopté les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive 2019/790 et, partant, en n’ayant pas communiqué ces dispositions à la Commission, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 29 de cette directive.

Sur la demande d’imposition d’une somme forfaitaire présentée au titre de l’ article 2 60, paragraphe 3, TFUE

Argumentation des parties

66 La Commission propose, sur le fondement de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, de condamner la République de Pologne au paiement d’une somme forfaitaire.

67 En vue de la fixation du montant de cette sanction pécuniaire, la Commission se fonde sur les principes généraux visés au point 2 de la communication de 2023 et, en particulier, sur la méthode de calcul figurant aux points 3 et 4 de cette communication. En particulier, cette institution indique que la détermination de ladite sanction pécuniaire doit se fonder sur la gravité de l’infraction, sa durée et la nécessité d’assurer l’effet dissuasif de la sanction pour éviter les récidives.

68 En ce qui concerne, en premier lieu, la gravité du manquement, la Commission rappelle que le coefficient de gravité applicable en vertu de la communication de 2023 est compris entre un minimum de 1 et un maximum de 20. Cette institution fait valoir que, conformément au point 3.2.2 de la communication de 2023, elle applique systématiquement un coefficient de gravité de 10 en cas de manquement complet à l’obligation de communiquer les mesures de transposition d’une directive.

69 Concernant, en deuxième lieu, la durée du manquement, la Commission expose que, conformément au point 4.2.1 de la communication de 2023, celle-ci court à compter du jour suivant l’expiration du délai de transposition de la directive, soit le 8 juin 2021, jusqu’au jour de la cessation de l’infraction ou, faute de cessation, jusqu’à la date du prononcé de l’arrêt dans la présente affaire.

70 En l’espèce, la Commission précise que, le délai de transposition de la directive 2019/790 ayant expiré le 7 juin 2021 et la loi transposant cette directive en droit polonais étant entrée en vigueur le 20 septembre 2024, la période à prendre en compte pour calculer la durée du manquement en cause est celle comprise entre le 8 juin 2021 et le 19 septembre 2024. Cette durée représente, selon elle, 1 200 jours.

71 En ce qui concerne, en troisième lieu, l’effet dissuasif de la sanction en considération de la capacité de paiement de l’État membre concerné, la Commission relève que, conformément aux points 3.4 et 4.2.2 de la communication de 2023, celui-ci est exprimé par le « facteur n » fixé pour chaque État membre au point 3 de l’annexe I de la communication de 2023. Elle rappelle le point 3.4 de cette communication, qui instaure une nouvelle méthode de calcul du facteur n, lequel repose désormais principalement sur le PIB des États membres pour deux tiers du calcul et, à titre subsidiaire, sur leur population, pour un tiers du calcul. En application du point 3 de cette annexe I, le facteur « n » de la République de Pologne est de 1,37.

72 Par conséquent, la Commission propose de fixer le montant de la somme forfaitaire en multipliant le montant journalier déterminé conformément au point 4.2 de la communication de 2023 et fixé à 13 700 euros par jour (soit 1000x10x1,37) par le nombre de jours de persistance de l’infraction, soit 1 200 jours. Elle demande ainsi la condamnation au paiement d’une somme forfaitaire d’un montant de 16 440 000 euros, lequel est supérieur à celui de la somme forfaitaire minimale de 3 836 000 euros.

73 La République de Pologne demande à la Cour de ne pas lui imposer le paiement d’une somme forfaitaire ou d’en réduire substantiellement le montant. Elle estime que le montant proposé par la Commission est disproportionné par rapport à la gravité du manquement qui lui est reproché.

74 En premier lieu, la République de Pologne critique le coefficient de gravité retenu en l’espèce et, en particulier, l’application systématique d’un coefficient de gravité de 10 en cas de manquement complet à l’obligation de communiquer les mesures de transposition. L’application systématique de ce coefficient ferait obstacle à une analyse spécifique de l’importance des dispositions du droit de l’Union violées en l’espèce, de l’incidence du défaut de transposition de la directive en cause sur l’intérêt général et les intérêts des particuliers ainsi que des circonstances atténuantes de l’espèce.

75 En outre, la République de Pologne soutient que la Commission n’a pas tenu compte de diverses circonstances atténuantes.

76 À cet égard, premièrement, la République de Pologne estime que, dans l’hypothèse où les dispositions nationales existantes notifiées en tant que mesures de mise en œuvre partielle de la directive 2019/790 ne seraient pas prises en compte dans l’appréciation de l’existence du manquement, elles devraient en revanche l’être aux fins de l’évaluation de ce coefficient de gravité, dans le cadre de l’appréciation des conséquences pour les intérêts privés et publics du défaut de transposition de cette directive dans le délai requis.

77 Cet État membre précise que lesdites dispositions mettaient en œuvre partiellement l’article 5, paragraphe 1, les articles 6, 18 et 19, l’article 20, paragraphe 1, ainsi que l’article 21 de la directive 2019/790. L’ordre juridique polonais aurait ainsi contenu de nombreuses dispositions pertinentes à cet égard, qui n’auraient cependant pas fait l’objet d’une appréciation au fond par la Commission.

78 L’État membre renvoie également aux arguments déjà soulevés pour contester l’existence du manquement, à savoir ceux tirés de la pandémie mondiale de COVID-19, de la coopération loyale de ses services avec ceux de la Commission et de la qualité de la transposition de la directive 2019/790, en particulier de son article 18.

79 En second lieu, la République de Pologne estime que la prise en compte d’un critère démographique dans la détermination du facteur « n », tel qu’établi dans la communication de 2023, est erronée et entraîne un découplage de la sanction avec la capacité de paiement de l’État membre concerné, ce qui contredirait la jurisprudence de la Cour. En outre, cet État membre remet en cause la nécessité, invoquée par la Commission, d’assurer, par la prise en compte d’un critère démographique, « un écart approprié » entre les États membres dans le niveau des sanctions imposées.

80 En tout état de cause, le montant des sanctions devrait, en l’espèce, être adapté, en fonction de l’évolution du PIB et de l’inflation, dans la mesure où, au moment de la rédaction du mémoire en défense, la croissance économique dans cet État membre aurait significativement diminué et où l’inflation aurait augmenté en raison de la pandémie mondiale de COVID-19 et de la guerre en Ukraine.

81 À cet égard, la Commission souligne que les données qu’elle utilise pour la fixation des sanctions financières, y compris le facteur « n », sont actualisées chaque année, de sorte qu’il est tenu compte de telles évolutions économiques.

82 Dans l’adaptation de ses conclusions du 14 octobre 2024, la Commission expose, en substance, que le montant de la somme forfaitaire demandée a été déterminé conformément à la méthode de calcul décrite dans la communication de 2023, bien que la Commission soit en train d’étudier les conséquences de l’arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte) (C‑147/23, EU:C:2024:346), ainsi que les éventuelles modifications à apporter à cette méthode.

83 En outre, la Commission estime que le manquement de la République de Pologne a pris fin le 20 septembre 2024, lorsqu’est entrée en vigueur la loi du 26 juillet 2024, modifiant la loi sur le droit d’auteur et les droits voisins, la loi sur la protection des bases de données et la loi sur la gestion collective des droits d’auteur et des droits voisins, qui assure, selon elle, une transposition complète de la directive 2019/790 dans l’ordre juridique polonais.

84 Dans ses observations sur l’adaptation des conclusions de la Commission, la République de Pologne maintient l’argumentation développée dans ses mémoires en défense et en duplique et ajoute que, en lui appliquant un coefficient de gravité de 10 et un facteur « n » de 1,37, la Commission persiste dans une position erronée et contraire à l’arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte) (C‑147/23, EU:C:2024:346). Cet État membre estime que la Commission devrait adapter sa méthode de détermination du montant de la somme forfaitaire, en écartant le critère démographique, quand bien même elle n’a pas encore adopté une nouvelle méthode de calcul tirant les conséquences de cet arrêt.

85 La République de Pologne conteste également, dans ses dernières observations, la durée de l’infraction retenue par la Commission. Selon cet État membre, l’infraction a pris fin à la date de la communication à la Commission de ladite loi du 26 juillet 2024, à savoir le 19 août 2024, et non pas, comme le soutient la Commission, à la date de l’entrée en vigueur de cette loi de transposition, soit le 20 septembre 2024.

Appréciation de la Cour

86 L’article 260, paragraphe 3, TFUE prévoit, à son premier alinéa, que, lorsque la Commission saisit la Cour d’un recours en vertu de l’article 258 TFUE, estimant que l’État membre concerné a manqué à son obligation de communiquer des mesures de transposition d’une directive adoptée conformément à une procédure législative, cette institution peut, lorsqu’elle le considère approprié, indiquer le montant d’une somme forfaitaire ou d’une astreinte à payer par cet État membre, qu’elle estime adapté aux circonstances. Conformément au second alinéa de cet article 260, paragraphe 3, si la Cour constate le manquement, elle peut infliger à l’État membre concerné le paiement d’une somme forfaitaire ou d’une astreinte dans la limite du montant indiqué par la Commission, l’obligation de paiement prenant effet à la date fixée par la Cour dans son arrêt.

87 Dès lors que, ainsi qu’il ressort du point 65 du présent arrêt, il est établi que, à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé du 19 mai 2022, la République de Pologne n’avait pas adopté ni, partant, communiqué à la Commission les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires à la transposition dans son droit interne des dispositions de la directive 2019/790, le manquement ainsi constaté relève du champ d’application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE.

88 Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que l’objectif poursuivi par le mécanisme figurant à l’article 260, paragraphe 3, TFUE est non seulement d’inciter les États membres à mettre fin, dans les plus brefs délais, à un manquement qui, en l’absence d’une telle disposition, aurait tendance à persister, mais également d’alléger et d’accélérer la procédure d’imposition de sanctions pécuniaires concernant les manquements à l’obligation de communication des dispositions nationales de transposition d’une directive adoptée conformément à la procédure législative [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte) , C‑147/23, EU:C:2024:346, point 57 et jurisprudence citée]. Afin d’atteindre cet objectif, l’article 260, paragraphe 3, TFUE prévoit l’imposition, notamment, d’une somme forfaitaire en tant que sanction pécuniaire.

89 La condamnation au paiement d’une somme forfaitaire repose sur l’appréciation des conséquences du défaut d’exécution des obligations de l’État membre concerné à l’égard des intérêts privés et publics en présence, notamment lorsque le manquement a persisté durant une longue période [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte) , C‑147/23, EU:C:2024:346, point 59 et jurisprudence citée].

90 À cet égard, la Commission motive la nature et le montant de la sanction pécuniaire sollicitée en tenant compte des lignes directrices qu’elle a adoptées, telles que celles contenues dans ses communications, qui, tout en ne liant pas la Cour, contribuent à garantir la transparence, la prévisibilité et la sécurité juridique de l’action menée par la Commission [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte) , C‑147/23, EU:C:2024:346, point 60 et jurisprudence citée].

91 En l’espèce, la Commission s’est fondée sur la communication de 2023 pour justifier la demande de condamnation de la République de Pologne au paiement d’une somme forfaitaire, ainsi que pour en fixer le montant.

92 En ce qui concerne, en premier lieu, l’opportunité d’imposer une somme forfaitaire, il convient de rappeler qu’il appartient à la Cour, dans chaque affaire et en fonction des circonstances de l’espèce dont elle se trouve saisie ainsi que du niveau de persuasion et de dissuasion qui lui paraît requis, d’arrêter les sanctions pécuniaires appropriées, notamment pour prévenir la répétition d’infractions au droit de l’Union analogues à celle de l’espèce [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte) , C‑147/23, EU:C:2024:346, point 62 et jurisprudence citée].

93 Dans la présente affaire, il y a lieu de considérer que, nonobstant le fait que la République de Pologne a coopéré avec les services de la Commission durant toute la procédure précontentieuse et qu’elle a tenu ces derniers informés des raisons qui l’ont empêchée d’assurer la transposition en droit interne de la directive 2019/790, l’ensemble des éléments juridiques et factuels entourant le manquement constaté, à savoir l’absence totale de communication des mesures nécessaires à la transposition de cette directive à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé du 19 mai 2022 et même à la date d’introduction du présent recours, constitue un indicateur de ce que la prévention effective de la répétition d’infractions au droit de l’Union analogues à celle de l’espèce est de nature à requérir l’adoption d’une mesure dissuasive telle que l’imposition d’une somme forfaitaire [voir, en ce sens, arrêt du 29 février 2024, Commission/Irlande (Services de médias audiovisuels) , C‑679/22, EU:C:2024:178, point 73 et jurisprudence citée].

94 Pour les raisons exposées aux points 48 à 64 du présent arrêt, cette constatation ne saurait être remise en cause par les arguments de la République de Pologne concernant la durée des travaux législatifs, la pandémie mondiale de COVID-19, l’adoption tardive des orientations de la Commission relatives à l’article 17 de la directive 2019/790, l’attente du prononcé de l’arrêt du 26 avril 2022, Pologne/Parlement et Conseil (C‑401/19, EU:C:2022:297), ou la mise en œuvre partielle de cette directive par la législation antérieure.

95 Il y a donc lieu d’infliger une somme forfaitaire à la République de Pologne.

96 En ce qui concerne, en second lieu, le calcul de la somme forfaitaire, il convient de rappeler que, en application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, seule la Cour est compétente pour infliger une sanction pécuniaire à un État membre. Toutefois, dans le cadre d’une procédure engagée sur le fondement de cette disposition, la Cour ne dispose que d’un pouvoir d’appréciation encadré, dès lors que, en cas de constat d’un manquement par cette dernière, les propositions de la Commission lient la Cour quant à la nature de la sanction pécuniaire qu’elle peut infliger et quant au montant maximal de la sanction qu’elle peut prononcer [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte) , C‑147/23, EU:C:2024:346, point 67 et jurisprudence citée].

97 Il importe de rappeler que, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation en la matière tel qu’encadré par les propositions de la Commission, il appartient à la Cour de fixer le montant de la somme forfaitaire au paiement de laquelle un État membre peut être condamné en vertu de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, de telle sorte qu’il soit, d’une part, adapté aux circonstances et, d’autre part, proportionné à l’infraction commise. Figurent notamment au rang des facteurs pertinents à cet égard des éléments tels que la gravité du manquement constaté, la période durant laquelle celui-ci a persisté ainsi que la capacité de paiement de l’État membre en cause [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte) , C‑147/23, EU:C:2024:346, points 68 et 87 ainsi que jurisprudence citée].

98 Dans le cadre de ce pouvoir d’appréciation, des lignes directrices telles que les communications de la Commission, qui énoncent en tant que règles indicatives des variables mathématiques, ne lient pas la Cour, mais contribuent à garantir la transparence, la prévisibilité et la sécurité juridique de l’action menée par la Commission elle-même lorsque cette institution fait des propositions à la Cour [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte) , C‑147/23, EU:C:2024:346, point 69 et jurisprudence citée].

99 S’agissant, premièrement, de la gravité du manquement constaté, il y a lieu de rappeler que l’application automatique d’un même coefficient de gravité dans tous les cas d’absence de transposition complète d’une directive et, partant, d’absence de communication des dispositions de transposition de cette directive fait nécessairement obstacle à l’adaptation du montant des sanctions pécuniaires aux circonstances qui caractérisent l’infraction et à l’imposition de sanctions proportionnées. En particulier, en présumant que la violation de l’obligation de communiquer les dispositions de transposition d’une directive doit être considérée comme ayant la même gravité quelle que soit la directive concernée, la Commission n’est pas en mesure d’adapter les sanctions pécuniaires en fonction des conséquences du défaut d’exécution de cette obligation sur les intérêts privés et publics, contrairement aux prescriptions du point 3.2.2 de la communication de 2023 [voir, notamment, arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte) , C‑147/23, EU:C:2024:346, points 76 et 77]. Par conséquent, la Commission ne saurait se libérer de son obligation d’apprécier, dans chaque État membre et pour chaque cas spécifique, les conséquences de l’infraction constatée sur les intérêts privés et publics en se limitant à l’application automatique d’un coefficient de gravité dans le cadre de la fixation des sanctions pécuniaires, et ce en tenant compte d’éventuelles circonstances atténuantes ou aggravantes [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte) , C‑147/23, EU:C:2024:346, point 79].

100 Il s’ensuit que, en l’occurrence, aux fins de l’appréciation de la gravité du manquement constaté, la Cour doit prendre en compte les conséquences du défaut de transposition de la directive 2019/790 sur les intérêts privés et publics.

101 À cet égard, il convient de souligner que la directive 2019/790 vise, par son article 1 er , paragraphe 1, lu à la lumière du considérant 3 de celle-ci, à poursuivre l’harmonisation du droit de l’Union applicable au droit d’auteur et aux droits voisins dans le cadre du marché intérieur, en tenant compte, en particulier, des utilisations numériques et transfrontières des contenus protégés. Ladite directive prévoit, à cette fin, des règles visant à adapter certaines exceptions et limitations au droit d’auteur et aux droits voisins à l’environnement numérique et transfrontière ainsi que des mesures destinées à faciliter certaines pratiques d’octroi de licences et des règles destinées à assurer le bon fonctionnement du marché pour l’exploitation des œuvres et autres objets protégés.

102 Ainsi, au vu, d’une part, des intérêts privés et publics en jeu, tels que ceux mentionnés au point précédent du présent arrêt, et, d’autre part, du fait que l’obligation d’adopter des dispositions pour assurer la transposition complète d’une directive et l’obligation de les communiquer à la Commission constituent des obligations essentielles des États membres afin d’assurer la pleine effectivité du droit de l’Union [voir, en ce sens, arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte) , C‑147/23, EU:C:2024:346, point 72 et jurisprudence citée], le manquement de la République de Pologne à l’obligation d’adopter des dispositions permettant d’assurer la transposition complète de la directive 2019/790 et à l’obligation de communiquer ces dispositions à la Commission doit être considéré comme étant d’une gravité certaine.

103 Toutefois, afin que le montant des sanctions pécuniaires infligées à un État membre en vertu de l’article 260, paragraphe 3, TFUE soit adapté aux circonstances et proportionné à l’infraction commise, ainsi qu’il a été rappelé au point 97 du présent arrêt, il convient d’examiner, aux fins de l’appréciation de la gravité du manquement, les arguments tirés des conséquences du défaut de transposition de la directive 2019/790 sur les intérêts privés et publics notamment. En effet, la Cour procède à une appréciation in concreto de la gravité de l’infraction, au regard des effets pratiques de la transposition tardive de la directive en cause en droit national [voir, en ce sens, arrêt du 13 janvier 2021, Commission/Slovénie (MiFID II) (C‑628/18, EU:C:2021:1), point 80].

104 À ce titre, la République de Pologne fait valoir, sans être contredite par la Commission, que la législation nationale existante était déjà partiellement conforme aux exigences de la directive 2019/790. En ce que la Commission fait valoir qu’il n’y a pas lieu de tenir compte de cette législation nationale dans le cadre de l’appréciation du coefficient de gravité puisqu’elle ne lui a pas été notifiée de manière appropriée, il suffit de constater que cette argumentation est dépourvue de pertinence dès lors que l’absence de notification n’a pas d’incidence quant au fait que l’existence de ladite législation a un impact sur ces intérêts [voir, en ce sens, arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte) , C‑147/23, EU:C:2024:346, point 92].

105 Dans ces conditions, il convient de constater, en l’espèce, que la gravité est certaine, mais que la Commission n’a pas établi que les conséquences du manquement constaté sur les intérêts privés et publics étaient aussi négatives que dans le cas d’une absence complète, dans le droit national, des dispositions équivalentes à celles de la directive 2019/790.

106 S’agissant, deuxièmement, de la durée de l’infraction, il convient de rappeler que les parties divergent sur la date exacte de la fin du manquement constaté, dans la mesure où la Commission estime que ce manquement a pris fin le 20 septembre 2024, soit à la date de l’entrée en vigueur de la loi du 26 juillet 2024, modifiant la loi sur le droit d’auteur et les droits voisins, la loi sur la protection des bases de données et la loi sur la gestion collective des droits d’auteur et les droits voisins, alors que la République de Pologne soutient que ce manquement a pris fin le 19 août 2024, soit à la date de la communication de cette loi à la Commission.

107 À cet égard, dans une situation comme celle en l’espèce, dans laquelle la communication à la Commission des mesures nationales assurant la transposition des dispositions de la directive 2019/790 a eu lieu avant l’entrée en vigueur de ces mesures, il convient de tenir compte, non pas de la date de la communication desdites mesures à la Commission ni de la date d’adoption des mêmes mesures, mais de la date de leur entrée en vigueur [voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux) , C‑550/18, EU:C:2020:564, points 88 et 89]. En effet, une analyse contraire, qui ne s’assurerait pas que les mesures de transposition soient entrées en vigueur en droit national, ne garantirait pas une transposition effective de la directive 2019/790 et priverait l’obligation de transposition de cette directive dans le droit national de tout effet utile.

108 Partant, il y a lieu de considérer que le manquement constaté au point 65 du présent arrêt a perduré durant la période comprise entre le 8 juin 2021 et le 19 septembre 2024, étant donné que la loi nationale par laquelle la Commission a considéré que la transposition de la directive 2019/790 était complète est entrée en vigueur le 20 septembre 2024. Par conséquent, l’infraction a duré trois ans, trois mois et onze jours, ce qui constitue une durée importante.

109 S’agissant, troisièmement, de la capacité de paiement de la République de Pologne, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que, sans préjudice de la possibilité pour la Commission de proposer des sanctions financières fondées sur une pluralité de critères, en vue de permettre, notamment, de maintenir un écart raisonnable entre les divers États membres, il convient de prendre en compte le PIB de cet État en tant que facteur prédominant aux fins de l’appréciation de sa capacité de paiement et de la fixation de sanctions suffisamment dissuasives et proportionnées, afin de prévenir de manière effective la répétition d’infractions au droit de l’Union analogues à celle de l’espèce [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte) , C‑147/23, EU:C:2024:346, point 81].

110 À cet égard, la Cour a itérativement jugé qu’il convenait de prendre en compte l’évolution récente du PIB de l’État membre, telle qu’elle se présente à la date de l’examen des faits par la Cour [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte) , C‑147/23, EU:C:2024:346, point 82].

111 S’agissant du facteur « n », censé représenter la capacité de paiement de l’État membre concerné par rapport à la capacité de paiement des autres États membres, la Cour a jugé que la Commission ne saurait inclure, dans la méthode de calcul de ce facteur, la prise en compte d’un critère démographique selon les modalités prévues aux points 3.4 et 4.2 de la communication de 2023, ainsi qu’il ressort de l’arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte) (C‑147/23, EU:C:2024:346, points 81 à 86).

112 Eu égard à ces considérations et au regard du pouvoir d’appréciation reconnu à la Cour par l’article 260, paragraphe 3, TFUE, lequel prévoit que celle-ci ne saurait, en ce qui concerne la somme forfaitaire dont elle inflige le paiement, fixer un montant dépassant celui indiqué par la Commission, il y a lieu de considérer que la prévention effective de la répétition d’infractions analogues à celle résultant de la violation de l’article 29 de la directive 2019/790 et portant atteinte à la pleine effectivité du droit de l’Union requiert l’imposition d’une somme forfaitaire dont le montant doit être fixé à 8 300 000 euros.

Sur les dépens

113 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République de Pologne et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) déclare et arrête :

1) En n’ayant pas, à l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé de la Commission européenne du 19 mai 2022, adopté toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil, du 17 avril 2019, sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE, et, partant, en n’ayant pas communiqué ces dispositions à la Commission, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 29 de cette directive.

2) La République de Pologne est condamnée à payer à la Commission européenne une somme forfaitaire d’un montant de 8 300 000 euros.

3) La République de Pologne est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.

Signatures

* Langue de procédure : le polonais.

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