Arrêt De La Cour (Deuxième Chambre) Du 4 Septembre 2025.
GB contre Minister van Asiel en Migratie.
• 62025CJ0313 • ECLI:EU:C:2025:647
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ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
4 septembre 2025 ( * )
« Renvoi préjudiciel – Procédure préjudicielle d’urgence – Politique d’immigration – Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier dans un État membre – Directive 2008/115/CE – Exécution d’une décision de retour devenue définitive – Article 5 – Principe de non-refoulement – Intérêt supérieur de l’enfant – Vie familiale – Article 15 – Placement en rétention à des fins d’éloignement – Contrôle du respect des conditions de légalité – Obligation du juge national de contrôler le respect du principe de non-refoulement et des autres intérêts visés à l’article 5 de la directive 2008/115 – Examen d’office – Articles 6 et 7, article 19, paragraphe 2, article 24, paragraphe 2, ainsi qu’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne »
Dans l’affaire C‑313/25 PPU [Adrar] ( i ),
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le rechtbank Den Haag, zittingsplaats Roermond (tribunal de La Haye, siégeant à Ruremonde, Pays-Bas), par décision du 6 mai 2025, parvenue à la Cour le 6 mai 2025, dans la procédure
GB
contre
Minister van Asiel en Migratie,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M me K. Jürimäe (rapporteure), présidente de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la deuxième chambre, MM. M. Gavalec, Z. Csehi et F. Schalin, juges,
avocat général : M. D. Spielmann,
greffier : M me A. Lamote, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 1 er juillet 2025,
considérant les observations présentées :
– pour GB, par M es N. den Ouden et A. Hol, advocaten,
– pour le gouvernement néerlandais, par M me M. H. S. Gijzen et M. J. Langer, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par M mes A. Baeckelmans, A. Katsimerou et F. van Schaik, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 1 er août 2025,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5, de l’article 13, paragraphes 1 et 2, ainsi que de l’article 15 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348, p. 98), lus en combinaison avec les articles 6 et 7, l’article 19, paragraphe 2, l’article 24, paragraphe 2, ainsi que l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant GB, ressortissant algérien, au Minister van Asiel en Migratie (ministre de l’Asile et de la Migration, Pays-Bas) (ci-après le « ministre ») au sujet de la décision de ce dernier de placer GB en rétention en vue de son éloignement vers l’Algérie.
Le cadre juridique
Le droit international
3 Aux termes de l’article 33 de la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 [ Recueil des traités des Nations unies , vol. 189, p. 150, n o 2545 (1954)], telle que modifiée par le protocole relatif au statut des réfugiés, conclu à New York le 31 janvier 1967 :
« 1. Aucun des États contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.
2. Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu’il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays. »
Le droit de l’Union
4 Les considérants 2, 4, 8, 16, 22 et 24 de la directive 2008/115 énoncent :
« (2) Le Conseil européen de Bruxelles des 4 et 5 novembre 2004 a recommandé la mise en place d’une politique efficace d’éloignement et de rapatriement basée sur des normes communes, afin que les personnes concernées soient rapatriées d’une façon humaine et dans le respect intégral de leurs droits fondamentaux et de leur dignité.
[...]
(4) Il est nécessaire de fixer des règles claires, transparentes et équitables afin de définir une politique de retour efficace, constituant un élément indispensable d’une politique migratoire bien gérée.
[...]
(8) La légitimité de la pratique du retour par les États membres des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier est reconnue, à condition que soient en place des régimes d’asile justes et efficaces qui respectent pleinement le principe de non‑refoulement.
[...]
(16) Le recours à la rétention aux fins d’éloignement devrait être limité et subordonné au respect du principe de proportionnalité en ce qui concerne les moyens utilisés et les objectifs poursuivis. La rétention n’est justifiée que pour préparer le retour ou procéder à l’éloignement et si l’application de mesures moins coercitives ne suffirait pas.
[...]
(22) Conformément à la [convention internationale des droits de l’enfant, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989,] l’“intérêt supérieur de l’enfant” devrait constituer une considération primordiale pour les États membres lorsqu’ils mettent en œuvre la présente directive. Conformément à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, [signée à Rome le 4 novembre 1950,] le respect de la vie familiale devrait constituer une considération primordiale pour les États membres lorsqu’ils mettent en œuvre la présente directive.
[...]
(24) La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus, en particulier, par la [Charte]. »
5 L’article 3 de cette directive, intitulé « Définitions », dispose, à ses points 4 et 5 :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
4) “décision de retour” : une décision ou un acte de nature administrative ou judiciaire déclarant illégal le séjour d’un ressortissant d’un pays tiers et imposant ou énonçant une obligation de retour ;
5) “éloignement” : l’exécution de l’obligation de retour, à savoir le transfert physique hors de l’État membre ».
6 L’article 5 de ladite directive, intitulé « Non-refoulement, intérêt supérieur de l’enfant, vie familiale et état de santé », prévoit :
« Lorsqu’ils mettent en œuvre la présente directive, les États membres tiennent dûment compte :
a) de l’intérêt supérieur de l’enfant,
b) de la vie familiale,
c) de l’état de santé du ressortissant concerné d’un pays tiers,
et respectent le principe de non-refoulement. »
7 L’article 9 de la même directive, intitulé « Report de l’éloignement », dispose, à son paragraphe 1, sous a) :
« Les États membres reportent l’éloignement :
a) dans le cas où il se ferait en violation du principe de non‑refoulement [...] »
8 L’article 12 de la directive 2008/115, intitulé « Forme », énonce, à son paragraphe 1, premier alinéa :
« Les décisions de retour et, le cas échéant, les décisions d’interdiction d’entrée ainsi que les décisions d’éloignement sont rendues par écrit, indiquent leurs motifs de fait et de droit et comportent des informations relatives aux voies de recours disponibles. »
9 L’article 13 de cette directive, intitulé « Voies de recours », prévoit, à ses paragraphes 1 et 2 :
« 1. Le ressortissant concerné d’un pays tiers dispose d’une voie de recours effective pour attaquer les décisions liées au retour visées à l’article 12, paragraphe 1, devant une autorité judiciaire ou administrative compétente ou une instance compétente composée de membres impartiaux et jouissant de garanties d’indépendance.
2. L’autorité ou l’instance visée au paragraphe 1 est compétente pour réexaminer les décisions liées au retour visées à l’article 12, paragraphe 1, et peut notamment en suspendre temporairement l’exécution, à moins qu’une suspension temporaire ne soit déjà applicable en vertu de la législation nationale. »
10 L’article 15 de ladite directive, intitulé « Rétention », est libellé comme suit :
« 1. À moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers qui fait l’objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement, en particulier lorsque :
a) il existe un risque de fuite, ou
b) le ressortissant concerné d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement.
Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise.
2. La rétention est ordonnée par les autorités administratives ou judiciaires.
La rétention est ordonnée par écrit, en indiquant les motifs de fait et de droit.
Si la rétention a été ordonnée par des autorités administratives, les États membres :
a) soit prévoient qu’un contrôle juridictionnel accéléré de la légalité de la rétention doit avoir lieu le plus rapidement possible à compter du début de la rétention,
b) soit accordent au ressortissant concerné d’un pays tiers le droit d’engager une procédure par laquelle la légalité de la rétention fait l’objet d’un contrôle juridictionnel accéléré qui doit avoir lieu le plus rapidement possible à compter du lancement de la procédure en question. Dans ce cas, les États membres informent immédiatement le ressortissant concerné d’un pays tiers de la possibilité d’engager cette procédure.
Le ressortissant concerné d’un pays tiers est immédiatement remis en liberté si la rétention n’est pas légale.
3. Dans chaque cas, la rétention fait l’objet d’un réexamen à intervalles raisonnables soit à la demande du ressortissant concerné d’un pays tiers, soit d’office. En cas de périodes de rétention prolongées, les réexamens font l’objet d’un contrôle par une autorité judiciaire.
4. Lorsqu’il apparaît qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement pour des considérations d’ordre juridique ou autres ou que les conditions énoncées au paragraphe 1 ne sont plus réunies, la rétention ne se justifie plus et la personne concernée est immédiatement remise en liberté.
5. La rétention est maintenue aussi longtemps que les conditions énoncées au paragraphe 1 sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Chaque État membre fixe une durée déterminée de rétention, qui ne peut pas dépasser six mois.
6. Les États membres ne peuvent pas prolonger la période visée au paragraphe 5, sauf pour une période déterminée n’excédant pas douze mois supplémentaires, conformément au droit national, lorsque, malgré tous leurs efforts raisonnables, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison :
a) du manque de coopération du ressortissant concerné d’un pays tiers, ou
b) des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires. »
Le droit néerlandais
11 L’article 59, paragraphe 1, sous a), de la wet tot algehele herziening van de Vreemdelingenwet (loi portant révision générale de la loi sur les étrangers), du 23 novembre 2000 (Stb. 2000, n o 495), dans sa version applicable au litige au principal, dispose :
« Si l’intérêt de l’ordre public ou de la sécurité nationale l’exige, [le ministre] peut placer en rétention, en vue de son éloignement, le ressortissant étranger qui [...] n’est pas en situation de séjour régulier. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
12 Le 11 septembre 2024, GB, un ressortissant algérien, a introduit une demande de protection internationale aux Pays-Bas. Il n’a pas comparu à l’audition portant sur l’examen des motifs de cette demande.
13 Par décision du 7 octobre 2024, le ministre a donc rejeté ladite demande sans examen au fond. Cette décision vaut également décision de retour (ci-après la « décision de retour »). En l’absence de recours formé par GB, cette dernière est devenue définitive.
14 Le 26 mars 2025, GB a été transféré aux Pays-Bas par les autorités françaises en application du règlement (UE) n o 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JO 2013, L 180, p. 31).
15 Le même jour, GB a introduit, aux Pays-Bas, une demande ultérieure de protection internationale, qui a eu pour effet de suspendre l’exécution de la décision de retour. Après avoir entendu GB sur les motifs de cette demande, le ministre a informé celui-ci, le 7 avril 2025, de son intention de rejeter ladite demande comme étant manifestement infondée. Le 9 avril 2025, GB a retiré la même demande. La suspension de la décision de retour a donc pris fin de plein droit.
16 Le 10 avril 2025, le ministre a placé GB en rétention sur le fondement de l’article 15 de la directive 2008/115 afin de préparer son retour ou de procéder à son éloignement vers l’Algérie, en exécution de la décision de retour. Avant d’être placé en rétention, GB a déclaré, d’une part, qu’il craignait d’être soumis à des peines ou à des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Algérie et, d’autre part, qu’il était le père d’un enfant né en France le 18 septembre 2024 dont il souhaitait pouvoir s’occuper, même s’il n’entretenait plus de relation avec la mère de cet enfant, ressortissante algérienne titulaire d’un titre de séjour en France.
17 Le 16 avril 2025, GB a formé un recours contre son placement en rétention devant le rechtbank Den Haag, zittingsplaats Roermond (tribunal de La Haye, siégeant à Ruremonde, Pays-Bas), qui est la juridiction de renvoi.
18 Cette juridiction se demande si, en vertu du droit de l’Union, elle doit, lorsqu’elle contrôle le respect des conditions de légalité du placement en rétention, apprécier si le principe de non-refoulement ainsi que les autres intérêts visés à l’article 5 de la directive 2008/115, en particulier la vie familiale et l’intérêt supérieur de l’enfant, s’opposent à l’éloignement de GB vers l’Algérie en exécution de la décision de retour. En vertu du droit néerlandais, en effet, elle ne serait pas habilitée à procéder à une telle appréciation.
19 Or, en premier lieu, ladite juridiction estime être la seule autorité judiciaire qui puisse apprécier si l’éloignement de GB vers l’Algérie est compatible avec le principe de non-refoulement et les autres intérêts visés à l’article 5 de la directive 2008/115.
20 En effet, à aucun moment de la procédure, il n’aurait été apprécié si ce principe et ces intérêts s’opposaient à l’éloignement de GB.
21 Tout d’abord, une telle appréciation n’aurait pas eu lieu lors de l’adoption de la décision de retour, dès lors que GB ne s’était pas présenté à l’audition portant sur l’examen des motifs de sa demande de protection internationale. En l’absence de recours formé par GB contre cette décision, celle-ci serait devenue définitive sans aucun examen du principe de non-refoulement et des autres intérêts visés à l’article 5 de la directive 2008/115.
22 Ensuite, une telle appréciation n’aurait pas non plus été effectuée lors du placement en rétention de GB en vue de son éloignement, alors même que l’intéressé avait, en substance, invoqué un changement significatif de circonstances en faisant état, d’une part, des risques de traitements interdits par l’article 4 de la Charte en cas de retour en Algérie et, d’autre part, de la naissance de son enfant en France dont il allègue vouloir s’occuper.
23 Enfin, une appréciation du principe de non-refoulement et des autres intérêts visés à l’article 5 de la directive 2008/115 ne pourrait pas non plus être effectuée à un stade ultérieur de la procédure. En effet, d’une part, dans la pratique juridique nationale, l’exécution d’une décision de retour ne requerrait pas l’adoption d’un nouvel acte, qu’il soit administratif ou judiciaire, à l’occasion de laquelle une telle appréciation pourrait être effectuée. D’autre part, le droit néerlandais ne prévoirait pas de voie de recours autonome contre l’exécution d’une décision de retour. GB pourrait seulement introduire une réclamation contre un éloignement effectif envisagé et planifié une fois que la date et l’heure de celui-ci lui auront été communiquées. Une telle réclamation ne pourrait, toutefois, porter que sur les modalités d’exécution de la décision de retour et ne donnerait pas lieu à une appréciation du principe de non-refoulement et des autres intérêts visés à l’article 5 de la directive 2008/115.
24 En second lieu, la juridiction de renvoi estime que le droit de l’Union lui impose d’effectuer une appréciation actualisée du principe de non‑refoulement et des autres intérêts visés à l’article 5 de la directive 2008/115, afin de garantir à GB un recours juridictionnel effectif, le droit à la liberté ainsi que le respect de ce principe et de ces intérêts.
25 À cet égard, cette juridiction souligne, premièrement, que l’article 5 de cette directive oblige l’autorité nationale compétente à respecter, à tous les stades de la procédure de retour, le principe de non-refoulement. Or, le placement en rétention d’un ressortissant d’un pays tiers en vue de son éloignement mettrait en œuvre ladite directive et constituerait donc un tel stade.
26 Deuxièmement, le législateur de l’Union aurait prévu, à l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2008/115, que l’éloignement doit être reporté lorsqu’il est contraire au principe de non-refoulement. Ainsi, une décision de retour antérieure et un report de l’éloignement pourraient coexister, de telle sorte que l’existence d’une décision de retour, même définitive, ne devrait pas empêcher un contrôle de la compatibilité de l’éloignement, en exécution de cette décision, avec le principe de non-refoulement. Au demeurant, l’interdiction de refoulement revêtirait un caractère absolu.
27 En revanche, les droits fondamentaux consacrés à l’article 7 et à l’article 24, paragraphe 2, de la Charte ne seraient pas des droits absolus. Toutefois, il ressortirait de la jurisprudence de la Cour que ces droits pourraient également s’opposer à l’adoption d’une décision de retour. De manière analogue, ils pourraient, de l’avis de la juridiction de renvoi, s’opposer à l’éloignement d’un ressortissant d’un pays tiers en exécution d’une telle décision.
28 Troisièmement, le droit à un recours effectif du ressortissant concerné d’un pays tiers exigerait également que le juge appelé à contrôler le respect des conditions de légalité du placement en rétention en vue de l’éloignement, en exécution d’une décision de retour, puisse vérifier si le principe de non-refoulement et les autres intérêts visés à l’article 5 de la directive 2008/115 s’opposent à l’éloignement.
29 Quatrièmement, le placement en rétention en vue de l’éloignement ne serait pas justifié et ne répondrait plus à sa finalité si l’éloignement ne pouvait pas avoir lieu en raison du principe de non-refoulement ou des autres intérêts visés à l’article 5 de cette directive. Dans un tel cas, conformément à l’article 15, paragraphe 4, de ladite directive, l’intéressé devrait immédiatement être remis en liberté. Partant, avant de placer le ressortissant concerné d’un pays tiers en rétention en vue de son éloignement, il serait nécessaire de vérifier si l’éloignement est permis.
30 C’est dans ces conditions que le rechtbank Den Haag, zittingsplaats Roermond (tribunal de la Haye, siégeant à Ruremonde) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 5, l’article 13, paragraphes 1 et 2, et l’article 15 de la directive 2008/115, lus en combinaison avec l’article 6, l’article 19, paragraphe 2, et l’article 47 de la [Charte], doivent-ils être interprétés en ce sens qu’une autorité judiciaire, lors du contrôle du respect des conditions découlant du droit de l’Union en matière de légalité de la rétention d’un ressortissant d’un pays tiers, est tenue de s’assurer, le cas échéant d’office, que le principe de non-refoulement ne s’oppose pas à l’exécution de la décision de retour adoptée antérieurement et aux fins de l’exécution de laquelle le ressortissant du pays tiers a été placé en rétention ?
2) L’article 5, l’article 13, paragraphes 1 et 2, et l’article 15 de la directive 2008/115, lus en combinaison avec [les articles 6 et 7], l’article 24, paragraphe 2, et l’article 47 de la [Charte], doivent-ils être interprétés en ce sens qu’une autorité judiciaire, lors du contrôle du respect des conditions découlant du droit de l’Union en matière de légalité de la rétention d’un ressortissant d’un pays tiers, est tenue de s’assurer, le cas échéant d’office, que les intérêts visés à l’article 5 de la directive 2008/115 ne s’opposent pas à l’exécution de la décision de retour adoptée antérieurement et aux fins de l’exécution de laquelle le ressortissant du pays tiers a été placé en rétention ? »
Sur la demande d’application de la procédure préjudicielle d’urgence
31 La juridiction de renvoi a sollicité l’application de la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 23 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour.
32 Il résulte de ces dispositions que l’application de cette procédure est subordonnée à deux conditions cumulatives. D’une part, le renvoi préjudiciel doit soulever des questions d’interprétation relatives à l’espace de liberté, de sécurité et de justice, objet du titre V de la troisième partie du traité FUE. D’autre part, les circonstances du litige au principal, telles que décrites par la juridiction de renvoi, doivent être caractérisées par la présence d’une situation d’urgence.
33 S’agissant de la première condition, il y a lieu de relever que la présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 2008/115, qui relève des domaines visés au titre V de la troisième partie du traité FUE, relatif à l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Partant, cette demande est susceptible d’être soumise à la procédure préjudicielle d’urgence.
34 S’agissant de la seconde condition, relative à l’urgence, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, cette condition est notamment remplie lorsque la personne concernée dans l’affaire au principal est actuellement privée de liberté et que son maintien en détention dépend de la solution du litige au principal, étant précisé que la situation de cette personne est à apprécier telle qu’elle se présente à la date de l’examen de la demande tendant à obtenir que le renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure d’urgence (arrêts du 4 octobre 2024, Bouskoura , C‑387/24 PPU, EU:C:2024:868, point 33 et jurisprudence citée, ainsi que du 19 juin 2025, Kamekris , C‑219/25 PPU, EU:C:2025:456, point 26 et jurisprudence citée).
35 En l’occurrence, premièrement, il ressort de la décision de renvoi que GB a été placé en rétention le 10 avril 2025 en vue de son éloignement vers l’Algérie, si bien qu’il est actuellement privé de liberté.
36 Deuxièmement, les questions posées par la juridiction de renvoi visent à déterminer si le droit de l’Union lui fait obligation d’apprécier, au titre des conditions de légalité du placement en rétention, si le principe de non-refoulement et les autres intérêts visés à l’article 5 de la directive 2008/115 s’opposent à l’éloignement de GB vers l’Algérie, auquel cas elle devrait mettre fin à la rétention de ce dernier.
37 Dans ces conditions, la deuxième chambre de la Cour, sur proposition de la juge rapporteure, l’avocat général entendu, a décidé, le 21 mai 2025, d’accueillir la demande de la juridiction de renvoi visant à soumettre le présent renvoi préjudiciel à la procédure préjudicielle d’urgence.
Sur les questions préjudicielles
Observations liminaires
38 Selon une jurisprudence constante, la procédure prévue à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juges nationaux, grâce auquel la première fournit aux seconds les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’ils sont appelés à trancher [voir ordonnance du 26 janvier 1990, Falciola , C‑286/88, EU:C:1990:33, point 7, et arrêt du 15 avril 2021, État belge (Éléments postérieurs à la décision de transfert) , C‑194/19, EU:C:2021:270, point 21].
39 Selon une jurisprudence également constante, dans le cadre de cette procédure de coopération, il appartient à la Cour de donner au juge de renvoi une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi (voir arrêt du 17 juillet 1997, Krüger , C‑334/95, EU:C:1997:378, points 22 et 23). Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler la question dont elle est saisie (voir arrêts du 28 novembre 2000, Roquette Frères , C‑88/99, EU:C:2000:652, point 18, et du 3 juin 2025, Kinsa , C‑460/23, EU:C:2025:392, point 34).
40 Par ses questions, la juridiction de renvoi souhaite, en substance, obtenir une interprétation de l’article 5, de l’article 13, paragraphes 1 et 2, ainsi que de l’article 15 de la directive 2008/115, lus en combinaison avec plusieurs dispositions de la Charte.
41 L’article 13, paragraphes 1 et 2, de la directive 2008/115 prévoit, notamment, que le ressortissant concerné d’un pays tiers dispose d’une voie de recours effective pour attaquer les décisions liées au retour visées à l’article 12, paragraphe 1, de cette directive, à savoir les décisions de retour et, le cas échéant, les décisions d’interdiction d’entrée ainsi que les décisions d’éloignement.
42 En l’occurrence, il ressort toutefois des explications fournies par la juridiction de renvoi que le litige au principal a pour objet non pas la légalité d’une décision de retour ou d’une autre décision liée au retour, au sens de l’article 13, paragraphes 1 et 2, de la directive 2008/115, mais celle du placement en rétention d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier en vue de son éloignement en exécution d’une décision de retour devenue définitive.
43 Or, pour ce qui concerne le placement en rétention d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier au titre de l’article 15, paragraphes 1 et 2, de la directive 2008/115, des normes communes de l’Union européenne en matière de protection juridictionnelle figurent à cet article 15, paragraphe 2, troisième alinéa [voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Examen d’office de la rétention) , C‑704/20 et C‑39/21, EU:C:2022:858, point 82].
44 Partant, l’article 13, paragraphes 1 et 2, de la directive 2008/115 n’est pas pertinent pour la solution du litige au principal, de telle sorte qu’il n’est pas nécessaire de procéder à son interprétation.
Sur la première question
45 Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si les articles 5 et 15 de la directive 2008/115, lus en combinaison avec l’article 6, l’article 19, paragraphe 2, et l’article 47 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’une juridiction nationale, appelée à contrôler la légalité du placement en rétention d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier, en vue de son éloignement en exécution d’une décision de retour définitive, est tenue d’examiner, le cas échéant d’office, si le principe de non-refoulement s’oppose à cet éloignement.
46 À titre liminaire, il importe de rappeler que l’objectif principal de la directive 2008/115 consiste, ainsi qu’il ressort des considérants 2 et 4 de celle-ci, à mettre en place une politique efficace d’éloignement et de rapatriement dans le respect intégral des droits fondamentaux ainsi que de la dignité des personnes concernées [arrêts du 19 juin 2018, Gnandi , C‑181/16, EU:C:2018:465, point 48 ; du 22 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Éloignement – Cannabis thérapeutique) , C‑69/21, EU:C:2022:913, point 88, et du 17 octobre 2024, Ararat , C‑156/23, EU:C:2024:892, point 30].
47 Il s’ensuit que, lorsqu’ils mettent en œuvre la directive 2008/115, y compris lorsqu’ils adoptent des mesures de rétention en vue de préparer l’éloignement d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier, les États membres sont tenus de respecter les droits fondamentaux qui sont reconnus à ce ressortissant par la Charte [voir, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Éloignement – Cannabis thérapeutique) , C‑69/21, EU:C:2022:913, point 89].
48 Sous le bénéfice de ces rappels liminaires, il convient, en premier lieu, de souligner que toute rétention d’un ressortissant d’un pays tiers en vertu de la directive 2008/115 dans le cadre d’une procédure de retour par suite d’un séjour irrégulier constitue une ingérence grave dans le droit à la liberté de l’intéressé, consacré à l’article 6 de la Charte [voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Examen d’office de la rétention) , C‑704/20 et C‑39/21, EU:C:2022:858, point 72 et jurisprudence citée].
49 En effet, une mesure de rétention consiste à confiner une personne dans un lieu déterminé, en lui imposant de demeurer en permanence dans un périmètre restreint et clos, en l’isolant du reste de la population et en la privant de sa liberté de mouvement [voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Examen d’office de la rétention) , C‑704/20 et C‑39/21, EU:C:2022:858, point 73 et jurisprudence citée].
50 Or, la finalité des mesures de rétention, au sens de la directive 2008/115, est non pas la poursuite ou la répression d’infractions pénales, mais la réalisation des objectifs poursuivis par cette directive en matière de retour [voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Examen d’office de la rétention) , C‑704/20 et C‑39/21, EU:C:2022:858, point 74]. Ainsi, lorsqu’elle est ordonnée à des fins d’éloignement, la rétention d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier n’est destinée qu’à assurer l’effectivité de la procédure de retour et ne poursuit aucune finalité punitive (voir, en ce sens, arrêt du 10 mars 2022, Landkreis Gifhorn , C‑519/20, EU:C:2022:178, point 38).
51 Eu égard à la gravité de cette ingérence dans le droit à la liberté consacré à l’article 6 de la Charte et compte tenu de l’importance de ce droit, le pouvoir reconnu aux autorités nationales compétentes de placer en rétention des ressortissants de pays tiers est strictement encadré. Une mesure de rétention ne peut ainsi être ordonnée ou prolongée que dans le respect des règles générales et abstraites qui en fixent les conditions et les modalités [voir, en ce sens, arrêts du 10 mars 2022, Landkreis Gifhorn , C‑519/20, EU:C:2022:178, point 62, ainsi que du 8 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Examen d’office de la rétention) , C‑704/20 et C‑39/21, EU:C:2022:858, point 75].
52 Les règles générales et abstraites fixant, à titre de normes communes de l’Union, les conditions de légalité de la rétention d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier au regard de la directive 2008/115, y compris sous l’angle de l’article 6 de la Charte, figurent à l’article 15 de cette directive [voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Examen d’office de la rétention) , C‑704/20 et C‑39/21, EU:C:2022:858, points 76 et 77].
53 L’article 15, paragraphe 1, de ladite directive prévoit que, à moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers qui fait l’objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement, en particulier lorsqu’il existe un risque de fuite ou lorsque le ressortissant concerné d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise.
54 Lorsqu’il apparaît que les conditions de légalité de la rétention fixées à l’article 15 de la directive 2008/115 n’ont pas été ou ne sont plus satisfaites, la personne concernée doit, ainsi que le législateur de l’Union l’indique d’ailleurs expressément à l’article 15, paragraphe 2, quatrième alinéa, et paragraphe 4, de cette directive, être immédiatement remise en liberté [voir, en ce sens, arrêts du 8 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Examen d’office de la rétention) , C‑704/20 et C‑39/21, EU:C:2022:858, point 79, ainsi que du 4 octobre 2024, Bouskoura , C‑387/24 PPU, EU:C:2024:868, point 44].
55 Ainsi, d’une part, conformément à l’article 15, paragraphe 2, quatrième alinéa, de la directive 2008/115, le ressortissant concerné d’un pays tiers est immédiatement remis en liberté si la rétention n’est pas légale. D’autre part, il en va de même, conformément à l’article 15, paragraphe 4, de cette directive, lorsqu’il apparaît qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement pour des considérations d’ordre juridique ou autres ou que les conditions énoncées à l’article 15, paragraphe 1, de ladite directive ne sont plus réunies.
56 Pour qu’il puisse être considéré qu’il subsiste une « perspective raisonnable d’éloignement », au sens de l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2008/115, il faut que, au moment de l’examen de la légalité de la rétention, il existe une réelle perspective que l’éloignement puisse être mené à bien eu égard aux délais fixés à l’article 15, paragraphes 5 et 6, de cette directive (voir, en ce sens, arrêts du 30 novembre 2009, Kadzoev , C‑357/09 PPU, EU:C:2009:741, point 65, et du 5 juin 2014, Mahdi , C‑146/14 PPU, EU:C:2014:1320, point 60) et sans que des « considérations d’ordre juridique », au sens de cette disposition, s’y opposent.
57 Partant, l’autorité nationale compétente doit notamment vérifier, au titre des conditions de légalité de la rétention fixées à l’article 15 de la directive 2008/115, s’il existe une perspective raisonnable d’éloignement du ressortissant concerné d’un pays tiers en séjour irrégulier ou si de telles considérations d’ordre juridique s’opposent à l’éloignement de celui-ci.
58 À cet égard, la notion de « considérations d’ordre juridique » n’est pas définie dans la directive 2008/115. Compte tenu de son sens usuel, il y a lieu de considérer qu’elle couvre toute règle de droit dont le respect s’impose aux États membres lors de l’éloignement d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier.
59 Tel est le cas, comme en conviennent, au demeurant, l’ensemble des parties et intéressés ayant présenté des observations dans la présente affaire, de l’article 5 de la directive 2008/115, qui constitue une règle générale s’imposant aux États membres dès qu’ils mettent en œuvre cette directive.
60 En particulier, l’article 5 de la directive 2008/115 oblige l’autorité nationale compétente à respecter, à tous les stades de la procédure de retour, le principe de non-refoulement, garanti, en tant que droit fondamental, à l’article 18 de la Charte, lu en combinaison avec l’article 33 de la convention relative au statut des réfugiés, telle que modifiée par le protocole relatif au statut des réfugiés, ainsi qu’à l’article 19, paragraphe 2, de la Charte [arrêts du 22 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Éloignement – Cannabis thérapeutique) , C‑69/21, EU:C:2022:913, point 55, ainsi que du 17 octobre 2024, Ararat , C‑156/23, EU:C:2024:892, point 35].
61 Selon une jurisprudence constante, l’article 19, paragraphe 2, de la Charte, lu en combinaison avec l’article 4 de celle-ci, interdit en des termes absolus, quel que soit le comportement de la personne concernée, l’éloignement, l’expulsion ou l’extradition vers un État où il existe un risque sérieux que cette personne soit soumise à la peine de mort, à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Partant, les États membres ne sauraient éloigner, expulser ou extrader un étranger lorsqu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’il encourra dans le pays de destination un risque réel de subir des traitements prohibés par ces deux dispositions de la Charte (arrêt du 17 octobre 2024, Ararat , C‑156/23, EU:C:2024:892, point 36 et jurisprudence citée).
62 Ainsi, lorsqu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier encourra dans le pays de destination un risque réel de subir des traitements prohibés par lesdites dispositions de la Charte, ce ressortissant ne peut faire l’objet d’une mesure d’éloignement tant que perdure un tel risque, comme le prévoit d’ailleurs expressément l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2008/115 [voir, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Éloignement – Cannabis thérapeutique) , C‑69/21, EU:C:2022:913, points 58 et 59].
63 Il en va ainsi même lorsque le ressortissant concerné d’un pays tiers fait l’objet d’une décision de retour qu’il n’a pas contestée et qui est ainsi devenue définitive.
64 En effet, l’autorité nationale compétente doit tenir compte du principe de non-refoulement à tous les stades de la procédure, dès le moment de l’adoption d’une décision de retour jusqu’au moment du contrôle juridictionnel de l’exécution de cette décision (voir, en ce sens, arrêt du 17 octobre 2024, Ararat , C‑156/23, EU:C:2024:892, point 46), et cela, ainsi qu’il ressort du point 61 du présent arrêt, indépendamment du comportement du ressortissant concerné d’un pays tiers et notamment du point de savoir si celui-ci a contesté ladite décision.
65 En outre, les États membres sont tenus de permettre à un tel ressortissant de se prévaloir de tout changement de circonstances intervenu après l’adoption de la décision de retour, qui serait de nature à avoir une incidence significative sur l’appréciation de sa situation au regard, notamment, de l’article 5 de la directive 2008/115 (voir, en ce sens, arrêt du 17 octobre 2024, Ararat , C‑156/23, EU:C:2024:892, point 37 et jurisprudence citée).
66 Il s’ensuit que, lorsque l’autorité nationale compétente est appelée à ordonner, à réexaminer ou à prolonger une mesure de rétention aux fins de l’éloignement d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier, elle doit vérifier que le principe de non-refoulement ne s’oppose pas à l’éloignement de celui-ci.
67 En second lieu, s’agissant du droit des ressortissants de pays tiers placés en rétention à une protection juridictionnelle effective, il est de jurisprudence bien établie que, en vertu de l’article 47 de la Charte, les États membres doivent assurer une protection juridictionnelle effective des droits individuels dérivés de l’ordre juridique de l’Union [arrêt du 8 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Examen d’office de la rétention) , C‑704/20 et C‑39/21, EU:C:2022:858, point 81].
68 Ce droit est matérialisé, pour ce qui concerne le placement en rétention d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier en vertu de la directive 2008/115, à l’article 15, paragraphe 2, troisième alinéa, de cette directive, en vertu duquel, lorsque le placement en rétention a été ordonné par une autorité administrative, un contrôle juridictionnel accéléré doit être prévu soit d’office, soit à la demande de la personne concernée, de la légalité de ce placement [voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Examen d’office de la rétention) , C‑704/20 et C‑39/21, EU:C:2022:858, points 82 et 83].
69 De surcroît, l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2008/115 – qui impose, en cas de maintien d’une mesure de rétention, un réexamen périodique « à intervalles raisonnables » afin de vérifier si les conditions de légalité de la rétention demeurent réunies – exige que ce réexamen fasse l’objet d’un contrôle par une autorité judiciaire en cas de périodes de rétention prolongées.
70 Le législateur de l’Union a ainsi instauré des normes communes procédurales, ayant pour finalité d’assurer qu’il existe, dans chaque État membre, un régime qui permette à l’autorité judiciaire compétente de libérer, le cas échéant après un examen d’office, la personne concernée dès qu’il apparaît que sa rétention n’est pas, ou plus, légale [arrêt du 8 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Examen d’office de la rétention) , C‑704/20 et C‑39/21, EU:C:2022:858, point 86].
71 Afin qu’un tel régime de protection assure de manière effective le respect des conditions strictes auxquelles la légalité d’une mesure de rétention visée par la directive 2008/115 doit répondre, l’autorité judiciaire compétente doit être en mesure de statuer sur tout élément de fait et de droit pertinent pour vérifier cette légalité. À cette fin, elle doit pouvoir prendre en considération les éléments de fait et les preuves invoqués par l’autorité administrative ayant ordonné la rétention initiale. Elle doit également pouvoir prendre en considération les faits, les preuves et les observations qui lui sont éventuellement soumis par la personne concernée. En outre, elle doit être en mesure de rechercher tout autre élément pertinent pour sa décision au cas où elle le jugerait nécessaire. Les pouvoirs qu’elle détient dans le cadre d’un contrôle ne peuvent, en aucun cas, être circonscrits aux seuls éléments présentés par l’autorité administrative [arrêt du 8 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Examen d’office de la rétention) , C‑704/20 et C‑39/21, EU:C:2022:858, point 87 ainsi que jurisprudence citée].
72 En outre, eu égard à l’importance du droit à la liberté, à la gravité de l’ingérence dans ce droit que constitue la rétention de personnes pour des motifs autres que la poursuite ou la répression d’infractions pénales et à l’exigence, mise en exergue par les normes communes établies par le législateur de l’Union, d’une protection juridictionnelle de niveau élevé qui permette de se conformer au besoin impératif de libérer une telle personne lorsque les conditions de légalité de la rétention ne sont pas, ou plus, satisfaites, l’autorité judiciaire compétente doit prendre en considération l’ensemble des éléments, notamment factuels, portés à sa connaissance, tels que complétés ou éclairés dans le cadre de mesures procédurales qu’elle estimerait nécessaire d’adopter sur le fondement de son droit national, et, sur la base de ces éléments, relever, le cas échéant, la méconnaissance d’une condition de légalité découlant du droit de l’Union, quand bien même cette méconnaissance n’aurait pas été soulevée par la personne concernée. Cette obligation est sans préjudice de celle consistant, pour l’autorité judiciaire ainsi amenée à soulever d’office une telle condition de légalité, à inviter chacune des parties à s’exprimer sur cette condition conformément au principe du contradictoire [arrêt du 8 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Examen d’office de la rétention) , C‑704/20 et C‑39/21, EU:C:2022:858, point 88].
73 Dans ces conditions, et compte tenu des motifs figurant aux points 54 à 66 du présent arrêt, il y a lieu de considérer que l’autorité judiciaire compétente pour contrôler le placement ou le maintien en rétention d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier doit s’assurer, le cas échéant d’office, que le principe de non-refoulement ne s’oppose pas à l’éloignement de ce ressortissant. Dans l’hypothèse où elle devrait conclure que ce principe s’oppose à l’éloignement, elle serait tenue, conformément à l’article 15, paragraphe 2, quatrième alinéa, et paragraphe 4, de la directive 2008/115, de remettre immédiatement en liberté ledit ressortissant.
74 Il découle également de ce qui précède qu’une règle ou une pratique nationale en vertu de laquelle l’examen complet du principe de non‑refoulement ne peut être effectué que dans le cadre d’une procédure de protection internationale serait contraire aux articles 5 et 15 de la directive 2008/115, lus en combinaison avec l’article 19, paragraphe 2, de la Charte. En effet, cette directive, en ce compris son article 5, s’applique à tout ressortissant de pays tiers en situation de séjour irrégulier, indépendamment des motifs à l’origine de cette situation (voir, en ce sens, arrêts du 3 juin 2021, Westerwaldkreis , C‑546/19, EU:C:2021:432, point 45, ainsi que du 17 octobre 2024, Ararat , C‑156/23, EU:C:2024:892, points 32 et 40).
75 Ainsi, contrairement à la position exprimée par le gouvernement néerlandais lors de l’audience devant la Cour, il ne saurait être exigé de GB qu’il introduise une demande de protection internationale afin de se voir garantir le plein respect du principe de non-refoulement visé à l’article 5 de la directive 2008/115, lu en combinaison avec l’article 19, paragraphe 2, de la Charte (voir, par analogie, arrêt du 17 octobre 2024, Ararat , C‑156/23, EU:C:2024:892, point 41).
76 À la lumière des motifs qui précèdent, il convient de répondre à la première question que les articles 5 et 15 de la directive 2008/115, lus en combinaison avec l’article 6, l’article 19, paragraphe 2, et l’article 47 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’une juridiction nationale, appelée à contrôler la légalité du placement en rétention d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier, en vue de son éloignement en exécution d’une décision de retour définitive, est tenue d’examiner, le cas échéant d’office, si le principe de non-refoulement s’oppose à cet éloignement.
Sur la seconde question
77 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si les articles 5 et 15 de la directive 2008/115, lus en combinaison avec les articles 6 et 7, l’article 24, paragraphe 2, et l’article 47 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’une juridiction nationale, appelée à contrôler la légalité du placement en rétention d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier, en vue de son éloignement en exécution d’une décision de retour définitive, est tenue d’examiner, le cas échéant d’office, si l’intérêt supérieur de l’enfant et la vie familiale, visés respectivement à l’article 5, sous a) et b), de cette directive s’opposent à cet éloignement.
78 À cet égard, il convient de rappeler qu’il découle des motifs de la réponse à la première question que l’autorité judiciaire compétente pour contrôler le placement ou le maintien en rétention d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier en vertu de l’article 15 de la directive 2008/115 doit relever, le cas échéant d’office, la méconnaissance des conditions de légalité de la rétention fixées à cet article 15. Au titre de ces conditions de légalité, il lui incombe, entre autres, de vérifier s’il subsiste une perspective raisonnable d’éloignement de ce ressortissant d’un pays tiers sans que des considérations d’ordre juridique s’opposent à l’éloignement de celui-ci.
79 L’article 5 de la directive 2008/115, qui constitue, ainsi qu’il a été rappelé au point 59 du présent arrêt, une règle générale s’imposant aux États membres dès qu’ils mettent en œuvre cette directive et relève notamment des « considérations d’ordre juridique », au sens de l’article 15, paragraphe 4, de ladite directive, oblige les États membres à tenir dûment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, de la vie familiale et de l’état de santé du ressortissant concerné d’un pays tiers. À l’instar du principe de non-refoulement, ces intérêts doivent être dûment pris en compte à tous les stades de la procédure de retour, que ce soit, notamment, au moment de l’adoption d’une décision de retour, d’une décision d’interdiction d’entrée ou d’une mesure d’éloignement [voir, en ce sens, arrêts du 8 mai 2018, K.A. e.a. (Regroupement familial en Belgique) , C‑82/16, EU:C:2018:308, point 104 ; du 14 janvier 2021, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Retour d’un mineur non accompagné) , C‑441/19, EU:C:2021:9, point 44 ; du 22 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Éloignement – Cannabis thérapeutique) , C‑69/21, EU:C:2022:913, point 91, ainsi que du 27 avril 2023, M.D. (Interdiction d’entrée en Hongrie) , C‑528/21, EU:C:2023:341, points 89 à 91], ou encore lors de la rétention à des fins d’éloignement.
80 Il s’ensuit que, au titre de l’examen des conditions de légalité de la rétention, il appartient à l’autorité judiciaire compétente de vérifier, le cas échéant d’office, si, d’une part, lesdits intérêts s’opposent à la rétention en tant que telle du ressortissant concerné d’un pays tiers en séjour irrégulier et, d’autre part, si les mêmes intérêts s’opposent à l’éloignement de celui-ci, en exécution d’une décision de retour définitive.
81 Cette interprétation est confortée par la finalité poursuivie par l’article 5 de la directive 2008/115. En effet, comme le confirment les considérants 22 et 24 de cette directive, cet article 5 vise à garantir, dans le cadre de la procédure de retour établie par ladite directive, le respect de plusieurs droits fondamentaux, dont le droit à la vie familiale et les droits fondamentaux de l’enfant, tels qu’ils sont consacrés, respectivement, aux articles 7 et 24 de la Charte. Il s’ensuit que, au vu de l’objectif qu’il poursuit, ledit article 5 ne saurait être interprété de manière restrictive [voir, en ce sens, arrêt du 11 mars 2021, État belge (Retour du parent d’un mineur) , C‑112/20, EU:C:2021:197, point 35].
82 Cela étant, contrairement à la protection contre tout traitement inhumain et dégradant, consacrée à l’article 4 de la Charte, les droits garantis aux articles 7 et 24 de cette dernière n’ont pas un caractère absolu et peuvent dès lors faire l’objet de restrictions dans les conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte [arrêt du 22 février 2022, Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (Unité familiale – Protection déjà accordée) , C‑483/20, EU:C:2022:103, point 36].
83 En outre, il convient de rappeler qu’il incombe au ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier un devoir de coopération loyale en vertu duquel celui-ci doit informer, dans les meilleurs délais, l’autorité nationale compétente de toute évolution pertinente concernant sa vie familiale [voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2018, K.A. e.a. (Regroupement familial en Belgique) , C‑82/16, EU:C:2018:308, points 103 à 105].
84 À la lumière des motifs qui précèdent, il convient de répondre à la seconde question que les articles 5 et 15 de la directive 2008/115, lus en combinaison avec les articles 6 et 7, l’article 24, paragraphe 2, et l’article 47 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’une juridiction nationale, appelée à contrôler la légalité du placement en rétention d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier, en vue de son éloignement en exécution d’une décision de retour définitive, est tenue d’examiner, le cas échéant d’office, si l’intérêt supérieur de l’enfant et la vie familiale, visés respectivement à l’article 5, sous a) et b), de cette directive, s’opposent à cet éloignement.
Sur les dépens
85 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :
1) Les articles 5 et 15 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, lus en combinaison avec l’article 6, l’article 19, paragraphe 2, et l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
doivent être interprétés en ce sens que :
une juridiction nationale, appelée à contrôler la légalité du placement en rétention d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier, en vue de son éloignement en exécution d’une décision de retour définitive, est tenue d’examiner, le cas échéant d’office, si le principe de non-refoulement s’oppose à cet éloignement.
2) Les articles 5 et 15 de la directive 2008/115, lus en combinaison avec les articles 6 et 7, l’article 24, paragraphe 2, et l’article 47 de la charte des droits fondamentaux,
doivent être interprétés en ce sens que :
une juridiction nationale, appelée à contrôler la légalité du placement en rétention d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier, en vue de son éloignement en exécution d’une décision de retour définitive, est tenue d’examiner, le cas échéant d’office, si l’intérêt supérieur de l’enfant et la vie familiale, visés respectivement à l’article 5, sous a) et b), de cette directive, s’opposent à cet éloignement.
Signatures
* Langue de procédure : le néerlandais.
i Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.