Timur Sharipov c. Russie
Doc ref: 15758/13 • ECHR ID: 002-13788
Document date: September 13, 2022
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Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 266
Septembre 2022
Timur Sharipov c. Russie - 15758/13
Arrêt 13.9.2022 [Section III]
Article 10
Article 10-1
Liberté d'expression
Autorités internes restées en défaut de fournir des motifs pertinents et suffisants pour justifier la décision d’expulser un observateur électoral d’un bureau de vote : violation
En fait – Le requérant avait été nommé observateur électoral par un parti politique, qui l’avait chargé d’observer les élections législatives russes dans un bureau de vote de secteur de Moscou.
Le jour du scrutin, la commission électorale de secteur (la « CES ») dont dépendait ce bureau de vote rendit une décision établissant des règles qui limitaient les possibilités de filmer les fonctionnaires ainsi que les événements survenant dans le bureau. Le requérant filma le scrutin ; par la suite, alors qu’il filmait le dépouillement, la CES constata qu’il avait enfreint lesdites règles à plusieurs reprises. Elle rédigea deux procès-verbaux puis ordonna, au motif des irrégularités en question, qu’un policier fît sortir l’intéressé du bureau de vote. Le requérant soutient qu’il a été expulsé pour avoir filmé de graves violations de la procédure de la part des membres de la CES et que celle-ci a par la suite ordonné l’expulsion des autres observateurs également.
Le requérant contesta en vain devant les tribunaux la régularité de son expulsion du bureau de vote. Il forma par la suite un appel dont il fut également débouté.
En droit – Article 10 :
a) Sur l’applicabilité de l’article 10 – C’est à des fins de collecte d’informations en vue de leur diffusion au public que le requérant avait été désigné par un parti politique pour surveiller le scrutin en qualité d’observateur électoral. Il s’agissait là d’un aspect essentiel de ses fonctions qui répondait à un intérêt public important, à savoir la liberté et la transparence des élections. Eu égard à l’importance fondamentale dans toute société démocratique de la tenue d’élections libres et transparentes et au rôle essentiel que jouent les partis politiques dans le processus électoral, la Cour considère que dans le cadre de sa mission d’observateur le requérant exerçait sa liberté d’expression en tant que « chien de garde public » au sein d’une société démocratique et que son activité, comparable du point de vue de son importance à celle de la presse, relevait par conséquent du champ d’application de la protection accordée par l’article 10.
b) Sur le fond – L’expulsion du requérant du bureau de vote, qui l’a empêché d’exercer sa fonction d’observateur électoral, s’analyse en une ingérence dans l’exercice par lui de son droit à la liberté d’expression. La Cour considère qu’il n’y a pas lieu de déterminer si cette ingérence était prévue par la loi car, même à supposer qu’elle visât les buts légitimes que constituent la défense de l’ordre et la protection des droits d’autrui, elle n’était, pour les raisons exposées ci-dessous, pas « nécessaire dans une société démocratique ».
Eu égard à l’importance du rôle que le requérant, en tant qu’observateur électoral, jouait en faveur d’un processus électoral démocratique et de la protection des droits de l’homme, il bénéficiait, du fait de son statut, d’une protection au titre de l’article 10 renforcée, qui était essentielle pour qu’il pût accomplir effectivement ses tâches d’information et de contrôle. Pareille protection n’est toutefois pas absolue, et elle ne peut dispenser les observateurs électoraux de se conformer aux « devoirs et responsabilités » qui découlent du paragraphe 2 de l’article 10. La Cour doit donc déterminer si les raisons qui ont été avancées par les autorités pour justifier l’expulsion du requérant du bureau de vote étaient « pertinentes et suffisantes » :
- La décision de la CES ne contenait aucune information, même élémentaire, quant aux irrégularités qui étaient reprochées au requérant. Malgré les difficultés objectives liées au fait que la CES a rédigé sa décision sur le moment, cela ne la dispensait pas de décrire les circonstances factuelles dans lesquelles elle rendait cette décision. Cette description était nécessaire pour assurer la clarté du compte rendu des événements, qui constituait une garantie importante contre l’arbitraire et une condition préalable indispensable à tout examen approfondi de l’affaire.
- Les juridictions internes n’ont pas remédié au manque d’éléments factuels. Elles n’ont en particulier pas démontré de quelle manière le requérant était censé avoir entravé le travail de la CES. Elles n’ont pas non plus examiné la mesure dans laquelle les irrégularités alléguées étaient censées avoir fait obstacle à la procédure, ni la question de savoir si la perturbation éventuelle était suffisamment grave pour justifier l’expulsion d’un observateur ou si l’adoption d’une autre mesure, consistant par exemple à simplement interdire au requérant de filmer, aurait pu suffire.
En conséquence, les autorités n’ont pas justifié par des raisons « pertinentes et suffisantes » l’application des mesures litigieuses.
Conclusion : violation (six voix contre une).
Article 41 : 2 000 EUR pour dommage moral.
(Voir aussi Pentikäinen c. Finlande [GC], n o 11882/10, 20 octobre 2015, résumé juridique ; Magyar Helsinki Bizottság c. Hongrie [GC], n o 18030/11, 8 novembre 2016, résumé juridique ; Szurovecz c. Hongrie , n o 15428/16, 8 octobre 2019, résumé juridique ; Mándli et autres c. Hongrie , n o 63164/16, 26 mai 2020, résumé juridique )
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