ASBL EGLISE DE SCIENTOLOGIE v. BELGIUM
Doc ref: 43075/08 • ECHR ID: 001-109330
Document date: December 15, 2011
- 1 Inbound citations:
- •
- 0 Cited paragraphs:
- •
- 0 Outbound citations:
DEUXIÈME SECTION
Requête n o 43075/08 ASBL EGLISE DE SCIENTOLOGIE contre la Belgique
EXPOSÉ DES FAITS
EN FAIT
La requérant e , l ’ association sans but lucratif (« ASBL ») Eglise de Scientologie , est un e personne morale de droit belge dont le siège social se trouve à Bruxelles . Elle est représenté e devant la Cour par M e Pascal Vanderveeren , avocat à Bruxelles .
A. Les circonstances de l ’ espèce
Les faits de la cause, tels qu ’ ils ont été exposés par l a requérant e , peuvent se résumer comme suit.
1. La première plainte de la requérante
Une instruct ion fut ouverte en 1997 contre la requérante pour escroquerie et abus de confiance.
Dans le contexte notamment de perquisitions effectuées en octobre 1999 au siège de la requérante, plusieurs quotidiens publièrent des commentaires du substitut du procureur du Roi C.C. mettant la requérante en cause. Cette dernière se réfère à cet égard aux articles suivants :
- un article publié le 2 octobre 1999 dans « Le Soir », selon lequel ledit substitut avait « révélé que les enquêteurs avaient mis la main sur de nombreux dossiers personnels d ’ adeptes, dossiers qui, réalisés à la main puis informatisés, sembl [aient] pouvoir être en contravention avec la loi sur la protection de la vie privée : on y trouve notamment certaines pièces de type médical et, bien sûr, les profils psychologiques des clients » ;
- un article publié à la même date dans « La Lanterne », attribuant ces propos audit substitut : « si l ’ ASBL avance à visage découvert en tant qu ’ Eglise (...) les différentes sociétés qui gravitent autour ont par contre un but indéniablement commercial. Et de nombreuses entreprises se sont laissées avoir ! (...) Ces gens-là sont là pour faire du bénéfice sous le couvert d ’ une association sans but lucratif » ;
- également publié le 2 octobre, un article dans le « Niewsblad », indiquant que « le magistrat bruxellois [C.C. avait] expliqué vendredi matin que l ’ Eglise de scientologie [avait] également commis des violations de la loi sur la protection de la vie privée » (traduit du néerlandais par la requérante) ;
- un article publié le 17 mars 2000 dans « De Morgen », d ’ après lequel : « l ’ Eglise de scientologie détient de manière illégale des données personnelles et médicales relatives à ses membres. C ’ est ce qu ’ a confirmé le substitut [C.C.] (...) au « Morgen » (...) Le substitut [C.C.] ne peut, en raison de l ’ enquête en cours, pas encore affirmer formellement que l ’ Eglise de scientologie est une secte « mais si on prend les critères que la commission d ’ enquête parlementaire a établis pour déterminer ce qui est une secte, l ’ Eglise de scientologie obtiendrait 8 sur 10 » » (traduit du néerlandais par la requérante).
Le 23 mars 2000, dénonçant les propos rapportés dans l ’ article du « Morgen » ci-dessus, la requérante déposa devant le procureur du Roi une plainte contre X pour, notamment, violation de la présomption d ’ innocence. La plainte fit l ’ objet d ’ un classement sans suite.
2. La deuxième plainte
Le 19 février 2002, parut dans « La libre Belgique » un article intitulé « la justice belge accuse l ’ Eglise de scientologie » et sous-titré « la cour d ’ appel de Bruxelles a déclaré les fichiers de la secte illégaux. Alors que l ’ enquête proprement dite avance bien ». Il indique notamment que la chambre des mises en accusation de cette juridiction avait, en janvier 2002, décidé « que les dossiers personnels des adeptes ne seraient pas rendus à la secte (classée comme dangereuse par le Parlement, en 1997) » et « expliqué pourquoi la scientologie s ’ était clairement mise dans l ’ illégalité en entretenant des fichiers de données très, très personnelles sur les adeptes ».
Une décision rendue à huis clos par la chambre des mises en accusation étant ainsi révélée, la requérante déposa, en juin 2002, une plainte contre X avec constitution de partie civile pour violation du secret d ’ instruction. Elle fut déclarée irrecevable le 24 octobre 2002 dès lors qu ’ une plainte relative à de tels faits était nécessairement dirigée contre un magistrat.
3. La troisième plainte
Plusieurs articles relatifs à la requérante et faisant état de l ’ instruction en cours furent publiés en 2006 dans « Le Vif-L ’ Express », « De Morgen », « le Soir » et « Le Soir magazine », ainsi qu ’ une dépêche de l ’ agence Belga.
Le 25 mai 2006, soulignant que ces articles se basaient sur des informations obtenues du Parquet fédéral (l ’ agence Belga et « De Morgen ») ou de proches du dossier judiciaire (« Le Soir »), la requérante déposa un plainte contre X devant le Procureur fédéral pour, notamment, violation de la présomption d ’ innocence. Aucune suite ne fut donnée.
4. La quatrième plainte
Des articles furent encore publiés à l ’ automne 2007, dans la presse belge et internationale. La requérante site à cet égard un article paru le 4 novembre 2007 dans un quotidien de Floride, le « Saint Petersburg Times » intitulé « La Belgique en procès contre la Scientologie ; le Ministère public qualifie l ’ Eglise d ’ organisation criminelle », indiquant ceci : « je dis toujours qu ’ une personne est innocente jusqu ’ à la preuve de sa culpabilité, mais nous avons réellement assez d ’ éléments et de témoignages pour les poursuivre en raison d ’ un certain nombre de crimes et délits a déclaré [L.P.], porte-parole de l ’ Office belge du Procureur fédéral ».
La requérante déposa une nouvelle plainte devant le Procureur général le 2 janvier 2008, qui la transmit au Procureur fédéral. Aucune suite ne fut donnée.
5 La saisine de la chambre des mises en accusations et la procédure subséquente
Entre-temps, le 21 septembre 2007, la requérante avait saisi la chambre des mises en accusations de la cour d ’ appel de Bruxelles sur le fondement des articles 136, alinéa 2, et 235 bis, § 2, du code d ’ instructions criminelle, d ’ une demande tendant à ce qu ’ elle déclare irrecevables les poursuites la concernant, au motif que les déclarations du ministère public à la presse, objet d ’ une « médiatisation persistante et fautive », violaient le secret de l ’ instruction, méconnaissaient la présomption d ’ innocence et portaient atteinte au droit à un procès équitable.
Le 11 octobre 2007, la chambre des mises en accusation déclara la requête recevable mais non fondée par un arrêt ainsi motivé :
« (...) Attendu qu ’ il n ’ apparaît pas des pièces auxquelles la cour peut avoir égard que les communications du procureur fédéral à la presse n ’ auraient pas respecté les conditions énumérées à l ’ article 28 quinquies § 3 du code d ’ instruction criminelle, ni que le procureur fédéral aurait communiqué des informations sans que l ’ intérêt public l ’ exige et sans l ’ accord du juge d ’ instruction (article 57 § 3 du code de l ’ instruction criminelle ) ; que les communications faites à la presse par le ministère public trouvent leur fondement dans le droit à l ’ information du citoyen et doivent répondre à cette exigence d ’ intérêt public et tenant la balance égale avec les autres droits et intérêts en jeu ; qu ’ il s ’ ensuit que le secret de l ’ instruction n ’ a pas été violé ;
Attendu qu ’ il n ’ apparaît pas davantage que la présomption d ’ innocence de la requérante serait violée ; qu ’ une telle violation ne saurait se déduire de la seule circonstance que le procureur fédéral, qui sollicite le renvoi de la requérante devant le tribunal correctionnel, a communiqué des informations à la presse conformément au prescrit des articles 28 quinquies § 3 et 57 § 3 du code d ’ instruction criminelle ; qu ’ il n ’ a pas été porté atteinte à la présomption d ’ innocence de la requérante qui pourra faire valoir tous ses moyens de défense devant les juridictions d ’ instruction et (en cas de renvoi) devant les juridictions du fond ;
Attendu qu ’ il n ’ y a pas davantage violation du droit à un procès équitable du fait d ’ une médiatisation persistante et fautive ; que si les faits dont la requérante est soupçonnée ont certes fait l ’ objet d ’ une certaine médiatisation, il est exagéré de qualifier celle-ci de persistante et fautive ; qu ’ en outre, le procureur fédéral ne peut être tenu pour responsable de tout ce qui a été publié dans la presse ; que rien ne permet de supposer que cette médiatisation serait de nature à influencer l ’ impartialité des juges appelés à se prononcer sur le fondement des poursuites ;
Attendu qu ’ enfin, il ne ressort pas de l ’ article 13 de la [Convention], ni d ’ aucune autre disposition légale, que les violations alléguées, à les supposer établies ( quod non ), entraîneraient l ’ irrecevabilité des poursuites (...) ».
Invoquant notamment les articles 6 §§ 1 et 2 et 13 de la Convention, la requérante forma un pourvoi, que la Cour de cassation rejeta par un arrêt du 27 février 2008. Elle jugea notamment ce qui suit :
« (...) Le respect du principe général du droit relatif à la présomption d ’ innocence, consacré par l ’ article 6 § 2 de la Convention (...), qui s ’ impose notamment au juge appelé à statuer sur le bien-fondé de l ’ accusation, s ’ apprécie au regard de l ’ ensemble de la procédure.
Ni d ’ une campagne médiatique, ni des déclarations émanant d ’ autorités publiques, ni de la reproduction dans la presse de certains extraits du dossier répressif, il ne saurait se déduire, avant même le règlement de la procédure, qu ’ en cas de renvoi devant la juridiction de jugement, les magistrats composant celle-ci méconnaîtront la présomption d ’ innocence ou s ’ avéreront incapables de statuer de manière indépendante et impartiale.
(...) Pour apprécier si une cause a été entendue équitablement au sens de l ’ article 6 § 1 de la Convention (...), il convient d ’ avoir égard à la procédure dans son ensemble.
Si l ’ article 6 peut être invoqué dès la phase préparatoire d ’ un procès pénal, il ne s ’ en déduit pas que le respect de ses dispositions ne puisse être également vérifié quant à la procédure suivie, le cas échéant, devant la juridiction de jugement.
Une chambre des mises en accusation appelée à statuer sur la régularité d ’ une instruction en cours peut, dès lors, sans violer les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, considérer que les violations alléguées ne sont pas de nature à empêcher, à l ’ en supposer saisi, le déroulement d ’ un procès équitable devant le juge du fond. (...) ».
B. Le droit interne pertinent
Les articles 57 § 3, 136 et 235 bis du code d ’ instruction criminelle sont ainsi libellés :
Article 57 § 3
« § 3. Le procureur du Roi peut, de l ’ accord du juge d ’ instruction et lorsque l ’ intérêt public l ’ exige, communiquer des informations à la presse. Il veille au respect de la présomption d ’ innocence, des droits de la défense des inculpés, des victimes et des tiers, de la vie privée et de la dignité des personnes. Dans la mesure du possible, l ’ identité des personnes citées dans le dossier n ’ est pas communiquée. »
Article 136
« La chambre des mises en accusation contrôle d ’ office le cours des instructions, peut demander des rapports sur l ’ état des affaires et peut prendre connaissance des dossiers. Elle peut déléguer un de ses membres et statuer conformément aux articles 235 et 235bis.
Si l ’ instruction n ’ est pas clôturée après une année, la chambre des mises en accusation peut être saisie par requête adressée au greffe de la cour d ’ appel par l ’ inculpé ou la partie civile. La chambre des mises en accusation agit conformément à l ’ alinéa précédent et à l ’ article 136bis. La chambre des mises en accusation statue sur la requête par arrêt motivé, qui est communiqué au procureur général, à la partie requérante et aux parties entendues. Le requérant ne peut déposer de requête ayant le même objet avant l ’ expiration du délai de six mois à compter de la dernière décision. »
Article 235 bis
« § 1er. Lors du règlement de la procédure [d ’ instruction], la chambre des mises en accusation contrôle, sur la réquisition du ministère public ou à la requête d ’ une des parties, la régularité de la procédure qui lui est soumise. Elle peut même le faire d ’ office.
§ 2. La chambre des mises en accusation agit de même, dans les autres cas de saisine. (...) ».
GRIEF S
Invoquant l ’ article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint d ’ une violation de son droit à un procès équitable résultant du fait que, par ses déclarations aux médias, le ministère public a fait connaître publiquement son opinion sur les faits imputés à l ’ intéressée avant la présentation du réquisitoire dans le cadre du règlement de la procédure.
Invoquant l ’ article 6 § 2 de la Convention, la requérant e se plaint du fait qu ’ au mépris de la présomption d ’ innocence, le parquet fédéral a fait des déclarations publiques reflétant le sentiment de sa culpabilité.
RENSEIGNEMENTS RELATIFS AUX FAITS ET DOCUMENTS
La Cour invite le Gouvernement à préciser à quel stade en est la procédure interne consécutive à l ’ instruction ouverte en 1997 pour escroquerie et abus de confiance, et à produire une copie des d écisions rendues dans ce cadre.
QUESTION AUX PARTIES
Y a-t-il eu, au détriment de la requérante, méconnaissance de la présomption d ’ innocence et violation de l ’ article 6 § 2 de la Convention à raison de déclarations publiques de membres du Parquet fédéral ?