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OOO OZON MEDIA c. RUSSIE

Doc ref: 75388/14 • ECHR ID: 001-217721

Document date: May 10, 2022

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OOO OZON MEDIA c. RUSSIE

Doc ref: 75388/14 • ECHR ID: 001-217721

Document date: May 10, 2022

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TROISIÈME SECTION

DÉCISION

Requête n o 75388/14 OOO OZON MEDIA contre la Russie

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant le 10 mai 2022 en un comité composé de :

Darian Pavli, président, Andreas Zünd, Mikhail Lobov, juges, et de Olga Chernishova, greffière adjointe de section ,

Vu :

la requête n o 75388/14 contre la Russie et dont une société de cet État, OOO Ozon Media (« la société requérante ») immatriculée en 2012 et ayant son siège à Moscou, a saisi la Cour le 1 er décembre 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement russe (« le Gouvernement »), représenté d’abord par M. M. Galperine, ancien représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, puis par M. M. Vinogradov, son successeur dans cette fonction,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

En 1992, l’administration municipale d’Irganaï (district Untsukulski, république de Daguestan) conféra à M me A. le droit de possession viagère transmissible ( пожизненно наследуемое владение ) sur deux parcelles agricoles. L’intéressée ne convertit jamais ce droit en droit de propriété.

À différentes dates, les autorités républicaines adoptèrent des actes relatifs à la création d’un lac de barrage à Irganaï par inondation de plusieurs parcelles dont celles de M me A. En juillet 2008, les parcelles en question furent inondées et devinrent partie du lac de barrage – propriété fédérale.

En juin 2013, une société privée prépara, à la demande de M me A., un rapport estimatif du manque à gagner ( заключение по определению величины упущенной выгоды ) résultant de l’expropriation des parcelles de l’intéressée. Selon le rapport, M me A. n’étant pas propriétaire des parcelles, elle ne pouvait pas prétendre à une indemnité pécuniaire correspondant à la valeur de celles-ci, et le préjudice réel ne faisait pas l’objet d’appréciation dans le rapport. Le rapport calculait en revanche un manque à gagner représentant un bénéfice qui aurait été généré par la vente, pendant quarante ans, des fruits et légumes récoltés sur les parcelles en question. Ce manque à gagner s’élevait, selon le rapport, à 5 800 669 roubles (RUB).

En juillet 2013, M me A conclut avec la société requérante un contrat en vertu duquel elle lui cédait, pour 4 500 000 RUB, toutes prétentions envers l’État relatives à la réparation du préjudice réel et du manque à gagner ( право требования (...) убытков и упущенной выгоды ) causés par l’inondation des parcelles.

Toujours en juillet 2013, la société requérante formula une action en justice contre l’État en demandant l’allocation de 5 800 669 RUB pour manque à gagner. Elle s’appuyait sur le rapport estimatif et sur le contrat de cession des prétentions susmentionnés.

Par un jugement du 10 février 2014, le tribunal de commerce de Moscou rejeta l’action. Après avoir cité différentes dispositions du code civil et du code de procédure commerciale, il indiqua que la demande n’était pas fondée dans son principe et quant au montant ( не доказаны основания и размер упущенной выгоды ).

Le 13 mai et le 19 août 2014 respectivement, la 9 e cour de commerce d’appel et la cour de commerce de la circonscription de Moscou confirmèrent le jugement en appel et en cassation.

APPRÉCIATION DE LA COUR

La société requérante se plaint que M me A. ait été privée sans indemnisation des parcelles qu’elle avait possédées avant la création du lac de barrage. Elle invoque l’article 1 du Protocole n o 1 à la Convention dont la partie pertinente est ainsi libellée :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. »

Les parties présentent différents arguments sur le fond du grief. La Cour estime toutefois non nécessaire de se prononcer sur ces arguments car la requête est en tout état de cause irrecevable pour les raisons qui suivent.

Elle rappelle d’abord que, par « victime », l’article 34 de la Convention désigne la personne directement concernée par l’acte ou l’omission litigieux. La notion de « victime » est interprétée de façon autonome et indépendante des règles de droit interne telles que l’intérêt à agir ou la qualité pour agir ( Gorraiz Lizarraga et autres c. Espagne , n o 62543/00, § 35, CEDH 2004 ‑ III, et Kalfagiannis et Pospert c. Grèce (déc.), n o 74435/14, §§ 39 et 44-48, 9 juin 2020, avec les références qui y sont citées). Elle rappelle également qu’un requérant ne peut alléguer une violation de l’article 1 du Protocole n o 1 à la Convention que dans la mesure où les actes qu’il conteste se rapportent à ses « biens » au sens de cette disposition. Ainsi, la personne qui se plaint d’une violation de ses droits protégés par l’article 1 du Protocole n o 1 doit d’abord démontrer qu’elle était titulaire de tels droits (voir, par exemple, Arsimikov et Arsemikov c. Russie , n o 41890/12, § 46, 9 juin 2020, et les références qui y sont citées).

En l’espèce, la Cour est prête à accepter que les parcelles litigieuses, sur lesquelles M me A. détenait le droit de possession viagère transmissible, constituaient les « biens » de cette dernière, au sens de l’article 1 du Protocole n o 1. La mesure litigieuse d’expropriation sans indemnisation a visé M me A. Partant, la requérante dénonce une mesure visant une autre personne et les biens de celle-ci – victime directe au sens de l’article 34 de la Convention.

La Cour observe que, près de cinq ans après l’ingérence, la victime directe a vendu à la société requérante un droit de demander aux autorités l’indemnisation du préjudice causé par l’expropriation. La Cour analysera donc si ce contrat de cession a conféré à la requérante la qualité de victime.

Tout d’abord, en ce qui concerne l’indemnisation du préjudice réel prévue par ledit contrat, elle constate que M me A. n’étant pas propriétaire des parcelles, elle ne bénéficiait pas d’un droit à une indemnisation pécuniaire correspondant à la valeur de ces parcelles, et ne pouvait donc pas céder de telle prétention à la société requérante. Au demeurant, cette dernière n’a pas demandé une telle indemnisation au niveau interne.

En ce qui concerne la réparation pour un manque à gagner, la Cour ne peut que constater que la société requérante n’a personnellement subi aucun manque à gagner résultant d’une impossibilité de vendre des légumes récoltés sur les parcelles litigieuses, et encore moins sur la période de quarante ans (comparer avec une situation différente d’une cession du droit de propriété sur du fioul dans l’affaire Novikov c. Russie , n o 35989/02, §§ 31-38, 18 juin 2009). Ayant acheté des « prétentions » plusieurs années après l’ingérence, la société requérante – personne morale agissant dans le cadre d’une activité professionnelle – a pris consciemment un risque inhérent à cette transaction commerciale (voir aussi, pour un raisonnement similaire, OOO Rusatommet n o 2 c. Russie (déc.), n o 12064/04, 27 novembre 2008).

La Cour considère que le fait que l’action au civil introduite par la société requérante n’ait pas été rejetée par les tribunaux internes pour défaut de la qualité d’agir ne suffit pas, à lui seul, pour lui conférer la qualité de victime d’une violation conventionnelle ( Kalfagiannis et Pospert , précité, § 47), et cela indépendamment de la validité du contrat de cession au regard du droit interne (Nassau Verzekering Maatschappij N.V. c. Pays-Bas (déc.), n o 57602/09, § 25, 4 octobre 2011).

Elle estime que, dans ces circonstances, reconnaître à la société requérante la qualité de victime ne cadrerait pas avec la nature de la Convention, instrument protégeant les droits fondamentaux ( ibidem ).

La Cour conclut partant que la société requérante ne peut pas se prétendre victime d’une violation conventionnelle et que sa requête est donc irrecevable ratione personae , en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 2 juin 2022.

Olga Chernishova Darian Pavli Greffière adjointe Président

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