SEBBAR c. BELGIQUE
Doc ref: 62893/15 • ECHR ID: 001-217909
Document date: May 17, 2022
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TROISIÈME SECTION
DÉCISION
Requête n o 62893/15 Abdellah SEBBAR contre la Belgique
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant le 17 mai 2022 en un comité composé de :
María Elósegui, présidente, Andreas Zünd, Frédéric Krenc, juges, et de Olga Chernishova, greffière adjointe de section ,
Vu :
la requête (n o 62893/15) contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant marocain, M. Abdellah Sebbar (« le requérant »), né en 1986 et détenu à Châtelet, représenté par M e N. Cohen, avocat à Bruxelles, a saisi la Cour le 18 décembre 2015 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement belge (« le Gouvernement »), représenté par son agente, Mme I. Niedlispacher, du service public fédéral de la Justice,
les observations des parties,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
OBJET DE l’AFFAIRE
1. Le requérant entra en Belgique en 2002, à l’âge de seize ans, dans le cadre d’un regroupement familial avec son père et se vit octroyer une autorisation de séjour à ce titre.
2. Entre 2008 et 2012, il fit l’objet de plusieurs condamnations : une peine d’emprisonnement de dix mois avec sursis pour infraction à la loi sur les stupéfiants, une peine de cinq ans de réclusion du chef de participation à un vol et un meurtre pour faciliter le vol et une peine d’emprisonnement de dix mois pour coups et blessures.
3. Le 14 octobre 2013, le requérant épousa en prison une ressortissante belge.
4. Malgré un avis défavorable de la commission consultative des étrangers, un arrêté royal d’expulsion avec interdiction d’entrée sur le territoire belge pendant dix ans fut adopté le 19 décembre 2014. Au vu de la nature des faits, de leur gravité et de leur multiplicité, de la violence dont le requérant avait fait preuve et de son mépris manifeste pour l’intégrité d’autrui, il a été considéré que le requérant constituait une menace grave et actuelle pour l’ordre public. Ces considérations justifiaient, selon l’arrêté royal, l’ingérence dans sa vie familiale et privée. Cette décision eut pour effet de retirer au requérant le droit de séjourner légalement en Belgique.
5. Le Conseil de contentieux des étrangers (« CCE ») rejeta le recours en suspension et en annulation introduit par le requérant dans un arrêt du 24 avril 2015 au motif que l’arrêté avait mis en balance la sauvegarde de l’ordre public et les intérêts personnels et familiaux que le requérant avait portés à la connaissance de l’administration pour faire prévaloir la première eu égard à la gravité des faits. Les considérations d’ordre public étaient justifiées tant par le passé judiciaire du requérant, que par son comportement personnel observé ensuite. Quant aux éléments fournis à l’appui du recours et attestant de la volonté et des efforts du requérant de se réinsérer socio ‑ professionnellement, il y avait lieu de constater que plusieurs d’entre eux, bien qu’antérieurs à l’arrêté litigieux, n’avaient pas été portés à la connaissance de l’administration avant son adoption. Le pourvoi en cassation administrative contre cet arrêt fut déclaré inadmissible par une ordonnance du Conseil d’État du 16 juin 2015.
6. Le 1 er septembre 2015, l’office des étrangers (« OE ») prit une décision de non prise en considération de la demande de regroupement familial en tant que conjoint d’un ressortissant belge que le requérant avait introduite en soumettant la preuve des ressources financières de son épouse, une attestation de formation et une promesse d’embauche.
7. Le 16 janvier 2017, jour de sa libération, un ordre de quitter le territoire (« OQT ») fut notifié au requérant. Il indiquait que le fait que la famille du requérant séjournait en Belgique ne pouvait être retenu dès lors qu’il avait commis des infractions qui avaient nui à l’ordre public. Le CCE rejeta le recours contre l’OQT le 30 août 2017 au motif que le requérant n’avait pas d’intérêt légitime au recours. L’OQT s’analysant comme une mesure d’exécution de l’arrêté royal d’expulsion, il appartenait au requérant de faire valoir les éléments liés à sa vie privée et familiale dans le cadre d’une demande de levée ou de suspension de l’arrêté royal d’expulsion qui est seul à l’origine de son éloignement.
8. Le 29 janvier 2019, le requérant fut placé sous mandat d’arrêt et le 10 avril 2020, il fut à nouveau condamné à une peine de huit ans de prison pour détention d’armes prohibées et infraction à la loi sur les stupéfiants. Le requérant est en détention en exécution de cette condamnation.
9. Devant la Cour, le requérant se plaint qu’en décidant de son expulsion, les autorités internes n’ont pas procédé à une analyse circonstanciée de la proportionnalité de la mesure d’éloignement en violation de l’article 8 de la Convention dès lors qu’elles ont fait prévaloir la protection de l’ordre public sans une évaluation de l’ensemble des éléments étayant sa situation personnelle et familiale.
L’APPRÉCIATION DE LA COUR
10. Le Gouvernement reproche au requérant de ne pas avoir introduit une demande de levée ou de suspension de l’arrêté royal d’expulsion et de l’interdiction d’entrée sur le territoire belge. Le requérant fait valoir que la loi belge n’autorise une telle demande qu’après l’écoulement d’une période de deux ans suivant l’exécution de l’arrêté d’expulsion.
11. La Cour n’estime pas nécessaire de se prononcer sur cette exception d’irrecevabilité car, en tout état de cause, la requête est irrecevable pour un autre motif.
12. Le requérant est arrivé en Belgique en 2002 durant l’adolescence et a été admis au séjour sur la base du regroupement familial avec son père jusqu’à l’arrêté d’expulsion en 2014. Il peut donc être considéré comme établi en Belgique (voir Pormes c. Pays-Bas , n o 25402/14, § 52, 28 juillet 2020).
13. Il n’est pas contesté que l’arrêté d’expulsion litigieux pris à l’encontre du requérant constituait une ingérence dans son droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention, qu’elle était prévue par la loi et visait la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales.
14. L’arrêté royal d’expulsion du 19 décembre 2014 a pris note de la durée du séjour du requérant, ainsi que de sa vie privée et familiale en Belgique, mais a considéré que la menace très grave résultant pour l’ordre public du passé judiciaire et du comportement du requérant était telle que les intérêts familiaux et personnels de celui-ci ne pouvaient prévaloir sur la sauvegarde de l’ordre public. Le CCE a ensuite considéré que l’autorité administrative avait correctement motivé sa décision au regard de l’article 8 de la Convention et qu’il ne pouvait lui être reproché de ne pas avoir tenu compte d’éléments qui ne figuraient pas au dossier administratif du requérant. Le Conseil d’État a validé ce raisonnement.
15. Contrairement à l’affaire Makdoudi c. Belgique (n o 12848/15, §§ 96 ‑ 97, 18 février 2020), la Cour n’a aucune raison de remettre en cause ces décisions au regard des exigences de sa jurisprudence relative à l’article 8 de la Convention ( Ãœner c. Pays-Bas [GC], n o 46410/99, §§ 54 ‑ 55 et §§ 57 ‑ 58, CEDH 2006-XII, et Maslov c. Autriche [GC], n o 1638/03, §§ 68 ‑ 76, CEDH 2008 ; voir également, et parmi d’autres, Emre c. Suisse , n o 42034/04, §§ 65-71, 22 mai 2008, Saber et Boughassal c. Espagne , n os 76550/13 et 45938/14, § 40, 18 décembre 2018, et Munir Johana c. Danemark , n o 56803/18, §§ 42-47, 12 janvier 2021).
16. La circonstance, invoquée par le requérant, que les éléments produits postérieurement à la décision d’expulsion et attestant, selon lui, de sa volonté de réintégration socio ‑ professionnelle et de sa prise de conscience de la gravité des faits, n’est pas de nature à altérer ce constat (voir , a contrario, Makdoudi , précité, §§ 93-94). La Cour observe à cet égard que, postérieurement à l’arrêté d’expulsion, le requérant a été condamné pour des faits graves (paragraphe 8 ci-dessus), ce qui renforce les considérations d’ordre public mises en exergue par les autorités internes compétentes et tend à contredire la prise de conscience invoquée par le requérant.
17. Par ailleurs, la Cour note que le requérant est arrivé à l’âge de seize ans en Belgique et rien ne permet d’établir qu’il n’a plus de lien avec le Maroc où il a passé son enfance et une partie de son adolescence. Il n’y a pas davantage d’éléments qui montrent que le requérant aurait avec les membres de sa famille en Belgique des liens particuliers autres que des liens affectifs normaux.
18. Enfin, s’agissant de son mariage avec une ressortissante belge, cette dernière ne pouvait raisonnablement ignorer la gravité des faits qui lui étaient reprochés ni les démarches en cours en vue de son expulsion. Le simple fait qu’elle risque de se heurter à des difficultés en accompagnant le requérant ne saurait en soi exclure son expulsion ( Boultif c. Suisse , n o 54273/00, § 48, CEDH 2001 ‑ IX).
19. Dans ces conditions, la Cour conclut que la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 9 juin 2022.
Olga Chernishova María Elósegui Greffière adjointe Présidente