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MARINOVSKI c. BULGARIE

Doc ref: 78815/16 • ECHR ID: 001-219801

Document date: September 6, 2022

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MARINOVSKI c. BULGARIE

Doc ref: 78815/16 • ECHR ID: 001-219801

Document date: September 6, 2022

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QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

Requête n o 78815/16 Stoyan Emilov MARINOVSKI contre la Bulgarie

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant le 6 septembre 2022 en un comité composé de :

Iulia Antoanella Motoc , présidente,

Yonko Grozev ,

Pere Pastor Vilanova , juges, et de Ludmila Milanova, greffière adjointe de section f.f. ,

Vu la requête n o 78815/16 dirigée contre la Bulgarie et dont un ressortissant, M. Stoyan Emilov Marinovski (« le requérant ») né en 1963 et résidant à Krushovitsa, représenté par M es M. Ekimdzhiev, K. Boncheva et S. Stefanova, avocats à Plovdiv, a saisi la Cour le 14 décembre 2016 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

Vu la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement bulgare (« le Gouvernement »), représenté par son agente, M me A. Panova, du ministère de la Justice,

Vu les observations des parties,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. La requête concerne le licenciement du requérant, décidé au motif qu’il ne pouvait pas détenir une autorisation spéciale d’accès au site de son employeur, qui avait été considéré comme stratégique pour la sécurité nationale. Invoquant l’article 6 de la Convention, l’intéressé soutient qu’il n’a pas eu accès à un tribunal pour contester son licenciement en ce que les tribunaux civils n’ont pas examiné l’ensemble de ses arguments. Il dit avoir également subi une perte de revenu au sens de l’article 1 du Protocole n o 1. Il se plaint enfin d’une violation de l’article 13 de la Convention, combiné avec ces dispositions.

2 . À partir de l’année 2000, le requérant occupait un emploi de conducteur de véhicule d’assistance médicale auprès de la centrale nucléaire de Kozloduy, sur la base d’un contrat à durée indéterminée. Par un décret du Conseil des ministres datant de 2009, cette centrale fut qualifiée de site stratégique pour la sécurité nationale dont l’accès était désormais subordonné à la détention d’une autorisation spéciale. Une procédure visant à vérifier la situation des employés concernés fut alors menée.

3 . Dans ce cadre, le 20 juin 2013, la direction territoriale de l’Agence de sécurité nationale (« la direction territoriale ») établit un rapport d’expert, dans lequel elle précisa que le casier judiciaire du requérant mentionnait une condamnation à une peine d’emprisonnement avec sursis de trois ans, à compter du 9 juin 2011, pour la commission intentionnelle d’une infraction pénale. Cette circonstance constituait, selon l’article 45 du règlement d’application de la loi relative à l’Agence de sécurité nationale, un obstacle à l’octroi d’une autorisation spéciale d’accès à des sites stratégiques. Par un arrêté du 21 juin 2013, la direction territoriale refusa dès lors d’accorder au requérant cette autorisation. Ce refus fut notifié à l’intéressé, mais celui-ci ne le contesta pas auprès des juridictions administratives, comme il lui était possible de le faire selon l’article 149 du code de procédure administrative.

4. Entre le 1 er août 2013 et le 19 janvier 2015, le requérant était en congé de maladie.

5 . Il reprit le travail le 20 janvier 2015. Le même jour, le directeur de la centrale nucléaire lui notifia une décision de licenciement, fondée sur l’impossibilité objective pour l’intéressé d’occuper ses fonctions (article 328, alinéa 1, point 12, du code du travail), notamment en raison du fait qu’il ne détenait pas d’autorisation d’accès.

6 . Le requérant contesta cette décision devant les tribunaux judiciaires, soutenant qu’elle n’était pas suffisamment motivée et qu’il n’existait pas à la date de son licenciement de refus d’autorisation d’accès au site stratégique. Par un jugement du 4 juin 2015, le tribunal de district de Kozloduy rejeta les demandes du requérant, considérant que le fait pour l’intéressé d’être dans l’impossibilité d’accomplir ses fonctions en raison de l’absence d’une autorisation qui lui eût permis d’accéder à des sites stratégiques était conforme à la loi. Il précisa qu’il n’était pas compétent pour vérifier les raisons ayant conduit à la décision par laquelle l’autorisation spéciale avait été refusée au requérant et qu’une telle décision était susceptible d’un contrôle judiciaire dans le cadre d’une procédure distincte. Par ailleurs, il considéra que la date du licenciement, soit le 20 janvier 2015, était celle à retenir pour établir la présence ou pas d’une autorisation spéciale, et estima, sur la base des éléments recueillis, qu’à cette dernière date le requérant ne détenait pas l’autorisation requise.

7 . Saisi d’un recours par le requérant, le 19 novembre 2015, le tribunal régional de Vratza fit siennes les conclusions de la première instance et confirma son jugement. Par une décision du 17 juin 2016, la Cour suprême de cassation rejeta le pourvoi du requérant.

APPRÉCIATION DE LA COUR

8. Invoquant les articles 6 et 13 de la Convention, le requérant allègue que les tribunaux civils, statuant sur le recours contre son licenciement, n’ont pas examiné tous les arguments avancés par lui et notamment celui tiré de la prétendue illégalité du refus opposé par la direction territoriale de lui accorder une autorisation spéciale d’accès au site stratégique de son employeur, motif principal de son licenciement. Compte tenu du contenu de ces allégations, la Cour rappelle que l’article 6 est lex specialis par rapport à l’article 13 dont les garanties se trouvent absorbées par celles de l’article 6 ( Kudła c. Pologne [GC], n o 30210/96, § 146, CEDH 2000-XI). Par conséquent, elle n’examinera le grief que sous l’angle de l’article 6 de la Convention.

9 . Le Gouvernement soulève une exception de non-épuisement des voies de recours internes en ce que le requérant n’a pas contesté l’arrêté du 21 juin 2013 de la direction territoriale lui ayant refusé l’octroi d’une autorisation spéciale (paragraphe 6 ci-dessus). L’intéressé réplique qu’il avait une meilleure chance de défendre ses droits non pas en contestant cet arrêté, étant donné qu’il n’avait pas encore été licencié au moment où l’autorisation d’accès lui avait été refusée, mais en menant une procédure contre son licenciement devant les tribunaux judiciaires. La Cour estime que ce point est intimement lié aux allégations du requérant relatives à l’absence d’examen judiciaire de son licenciement. Elle décide dès lors de le joindre à l’analyse du fond quant au respect de l’article 6.

10. La Cour observe que le requérant avait un litige avec son employeur sur la question de la légalité de son licenciement. Le Gouvernement ne conteste pas l’applicabilité en l’espèce de l’article 6 en son volet civil et la Cour estime que cette disposition est applicable. Le requérant avait dès lors le droit d’avoir accès à un tribunal qui statue sur la légalité de son licenciement.

11 . La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’article 6 § 1 de la Convention consacre le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir un tribunal en matière civile, constitue un aspect. Chaque justiciable a droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil ( Howald Moor et autres c. Suisse , n os 52067/10 et 41072/11 , § 70, 11 mars 2014, et Golder c. Royaume-Uni , 21 février 1975, §§ 18 et 36, série A n o 18). Un « tribunal » se caractérise au sens matériel par son rôle juridictionnel : trancher, sur la base de normes de droit, avec plénitude de juridiction et à l’issue d’une procédure organisée, toute question relevant de sa compétence. La compétence de décider est inhérente à la notion même de « tribunal ». La procédure devant un « tribunal » doit assurer « la solution juridictionnelle du litige » voulue par l’article 6 § 1 ( Eminağaoğlu c. Turquie , n o 76521/12, § 90, 9 mars 2021).

12. En l’espèce, la Cour observe que le requérant a pu saisir les tribunaux judiciaires sur la question de la régularité de son licenciement (paragraphes 6 et 7 ci-dessus). Ces juridictions ont examiné la légalité du licenciement en question en répondant à tous les arguments soulevés par le requérant. En particulier, elles étaient tenues par la loi de constater l’existence de motifs justifiant le licenciement, dont l’un résidait dans l’impossibilité objective d’occuper les fonctions en question (paragraphe 5 ci-dessus) et elles ont bien constaté que l’absence d’autorisation spéciale d’accès empêchait objectivement le requérant d’accomplir ses fonctions et ont ainsi jugé le licenciement justifié.

13 . Certes, le requérant soutient que la légalité de son licenciement dépendait entièrement de la réponse à la question de savoir si le refus d’autorisation d’accès au site stratégique était justifié et que dès lors les juridictions civiles auraient dû interpréter le droit interne comme les obligeant à vérifier la légalité de ce refus, sur la base d’un principe de proportionnalité. La Cour observe néanmoins que, comme l’ont relevé les juridictions internes, le requérant pouvait contester ce refus, dès la notification de l’arrêté du 21 juin 2013, dans le cadre d’une procédure distincte, destinée à cet effet, chose qu’il avait omis de faire en temps voulu (paragraphe 3 ci-dessus). Eu égard à l’existence d’une voie de recours distincte, et sans pouvoir spéculer sur la question de savoir quelle aurait été l’issue d’un tel recours, la Cour n’est pas convaincue par l’argument du requérant que la procédure contre son licenciement était plus en mesure de lui apporter un redressement.

14 . La Cour relève au demeurant que le requérant ne conteste pas le fait qu’il a été condamné et que selon le droit interne cela justifiait le refus d’autorisation d’accès. Dans la mesure où il soutient que les tribunaux civils auraient dû contrôler la proportionnalité de ce refus, la Cour constate que le droit interne ne prévoit pas une telle condition de proportionnalité mais, au contraire, que toute condamnation pénale entraine un refus d’autorisation (paragraphe 3 ci-dessus). Dans ces conditions, le grief du requérant s’apparente à un reproche fait aux tribunaux judiciaires, statuant sur son licenciement, de ne pas lui avoir reconnu un droit matériel qui n’était pas prévu par la législation nationale. La Cour rappelle que l’article 6 n’assure par lui-même aux droits et obligations de caractère civil aucun contenu matériel déterminé dans les ordres juridiques nationaux ( Denisov c. Ukraine [GC], n o 76639/11, § 45, 25 septembre 2018 et Galina Kostova c. Bulgarie , n o 36181/05, § 64, 12 novembre 2013). Il n’appartient pas à la Cour, dans l’examen des griefs fondés sur l’article 6 § 1 de la Convention, de substituer ses propres vues quant à l’interprétation et au contenu appropriés du droit interne ( Galina Kostova , précité, § 64).

15. La Cour estime par ailleurs que la présente affaire est à distinguer des affaires Miryana Petrova c. Bulgarie (n o 57148/08, 21 juillet 2016), Delin c. Bulgarie (n o 62377/16, 6 décembre 2018), et Aleksandar Sabev c. Bulgarie (n o 43503/08, 19 juillet 2018), dans lesquelles, en examinant des griefs tirés de l’étendue du contrôle juridictionnel sur des actes de l’administration, elle a conclu à la violation de l’article 6 § 1 en raison du refus par les tribunaux internes d’examiner des questions essentielles pour l’issue des litiges ayant opposé les requérants à l’administration, refus motivé par le fait que ces questions avaient été tranchées au préalable par l’administration de manière à lier les tribunaux par ses constats factuels. Dans ces affaires, contrairement au requérant en l’espèce, les intéressés, fonctionnaires d’État, n’avaient pas été informés des circonstances factuelles qui avaient conduit à l’adoption des décisions leur refusant la délivrance d’une autorisation spéciale d’accès à des informations confidentielles et n’avaient pu en contester ni la base factuelle ni la légalité ( Miryana Petrova , précité, §§ 40 et 44, Delin , précité, §§ 26 et 27, et Aleksandar Sabev , précité, § 57). En l’espèce, le requérant ne conteste ni le fait de sa condamnation, ni d’avoir été informé du motif du refus qui lui a été opposé par l’administration, et il pouvait en outre introduire un recours (paragraphes 3, 6, 13 et 14 ci-dessus).

16. Pour le reste, la Cour rappelle que c’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne. Sauf si l’interprétation retenue est arbitraire ou manifestement déraisonnable, la Cour s’en remet à l’interprétation de la législation interne livrée par les juridictions internes et sa tâche se limite à déterminer si ses effets sont compatibles avec la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Guðmundur Andri Ástráðsson c. Islande [GC], n o 26374/18, § 244, 1 er décembre 2020). En l’espèce, rien ne permet à la Cour de conclure que les tribunaux civils ont appliqué et interprété le droit interne de manière arbitraire. Le fait que le requérant soit en désaccord avec l’interprétation et la motivation de ces tribunaux ne saurait justifier un constat de procédure abusive ou d’arbitraire manifeste dans les conclusions auxquelles ils sont parvenus.

17. Eu égard aux considérations qui précèdent, la Cour considère que le requérant a eu un accès à un tribunal qui a examiné avec plénitude de juridiction et en répondant aux principaux arguments de l’intéressé le litige qui lui a été soumis, conformément aux exigences de l’article 6 de la Convention. Dès lors, elle rejette l’exception de non-épuisement du Gouvernement (paragraphe 9 ci-dessus) et conclut que le grief fondé sur l’article 6 est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

18. Quant au grief fondé sur l’article 1 du Protocole n o 1, la Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, le revenu futur ne peut être considéré comme un « bien » que s’il a déjà été gagné ou s’il a fait l’objet d’une créance certaine (voir, parmi beaucoup d’autres, Denisov , précité, § 137). Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention, conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

19. Au vu de cette dernière conclusion, la Cour juge que le grief fondé sur l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole n o 1 doit aussi être rejeté pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention, conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 29 septembre 2022.

Ludmila Milanova Iulia Antoanella Motoc Greffière adjointe f.f. Présidente

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