Order of the Court (Tenth Chamber) of 28 April 2022. Rozhlas a televízia Slovenska v CI.
C-638/21 • 62021CO0638 • ECLI:EU:C:2022:339
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ORDONNANCE DE LA COUR (dixième chambre)
28 avril 2022 ( * )
« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, et article 94 du règlement de procédure de la Cour – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Directive 93/13/CEE – Champ d’application – Rapport juridique entre un organisme national de radiodiffusion et une personne physique assujettie à la redevance de radiodiffusion – Irrecevabilité manifeste »
Dans l’affaire C‑638/21,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Okresný súd Prešov (tribunal de district de Prešov, Slovaquie), par décision du 8 septembre 2021, parvenue à la Cour le 19 octobre 2021, dans la procédure
Rozhlas a televízia Slovenska
contre
CI,
LA COUR (dixième chambre),
composée de M. I. Jarukaitis, président de chambre, MM. M. Ilešič et Z. Csehi (rapporteur), juges,
avocat général : M. M. Szpunar,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,
rend la présente
Ordonnance
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Rozhlas a televízia Slovenska (radio et télévision de Slovaquie) (ci-après le « RTVS ») à CI, une personne physique assujettie à la redevance de radiodiffusion (ci-après la « personne redevable »), au sujet du recouvrement de la redevance que cette dernière n’a pas acquittée.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 94 du règlement de procédure de la Cour dispose :
« Outre le texte des questions posées à la Cour à titre préjudiciel, la demande de décision préjudicielle contient :
a) un exposé sommaire de l’objet du litige ainsi que des faits pertinents, tels qu’ils ont été constatés par la juridiction de renvoi ou, à tout le moins, un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées ;
b) la teneur des dispositions nationales susceptibles de s’appliquer en l’espèce et, le cas échéant, la jurisprudence nationale pertinente ;
c) l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal. »
4 L’article 1 er , paragraphe 2, de la directive 93/13 prévoit :
« Les clauses contractuelles qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives ainsi que des dispositions ou principes des conventions internationales, dont les États membres ou la Communauté sont partis, notamment dans le domaine des transports, ne sont pas soumises aux dispositions de la présente directive. »
5 L’article 2, sous b) et c), de cette directive énonce :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
b) “consommateur” : toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle ;
c) “professionnel” : toute personne physique ou morale qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit dans le cadre de son activité professionnelle, qu’elle soit publique ou privée. »
Le droit slovaque
6 L’article 290 du zákon č. 160/2015 Z. z. Civilný sporový poriadok (loi n o 160/2015 portant code de procédure civile) dispose :
« Un litige de consommation est un litige entre un fournisseur et un consommateur découlant d’un contrat de consommation ou s’y rapportant. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
7 Le RTVS est un organisme national de droit public slovaque. Il est financé, notamment, par la redevance obligatoire versée par les personnes propriétaires ou détentrices de récepteurs de radio ou de télévision et fournit des services dans le domaine de la radiodiffusion et de la télédiffusion.
8 Ayant constaté que la personne redevable n’avait pas acquitté la redevance prévue par la législation nationale pour la période allant du 1 er juin 2014 au 30 juin 2019, le RTVS a saisi la juridiction de renvoi d’un recours aux fins du recouvrement d’un montant principal de 284,49 euros et d’une pénalité de 17 euros ainsi que du remboursement des frais postaux liés à l’envoi de la lettre de rappel. Cette juridiction a accueilli ce recours.
9 La décision de ladite juridiction a été annulée par le Krajský súd v Prešove (cour régionale de Prešov, Slovaquie) et l’affaire a été renvoyée devant la juridiction de renvoi. À la différence de cette dernière, la juridiction d’appel a considéré que le rapport juridique entre le RTVS et la personne redevable devrait être considéré comme un rapport entre un fournisseur de services et un consommateur, au sens de l’article 290 de la loi n o 160/2015 portant code de procédure civile, dans la mesure où la personne redevable ne bénéficie pas du service de radiodiffusion dans le cadre de son activité professionnelle. Par conséquent, la juridiction de renvoi aurait dû examiner le bien-fondé du recours sous l’angle de la protection des consommateurs.
10 La juridiction de renvoi estime toutefois que la personne redevable ne peut pas être qualifiée de « consommateur », au sens de la directive 93/13, puisque, d’une part, la redevance en cause est de nature fiscale, et, d’autre part, la naissance et le contenu du rapport juridique entre le RTVS et la personne redevable sont régis par les dispositions nationales de droit public et non pas par un contrat de droit privé.
11 Dans ces conditions, l’Okresný súd Prešov (tribunal de district de Prešov, Slovaquie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Un rapport juridique établi et exclusivement régi par une disposition de droit public peut-il constituer un contrat conclu avec un consommateur au sens de la directive [93/13] ?
2) Une entité telle que la partie requérante a-t-elle la qualité de professionnel et la partie défenderesse celle de consommateur dans une affaire telle que celle faisant l’objet de la présente procédure ? »
Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
12 En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsqu’une demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.
13 Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.
14 Selon une jurisprudence constante de la Cour, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 44 ainsi que jurisprudence citée).
15 Dès lors que la décision de renvoi sert de fondement à cette procédure, la juridiction nationale est tenue d’expliciter, dans la décision de renvoi elle-même, le cadre factuel et réglementaire du litige au principal et de fournir les explications nécessaires sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont elle demande l’interprétation ainsi que sur le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige qui lui est soumis [voir en ce sens, notamment, arrêt du 4 juin 2020, C. F. (Contrôle fiscal), C‑430/19, EU:C:2020:429, point 23 et jurisprudence citée].
16 À cet égard, il importe de souligner également que les informations contenues dans les décisions de renvoi doivent permettre, d’une part, à la Cour d’apporter des réponses utiles aux questions posées par la juridiction nationale et, d’autre part, aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres intéressés d’exercer le droit qui leur est conféré par l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne de présenter des observations. Il incombe à la Cour de veiller à ce que ce droit soit sauvegardé, compte tenu du fait que, en vertu de cette disposition, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux intéressés (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, Irish Ferries, C‑570/19, EU:C:2021:664, point 134 et jurisprudence citée).
17 Ces exigences cumulatives concernant le contenu d’une décision de renvoi figurent de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure, dont la juridiction de renvoi est censée, dans le cadre de la coopération instaurée à l’article 267 TFUE, avoir connaissance et qu’elle est tenue de respecter scrupuleusement (ordonnance du 3 juillet 2014, Talasca, C‑19/14, EU:C:2014:2049, point 21, et arrêt du 9 septembre 2021, Toplofikatsia Sofia e.a., C‑208/20 et C‑256/20, EU:C:2021:719, point 20 ainsi que jurisprudence citée). Elles sont, en outre, rappelées aux points 13, 15 et 16 des recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1).
18 En l’occurrence, la décision de renvoi ne répond manifestement pas à l’exigence posée à l’article 94, sous c), du règlement de procédure.
19 En effet, tout d’abord, dans l’énoncé de ses questions, la juridiction de renvoi n’identifie aucunement les dispositions du droit de l’Union dont elle sollicite l’interprétation, contrairement aux termes du point 16 des recommandations susmentionnées, selon lesquels « la juridiction de renvoi doit fournir les références précises des dispositions nationales applicables aux faits du litige au principal ainsi que des dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation est sollicitée ou la validité mise en cause ». Si, nonobstant ce manque de précision, il ressort de la demande de décision préjudicielle que cette juridiction se réfère à l’article 1 er , paragraphe 2, de la directive 93/13, portant sur le champ d’application de celle-ci, ainsi qu’à l’article 2, sous b) et c), de cette directive comportant les définitions des notions de « consommateur » et de « professionnel », une identification des dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation est sollicitée, avec la précision requise, est d’autant plus nécessaire que ladite directive ne régit pas les « contrats conclus avec un consommateur », visés dans la première question, en tant que tels, mais porte sur les clauses abusives figurant dans de tels contrats.
20 Or, eu égard à la circonstance que la demande de décision préjudicielle ne fait état d’aucune clause contractuelle particulière qui serait en cause au principal et, a fortiori, ne contient aucun élément suscitant des doutes quant à un éventuel caractère abusif d’une telle clause, une explication des raisons pour lesquelles l’interprétation de la directive 93/13 est sollicitée revêt une importance particulière dans la mesure où les faits au principal ne semblent pas relever du champ d’application de cette directive.
21 Ensuite, s’agissant de la question de savoir si les parties au principal doivent être qualifiées, respectivement, de « professionnel » et de « consommateur », ce qui fait l’objet de la seconde question, il importe de rappeler que, dans le cadre de la procédure prévue à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, il appartient au seul juge national de constater et d’apprécier les faits au principal ainsi que de déterminer l’exacte portée des dispositions législatives, réglementaires ou administratives nationales (arrêt du 3 octobre 2019, Fonds du Logement de la Région de Bruxelles-Capitale, C‑632/18, EU:C:2019:833, point 48 et jurisprudence citée).
22 En outre, la juridiction de renvoi n’éprouve aucun doute quant au résultat de cette qualification. Elle considère que « la partie requérante n’est pas un professionnel, que la partie défenderesse n’est pas un consommateur et que le présent litige n’est pas un litige découlant d’un contrat conclu avec un consommateur ou s’y rapportant. [...] Ni la création ni le contenu du rapport juridique entre la partie requérante et la partie défenderesse ne découlent d’actes de disposition des parties au litige, mais [ils résultent] d’une législation de droit public, qui régit d’ailleurs l’ensemble de la relation ». La juridiction de renvoi ne fait pas non plus état de doutes émis à cet égard par les parties au principal.
23 Enfin, dans le cadre d’une procédure préjudicielle, il doit exister entre le litige au principal et les dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation est sollicitée un lien de rattachement tel que cette interprétation réponde à un besoin objectif pour la décision que la juridiction de renvoi doit prendre (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 48 ainsi que jurisprudence citée).
24 En l’occurrence, il ne ressort pas de la demande de décision préjudicielle qu’il existe, entre les dispositions de la directive 93/13 et le litige au principal, un lien de rattachement qui soit propre à rendre l’interprétation sollicitée nécessaire afin que le juge de renvoi puisse, en application des enseignements découlant d’une telle interprétation, adopter une décision qui serait requise aux fins de statuer sur ce litige (voir, par analogie, arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 52 ainsi que jurisprudence citée).
25 En effet, il ne ressort pas de cette demande en quoi le litige au principal relève, quant au fond, du champ d’application de cette directive, de sorte que l’interprétation de l’une ou de l’autre des dispositions de celle-ci réponde à un besoin objectif pour dégager la solution au fond à réserver à ce litige.
26 En outre, une réponse de la Cour auxdites questions ne paraît pas davantage de nature à pouvoir fournir à la juridiction de renvoi une interprétation du droit de l’Union lui permettant de trancher des questions procédurales de droit national avant de pouvoir statuer sur le fond du litige dont elle est saisie (voir, par analogie, arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 51 ainsi que jurisprudence citée).
27 En effet, la juridiction de renvoi est restée en défaut d’expliquer avec un niveau de précision suffisant le lien entre le droit de l’Union et les dispositions nationales procédurales éventuellement applicables ainsi que les raisons pour lesquelles elle considère qu’il est nécessaire d’interpréter les dispositions de la directive 93/13 et non pas une autre mesure législative de l’Union à cette fin.
28 Partant, la juridiction de renvoi n’a pas satisfait à l’exigence prévue à l’article 94, sous c), du règlement de procédure.
29 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la présente demande de décision préjudicielle est, en application de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, manifestement irrecevable.
30 Il convient cependant de rappeler que la juridiction de renvoi conserve la faculté de soumettre une nouvelle demande de décision préjudicielle en fournissant à la Cour l’ensemble des éléments permettant à celle-ci de statuer (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2019, Călin, C‑676/17, EU:C:2019:700, point 41 et jurisprudence citée).
Sur les dépens
31 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) ordonne :
La demande de décision préjudicielle introduite par l’Okresný súd Prešov (tribunal de district de Prešov, Slovaquie), par décision du 8 septembre 2021, est manifestement irrecevable.
Signatures
* Langue de procédure : le slovaque.