Lexploria - Legal research enhanced by smart algorithms
Lexploria beta Legal research enhanced by smart algorithms
Menu
Browsing history:

Judgment of the Court (Ninth Chamber) of 29 April 2021.

European Commission v Kingdom of Spain.

C-704/19 • 62019CJ0704 • ECLI:EU:C:2021:342

Cited paragraphs only

ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

29 avril 2021 ( * )

« Manquement d’État – Aides d’État – Aide au déploiement de la télévision numérique terrestre dans les zones éloignées et moins urbanisées de la Comunidad Autónoma de Castilla-La Mancha (Communauté autonome de Castille-La Manche, Espagne) – Décision (UE) 2016/1385 – Aide illégale et incompatible avec le marché intérieur – Défaut d’exécution dans le délai imparti »

Dans l’affaire C‑704/19,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 108, paragraphe 2, deuxième alinéa, TFUE, introduit le 20 septembre 2019,

Commission européenne, représentée par MM. B. Stromsky et P. Arenas ainsi que par M me P. Němečková, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Royaume d’Espagne, représenté par M. S. Jiménez García, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de M. N. Piçarra, président de chambre, M. S. Rodin et M me K. Jürimäe (rapporteure), juges,

avocat général : M me J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en n’ayant pas pris, dans les délais prescrits, toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès du principal bénéficiaire, à savoir Telecom Castilla-La Mancha SA (ci-après « TelecomCLM »), l’aide d’État déclarée illégale et incompatible avec le marché intérieur par l’article 1 er de la décision (UE) 2016/1385 de la Commission, du 1 er octobre 2014, relative à l’aide d’État SA.27408 (C 24/10) (ex NN 37/10, ex CP 19/09) accordée par les autorités de Castille-La Manche en faveur du déploiement de la télévision numérique terrestre dans des zones éloignées et moins urbanisées (JO 2016, L 222, p. 52), en n’ayant pas démontré que tous les paiements en suspens de cette aide ont été annulés et en n’ayant pas communiqué à la Commission, dans le délai prescrit, les mesures prises pour se conformer à cette décision, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 288, quatrième alinéa, TFUE et des articles 3 et 4 de ladite décision.

Le cadre juridique

Le règlement (CE) n o 659/1999

2 Le règlement (CE) n o 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO 1999, L 83, p. 1), a été abrogé par le règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9). Toutefois, compte tenu de la date des faits de l’espèce, le règlement n o 659/1999 demeure applicable au présent litige.

3 Le considérant 13 du règlement n o 659/1999 était libellé comme suit :

« considérant que, en cas d’aide illégale incompatible avec le marché commun, une concurrence effective doit être rétablie ; que, à cette fin, il importe que l’aide, intérêts compris, soit récupérée sans délai ; qu’il convient que cette récupération se déroule conformément aux procédures du droit national ; que l’application de ces procédures ne doit pas faire obstacle au rétablissement d’une concurrence effective en empêchant l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission ; que, afin d’atteindre cet objectif, les États membres doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l’effet utile de la décision de la Commission ».

4 L’article 14, paragraphe 3, de ce règlement prévoyait :

« Sans préjudice d’une ordonnance de la Cour [...] prise en application de l’article [278 TFUE], la récupération s’effectue sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l’État membre concerné, pour autant que ces dernières permettent l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission. À cette fin et en cas de procédure devant les tribunaux nationaux, les États membres concernés prennent toutes les mesures prévues par leurs systèmes juridiques respectifs, y compris les mesures provisoires, sans préjudice du droit [de l’Union]. »

5 Aux termes de l’article 23, paragraphe 1, dudit règlement :

« Si l’État membre concerné ne se conforme pas à une décision conditionnelle ou négative, en particulier dans le cas visé à l’article 14, la Commission peut saisir directement la Cour [...] conformément à l’article [108], paragraphe 2, [TFUE]. »

Les antécédents du litige

La décision 2016/1385

6 L’administration centrale espagnole a lancé et coordonné un programme visant au passage de la radiodiffusion analogique à la radiodiffusion numérique sur l’ensemble du territoire national. Ce passage, qui peut techniquement être effectué au moyen des plateformes terrestre, satellitaire ou câblée ou par des accès à haut débit sur Internet, permet une utilisation plus efficace du spectre des fréquences radio.

7 En vue dudit passage, les autorités espagnoles ont divisé le territoire espagnol en trois zones, respectivement dénommées « zone I », « zone II » et « zone III ». La zone II, qui est celle en cause dans la présente affaire, comprend des régions moins urbanisées et éloignées, représentant 2,5 % de la population espagnole. Dans cette zone, les radiodiffuseurs, en raison d’un défaut d’intérêt commercial, n’ont pas investi dans la numérisation, ce qui a amené les autorités espagnoles à mettre en place un financement public pour soutenir le processus de numérisation terrestre.

8 Le gouvernement central espagnol a adopté des dispositions en faveur du passage à la télévision numérique terrestre (ci-après la « TNT »), dont l’objectif était d’atteindre un taux de couverture de la population espagnole par le service de la TNT analogue à celui de cette population par la télévision analogique au cours de l’année 2007. Afin d’atteindre l’objectif de couverture fixé pour la TNT, les autorités espagnoles ont prévu d’accorder un financement public notamment pour soutenir le processus de numérisation terrestre dans la zone II, et plus particulièrement dans les parties de la Comunidad Autónoma de Castilla-La Mancha (Communauté autonome de Castille-La Manche, Espagne) couvertes par cette zone.

9 Sur la base de ces dispositions, le Ministerio de Industria, Turismo y Comercio (ministère de l’Industrie, du Tourisme et du Commerce, Espagne) s’est assuré le concours des communautés autonomes pour étendre localement la couverture de la TNT, pour qu’elle soit comparable à la couverture de la télévision analogique. Cette collaboration s’est concrétisée par la signature de conventions et d’avenants à ces conventions, en vertu desquels l’État et les communautés autonomes cofinançaient les centres d’émission de la TNT nécessaires à l’extension dans les zones recensées par ce ministère. Les communautés autonomes ont par la suite entamé la mise en œuvre du processus d’extension de la couverture de la TNT, soit en organisant des appels d’offres, soit en confiant l’exécution de ce processus directement à certaines entreprises. Dans certains cas, les municipalités sont intervenues dans ledit processus d’extension.

10 À la différence de la majorité des autres communautés autonomes espagnoles, la Communauté autonome de Castille-La Manche n’a pas organisé d’appels d’offres pour l’extension de la couverture de la TNT. Les autorités de cette communauté autonome ont appliqué une procédure spéciale, établie par le Decreto 347/2008 por el que se regula la concesión de subvenciones directas para la ejecución del plan de transición a la televisión digital terrestre en Castilla-La Mancha (décret 347/2008, portant réglementation de l’octroi de subventions directes pour l’exécution du programme de passage à la télévision numérique terrestre en Castille-La Manche), du 2 décembre 2008 ( Diario oficial de Castilla-La Mancha n o 250, du 5 décembre 2008, p. 38834).

11 À la suite de la réception de deux plaintes datant des mois de janvier et de mai 2009 portant sur un régime d’aides des autorités espagnoles en faveur du passage de la télévision analogique à la TNT dans la zone II, la Commission a informé le Royaume d’Espagne de sa décision d’ouvrir la procédure visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE en ce qui concerne la mesure visant au passage de la radiodiffusion analogique à la radiodiffusion numérique dans la Communauté autonome de Castille-La Manche.

12 Le 1 er octobre 2014, la Commission a adopté, dans un premier temps, la décision C(2014) 6846 final (ci-après la « décision du 1 er octobre 2014 »), devenue, par la suite, la décision 2016/1385, dont l’intitulé était semblable à celui de cette dernière décision. Dans un second temps, dès lors que le dispositif de la décision du 1 er octobre 2014 comportait des erreurs concernant Hispasat SA, en ce qu’il déclarait illégale et incompatible avec le marché intérieur l’aide d’État octroyée pour l’installation des récepteurs satellite aux fins de la transmission des signaux de cette société dans la zone II de la Communauté autonome de Castille-La Manche, la Commission a, par la décision C(2015) 7193 final, du 20 octobre 2015 (ci-après la « décision du 20 octobre 2015 »), modifié la décision du 1 er octobre 2014 afin, notamment, d’exclure le nom de cette société du dispositif.

13 À la suite de cette modification, le dispositif de la décision 2016/1385 a été libellé comme suit :

« Article premier

L’aide d’État octroyée aux opérateurs de plateforme de télévision terrestre TelecomCLM et [Abertis Telecom Terrestre SA] en vue de la modernisation de centres émetteurs, la construction de nouveaux centres émetteurs et la fourniture de matériels numériques et/ou d’exploitation et de maintenance dans la zone II de Castille-La Manche, et mise en œuvre illégalement par le Royaume d’Espagne en violation de l’article 108, paragraphe 3, [TFUE], est incompatible avec le marché intérieur.

Article 2

L’aide individuelle octroyée au titre du régime visé à l’article 1 er n’est pas constitutive d’une aide d’État si, au moment de son octroi, elle remplit les conditions définies dans une loi adoptée en vertu de l’article 2 du règlement (CE) n o 994/98 du Conseil[, du 7 mai 1998, sur l’application des articles 107 et 108 [TFUE] à certaines catégories d’aides d’État horizontales (JO 1998, L 142, p. 1)], applicable au moment où l’aide est octroyée.

Article 3

1. L[e Royaume d]’Espagne récupère auprès de TelecomCLM et d’Abertis [Telecom Terrestre SA] l’aide incompatible octroyée au titre du régime visé à l’article 1 er .

2. Les sommes à récupérer produiront des intérêts à compter de la date à laquelle elles ont été mises à la disposition des bénéficiaires, jusqu’à leur récupération effective.

[...]

4. L[e Royaume d]’Espagne annule tous les paiements en suspens du régime d’aide visé à l’article 1 er à compter de la date de la notification de la présente décision.

Article 4

1. La récupération de l’aide octroyée dans le cadre du régime visé à l’article 1 er sera immédiate et effective.

2. L[e Royaume d]’Espagne veille à ce que la présente décision soit mise en œuvre dans les quatre mois suivant la date de sa notification.

3. Dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, l[e Royaume d]’Espagne communiquera les informations suivantes à la Commission :

a) pour les bénéficiaires visés à l’article 1 er , le montant total de l’aide reçue par chacun d’entre eux ;

b) le montant total (principal et intérêts) à récupérer auprès de chaque bénéficiaire ;

c) une description détaillée des mesures déjà adoptées et prévues pour se conformer à la présente décision ;

d) les documents confirmant qu’il a été ordonné aux bénéficiaires de rembourser l’aide.

4. L[e Royaume d]’Espagne tient la Commission informée de l’avancement des mesures nationales adoptées afin de mettre en œuvre la présente décision jusqu’à la récupération complète des aides octroyées au titre du régime visé à l’article 1 er . À la demande de la Commission, l[e Royaume d]’Espagne informe cette dernière des mesures déjà prises ou prévues aux fins de l’application de la présente décision. Elle fournit aussi des informations détaillées concernant les montants de l’aide et des intérêts déjà récupérés auprès des bénéficiaires.

Article 5

Le Royaume d’Espagne est destinataire de la présente décision. »

Les recours formés contre la décision 2016/1385

14 Le Royaume d’Espagne, Cellnex Telecom SA, anciennement Abertis Telecom Terrestre SA (ci-après « Abertis »), et TelecomCLM ont respectivement introduit des recours tendant à l’annulation de la décision 2016/1385.

15 Par les arrêts du 15 décembre 2016, Espagne/Commission (T‑808/14, non publié, EU:T:2016:734), ainsi que du 15 décembre 2016, Abertis Telecom Terrestre et Telecom Castilla-La Mancha/Commission (T‑37/15 et T‑38/15, non publié, EU:T:2016:743), le Tribunal a rejeté ces recours.

16 Par les arrêts du 26 avril 2018, Cellnex Telecom et Telecom Castilla-La Mancha/Commission (C‑91/17 P et C‑92/17 P, non publié, EU:C:2018:284), et du 20 septembre 2018, Espagne/Commission (C‑114/17 P, EU:C:2018:753), la Cour a rejeté les pourvois introduits respectivement, d’une part, par Cellnex Telecom et TelecomCLM et, d’autre part, par le Royaume d’Espagne contre les arrêts visés au point précédent.

La procédure précontentieuse

17 À la suite de l’adoption de la décision du 1 er octobre 2014, devenue la décision 2016/1385, les autorités espagnoles et les services de la Commission ont échangé une correspondance volumineuse au sujet de l’exécution de ces décisions.

18 Dans un premier temps, préalablement à l’adoption de la décision du 20 octobre 2015, les échanges ont essentiellement porté sur le montant des aides octroyées par les autorités espagnoles en faveur du passage de la télévision analogique à la TNT dans la zone II. Ces autorités ont soutenu que ce montant, lequel s’élevait approximativement à 43 millions d’euros, incluait les fonds destinés à l’exploitation et à la maintenance du réseau de la TNT. Lesdites autorités ont toutefois soutenu que certains montants devaient être exclus du montant des aides à récupérer, à savoir :

– le montant de l’aide destinée à la fourniture de matériels (environ 33 millions d’euros) ;

– les montants des aides octroyées aux municipalités devant être considérées comme des bénéficiaires, même lorsque la décision du 1 er octobre 2014 ne les identifiait pas comme tels, et lorsque ces montants étaient inférieurs au seuil établi par le règlement (CE) n o 1998/2006 de la Commission, du 15 décembre 2006, concernant l’application des articles [107 et 108 TFUE] aux aides de minimis (JO 2006, L 379, p. 5, ci-après le « règlement de minimis ») ;

– le montant de l’aide qui, selon la décision du 1 er octobre 2014, a été octroyée à Hispasat, et

– le montant de la partie de l’aide octroyée grâce à un financement de l’Union européenne et devant, par conséquent, être considérée comme compatible avec le marché intérieur.

19 Les autorités espagnoles ont, en outre, fait valoir des difficultés concernant la procédure de récupération liées notamment au fait que différentes administrations locales étaient impliquées dans cette procédure.

20 Dans un second temps, à la suite de l’adoption de la décision du 20 octobre 2015, les discussions entre les autorités espagnoles et les services de la Commission ont principalement concerné l’état d’avancement de la procédure de récupération des aides en cause en exécution de la décision 2016/1385.

21 Dans le cadre de ces échanges, les autorités espagnoles ont soutenu que la correction des erreurs contenues dans la décision du 1 er octobre 2014 par la décision du 20 octobre 2015 devait être prise en compte dans l’évaluation des progrès réalisés dans le cadre de cette procédure et dans la fixation des délais prévus pour l’exécution de la décision 2016/1385. En outre, elles ont évoqué une série de difficultés relatives aux procédures administratives prévues par le droit national qui, à leur sens, justifiait le retard observé. Par ailleurs, elles ont réitéré leur interprétation selon laquelle une partie des aides octroyées devait être exclue du montant à récupérer auprès des bénéficiaires.

22 Par une lettre du 3 octobre 2016, les services de la Commission ont exprimé leurs préoccupations quant aux retards pris dans la procédure de récupération et ont invité les autorités espagnoles à procéder sans délai à cette récupération.

23 Par une lettre du 28 novembre 2018, les autorités espagnoles ont indiqué que la Communauté autonome de Castille-La Manche avait adopté deux résolutions portant ouverture des procédures de récupération des aides concernées et qu’un délai de trois mois avait été fixé pour l’exécution de ces procédures conformément au droit national.

24 Par une lettre du 18 février 2019, les autorités espagnoles ont transmis deux résolutions, datées du 7 février 2019, concernant la récupération de l’aide, en indiquant que ces actes se référaient uniquement à la partie de l’aide octroyée directement à TelecomCLM et à Abertis, lesquelles devaient rembourser respectivement 7 870 463,65 euros et 469 978,00 euros, comprenant le capital et les intérêts. Ces autorités ont indiqué que la récupération de la partie de l’aide accordée au moyen de conventions conclues avec les collectivités locales (municipalités) ferait l’objet de procédures distinctes.

25 Au mois de juin 2019, les autorités espagnoles ont informé la Commission du fait que l’aide accordée à Abertis ainsi que les intérêts y afférents avaient été récupérés auprès de ce bénéficiaire, ce que la Commission a confirmé.

26 En ce qui concerne la récupération de l’aide octroyée à TelecomCLM, les autorités espagnoles ont informé la Commission, par une lettre du 10 juillet 2019, que, depuis le 19 juin 2019, la somme de 9 176 236,61 euros pouvait être considérée comme ayant été définitivement récupérée auprès de ce bénéficiaire, après avoir fait valoir certains retards liés à la tenue d’élections, au mois de mai 2019, pour les choix des municipalités et des gouvernements des communautés autonomes.

27 Par une lettre du 22 juillet 2019, la Commission a affirmé, de nouveau, que le capital de l’aide à récupérer auprès de TelecomCLM s’élevait à 43 160 633,66 euros, auxquels s’ajoutaient les intérêts. En conséquence, compte tenu du montant déjà récupéré, la Commission a invité les autorités espagnoles à recouvrer le capital restant de l’aide ainsi que les intérêts correspondants produits jusqu’à la date à laquelle ce montant serait récupéré, et leur a demandé que lui soient transmises les pièces justificatives dans les dix jours ouvrables à compter de la réception de cette lettre.

28 Par une lettre du 2 août 2019, les autorités espagnoles ont de nouveau fait valoir des difficultés politiques, juridiques et pratiques auxquelles se serait heurtée l’exécution complète de la décision 2016/1385.

29 C’est dans ces conditions que la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

Sur le recours

Sur le premier grief, tiré d’un défaut de récupération de l’aide illégale et incompatible avec le marché intérieur

Argumentation des parties

30 La Commission soutient que le Royaume d’Espagne n’a pas pris toutes les mesures nécessaires pour permettre l’exécution de la décision 2016/1385 et la récupération de l’intégralité de l’aide illégale en cause dans les délais requis. Selon elle, en vertu d’une jurisprudence constante, l’État membre destinataire d’une décision l’obligeant à récupérer des aides illégales est tenu, en vertu de l’article 288, quatrième alinéa, TFUE, de prendre toutes les mesures propres à assurer l’exécution de cette décision.

31 La Commission souligne que le délai de quatre mois, imparti au Royaume d’Espagne pour se conformer à son obligation de récupération en application de l’article 4, paragraphe 2, de la décision 2016/1385, a expiré le 2 février 2015. Or, que ce soit à la date du dépôt de la requête, soit quatre ans et demi après l’expiration de ce délai, ou à celle du dépôt du mémoire en réplique de la Commission, cet État membre n’aurait toujours pas récupéré une partie substantielle de l’aide en cause auprès du principal bénéficiaire, à savoir TelecomCLM, de telle sorte que ledit État membre aurait manqué à son obligation de récupération immédiate et effective de cette aide.

32 En premier lieu, selon la Commission, les raisons invoquées par le Royaume d’Espagne pour justifier ce retard ne sauraient être retenues.

33 La Commission relève que l’argumentation du Royaume d’Espagne se fonde sur le constat que la décision du 1 er octobre 2014 était entachée d’erreurs graves qui auraient rendu la récupération impossible et contraire au principe de sécurité juridique. Or, de l’avis de la Commission, les éléments avancés par cet État membre ne permettent pas de justifier l’inexécution de la décision 2016/1385.

34 Ainsi, premièrement, la Commission considère que l’exclusion d’Hispasat du champ d’application de l’obligation de récupération, par l’adoption de la décision du 20 octobre 2015, n’était ni susceptible d’avoir une incidence sur les procédures de récupération concernant les autres bénéficiaires de l’aide en cause et, en particulier, TelecomCLM, ni susceptible de justifier un retard dans l’exécution de la décision 2016/1385. En tout état de cause, le Royaume d’Espagne ne préciserait pas les raisons d’une telle incidence. Quoi qu’il en soit, selon la Commission, l’incertitude quant à la qualité de bénéficiaire d’Hispasat aurait été levée avec l’adoption de la décision du 20 octobre 2015.

35 Deuxièmement, si, comme le fait valoir le Royaume d’Espagne, il avait existé un doute quant au montant de l’aide à récupérer, celui-ci ne l’aurait pas empêché d’engager la procédure de récupération et de confirmer, dans ce cadre, le montant à recouvrer. De même, s’agissant de la prétendue incertitude quant à l’inclusion de la fourniture d’équipements dans le champ d’application de la décision 2016/1385, cette incertitude aurait été levée avec l’adoption de la décision du 20 octobre 2015. En ce qui concerne le niveau de précision prétendument faible de la décision 2016/1385, la Commission est d’avis que cet argument ne peut pas justifier le retard dans l’exécution de cette décision.

36 Troisièmement, s’agissant de l’argument selon lequel l’adoption de la décision du 20 octobre 2015 devrait être prise en compte pour la détermination de la date de référence pour l’exécution de la décision 2016/1385, la Commission rétorque que le Royaume d’Espagne n’a demandé aucune extension de délai avant l’expiration de celui fixé dans la décision du 1 er octobre 2014. Elle estime que, en tout état de cause, il n’y avait pas lieu d’étendre ce délai, dans la mesure où le Royaume d’Espagne n’a pas démontré que les erreurs commises dans cette décision étaient de nature à rendre son exécution impossible ou à produire une incidence significative sur son exécution. En outre, s’agissant dudit délai, les demandes d’information de la Commission adressées aux autorités espagnoles ne sauraient être comprises comme constituant l’octroi d’un nouveau délai de récupération.

37 Par ailleurs, le Royaume d’Espagne chercherait à justifier le retard dans l’exécution de la décision 2016/1385 en invoquant la complexité de la procédure de récupération des aides et des difficultés d’ordre politique, juridique et pratique, lesquelles ne constitueraient pas des motifs permettant de conclure à une impossibilité absolue d’exécuter cette décision.

38 À cet égard, la Commission fait valoir que ledit retard est imputable aux autorités espagnoles. En effet, la procédure de récupération aurait été suspendue pendant huit mois, à savoir entre le mois de décembre 2014 et le mois de juillet 2015, dans l’attente du rapport du service juridique de la Communauté autonome de Castille-La Manche sur la procédure à suivre pour la récupération des aides. De plus, lorsque l’application de cette procédure aurait finalement été décidée, les règles nationales relatives à la prescription auraient nécessité d’engager de nouvelles procédures et les autorités espagnoles auraient pris plus de deux ans pour ce faire. En outre, il ressortirait du mémoire en défense du Royaume d’Espagne que les autorités espagnoles auraient attendu le prononcé de l’arrêt du 20 septembre 2018, Espagne/Commission (C‑114/17 P, EU:C:2018:753), avant d’engager effectivement la procédure de récupération. La Commission n’aurait ainsi été informée par les autorités espagnoles qu’au mois de juin 2019 de la récupération de la partie de l’aide en cause octroyée à Abertis. La Commission souligne par ailleurs que, à cette date, il restait toutefois à récupérer une grande partie de l’aide reçue par TelecomCLM ainsi que les intérêts correspondants.

39 En second lieu, le Royaume d’Espagne se fonderait sur une interprétation erronée de la décision 2016/1385 pour justifier l’absence de récupération de certains montants de l’aide en cause auprès de TelecomCLM.

40 S’agissant, d’une part, de l’argument selon lequel certaines municipalités devraient être considérées comme les bénéficiaires effectifs de ces montants auxquels s’appliqueraient les seuils de minimis et, d’autre part, de l’argument selon lequel une récupération en nature aurait été effectuée s’agissant des équipements appartenant à TelecomCLM cédés à titre gratuit à la Communauté autonome de Castille-La Manche, la Commission est d’avis que ces arguments reposent sur une interprétation qui n’est pas conforme à la décision 2016/1385. En tout état de cause, ces arguments du Royaume d’Espagne seraient dénués de pertinence dans la mesure où un éventuel désaccord sur l’interprétation de cette décision ne déchargerait pas cet État membre de son obligation d’exécuter ladite décision dans le délai imparti.

41 Le Royaume d’Espagne rétorque, en premier lieu, que la décision du 1 er octobre 2014 contenait de graves erreurs, qui ont dû être corrigées par la décision du 20 octobre 2015 et qui ont rendu la récupération de l’aide en cause contraire au principe de sécurité juridique. Ainsi, il soutient que le comportement de la Commission a eu une influence négative sur la procédure de récupération et que ce comportement est révélateur d’une intention contraire au devoir de coopération loyale, et ce d’autant plus que la Commission aurait outrepassé ses compétences en étendant rétroactivement le champ d’application des aides à récupérer en adoptant la décision du 20 octobre 2015. En outre, cet état de fait aurait dû être pris en compte dans la détermination du délai de référence pour l’exécution de la décision 2016/1385. À cet égard, il lui aurait été impossible de demander une prolongation de ce délai avant l’adoption de la décision du 20 octobre 2015.

42 En deuxième lieu, le Royaume d’Espagne indique avoir engagé, le 29 octobre 2015, une première procédure ad hoc pour la récupération de l’aide accordée à Abertis et à TelecomCLM, conformément à la décision 2016/1385. Cette procédure aurait nécessité l’engagement d’un cabinet d’audit, ce qui aurait conduit à un dépassement des délais fixés par cette décision. Le Royaume d’Espagne fait ainsi valoir que la procédure de récupération concernant l’aide octroyée à Abertis et à TelecomCLM a effectivement débuté le 26 novembre 2018, soit après le prononcé de l’arrêt du 20 septembre 2018, Espagne/Commission (C‑114/17 P, EU:C:2018:753). Ainsi que le reconnaîtrait la Commission, la procédure de récupération auprès d’Abertis aurait été clôturée le 23 mai 2019.

43 S’agissant de la procédure de récupération de l’aide auprès de TelecomCLM, laquelle était toujours en cours à la date du dépôt du mémoire en défense du Royaume d’Espagne, cet État membre fait observer que la Commission, qui aurait indiqué sa préférence pour que cette procédure soit conduite par la Communauté autonome de Castille-La Manche, était consciente des difficultés, notamment d’ordre constitutionnel, liées à la compétence des municipalités dans le cadre de ladite procédure. Les autorités espagnoles seraient finalement parvenues à surmonter ces difficultés, le 26 novembre 2018, en proposant aux municipalités de déléguer ladite compétence à la Communauté autonome de Castille-La Manche, ce qui aurait nécessité l’adoption d’un accord du conseil municipal de ces municipalités.

44 Dans le cadre de cette argumentation, le Royaume d’Espagne reconnaît toutefois que la procédure de récupération initialement choisie par les autorités de la Communauté autonome de Castille-La Manche s’est avérée « particulièrement inefficace ». Il souligne que les autorités espagnoles ont commencé à faire preuve d’une attitude constructive à la suite de l’arrêt du 20 septembre 2018, Espagne/Commission (C‑114/17 P, EU:C:2018:753), et que c’est donc, en tenant compte de ce contexte juridique et factuel, que la Commission aurait dû décider d’introduire le présent recours en manquement.

45 En troisième lieu, le Royaume d’Espagne soutient, en substance, que certains des montants des aides accordées au titre du régime d’aides en cause échappent à l’obligation de récupération visée par la décision 2016/1385. Il s’agirait, d’une part, de montants octroyés à certaines municipalités agissant en tant qu’opérateurs de réseau et qui auraient reçu des aides dans les conditions prévues par le règlement de minimis. Or, à cet égard, ainsi qu’il ressortirait des éléments fournis par le Royaume d’Espagne dans le cadre de son mémoire en duplique, 263 parmi les 277 municipalités concernées rempliraient ces conditions. D’autre part, le montant correspondant au coût des équipements cédés gratuitement par TelecomCLM à la Communauté autonome de Castille-La Manche échapperait également à l’obligation de récupération, dans la mesure où il aurait fait l’objet d’une récupération en nature.

Appréciation de la Cour

46 À titre liminaire, il convient de relever que, par son premier grief, la Commission reproche au Royaume d’Espagne de ne pas avoir pris, dans les délais prescrits, toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès du principal bénéficiaire identifié à l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2016/1385, à savoir TelecomCLM, l’aide d’État illégale et incompatible avec le marché intérieur octroyée au titre du régime d’aides visé à l’article 1 er de cette décision.

47 En effet, il n’est pas contesté par la Commission que le Royaume d’Espagne a rempli son obligation de récupération de l’aide octroyée à l’autre bénéficiaire identifié à l’article 3, paragraphe 1, de ladite décision, à savoir Abertis.

48 À cet égard, il convient de rappeler que la suppression d’une aide illégale par voie de récupération est la conséquence logique de la constatation de son illégalité. Partant, l’État membre destinataire d’une décision l’obligeant à récupérer des aides illégales est tenu, en vertu de l’article 288 TFUE, de prendre toutes les mesures propres à assurer l’exécution de cette décision. Il doit parvenir à un recouvrement effectif des sommes dues aux fins d’éliminer la distorsion de concurrence causée par l’avantage concurrentiel procuré par l’aide illégale (voir, notamment, arrêt du 24 janvier 2013, Commission/Espagne, C‑529/09, EU:C:2013:31, points 90 et 91 ainsi que jurisprudence citée).

49 En vertu de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n o 659/1999, la récupération d’une aide déclarée illégale et incompatible par une décision de la Commission doit, ainsi qu’il ressort également du considérant 13 de ce règlement, s’effectuer sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l’État membre concerné, pour autant que ces dernières permettent l’exécution immédiate et effective de ladite décision, une telle condition reflétant les exigences du principe d’effectivité consacré par la jurisprudence de la Cour (voir, notamment, arrêt du 24 janvier 2013, Commission/Espagne, C‑529/09, EU:C:2013:31, point 92 et jurisprudence citée).

50 Dès lors, une récupération tardive, postérieure aux délais impartis, ne saurait satisfaire aux exigences du traité FUE. À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante que la date de référence pour l’application de l’article 108, paragraphe 2, deuxième alinéa, TFUE est celle prévue dans la décision dont l’inexécution est contestée ou, le cas échéant, celle que la Commission a fixée par la suite (voir, notamment, arrêt du 12 février 2015, Commission/France, C‑37/14, non publié, EU:C:2015:90, points 55 et 56 ainsi que jurisprudence citée).

51 En outre, il y a lieu de rappeler qu’un recours en annulation introduit devant le Tribunal contre une décision ordonnant la récupération d’une aide n’a pas d’effet suspensif sur l’obligation d’exécuter cette décision. Il en va de même lorsque l’arrêt du Tribunal, prononcé dans le cadre de ce recours, fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour (voir, notamment, arrêt du 22 décembre 2010, Commission/Italie, C‑304/09, EU:C:2010:812, point 52 et jurisprudence citée).

52 En l’occurrence, aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2016/1385, le Royaume d’Espagne est tenu de récupérer auprès de TelecomCLM l’aide incompatible octroyée au titre du régime d’aides visé à l’article 1 er de cette décision. Conformément à l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la décision 2016/1385, cet État membre est soumis à l’obligation d’assurer la récupération « immédiate » et « effective » de cette aide dans un délai de quatre mois à compter de la date de la notification de ladite décision.

53 Selon la Commission, ce délai a expiré le 2 février 2015, soit quatre mois après la notification de la décision du 1 er octobre 2014 au Royaume d’Espagne. Ce dernier fait valoir que, en raison de l’adoption de la décision du 20 octobre 2015, laquelle a modifié la décision du 1 er octobre 2014, la Commission aurait dû fixer un nouveau délai pour l’exécution de la décision 2016/1385.

54 À cet égard, il convient de relever que la Commission a adopté la décision du 20 octobre 2015 afin de corriger des erreurs contenues dans la décision du 1 er octobre 2014 en ce qui concerne Hispasat. La décision du 20 octobre 2015 a ainsi modifié le premier alinéa de l’article 1 er de la décision du 1 er octobre 2014, et supprimé le second alinéa de cette disposition. De même, elle a supprimé la référence à Hispasat à l’article 3, paragraphe 1, de cette décision.

55 En revanche, par l’adoption de la décision du 20 octobre 2015, la Commission n’a pas modifié l’article 4, paragraphe 2, de la décision du 1 er octobre 2014, lequel est resté inchangé dans la décision 2016/1385.

56 Toutefois, aux fins d’apprécier le bien-fondé du présent grief, il n’est, en l’occurrence, pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si, dans les conditions visées aux points 54 et 55 du présent arrêt, le délai qui était imparti au Royaume d’Espagne pour récupérer l’aide en cause auprès des bénéficiaires de celle-ci expirait, comme le fait valoir la Commission, le 2 février 2015 ou si ce délai devait tenir compte de l’adoption de la décision du 20 octobre 2015.

57 En effet, si le Royaume d’Espagne indique avoir engagé, dès la fin du mois d’octobre 2015, une première procédure ad hoc pour la récupération de cette aide, cet État membre reconnaît que cette procédure s’est avérée « particulièrement inefficace » et qu’elle n’a concrètement abouti à la récupération d’aucune somme auprès des bénéficiaires visés à l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2016/1385.

58 Il ressort, en outre, des écritures de cet État membre que ce n’est qu’après le prononcé de l’arrêt du 20 septembre 2018, Espagne/Commission (C‑114/17 P, EU:C:2018:753), à savoir le 26 novembre 2018, que la procédure de récupération auprès desdits bénéficiaires a effectivement été engagée, avec l’émission, le 7 février 2019, d’un premier ordre de récupération.

59 Par ailleurs, le Royaume d’Espagne indique que la procédure de récupération de l’aide illégale versée à TelecomCLM se poursuivait toujours à la date du dépôt du mémoire en défense du Royaume d’Espagne dans la présente affaire, à savoir le 12 décembre 2019, soit plus de cinq ans après la notification de la décision du 1 er octobre 2014, et plus de quatre ans après la notification de la décision du 20 octobre 2015.

60 Une telle situation est manifestement inconciliable avec l’obligation de cet État membre d’assurer, conformément à l’article 4, paragraphe 1, de la décision 2016/1385, la récupération immédiate et effective des aides octroyées au titre du régime d’aides visé à l’article 1 er de cette décision.

61 S’agissant des arguments invoqués par le Royaume d’Espagne pour sa défense, il y a lieu de relever que, selon une jurisprudence constante, le seul moyen de défense susceptible d’être invoqué par un État membre contre un recours en manquement introduit par la Commission sur le fondement de l’article 108, paragraphe 2, TFUE est celui tiré d’une impossibilité absolue d’exécuter correctement la décision de cette institution ordonnant la récupération de l’aide en question (arrêt du 24 janvier 2013, Commission/Espagne, C‑529/09, EU:C:2013:31, point 99 et jurisprudence citée).

62 D’une part, la condition relative à l’existence d’une impossibilité absolue n’est pas remplie lorsque l’État membre défendeur se borne à invoquer des difficultés juridiques, politiques ou pratiques auxquelles il s’est trouvé confronté pour mettre en œuvre la décision concernée, sans entreprendre une véritable démarche auprès des entreprises en cause aux fins de récupérer l’aide et sans proposer à la Commission des modalités alternatives de mise en œuvre de cette décision qui auraient permis de surmonter ces difficultés, et, d’autre part, de prétendus problèmes internes rencontrés lors de l’exécution de la décision de la Commission ne sauraient justifier le non-respect par cet État membre des obligations qui lui incombent au titre du droit de l’Union (voir, notamment, arrêt du 24 janvier 2013, Commission/Espagne, C‑529/09, EU:C:2013:31, point 101 et jurisprudence citée).

63 La Cour a également jugé qu’un État membre qui, lors de l’exécution d’une décision de la Commission en matière d’aides d’État, rencontre des difficultés imprévues et imprévisibles ou prend conscience de conséquences non envisagées par la Commission doit soumettre ces problèmes à l’appréciation de cette dernière en proposant des modifications appropriées de la décision en cause. Dans un tel cas, l’État membre et la Commission doivent, en vertu de la règle imposant aux États membres et aux institutions de l’Union des devoirs réciproques de coopération loyale, qui inspire, notamment, l’article 4, paragraphe 3, TUE, collaborer de bonne foi en vue de surmonter les difficultés dans le plein respect des dispositions du traité FUE et, notamment, de celles relatives aux aides (voir, en ce sens, arrêt du 5 mai 2011, Commission/Italie, C‑305/09, EU:C:2011:274, point 34 et jurisprudence citée).

64 En l’espèce, il y a lieu de constater, en premier lieu, que l’argumentation du Royaume d’Espagne tend, pour l’essentiel, à justifier l’absence de récupération intégrale des aides accordées au titre du régime d’aides en cause par des difficultés politiques, juridiques ou pratiques que présentait l’exécution de la décision 2016/1385.

65 D’une part, le Royaume d’Espagne fait, tout d’abord, valoir qu’il a été dans l’impossibilité d’exécuter cette décision avant l’adoption de la décision du 20 octobre 2015, en raison d’incertitudes liées au champ d’application de l’obligation de récupération.

66 À cet égard, à supposer même que les incertitudes invoquées par le Royaume d’Espagne aient pu avoir une quelconque influence sur la récupération de l’aide auprès de TelecomCLM, ces incertitudes sont, en tout état de cause, sans pertinence dans l’appréciation du présent manquement, étant donné qu’elles ont été levées avec l’adoption de la décision du 20 octobre 2015. Par conséquent, lesdites incertitudes ne sauraient justifier que cet État membre soit resté en défaut d’avoir effectivement récupéré l’aide auprès de TelecomCLM plus de quatre ans après l’adoption de cette décision.

67 Ensuite, le Royaume d’Espagne ne saurait valablement tirer argument du fait que, en substance, les mêmes incertitudes n’auraient été définitivement levées qu’avec le prononcé de l’arrêt du 20 septembre 2018, Espagne/Commission (C‑114/17 P, EU:C:2018:753).

68 En effet, au regard de la jurisprudence rappelée au point 51 du présent arrêt, ni le recours en annulation introduit par le Royaume d’Espagne contre la décision 2016/1385 ni le fait que l’arrêt du Tribunal prononcé dans le cadre de ce recours ait fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour ont une influence sur le présent litige. De même, ledit État membre ne saurait pas davantage se fonder sur le fait que, en raison de ces incertitudes, la Commission aurait elle-même décidé d’introduire le présent recours après le prononcé de l’arrêt du 20 septembre 2018, Espagne/Commission (C‑114/17 P, EU:C:2018:753), un tel motif n’étant pas de nature à justifier la non-exécution de la décision 2016/1385.

69 Enfin, le Royaume d’Espagne ne peut contester le manquement qui lui est reproché en invoquant l’existence d’incertitudes quant à la légalité de la décision 2016/1385, dans la mesure où un tel argument reviendrait à exciper de l’illégalité de cette décision dans le cadre du présent recours. Or, selon une jurisprudence établie, un État membre ne saurait invoquer l’illégalité d’une décision comme moyen de défense dans le cadre d’un recours en manquement fondé sur l’inexécution de cette décision. Il ne pourrait en être autrement que si l’acte en cause était affecté de vices particulièrement graves et évidents, au point de pouvoir être qualifié d’acte inexistant (voir, en ce sens, arrêt du 26 juin 2003, Commission/Espagne, C‑404/00, EU:C:2003:373, points 40 et 41 ainsi que jurisprudence citée). Toutefois, l’argumentation de cet État membre ne contient aucun élément de nature à mettre en cause l’existence même de la décision 2016/1385.

70 D’autre part, le Royaume d’Espagne met en exergue les difficultés que les autorités espagnoles auraient rencontrées dans le cadre de la mise en œuvre de la procédure de récupération. Ces difficultés seraient notamment liées à de prétendues exigences que la Commission aurait imposées en ce qui concerne le déroulement de cette procédure, ainsi qu’à des difficultés internes d’ordre juridique et politique.

71 À cet égard, il suffit de constater que, au vu de la jurisprudence citée au point 62 du présent arrêt, de tels motifs ne sauraient prospérer.

72 En second lieu, le Royaume d’Espagne énonce différents motifs pour justifier l’absence de recouvrement de certains des montants de l’aide à récupérer auprès de TelecomCLM.

73 S’agissant, d’une part, de l’application du règlement de minimis aux montants perçus par les municipalités agissant en tant qu’opérateurs de réseau, il y a lieu de rappeler que, pour déterminer le bénéficiaire d’une aide d’État, il convient d’identifier les entreprises qui ont eu la jouissance effective de cette aide (arrêt du 13 septembre 2017, Commission/Belgique, C‑591/14, EU:C:2017:670, point 46 et jurisprudence citée).

74 En outre, eu égard au fait que le dispositif d’une décision en matière d’aides d’État est indissociable de la motivation de celle-ci, en sorte qu’elle doit être interprétée, si besoin en est, en tenant compte des motifs qui ont conduit à son adoption, le destinataire d’une telle décision est appelé à exécuter la décision adoptée par la Commission sur la base de la lecture combinée du dispositif de cette décision et des motifs de celle-ci (voir, en ce sens, arrêts du 15 mai 1997, TWD/Commission, C‑355/95 P, EU:C:1997:241, point 21, et du 14 février 2008, Commission/Grèce, C‑419/06, non publié, EU:C:2008:89, point 48 ainsi que jurisprudence citée).

75 Or, il ressort du considérant 119 de la décision 2016/1385 que les municipalités visées au point 73 du présent arrêt ont acheté l’équipement numérique, notamment, à TelecomCLM et lui ont confié la sous-traitance de l’installation, de l’exploitation et de la maintenance de l’équipement numérique sans appel d’offres public, de telle sorte que c’est cette société qui doit être considérée comme étant bénéficiaire de l’aide.

76 Ainsi, le Royaume d’Espagne ne saurait valablement soutenir que certains montants échappent à la récupération des aides accordées au titre du régime d’aides en cause lorsque ces montants ont permis aux municipalités agissant en qualité d’opérateurs de réseau d’acheter l’équipement numérique à TelecomCLM et en lui confiant la sous-traitance de l’installation, de l’exploitation et de la maintenance de cet équipement.

77 Au demeurant, selon la jurisprudence de la Cour, s’il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement allégué à l’obligation de récupération, en apportant à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence de ce manquement, sans pouvoir se fonder sur une présomption quelconque, il appartient, en revanche, à l’État membre concerné, lorsque l’absence de récupération d’une partie ou de la totalité des aides en cause a été établie, de justifier les raisons pour lesquelles cette récupération ne serait pas requise en ce qui concerne certains bénéficiaires (arrêt du 13 septembre 2017, Commission/Belgique, C‑591/14, EU:C:2017:670, point 47 et jurisprudence citée). Or, hormis des éléments relatifs aux aides prétendument reçues par les municipalités espagnoles dans les conditions prévues par le règlement de minimis, le Royaume d’Espagne ne fournit aucune indication permettant de considérer que, pour TelecomCLM, les seuils de minimis ont été respectés.

78 D’autre part, en ce qui concerne la récupération en nature d’une partie du montant des aides accordées au titre du régime d’aides en cause relative à des équipements transférés par TelecomCLM à la Communauté autonome de Castille-La Manche, il convient de constater, comme le fait valoir la Commission, que cette circonstance n’exclut pas l’existence d’une aide dans le chef de cet opérateur. En effet, il n’est pas contesté par le Royaume d’Espagne que TelecomCLM continue effectivement à exploiter et à maintenir lesdits équipements, de telle sorte que cet État membre ne saurait se fonder sur l’existence d’un tel transfert pour justifier l’absence de récupération des montants des aides accordées au titre du régime d’aides en cause auprès de ce bénéficiaire.

79 Au regard de l’ensemble des éléments qui précèdent, il y a lieu de conclure que le Royaume d’Espagne n’apporte pas la preuve qu’il s’est trouvé dans l’impossibilité absolue de récupérer l’aide illégale auprès de TelecomCLM. Partant, cet État membre a manqué à l’obligation, prévue à l’article 288 TFUE, ainsi qu’à l’article 3, paragraphes 1 et 3, et à l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la décision 2016/1385, de prendre toutes les mesures nécessaires pour récupérer l’aide illégalement versée à ce bénéficiaire.

80 Il s’ensuit que le premier grief doit être accueilli.

Sur le deuxième grief , tiré du défaut de preuve des paiements en suspens

Argumentation des parties

81 La Commission soutient que le Royaume d’Espagne n’a pas démontré que tous les paiements en cours pour l’exploitation et la maintenance du réseau de la TNT, effectués par TelecomCLM, ont été annulés conformément à l’article 3, paragraphe 4, de la décision 2016/1385. À cet égard, elle reconnaît que, par une lettre du 2 mars 2015, les autorités espagnoles ont présenté un document concernant l’annulation de l’un de ces paiements, lequel a été effectué en 2014. Toutefois, cet État membre n’aurait pas établi que tous ces paiements ont été interrompus après la notification de cette décision. De l’avis de la Commission, étant donné qu’un nouveau contrat pour l’exploitation et la maintenance du réseau de la TNT est entré en vigueur au mois de décembre 2015, le Royaume d’Espagne était tenu de récupérer tous les paiements au moins jusqu’à cette date.

82 Dans ce contexte, le Royaume d’Espagne invoquerait à tort, en guise de justification, l’existence de discussions avec la Commission visant à établir un système d’appels d’offres technologiquement neutres dans la zone II ainsi que l’existence d’une période transitoire jusqu’à la signature de nouveaux contrats. En effet, ces discussions, d’une part, concerneraient la mise en œuvre de la décision 2014/489/UE de la Commission, du 19 juin 2013, relative à l’aide d’État SA.28599 [(C 23/10) (ex NN 36/10, ex CP 163/09)] accordée par le Royaume d’Espagne en faveur du déploiement de la télévision numérique terrestre dans des zones éloignées et moins urbanisées (excepté en Castille-La Manche) (JO 2014, L 217, p. 52), et, d’autre part, n’auraient pas abouti à la modification de l’article 3, paragraphe 4, de la décision 2016/1385. Le Royaume d’Espagne ne saurait ainsi considérer que lesdites discussions étaient susceptibles de fonder une confiance légitime.

83 Le Royaume d’Espagne répond, en premier lieu, que, s’agissant du paiement effectué en 2014, la Commission exigerait qu’il apporte la preuve d’un fait négatif. En second lieu, en constatant que cet État membre n’a pas apporté la preuve de l’annulation des paiements en cours, la Commission occulterait les négociations engagées entre celle‑ci et les autorités espagnoles depuis l’année 2013 visant à maintenir la situation opérationnelle des centres émetteurs dans la zone II pendant une période minimale nécessaire à l’organisation d’appels d’offres technologiquement neutres dans la zone II, de telle sorte que l’exigence d’annulation de ces paiements serait contraire aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.

Appréciation de la Cour

84 L’article 3, paragraphe 4, de la décision 2016/1385 prévoit l’obligation pour le Royaume d’Espagne d’annuler tous les paiements en suspens au titre du régime d’aides visé à l’article 1 er de cette décision à compter de la notification de ladite décision.

85 Or, hormis un seul paiement effectué en 2014, il ressort des écritures du Royaume d’Espagne que cet État membre ne conteste pas que, s’agissant des autres paiements effectués, à tout le moins avant le mois de décembre 2015, ceux-ci n’ont pas été annulés. En effet, ledit État membre justifie l’absence d’annulation de ces paiements au regard de l’existence de discussions avec la Commission dans le cadre de la mise en œuvre de la décision 2014/489.

86 À cet égard, il convient de rappeler que le droit de se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime suppose que des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables, ont été fournies à l’intéressé par les autorités compétentes de l’Union. En revanche, nul ne peut invoquer une violation de ce principe en l’absence desdites assurances (arrêt du 16 juillet 2020, ADR Center/Commission, C‑584/17 P, EU:C:2020:576, point 75 et jurisprudence citée).

87 Or, les discussions mentionnées au point 85 du présent arrêt n’auraient pu fonder une confiance légitime dès lors que, ainsi que le fait valoir la Commission, elles sont dénuées de pertinence dans le cadre de la mise en œuvre de la décision 2016/1385 et ce d’autant plus qu’elles n’ont pas abouti à la modification de l’obligation prévue à l’article 3, paragraphe 4, de cette décision.

88 Il convient, par conséquent, de constater que le manquement à l’obligation prévue à l’article 3, paragraphe 4, de la décision 2016/1385 est constitué.

89 Il s’ensuit que le deuxième grief doit être accueilli.

Sur le troisième grief, tiré du défaut d’information de la Commission

Argumentation des parties

90 La Commission fait valoir que le Royaume d’Espagne ne lui a pas communiqué, dans le délai prescrit, les informations concernant la mise en œuvre de la décision 2016/1385, conformément à l’article 4, paragraphes 3 et 4, de cette décision.

91 En réponse à ce grief, le Royaume d’Espagne ne présente pas d’autres arguments que ceux soulevés dans le cadre des deux premiers griefs.

Appréciation de la Cour

92 L’article 4, paragraphe 3, de la décision 2016/1385 prévoit l’obligation pour le Royaume d’Espagne de communiquer un certain nombre d’informations dans les deux mois qui suivent la notification de cette décision.

93 Ainsi qu’il ressort de l’examen des deux premiers griefs, le Royaume d’Espagne n’ayant pas pris, dans les délais prescrits, les mesures nécessaires afin de récupérer les montants des aides versées auprès de TelecomCLM et n’ayant pas établi que tous les paiements ont été annulés, il a également manqué à son obligation prévue à l’article 4, paragraphe 3, de la décision 2016/1385.

94 Le troisième grief doit donc être accueilli.

95 En conséquence, il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que, en n’ayant pas pris, dans les délais prescrits, toutes les mesures nécessaires afin de récupérer auprès de TelecomCLM l’aide d’État déclarée illégale et incompatible avec le marché intérieur par l’article 1 er de la décision 2016/1385, en n’ayant pas démontré que tous les paiements en suspens de ladite aide ont été annulés et en n’ayant pas communiqué à la Commission, dans le délai prescrit, les mesures prises pour se conformer à cette décision, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 288, quatrième alinéa, TFUE et des articles 3 et 4 de cette décision.

Sur les dépens

96 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume d’Espagne et ce dernier ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) déclare et arrête :

1) En n’ayant pas pris, dans les délais prescrits, toutes les mesures nécessaires afin de récupérer auprès de Telecom Castilla-La Mancha SA l’aide d’État déclarée illégale et incompatible avec le marché intérieur par l’article 1 er de la décision (UE) 2016/1385 de la Commission, du 1 er octobre 2014, relative à l’aide d’État SA.27408 (C 24/10) (ex NN 37/10, ex CP 19/09) accordée par les autorités de Castille-La Manche en faveur du déploiement de la télévision numérique terrestre dans des zones éloignées et moins urbanisées, en n’ayant pas démontré que tous les paiements en suspens de ladite aide ont été annulés et en n’ayant pas communiqué à la Commission européenne, dans le délai prescrit, les mesures prises pour se conformer à cette décision, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 288, quatrième alinéa, TFUE et des articles 3 et 4 de cette décision.

2) Le Royaume d’Espagne est condamné aux dépens.

Signatures

* Langue de procédure : l’espagnol.

© European Union, https://eur-lex.europa.eu, 1998 - 2024
Active Products: EUCJ + ECHR Data Package + Citation Analytics • Documents in DB: 393980 • Paragraphs parsed: 42814632 • Citations processed 3216094